L'héritier ?
En ces temps préhistoriques des années 60 ou 70, les
Américains, peuplade binaire jalouse et se croyant supérieure au reste de la
planète, se cherchaient leurs Beatles. Ont été cités à plus ou moins juste
titre Byrds, Simon & Garfunkel, Left Banke, Crosby, Stills, Nash &
Young … les jolies mélodies, les harmonies vocales, tout ça …
Et si au lieu de retenir la forme, on cherchait aussi
l’esprit des quatre de Liverpool ? Et là, y’a un nom qui clignote, celui
de Harry Nilsson. Et il n’a pas fallu attendre qu’il devienne le copain de
biture de Lennon lors du fameux Lost Weekend pour s’en rendre compte. Nilsson,
en plus d’être capable de chanter comme Lennon, savait composer des
ritournelles comme McCartney.
Les deux premiers titres de ce « Nilsson
Schmilsson » sont à bien des égard troublants. « Gotta get up »
semble échappé des sessions du Double Blanc, et « Driving along »
chanté avec une voix qui oscille entre celle de John et de Paul, avec derrière
une guitare à la Harrison, c’est bien plus qu’un pastiche. Parce que Nilsson,
c’est un auteur et un très grand chanteur, un type qui assume ses influences et
ses goûts. Il est fan des Beatles (comme tout le monde à cette époque-là et
comme n’importe qui avec des oreilles en état de marche depuis), mais en plus
sait écrire des chansons qui n’ont rien à envier à celles du répertoire des
Anglais. Là, logiquement, le lecteur attentif doit se dire qu’il y a quand même
un petit problème, car comment se fait-ce que de ce prétendu génie-là, on n’ait
point trop entendu causer, même à l’époque, et ne parlons pas de
maintenant ?
Nilsson avec deux amis anglais ... |
Simplement parce que Nilsson, comme tous ceux que l’on
baptise un peu trop vite de génies, comme si la pop ou le rock en produisaient
chaque semaine, avait son côté obscur. Nilsson regardait la vie à travers le
cul des bouteilles, ce qui n’est pas la meilleure façon d’y voir clair. Tout
ceci pour réfréner une timidité maladive, qui lui faisait faire des marches
arrière au sprint quand on lui demandait d’avancer dans la lumière. Nilsson est
un timide dépressif, répugnant à se mettre en valeur et à s’exhiber …
N’importe qui aurait surfé sur le succès d’un
« Without you », ballade héroïque, et il faut l’avouer un peu
pompière, mais numéro un aux States, ce qui peut sacrément ouvrir des
perspectives de carrière. « Without you », un des rares titres de
l’album n’étant pas de lui, mais qui lui va comme un gant, puisqu’il est
emprunté à Badfinger, qui comme chacun sait ( ? ), est le groupe anglais
signé par les Beatles sur leur label Apple, on reste dans la
« famille ».
Toujours au rayon Beatles, et plus précisément Lennon (le
préféré de Nilsson) sur ce
« Nilsson Schmilsson », on trouve « Down », cuivré mais
très Plastic Ono Band, et le rock’n’roll furieux, achevé par des solos de
batterie et de guitare rageuses de « Jump into the fire », qui
rappellera bien quelque chose à ceux qui connaissent « I found out »
du POB.
Mais Nilsson n’est pas qu’un copiste doué, on ne compte
plus ceux qui, quelquefois avec succès, ont pastiché les quatre des Beatles. Il
est aussi capable de pondre des choses comme « Early in the
morning », titre sautillant et dépouillé soutenu par un orgue de foire, un
« The Moonbean song » sur lequel de prime abord on ne miserait pas un
kopeck avant d’être séduit par son lent crescendo vers une pop baroque grand
cru.
Bon, il y a aussi une paire de trucs qui m’accrochent pas
trop, la feignasse reprise de « Let the good times roll », et
l’espèce de calypso « Coconut » qui oscille entre pénible et
ridicule, ces deux titres faisant on ne sait trop pourquoi, partie de ceux qui
ont eu également en leur temps une petite audience radio …
Ce disque à la pochette très « DSK sort de la douche
dans sa chambre du Sofitel », sera à peu près sans équivalent en termes de
succès et public et critique dans la carrière de Nilsson, qui disparaîtra à peu
près de la circulation quand Lennon se fera dessouder, et qui finira par payer
à moins de cinquante ans ses penchants pour la dive bouteille…
Les rééditions de ce disque sont livrées avec quelques
bonus sans le moindre intérêt.