ERICK ZONCA - JULIA (2008)


 From L.A. to Tijuana ...

Erick Zonca est un réalisateur peu prolixe. Quatre films en plus de vingt ans, on n’a pas affaire à un stakhanoviste des plateaux … et encore un de ses films, son second (« Le petit voleur »), était pour la télévision et n’est sorti que confidentiellement en salles. Zonca, c’est aussi un peu des espoirs déçus. Son premier film « La vie rêvée des anges » avait récupéré une Palme à Cannes (prix d’interprétation féminine pour ses deux actrices Elodie Bouchez et Natacha Régnier), et dans la foulée raflé des Césars l’année suivante. Et ensuite Zonca a quasiment disparu des radars, cachetonnant parfois dans la pub.

Tilda Swinton & Erick Zonca

« Julia » est son troisième long métrage, dix ans après « La vie rêvée des anges ». A cheval entre deux mondes. L’équipe technique est essentiellement française, les acteurs anglo-saxons, et les lieux de tournage sont aux Etats-Unis et au Mexique en anglais et en espagnol. « Julia » mélange les genres, entre polar, road movie, et dissection psychologique de son personnage principal.

Julia, c’est l’actrice anglaise Tilda Swinton qui trouve certainement là le rôle de sa vie. Présente dans toutes les scènes, elle porte le film sur ses épaules et livre une performance habitée qui marque les esprits. Un jeu très « animal » pour mettre en scène une alcoolo paumée qui va basculer dans un engrenage dont les rouages lui échappent totalement…

Une interprétation à la Gena Rowlands … A double titre. Par l’approche du personnage et parce que « Julia » présente beaucoup de similitudes avec « Gloria » de Cassavettes et Rowlands dans le rôle-titre. Zonca a réfuté le remake … ouais, mais la base du scénario (la cavale d’une femme solitaire et d’un gamin qui vaut très cher) est la même, et la tension omniprésente de la même façon …

Julia au réveil ...

La première scène nous montre Julia bien imbibée en boîte de nuit, vidant force verres et se trémoussant au son de « Sweet dreams » d’Eurythmics. Elle allume férocement un inconnu qui passait par là et ils finissent la nuit sur le siège arrière d’une bagnole. On se rend compte que c’est le quotidien de Julia, la picole forcenée et les coups d’un soir. Evidemment, c’est un mode vie peu compatible avec métro-boulot-dodo. Et son boulot, elle s’en fait virer (pas à l’heure, toujours bourrée de la veille) malgré l’intercession auprès de son boss d’un collègue de bureau (lui aussi pas mal cabossé par la vie), qui l’a faite embaucher et en est plus ou moins amoureux, on le verra par la suite (mais ils couchent pas ensemble).

La perte du boulot, les factures qu’on peut pas payer et qui s’accumulent, c’est pas ça qui va modifier le comportement de Julia. Toujours clope au bec et verre à la main, elle tente sans conviction une séance aux Alcooliques Anonymes. C’est là qu’elle rencontre une petite bonne femme mexicaine assez perturbée (mais Julia ne semble pas s’en apercevoir), qui finit par la brancher sur un kidnapping de gosse. Le sien, soi-disant séquestré par un grand-père très riche qui l’empêche de le voir. Combat éthique dans le cerveau envapé de Julia, qui finit par accepter parce qu’il y a un peu de fric à se faire (c’est la mexicaine qui doit le lui donner) et que du fric, Julia en a bien besoin. Julia prépare donc le kidnapping avec sa copine de circonstance (mais bon, ça s’improvise pas, surtout quand on est rarement à jeun), achète un flingue à une petite frappe qu’elle connaît. Au moment de passer à l’acte, elle s’aperçoit que la mexicaine est totalement dérangée et mytho, et que si l’essentiel de son histoire est vraie, elle voulait enlever son fils pour demander une rançon au grand-père … Julia voit là beaucoup plus de pognon à se faire et passe à l’action toute seule …

