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ISRAEL NASH GRIPKA - ISRAEL NASH'S RAIN PLANS (2013)

Forever Young ?
Avec un blaze pareil, c’est pas gagné (et encore quelquefois on l’appelle Israel Nash Gripka, et ne me demandez pas pourquoi). Tu pars dans la vie avec un prénom qui te donne envie de buter tes parents tellement il est lourd à porter, et un nom qui peut faire croire que t’es le fils d’un Anglais, co-boulet avec Crosby de Stills et Young …
Ben non, Israel Nash, c’est pas le fils de Graham Nash, et c’est tant mieux pour lui, dans la musique comme ailleurs, l’ombre tutélaire des géniteurs se révèle souvent assez pesante … N’empêche, le Israel, il a sorti ces derniers temps un disque qui va faire croire que c’est le fils à Neil Young, pour rester dans la famille des Beatles américains.

Ce type est un rustique parmi les rustiques, et semble vomi du néant, ou plutôt des seventies (ou d’un « Spinal Tap » hillbilly) avec son look de baba barbu, qui s’entête à n’enregistrer dans son trou à rats du Missouri qu’avec du matos vintage tant au niveau des instruments que de la console (c’est lui qui produit, en plus, le gars sait ce qu’il veut et a vu le résultat, les capacités pour arriver à ses fins), il a fait un des meilleurs disques des années 70 qu’est pas sorti dans les années 70. On aurait envie d’écrire logiquement. Sauf que parmi les multitudes en manque d’imagination qui copient-collent les antiques générations, bien peu se hissent à ce niveau bluffant.
C’est bien simple, « Rain plans », il aurait pu sortir tel quel dans la disco de Neil Young, avant (ou après, peu importe) des choses comme « After the gold rush » ou « Harvest ». Et non, je déconne pas … Suffit d’écouter le skeud, c’est la pure vérité vraie. « Rain plans », c’est du folk qui s’ouvre au monde du rock, qui évite le pensum austère du type assis dans la pénombre avec sa guitare acoustique s’évertuant à tisser un répertoire que pourront reprendre des scouts à la veillée ou Cabrel en panne d’inspiration … D’ailleurs Israel Nash il a sorti un disque de folk plein de grattes électriques, et pas qu’un peu, mais qui jamais ne s’enlisent dans le gros son hardos.

Neil Young, c’est évident, plus souvent que de raison, mais sans pour autant qu’on puisse crier au plagiat. Totalement dans l’esprit et profondément différent, ne serait-ce que par la mise en avant de la pedal steel guitar, peu usitée dans la disco du Canadien. Si « Who in time », l’énormissime sommet du disque qu’est le titre « Rain plans », « Iron on the mountain », ou « Mansions » (on the hill ??), c’est pas du Young style pur sucre, je veux bien m’inscrire au fan-club de Stromae (les plus perspicaces l’auront noté, ça fait deux coms successifs dans lesquels je cite ce trisomique musical, mais j’y peux rien, je viens de le désigner comme héritier indiscutable des Mumuse, Coldplay et Radiomachin, catégorie Belge triste une fois …).
Bon, revenons-en à notre folkeux. Ouais, Neil Young, mais aussi le père Dylan. Dont « Woman at the well » qui ouvre le disque (country-rock pépère, mélodie « facile ») et « Rexanimarum » (qui le clôt en un parfait symétrisme et mériterait de devenir le « Knockin’ on heaven’s door » des années 2010) auraient pu telles quelles relever le niveau de nombre d’albums du Zim dans les seventies …
Curieusement, au mépris de tout sens mercantile (quelqu’un a-t-il dit à Israel Nash que des gens pourraient avoir envie d’acheter ses disques ?), c’est l’entrée de ce « Rain plans », en gros les trois premiers titres, qui est la plus faible. Enfin, faible, façon de parler, c’est le reste qui fait très fort.

Meilleur disque de l’année (dernière).


