C’est pas être trop mesquin
pour lui que de rappeler que c’est
« Le tambour » qui vaudra à Volker Schöndorff d’avoir une rubrique
dans toute encyclopédie du cinéma qui se respecte. Non pas que le reste de sa
carrière ait été minable, y’a même quelques pelloches assez connues des
amateurs de séances nocturnes des chaînes « culturelles », mais bon,
« Le tambour » enterre quand même un peu tout le reste de sa
filmographie…
Parce qu’on parle pas là d’un
petit film sympa venu d’une Allemagne qui commençait à se relever
cinématographiquement parlant, mais d’un truc qui a partagé une Palme d’Or à
Cannes avec rien de moins que « Apocalypse now ». Certes les
distinctions n’engagent que ceux qui les décernent, mais y’a des références qui
trompent pas …
Volker Schlöndorff & David Bennent |
Schöndorff, c’est classique du
cinéma allemand des 70’s, avec le traumatisme à expier de la période nazie,
comme dans un autre registre Fassbinder (y’avait aussi Werner Herzog, mais lui
était à l’Ouest, pas par rapport aux deux Allemagne, mais à l’Ouest vraiment,
quoi …), ces réalisateurs qui situent souvent leurs œuvres dans cette période
noire de leur Histoire, et un peu aussi de celle de tout le Monde, d’ailleurs …
L’essentiel du
« Tambour » se situe à Dantzig, en Pologne au début des faits, et
couvre la période 1935-1945. Mais les évènements historiques, s’ils influent
évidemment sur l’intrigue, ne servent que de marqueurs. « Le
Tambour » n’est pas un film politique ou historique. C’est une somme de
plus de deux heures vingt, axée autour d’un personnage principal et de ses
pérégrinations dans cette période troublée. « Le tambour » est une
fresque bizarre, picaresque et sans trop d’équivalents. A part « Barry
Lyndon » avec lequel je perçois beaucoup de similitudes. Sauf que chez
Kubrick le héros est un indolent qui traîne son apathie au milieu d’intrigues
et de personnages hauts en couleurs. Le héros du « Tambour » est par
contre celui qui agit sur l’histoire de ceux qui l’entourent. « Le
Tambour », c’est Oskar. Qui d’entrée démarre dans la vie avec un petit
problème, il a bien une mère, qui est un peu volage, et se retrouve avec deux
pères. Oskar n’est pas très à l’aise dans ce cocon familial assez particulier (c’est
lui le narrateur du film), d’autant qu’à ses trois parents s’ajoutent des
ancêtres pour le moins atypiques. Le jour de ses trois ans, Oskar décide de ne
plus grandir, et « suicide » sa croissance en se jetant dans un
escalier. Il en réchappe et son vœu sera exaucé. Dorénavant, Oskar gardera la
taille d’un gamin de trois ans.
Scène de ménage à trois ... |
Il convient à cet effet de
saluer la performance du jeune suisse David Bennent, un enfant de la balle
(père acteur et mère danseuse), qui bien qu’âgé de treize ans au moment du
tournage, a lui eu réellement des problèmes de croissance et paraît beaucoup
plus jeune. Et Bennent porte le film sur ses épaules, est quasiment à l’image tout
le temps et sert une prestation d’acteur de haut niveau, ne se contentant pas
des quelques mimiques qui sont souvent le lot commun des tout jeunes acteurs. D’autant
qu’Oskar aura une enfance pour le moins singulière, faut vraiment jouer, être
acteur, pour rendre tout cela correctement. Bien aidé d’ailleurs par le reste
de la distribution, avec mention particulière pour un épatant Mario Adorf (un
des deux pères) et un Aznavour qui dans un second rôle livre ce qui doit être
sa meilleure prestation devant une caméra …
Charles Aznavour & Angela Winkler, excellents |
On suit Oskar, tout de même un
peu caractériel dans sa découverte du monde des adultes, des nazis, des
phénomènes de cirque, de la guerre, de l’amour, de la mort dans une sarabande
très tongue-in-cheek. Même si parfois on frôle des délires montypythonesques
quand Oskar et son tambour font perdre le rythme aux musiciens nazis et le
discours-parade de propagande se transforme en bal populaire au son d’une valse
de Strauss. Ah, parce que je vous pas dit, Oskar en pince pour les tambours
d’enfants, et ne se sépare jamais du sien quelles que soient les circonstances,
comme un fil rouge un peu crétin de sa vie. Le regard naïf d’Oskar sur le monde
des adultes et leurs vicissitudes n’empêche pas à l’occasion des réflexions
d’une justesse cruelle et terrifiante, ainsi à propos de la montée du nazisme
et du soutien populaire dont il bénéficiait dans les années 30 : « Un
peuple crédule qui croyait au Père Noel. En réalité le Père Noel était le
préposé au gaz. »
La monstrueuse parade ? |
« Le tambour » est
adapté d’un bouquin à succès de l’écrivain allemand Gunther Grass. Un livre
réputé inadaptable, mais le challenge a été relevé avec brio par Schöndorff et
Jean-Claude Carrière, et le film, un des plus gros budgets du cinéma allemand
est in fine une œuvre cosmopolite dans lequel financement, personnel technique
et acteurs, sont issus de multiples nationalités. Le tout produisant une œuvre
d’une justesse et d’une précision souvent bluffantes. On sent en Schöndorff
l’amoureux et le connaisseur de ses classiques, louvoyant avec talent entre
sérieux, ironie et hommages référencés (les séquences avec les nains de cirque
renvoient immanquablement au « Freaks » de Todd Browning), évitant
les effets faciles ou racoleurs (l’histoire d’amour entre Oskar et Maria, la
servante de son père).
Le postulat de départ du film,
cette histoire d’enfant qui « refuse » de grandir, est bien légère,
mais « Le Tambour » soutenu par un scénario en béton qui nous emporte
dans les méandres d’une époque pour le moins difficile sans temps mort ni
répit, est captivant de bout en bout. L’exemple du film tout-public, et qui
permet une lecture à tous niveaux …