JACCO GARDNER - CABINET OF CURIOSITIES (2013)


Génération psyché ...

Tout le monde (enfin, ceux que ça intéresse) connaît ces disques devenus mythiques de la fin des 60’s, œuvres de types bien bariolés dans leur tête, toujours cités comme fabuleux, et que personne, à l’époque comme plus tard, n’a jamais acheté. Et donc les deux exemples les plus connus doivent être le « Odessey and oracle » des Zombies et le « Walk away Renée » des Left Banke, condamnés au « culte » perpétuel derrière « Good vibrations », « Sgt Peppers », « Forever changes », les 1er Floyd, Hendrix, Doors, Airplane, … Et régulièrement, des hordes de types avec des fleurs dans leurs cheveux en bataille remontent au front en vue d’écrire une nouvelle page de cette pop psychédélique qui les fait fantasmer. Sauf exception, dans l’indifférence un peu générale …
Dernier en date : l’Australien Kevin Parker et son Tame Impala de (faux) groupe. Encensé à juste titre ces temps-ci. Bon, ben oubliez-le, le gars dont au sujet duquel je vais vous causer vient de sortir un disque insensé. « Cabinet of curiosities » il s’appelle le skeud, et le gars en question, Jacco Gardner, vient des improbables Pays-Bas. Improbables quoi que … Cet étrange morceau de terre plus bas que la mer, réputé pour ses habitants à vélo, ses champs de tulipe, son Ajax d’Amsterdam et ses coffee-shops a toujours eu la fibre anglophile. Et donc, dès les sixties, alors que chez nous on s’extasiait sur Sylvie Vartan et Richard Anthony, les Bataves avaient des groupes locaux qui n’avaient rien à envier aux anglais adeptes d’un rock garage énervé, genre Q65 ou Oustsiders. Et aujourd’hui, qui retrouve t-on derrière ce Jacco Gardner ? Un vieillard, Jan Audier, qui a bossé comme ingé-son derrière les mythiques Q65. Pour que la légende soit plus belle, le sieur Gardner fait croire que Audier n’avait pas mis les pieds dans un studio depuis 40 ans, ce qui est faux, il participait de temps à autre à l’enregistrement ou la production de disques.
Jacco Gardner donc. Pas encore 25 ans. Des débuts dans un duo folk électrique (bâillements). Et puis avec l’aide du septuagénaire Audier, ce « Cabinet of curiosities ». Dont la pochette intrigue. Un enfant blond avec un ciré rouge (« Don’t look now », le film de Nicholas Roeg ?) perdu dans une forêt luxuriante où se cache une girafe bleue (« Avatar » ?). Je sais pas quels genres de films il se passe dans sa tête, mais en tout cas son disque sonne comme un flash-back pour continuer dans l’allusion cinématographique.
Compteurs bloqués circa 1967. Encore un, diront les ronchons. Qui auront tort. Celui-là, je sais pas si c’est le bon, mais en tout cas, c’est un bon. Qui ne récite pas ses gammes psychédéliques comme tous les autres, s’appliquant à recopier leurs modèles. Non, lui il sonne comme l’élève récitant sa leçon et qui se hisse au niveau des antiques maîtres, comme s’il était le contemporain de Brian Wilson, Arthur Lee et Syd Barrett. Surtout Syd Barrett. Il est fan du mangeur de space cakes du premier et inégalé disque du Floyd et de ses erratiques disques solo bricolés, et ça s’entend. Mais pas trop. Gardner semble assez doué pour ne pas se ridiculiser à plagier « Lucifer Sam ». D’ailleurs il est pas très rock, Gardner. Plutôt pop et folk. Nombre de titres, en gros la moitié, commencent par des arpèges de guitare acoustique, et dévident le genre de mélodies que ne renieront pas fans de Paul Simon, Donovan ou Nick Drake. Le restant, c’est de la chanson pop haut de gamme qui va lutter sur le même terrain que des « Alone again or », « Wouldn’t it be nice », « Lucy in the sky … », « Time of the season », … Même s’il apparaît totalement improbable que les titres de ce « Cabinet … » fassent des hits. Pas exactement le genre de choses susceptibles d’intéresser les sourds qui trouvent génial le patapouf coréen et son style gnangnan …
Et pourtant, qui ces jours-ci est capable d’écrire avec ce son délicieusement vintage (cette batterie qui n’est pas putain de compressée et mise tout en avant est un régal, on dirait que c’est Ringo Starr ou Hal Blaine qui en jouent, ce son de claviers (en fait des samples de Mellotron), cette voix aérienne doublée et chargée d’écho, …) une douzaine chansons originales dans tous les sens du terme dont aucune, je dis bien aucune, n’est à zapper ? Répondez pas tous ensemble …
C’est « dans l’esprit », et totalement original à la fois. Tout au plus peut-on noter sur l’intro de « The Riddle » un gimmick entendu sur « Good vibrations », ou cette montée de la batterie sur le refrain de « Chameleon » qui ressemble au rythme du « White rabbit » de l’Airplane. Pour le reste, le Gardner a trouvé des mélodies irréelles, des constructions simples mais magiques, déjà perceptibles sur les deux singles (« Clear the air », « Where will you go ») de l’année dernière repris sur ce Cd, et qui avaient commencé à alimenter le buzz.
Vu l’état actuel du « marché » et du « public », il serait surprenant que Jacco Gardner vende des disques par millions, fasse un hit (bien que « Help me out » dans un monde idéal devrait squatter le haut des charts). Il est trop à l’écart des modes et tendances, tellement « ailleurs » dans un univers intemporel où seuls les très grands ont su se hisser dans leurs meilleurs moments.
D’ailleurs, d’une façon peut-être prémonitoire et en tout cas lucide, il envisage plutôt de se tourner vers la production des disques des autres que de continuer à en sortir sur son propre nom. Il ne reste plus qu’à espérer qu’il change d’avis, car là, il a pondu un truc tellement fantastique que ça mériterait bien une suite … 

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