En écoute (et plus si affinités) ici



BLACK LIPS - UNDERNEATH THE RAINBOW (2014)

De toutes les couleurs ...
« Underneath the rainbow » dure trente quatre minutes. Et quand le skeud est terminé, tout être normalement constitué doit se poser une question, un peu saugrenue mais inévitable : les Black Lips sont-ils là, aujourd’hui, en ce printemps ripou de 2014, le meilleur groupe du monde ?
J’en vois déjà qui manquent de s’étouffer, ‘tain le Lester depuis le temps qu’on l’avait pas vu, qu’on se demandait s’il avait péri en mer, avait été pris en otage par des muslims vendeurs de pavot, ou pire, nommé ministre par Manu militari Valls, voilà t-il pas qu’il nous assène des énormités à propos d’un groupe qui a même pas fait la une des Inrocks. D’autant que si on s’en va googleliser « Black Lips », on va trouver des montagnes de pages où plein de gens qui s’affichent musicalement incontestables vont vous raconter que ce « Underneath … » c’est quasi de la daube … Les écoutez pas ces pantins, c’est moi qui ai raison, comme d’habitude, quand bien même ma légendaire modestie dusse-t-elle en souffrir …
Les Black Lips 2014, comme une pochette des Byrds, on dirait ...
Parce que les Black Lips y’a des années que skeud après skeud, ils se sont forgé une crédibilité en plutonium enrichi dans le milieu du punk-garage-sixties-bidule (eux se qualifient de flower-punk, ce qui ne veut rien dire, mais fallait y penser…), le genre de réputation après laquelle courent des milliards de groupes. Objectif avoué de l’opération : ravir les quatre pantins rances serviteurs rigoristes de la chapelle et surtout à ce moment-là ne plus bouger d’un iota. Et arrivés à ce stade, qu’est-ce qu’ils ont fait les Black Lips ? Sont allés chercher Mark Ronson, producteur-DJ branchouille et variéteux (Lily Allen, Robbie Williams, Aguilera, …) et dans un grand éclat de rire sonore, ont consciencieusement « saboté » leur carrière (leur précédent et déjà excellent selon moi « Arabia Mountain »). Là, avec « Underneath the rainbow », ils font le contraire, vont chercher un type « crédible » (Carney des Black Keys) pour produire quelques morceaux, mais en contrepartie se lâchent encore plus tout au long des douze titres.
Qu’il n’y ait pas de malentendus. C’est sérieux, les Black Lips, on n’est pas chez les Ludwig Von 88 ou Sha Na Na. Mais les quatre d’Atlanta ne s’interdisent rien. Même pas de se payer Mick Rock himself pour la photo de pochette (qui au passage a de faux airs de celle de l’antique 33T éponyme du Band avec sa dominante sépia). Même pas de citer des choses très éloignées du garage sixties (« Justice after all » ou « Drive-by Buddy », c’est du classic rock comme Petty ou Springsteen ne savent plus en faire depuis des décennies), de faire des références appuyées aux crétineries punk californiennes des 90’s comme Green Day ou Offspring (« Smiling »), de rendre hommage aux Ramones (enfin, c’est ce qu’il me semble) avec « I don’t wanna go home », de rendre obsolète le disque de « reformation » des Pixies (parenthèse : mais qu’est-ce qui lui prend à ce gros patapouf de Frank Black, arriérés d’impôts ? notes en retard chez le traiteur ? et tout çà en virant Kim Deal, faut pas déconner, gros lard …) avec un morceau comme « Funny », savants entrelacs de mélodies pur sucre et de grosses guitares fuzz …

