BOB MARLEY & THE WAILERS - NATTY DREAD (1974)


Mieux qu'un Best of ...

Tout simplement le meilleur disque de Marley. Euh, en fait, non, tout n’est pas aussi simple que ça. Parce que ses meilleurs titres, Marley les a sortis sur de petits labels jamaïcains fin des années 60, début des années 70. La plupart ont ensuite été réenregistrés sur ses disques Island (à partir de « Catch a Fire » en 1973), certains devenant alors des hits mondiaux … En perdant au passage toute la magie de leur spontanéité originale.
Quand paraît « Natty Dread », le plan marketing de Chris Blackwell qui l’a signé sur Island commence à porter ses fruits, Clapton vient de sortir sa reprise de « I shot the Sheriff », le reggae s’installe sur les ondes du monde dit libre, et Marley est en route pour devenir le héros et le héraut de tous les déshérités de la Terre.
Même si dans le « clan » Marley tout ne baigne pas. Ses deux potes d’enfance Peter Tosh et Bunny « Wailer » Livingstone (les Wailers originaux) sont évincés (ou sont partis d’eux-mêmes selon les versions des différents protagonistes). Sa femme Rita entend surveiller au plus près son coureur de mari et le groupe de choristes les I Threes (elle, Judy Mowatt, Marcia Griffith) prend une place de plus en plus importante sur le plan vocal. Marley lui-même, qui vient de découvrir à ses dépens le monde des hommes d’affaires de la Babylone du disque, choisit de ne guère se créditer dans les différentes chansons de l’album alors qu’il en est le pourvoyeur quasi unique, ce qui est tout sauf une bonne idée, l’immense succès du disque donnera ensuite lieu à des batailles juridiques sans fin (une constante dans la saga Marley, et plus encore depuis qu’il est mort) avec les « auteurs », notamment Vincent Ford pour la paternité de « No woman no cry ».
La partie enregistrement, promotion et concerts est aussi dès lors qu’il s’agit de Marley une « aventure ». Encore que Chris Blackwell réussit à sortir Marley et sa raya de la Jamaïque pour les faire enregistrer aux studios Island de Londres, les Wailers dans leur antre mal famée de Trenchtown étant particulièrement imprévisibles et ingérables. C’est donc au milieu du brouillard londonien et dans celui de leur ganja que Marley et sa troupe enregistrent leur inégalé chef-d’œuvre. Les usual suspects habituels sont là, notamment l’inamovible rythmique des frères Barrett, Carlton à la batterie et Aston « Family Man » (ainsi nommé à cause de ses dizaines d’enfants naturels, cinquante sept seront finalement officiellement recensés ) à la basse, des cuivres sous la férule de Tommy McCook l’âme des Skatalites, deux claviers, le guitariste américain Al Anderson et les I Threes aux chœurs.
C’est logiquement lorsque l’on commence à parler musique chez Marley qu’intervient la plus grosse méprise, lui et ses Wailers n’étant perçus que comme une bande de paysans (les textes dans un anglais de contrebande approximatif étant sans doute pour beaucoup dans ce cliché) moulinant leurs contre-temps rythmiques ad lib. Ce serait oublier qu’ils ont tous usé leurs oreilles à écouter radios et disques américains, qu’ils connaissent sur le bout des doigts soul, blues et jazz, et que malgré l’imposant nuage de ganja qui flotte en permanence au-dessus d’eux, ces types sont des grands musiciens, et surtout pas des rustiques à la technique hésitante.
Sous l’impulsion surtout de McCook et des claviers, intros et arrangements tirant sur le jazz sont de la revue (« Lively up yourself », « Them belly full », « So Jah seh »), les mélodies imparables de sortie (« Natty dread », « Bend down low »), le tout sans renier les sonorités typiquement jamaïcaines (le rocksteady de « No woman no cry », le lover’s rock de « Talking blues »).