Opération réussie. Julia kidnappe le petit-fils du plein aux as. Et à mesure que les enchères montent (ça va finir à deux millions de dollars pour qu’elle rende l’enfant), Julia contrôle de moins en moins la situation. Parce que ce n’est pas une délinquante qui a minutieusement préparé son plan, et qu’elle n’a pas la moindre idée, n’ayant jamais été mère, de la façon dont on gère un gosse de huit ans qu’on vient d’enlever. Julia est volontaire, tente d’amadouer le bambin et en même temps de se sortir à l’arrache et en totale improvisation des situations de plus en plus compliquées qui se présentent. Il y a dans « Julia » du Cassavettes-Rowlands, évidemment, mais aussi du « Fargo » des Coen Bros, la canicule du désert du Nouveau-Mexique remplaçant les étendues enneigées du Minnesota, avec en filigrane ce kidnapping foireux fait par des branquignols et qui tourne mal… et comme Julia évacue la pression bouteille à la main, tout va de pire en pire …

Le périple de Julia et du gosse avec les flics au cul genre « Thelma et Louise » se finira au Mexique, dans la ville frontière de Tijuana, censée être la plus dangereuse du monde. Pas compliqué d’imaginer que les emmerdes encore plus gravissimes vont dès lors se multiplier.

Tijuana, tout se complique encore plus ...

Il y a du rythme dans « Julia ». Par le parti-pris de Zonca de filmer au plus près des personnages, caméra sur l’épaule. Tout en évitant un montage épileptique avec changement de plan toutes les trois secondes. Il y a de la tension, du suspense, mais surtout une interprétation fabuleuse de Swinton. Elle joue un personnage paumé affectivement, sans repères sociaux ou moraux. Julia est une grande bringue rousse qui boit comme un trou, et raisonne évidemment comme un pilier de bar aviné. Et on est loin des personnages d’ivrognes de comédie, c’est pas « Boire et déboires » if you know what I mean, on a même l’impression que Julia-Swinton est réellement bourrée, alors qu’en fait dans la vraie vie Tilda Swinton ne boit jamais une goutte d’alcool …

Et petit à petit, on voit se transformer cette solitaire instable en une femme déterminée, se rendant peu à peu compte que ce petit minot qu’elle a enlevé, c’est pas seulement un paquet de pognon. C’est à ce moment-là, quand elle va découvrir qu’elle aussi peut avoir quelque chose qui ressemble à de l’instinct maternel qu’elle va arrêter de subir, de raconter et de se raconter des bobards de comptoir, et prendre en main leur destin commun, alors que la situation est totalement cataclysmique.

« Julia » est prenant, passionnant assez souvent. Avec aussi les défauts de ses qualités. A vouloir centrer deux heures et quart sur une seule personne (tous les autres acteurs y compris le bambin sont scénaristiquement parlant, au mieux des seconds rôles), on ramène tout le reste du casting à de l’accessoire. Tout juste si on comprend qui est ce gosse, qui sont ses parents et son grand-père. Le collègue de boulot amoureux de Julia qu’on voit au début réapparaît de façon saugrenue à la fin sans apporter quoi que ce soit à l’intrigue ou à son dénouement (en fait dans les bonus du Dvd il y a des scènes coupées au montage qui permettent de mieux cerner tous ces seconds rôles). Et la partie mexicaine de l’histoire présente des acteurs plutôt énigmatiques, on voit bien qu’ils sont pas très nets, mais on a du mal à situer une hiérarchie (qui commandite, quel est le rôle des flics, du gros chauffeur de taxi, du play-boy latino amant d’un soir ?). Bon, vous allez me dire, y’a plein de bons polars ou assimilés légendaires où on comprend strictement rien de la première à la dernière image (que quelqu’un me fasse un exposé clair et synthétique sur l’intrigue du « Faucon maltais » ou de « Mulholland drive », allez, pas tous en même temps …).

Beaucoup plus de positif que de négatif. Film à voir.


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