The Last Waltz ...
Dernier volet (par la force des choses, Johnny Cash
est mort l’année suivante) de la collaboration de l’Homme en Noir avec le
producteur Rick Rubin (aux manettes sur la majorité des disques de Slayer ou
Red Hot Chili Peppers). Un disque pas tout à fait « normal » qu’il
faut quand même replacer dans son contexte.
Pas toujours de bonnes fréquentations, Johnny Cash ... |
« The man comes around » marque le point
final de quasiment un demi-siècle d’enregistrements de Cash. Qui a tout connu
dans sa vie. Après avoir fait partie du « Million Dollar Quartet »
chez Sun Records, label où il côtoyait à la fin des années 50 Elvis Presley,
Jerry Lee Lewis, Roy Orbison ou Carl Perkins, être revenu très vite à la
stricte country, gagné son surnom de « Man in Black » dans les années
60 grâce à la sempiternelle couleur de ses tenues vestimentaires, s’être
construit une réputation (plus légendaire que réelle d’ailleurs) de « bad
boy » par quelques titres provocants et une série de concerts dans des
établissements pénitentiaires, il va entamer ensuite pendant vingt ans une
longue traversée du désert. Sans toutefois risquer de mourir de soif, ses
penchants pour la bouteille et toutes sortes de drogues lui faisant à plusieurs
reprises frôler la mort. Son silence assez assourdissant lors de la mutation de
la country des 70’s par ceux que l’on a appelé les « Outlaws » (Nelson,
Jennings, Kristofferson, …), alors que beaucoup l’auraient imaginé prendre fait
et cause pour ces « jeunes », son implication assez inconsistante
dans la vie politique américaine (il a roulé autant pour les Démocrates que
pour les Républicains), quelques déclarations imbéciles à l’emporte-pièce pour
flatter son public de rednecks, avaient fini par faire de Johnny Cash une
institution poussiéreuse, un ringard dont il n’y a ni humainement ni
artistiquement plus rien à attendre. Débarqué dans les années 80 par ses
maisons de disques successives, il finira par échouer au début de la décennie
suivante sur Def American, le label de Rick Rubin.
Rubin qui fera avec les disques de Cash l’antithèse
de ce pourquoi il était célèbre. Le deal artistique est simple : il faut
que les disques de Cash sonnent le plus brut, le plus basique, le plus
acoustique possible, à l’opposé de la foire à la ferraille sonore dont Rubin
était le porte-drapeau. Le résultat d’ensemble sera globalement très bon, mais
de là à qualifier ces enregistrements de cruciaux tant pour l’époque que pour
leurs auteurs, il y a un pas que je ne franchirais pas, même s’il faut
reconnaître qu’ils représentent une qualité que bien peu maintiennent après des
décennies de carrière. Ils auront en tout cas contribué à restaurer et rénover
la légende de Johnny Cash, à tel point que le biopic qui lui a été consacré
(« Walk the line ») aura un immense succès (normal, il a tout pour
participer au « rêve américain », la réalité étant bien souvent plus
sombre que ce que laisse entendre le film …).
Johnny Cash 2003 : le vieil homme est amer ... |
A l’époque de ce « American IV », Cash est
physiquement au bout du rouleau. Son hygiène de vie apocalyptique laisse
maintenant son corps aux prises avec maladies nerveuses dégénératives, graves
affections pulmonaires et diabète. Ses jours sont comptés et il le sait. Du
coup, cet album, peut être intrinsèquement le moins bon de la série par ses
choix artistiques, va acquérir une résonance particulière. Le principe est le
même que pour les précédents, essentiellement des reprises en version
dépouillée. Et autant précédemment, voir Cash se frotter aux répertoires de
Nick Cave ou Bonnie « Prince » Billy était dans la logique des
choses, voir ici apparaître des auteurs comme Sting, Trent Reznor, les Beatles,
Depeche Mode, Simon et Garfunkel ou encore les Eagles, mêlés à quelques
standards de la country la plus traditionnelle peut surprendre. En fait, la
plupart des titres ont été choisis pour leurs textes, en rapport avec la
maladie, la souffrance ou la mort.
Cash est trop éprouvé lui-même pour sublimer quoi
que ce soit, et on sait que malgré un état de santé plus que précaire, il s’est
acharné à vouloir mener ce projet à terme. Un bon paquet de titres sont ratés
ou sans intérêt (la plupart des vieilles scies country, les titres de Sting,
Eagles ou Beatles …), à peu près autant sont corrects sans être transcendants.
Et puis, il y a quatre morceaux, hors-normes et exceptionnels. « The man
comes around », dernier titre écrit par Johnny Cash et qui ouvre le
disque, est une sorte d’épitaphe, un bilan désabusé. Un morceau à mettre en
parallèle avec celui qui clôt le disque ce « We’ll meet again »
prémonitoire et poignant. Rien cependant à côté de la version du
« Personal Jesus » de Depeche Mode, où l’on voit Cash se dresser avec
tout ce qui lui reste de force face à Dieu mais aussi face à tous ses démons à
lui. Le titre de Martin Gore était déjà exceptionnel dans sa version originale
sur le Cd « Violator », Johnny Cash le transcende.
Et puis, il y a « Hurt », repris à Nine
Inch Nails (ou Trent Reznor, c’est selon). Le morceau le plus émouvant que je
connaisse, dans lequel un Johnny Cash,
miné par la maladie, à bout de souffle, nous donne une version agonisante dans
tous les sens du terme. Et là, y’a rien qui parasite, pas un malin travail de
producteur, c’est pas joué ou surjoué, on entend juste un vieil homme mourant
chanter sa souffrance physique. Que quiconque n’est pas ému par ce titre s’en
aille écouter les Black Eyes Peas, il ne mérite pas mieux …
Du même sur ce blog :
At His Mighty Best Vol 3