Les textes abordent tous les aspects de ce que l’on a englobé par extension sous le terme de culture rasta. L’aspect mystique brinquebalant (le rastafarisme est une « religion » codifiée par des paysans incultes  au début du XXème siècle, et ne s’énonce pas sans quelques incohérences et bizarreries toutes locales, celle ayant le plus marqué les Occidentaux étant sans conteste la place essentielle dans le culte accordée à la ganja, le cannabis des collines jamaïcaines) est bien sûr représenté (« So Jah seh », …), la  peinture sociale de toutes les petites gens des ghettos (« No woman no cry », …), et surtout l’importance toute politique que prendra le reggae, musique d’opposition dans tous les pays où la liberté est bafouée (« Rebel music », …). Pour Marley la musique est beaucoup plus qu’un divertissement, même s’il ne néglige pas cet aspect (« … forget your trouble, forget your sorrow, and dance … » sur « Them belly full »). Elle se doit aussi de décrire le monde (« No woman no cry » sur la misère à Trenchtown, ce quartier-ghetto de Kingston, où s’entassent misère et laissés-pour-compte ). Elle se doit aussi de participer à l’émancipation sociale, témoin le titre central du disque et le plus long « Rebel music », véritable profession de foi au sens politique du terme, dans la lignée des folks engagés de Leadbelly, Guthrie, Dylan, des blues des parias noirs, du « Say it loud, I’m black and I’m proud » de James Brown, Marley entendant « rattrapper » par son engagement le fait qu’il ne soit qu’un métis, ce qui constituera un traumatisme durable chez lui (cf son album-exutoire « africain »  « Survival »).
Dans ce « Natty dread » où tous les titres sont des classiques de Marley, les profanes auront droit à la version originale de « No woman no cry » façon rocksteady, alors que la version la plus connue du titre est celle (tronquée) du 45T issu du « Live at the Lyceum ». Et la perle la moins louée du disque est bel et bien le sublime et lent « Talkin’ blues ». A noter que dans les rééditions Cd figure maintenant un dixième titre « Am-A-Do » totalement sans intérêt et qui vient rompre la magie de ce chef-d’œuvre.
Pour ceux qui se seraient bêtement arrêtés à la mauvaise compilation « Legend » (tous ceux qui n’ont qu’un disque de Marley ont ce machin mal foutu axé sur ses titres les plus neuneus et commerciaux), la véritable bonne porte d’entrée pour Marley et son reggae, c’est bel et bien « Natty dread ».
A noter que la pochette est l’œuvre de Dennis Morris, photographe anglais « officiel » de Marley, puis des Sex Pistols et de PIL, avant de devenir le chanteur ( ? )  des expérimentaux dub-rockers de Basement 5.

Du même dans ce blog :
The Upsetter Record Shop Part II
Catch A Fire


4 commentaires:

  1. C'est un disque de reprises de chansons de Yannick Noah ?

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  2. Réponses
    1. Je n'ai qu'un CD de Marley et c'est Rastaman Vibrations. J'ai encore des vinyles dans le grenier chez mes vieux. J'avais pensé les racheter en CD, je ferais peut-être mieux de me racheter une platine, les craquements chez Marley c'est pas bien gênant.

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  3. C'est déjà bien de pas avoir "Legend" ... Rastaman Vibration, c'est le Marley en pleine gloire qui se la joue un peu prophète, un de ses plus mystiques, sinon le plus mystique ... pas mon préféré ...

    Y'a des millions de types ou de nanas pour qui la vie a changé après avoir écouté les beatles, les stones ou qui on voudra avant l'invention du cd ... la plupart les écoutaient sur des tourne-disques tout pourris ...
    La technique côté lecteur n'a pour moi qu'une importance minime, c'est plutôt le contenu du disque le plus important ...

    De plus, concernant Marley, y'a des rééditions "gonflées" qui font pas vraiment l'unanimité des "connaisseurs" ...

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