Lourd ou lourdingue ?
Blue Cheer, c’est le prototype du groupe culte. Qui
en plus a réussi à vendre du disque, contrairement à la plupart de ceux
gratifiés de ce qualificatif. Et en se coltinant depuis des lustres des avis
très divergents. Certains n’hésitent pas à le qualifier de génial précurseur,
d’inventeur du heavy metal ou du stoner, d’autres n’y voient qu’une bouillasse
sonore de distorsion et de feedback … ce qui si on se penche sur la question,
revient à peu près au même …
Blue Cheer est un groupe dérangé et dérangeant. Issu
du Ground Zero du psychédélisme (San Francisco), et tirant son nom
officieusement d’une marque de détergent, en réalité de l’argot désignant une
spécialité surpuissante de LSD. Dont les Blue Cheer furent des consommateurs
émérites et obstinés, ceci expliquant
beaucoup de choses par la suite, notamment au niveau sonore. Mais pas
seulement. L’histoire (la légende ?) prétend qu’ils étaient six au départ,
et qu’au beau milieu d’un concert, trois se retrouvèrent virés et expulsés de
scène par les trois autres, Blue Cheer devenant dès lors un trio (sûrement coup
de bol, les trois rescapés étaient un batteur, un bassiste-chanteur et un
guitariste, ils purent ainsi continuer à faire de … euh, de la musique, pour
faire simple). Encadrés et soutenus par les Hell’s Angels de Frisco, les Blue
Cheer durent composer avec une violence latente et souvent bien réelle qui
accompagnait chacune de leurs apparitions.
« Vincebus eruptum » (attaque
victorieuse ? me souffle Google Traductions) est le premier disque du
groupe en 1968. Aussi saugrenu dans cette époque qu’un poster de Marylin Manson le
serait aujourd’hui dans la chambre à coucher de Christine Boutin. En ces
temps-là, qui voyaient la surenchère de titres et de concept-albums immensément
cérébraux plein de considérations pacifistes, cosmiques, métaphysiques et
existentielles, époque aussi de la technique la plus ébouriffante possible
triomphante (les slogans « Clapton is God », ce genre de fadaises,
…), Blue Cheer jetaient sur vinyle six titres d’une bêtise, d’un mauvais goût
et d’une crétinerie finalement réjouissants.
Dans le genre « jouez ce dont vous êtes
capables, j’enregistre et on la garde … », « Vincebus Eruptum »
fait figure de modèle et curieusement, alors que l’on peut lire les
qualificatifs de boucan punk sous la plume de quelques-uns, d’autres partent de
quelques ponts et solos tordus pour déceler dans ce disque les prémices du
funeste prog-rock. Je me plais à imaginer le destin d’un Rick Wakeman qui se
serait pointé avec ses capes amidonnées à un concert de Blue Cheer et le sort
qui lui aurait été réservé par les Hell’s … Le pourquoi du comment de cette
« chose » vient surtout, beaucoup plus prosaïquement de l’état dans
lequel se trouvaient en permanence les trois freaks et de leurs carences
techniques quand même bien flagrantes.
D’ailleurs la moitié des titres sont des reprises et
ce sont ces reprises tordues, approximatives et bruyantes, qui ont entretenu la
légende et les discussions sans fin autour du groupe. « Summertime
blues » de Cochran surtout, ayant conduit Blue Cheer vers les sommets des
hit-parades US. Une version lourde, lente, aplatissante, glissant même dans un
grand fracas sonore le riff de « Foxy Lady » de Hendrix. A comparer
avec l’originale mais aussi évidemment avec la rage nucléaire de celle des Who
« Live at Leeds ». Autre reprise, celle du « Parchman
Farm » du jazzeux bluesy Mose Allison, rebaptisée ici « Parchment
Farm », celle-ci revisitant à mon sens avantageusement le titre et ouvrant
la voie à la relecture qu’en a également faite (entre autres) Cactus. Enfin
« Rock me baby » de B.B. King devient un blues reptilien et noir,
avec une ambiance que l’on retrouvera tout du long de « L.A. Woman » des Doors (Jim Morrison était fan de
Blue Cheer).
Les trois titres originaux, tous composés par le
bassiste Dickie Peterson, font figure de parent pauvre. « Doctor
please » (la supplique du camé pour l’ordonnance médicale), avec ses solos
vrillés en dépit du bon sens et de ce qui se fait à l’époque, est assez
lamentable. « Out of focus », qui deviendra en concert un des
classiques de Blue Cheer, est le plus rapide, conclu par une purée de pois
sonique mugissante. « Second time around », célébré par certains pour
son originalité déstructurée, est un trip sauvage perclus de solos le plus
souvent imbéciles (à tour de rôle, chacun des trois y va du sien, les deux
autres s’arrêtant de jouer).
Il y avait dans « Vincebus … » matière à
six titres de trois minutes. Ils seront quasi tous étirés d’autant, surtout
ceux « maison » pour qu’au final la durée du disque dépasse la
demi-heure. Musicalement, c’est tout de même bien faible … Mais l’intérêt du
disque, outre « historique » est ailleurs. Il s’agit surtout d’un
gigantesque bras d’honneur à toute une frange du rock qui s’embourgeoisait,
devenait consensuelle.
Ici, trois teigneux bourrés de dope balançaient dans
un boucan apocalyptique radical tout le
mépris qu’ils avaient pour une musique « bien jouée ». Aucun message
… une autre forme de « Communication breakdown » … Mélomanes
s’abstenir …