Le second
disque du Five ... dès son titre, tout un programme … Jusque là, le programme
du MC5, vu de loin, ça se confondait avec celui de son manager, le bien
allumé John Sinclair. Le manager-gourou du groupe était aussi le fondateur du
White Panther Party, version …euh … différente des Black Panthers. En gros, un
gloubi-boulga anarcho-marxiste-barré articulé autour de dix points dont
quelques-uns assez fumeux. Tellement fumeux que la brigade des stups de Detroit
va serrer Sinclair en 1969 pour deux pauvres joints et l’envoyer au
pénitencier.
Le MC5 se retrouve livré à lui-même, ce qui n’est
pas une bonne chose. Et sans maison de disques. Le premier brûlot du MC5,
« Kick out the jams » (à l’usage des sourds et des jeunes
générations, je rappelle qu’il s’agit du meilleur disque live de tous les
temps) ne s’est guère vendu. Pire, à cause de quelques « motherfuckers »
bien audibles, une grande chaîne de magasins de disques l’a d’emblée retiré des
rayons. Bravache et activiste, le groupe entre en résistance, à coups
d’affiches, slogans et appels au boycott de l’épicier vinylique. Bataille du
pot de terre contre le pot de fer. La label du Five, Elektra (entre autres
celui des Doors) est menacé de voir retirer de la vente tous ses
« produits ». Aussi sec, devant la pression de l’épicier, Elektra se
débarrasse du MC5.
Les cinq types du Five ne sont pas vraiment des
politiciens révolutionnaires. Le seul genre de révolution qui trouve grâce à
leurs yeux se résume en quatre mots : meufs, dope, bagnole, rock’n’roll,
les trois premiers gros consommateurs de dollars, le quatrième étant censé les leur apporter. Atlantic consent à
signer pour un disque cette bande assez ingérable, et un petit journaleux de
Rolling Stone, qui n’a pas encore vu le futur du rock’n’roll décide de
s’occuper d’eux, les emmène en studio et s’auto proclame leur producteur. Le
groupe s’en fout un peu de ce Jon Landau, mais bon, faut bien faire rentrer du
cash pour faire le plein aux Ferrari et un disque est mis en chantier.
Concept : puisque l’utopie militante ne nourrit
pas son homme, on va faire simple, basique même. Foin
des influences de Sun Ra (« inspirateur » du « Starship »
de « Kick out de jams »), back in the USA, back to the roots. Concis, ramassés, urgents,
tels seront les titres de ce disque. Onze pour vingt huit minutes, comme un
majeur dressé bien haut devant tous les techniciens bluesy ou pas qui étirent
un titre sur toute une face de vinyle. Et retour aux bases de la musique qui
les fait vibrer, le rock’n’roll des origines remis aux goût du jour à la sauce
Motor City, puisque c’est de la capitale automobile qu’ils viennent et où leur
insuccès les condamne à rester.
Ils sont pas nombreux dans ce créneau à cette
époque-là. Les revivalistes loufoques de Sha Na Na (leur copie conforme
française s’appellera Au Bonheur Des Dames) et puis, quand même un mammouth en
terme de ventes et de popularité (de qualité aussi, mais c’est pas le propos
ici), le Creedence Clearwater Revival de John Fogerty. Fogerty qui bien que de
la ville (celle des hippies, San Francisco), donne dans le rock’n’roll rustique
et campagnard. Le Five va faire la même chose, mais dans son versant urbain, et
la différence ne s’arrêtera pas au port ou non de chemises de bûcherons à
carreaux.
Dans l’ancienne place forte de la Tamla Motown, le
MC5 va livrer une version urbaine, violente, de la musique originelle.
« Back in the USA » commence et finit par une défenestration de deux
classiques : « Tutti frutti » de Little Richard et l’éponyme
« Back in the USA » de Chuck Berry. Versions du Five sauvages mais
assez proches et respectueuses des originales. Tout le reste est plus sournois,
plus agressif aussi. Finie la rythmique char d’assaut, c’est rapide, ça pulse
et ça swingue. Finis les numéros de shredders de Kramer et Smith aux guitares,
ça joue carré, sérieux, et ça se paye même des solos dans les « règles de
l’art ». Finis les cris et hurlements de Tyner, ça chante et plutôt très
bien même. Beaucoup affirment que « Back in the USA » est un disque
annonciateur du punk. Ma foi … Moi je dirais que trois ans avant le « Pin
Ups » de Bowie, le disque du MC5 est avec le « Supernazz » des
Flamin’ Groovies sorti quelques semaines plus tôt, une des premières œuvres
strictement revivalistes du rock.
Là où se situe le talent du groupe, en plus de la
Detroit touch devenue cliché et tarte à la crème d’une certaine forme de musique dure, « pour
hommes », estampillée « street credibility », c’est dans la
clarté du propos et la mise en place. Respectueux des fondamentaux (il n’y a
rien d’original, ça dure en moyenne moins de trois minutes par titre, personne
cherche à se mettre en avant), tout en entrouvrant des lucarnes pour les
générations futures. Les punks, on l’a dit et (trop) répété à mauvais escient,
mais beaucoup plus la power pop (« Teenage Lust », « High
school », « Shakin’ Street »), et la matrice de toutes les formations
revivalistes « lettrées » (en gros tous ceux qui ont fait l’effort
d’écouter des disques sortis avant le premier Ramones, et dont l’exemple
typique français doit être les Dogs). Le Five casse avec « Back in the
USA » sa réputation de groupe sauvage mais approximatif, Kramer y va de
quelques solos qui ne feront certes pas oublier Hendrix, mais qui
sont « propres ». Le rôle de Landau, souvent tenu pour quantité négligeable, y est pour quelque
chose : pour son baptême du feu aux consoles, il fait faute de pouvoir
mieux dans l’ultra basique, et coup de bol, c’est ce qui convient parfaitement
au disque. A peine deux concessions : une à la mode de l’époque, la
ballade pour emballer la meuf (ici
« Let me try »), évite le pathos et les couches de violons dans
lesquels des cohortes de groupes se livrant à cet exercice se perdront ;
l’autre au son psyché du rock garage de la fin des sixties avec « The
human being lawnmover ».
Personne n’attendait ce disque. Peut-être quelques
amateurs des stridences rageuses de « Kick out the jams » qui ont été
déçus. Et en 1970, le MC5 n’était pas encore « culte », juste à peu
près inconnu (le pays où il était le plus « populaire », c’était la
France …). Les deux singles extraits, « Looking at you » et
« Shakin’ Street » (sans parler de « High school » tuerie
totale, un des grands morceaux ignorés des seventies, même pas sorti en 45T) n’entreront pas dans les charts. Le second l’aurait mérité, bien qu’il soit atypique
(chanté par Fred Smith, le futur mari de la Patti du même nom). Il ne sera pas
perdu pour tout le monde, et servira de nom de baptême à une rude escouade
menée par une chanteuse française (Fabienne Shine), groupe qui malgré des
prédictions de succès à l’échelon international, disparaîtra rapidement dans
l’anonymat.
Par bien des aspects, « Back in the USA »
n’est pas ce que les musicologues qualifient de disque parfait. Heureusement,
c’était pas le but recherché. C’est juste pour moi le plus grand disque de
strict rock’n’roll américain …
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High Time
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