Et puis, manière de faire un doigt aux garagistes 60’s intégristes, ils jettent en milieu de disque une sorte de truc yé-yé bubblegum très pop (« Make you mine »), un peu plus loin revisitent à leur façon le riff du « Lucifer Sam » du Floyd de Barrett, ça s’appelle « Do the vibrate », et ils le font suivre d’une bouillasse psyché (« Dandelion dust »), peut-être une référence au énième degré aux Stones (« Dandelion » est la face B de « We love you » sortie au milieu de l’an de grâce 1967, quand les Cailloux s’essayaient – de façon assez risible – au psychédélisme).
« Underneath the rainbow » est une rondelle qu’on ne sait à quel degré il faut l’appréhender. Jetée en pâture sur ce qu’il reste du « marché du disque » et démerdez-vous avec. Les Black Lips semblent comme tous les idiots savants n’en faire qu’à leur tête. Sortent un disque a priori joli, consensuel mais qu’on peut aussi percevoir comme une vaste joke j’menfoutiste. Bande de zigotos totalement ingérables qui balancent une rondelle « grand public » sur le label indépendant (mais balèze, on y trouve aussi Bloc Party, les Streets, Justice et … Charlotte Gainsbarre) Vice Records, les Blacks Lips peuvent compter sur leur leader azimuté Cole Alexander (adepte entre autres « facéties » de terminer ses morceaux live futal sur les chevilles, signe d’extrême satisfaction chez lui) pour fracasser consciencieusement et méticuleusement tout plan de « carrière » …

Des mecs bien qui font de bons disques … Le meilleur groupe du monde de la Terre d’aujourd’hui ...

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TOM WAITS - RAIN DOGS (1985)

Encore plus près des étoiles ...
Tom Waits, parvenu à un âge canonique (c’est pas faute d’avoir essayé de mourir jeune et alcoolique) continue de sortir des disques plus ou moins intéressants. Et tous sont jugés et jaugés à l’aune d’un seul, ce « Rain dogs ». C’est peu de dire que c’est son meilleur, il est tellement excellent qu’il déborde très largement le cadre de son auteur, et de la musique que l’on y associe.
Parce que jusqu’au début des années 80, Tom Waits était un branquignol sympathique, mais pas vraiment un type sur les disques desquels on se précipitait, de quelque chapelle musicale qu’on vienne. Quand en 1985 paraît « Rain dogs », le Tom a plus d’une demi-douzaine de skeuds derrière lui, remplis à ras-bord de piano-bar déglingué et d’histoires plus ou moins extraordinaires et confondantes des gens de l’Amérique d’en bas, servies par une voix rocailleuse de pochetron. Le changement était déjà notable avec le précédent « Swordfishtrombones » dans lequel l’horizon de Waits s’élargissait considérablement. Rien à côté du pas de géant musical que représente « Rain dogs ».
Tom Waits, c’est un personnage presque caricatural, en tout cas une « gueule » (nombreux seront les réalisateurs qui auront recours à lui pour des rôles de types barrés, grandes asperges dégingandés aux prises avec un monde qui manifestement n’est pas fait pour eux). Un personnage jarmuschien avant que le peroxydé n’en fasse un de ses acteurs fétiches (jusque là, Waits n’avait eu que de petites apparitions chez Coppola). Tom Waits, c’est le pilier de bar, poivrot ronchon qui marmonne des histoires de comptoir racontées par des types de passage aussi bourrés que lui. Avec son éternel regard de type mal réveillé, sa longue silhouette, ses tenues chic dans les années 30, portées débraillées, sa barbichette et son galure élimé … Sa musique lui ressemble. Comme une discussion d’ivrogne, elle passe du coq à l’âne sans crier gare, elle cultive la nostalgie du « c’était mieux avant », elle se nourrit de peu, toujours titubante, bancale, …
Jusque là, Tom Waits se prenait dans le meilleur des cas pour un Nino Rota jazzy, maintenant il est un Captain Beefheart qui se la pèterait pas grand artiste, plutôt une épave des bas-fonds et des rades miteux de L.A. Le Tom Waits du milieu des 80’s n’a rien de moderne musicalement, mais sa façon de s’approprier et de traiter les sons qu’il aborde donne un rendu totalement neuf. Il faut être un peu plus que malin, c’est-à-dire avoir du talent pour pas se ringardiser avec des lamentos d’accordéon, des pickings de banjo, des extrapolations à partir de rythmes de polka, de valse ou de tango … Tous ces vieux machins ringards ne servent que de base à ses titres, Waits les emmène dans une autre dimension. Son monde sonore à lui est hésitant, titubant, à la limite de l’équilibre et du naufrage dans le n’importe quoi. Aussi baroque et lyrique, mais du baroque et du lyrique au ras du zinc de comptoir, on n’a pas de ces funestes envolée qui sont le fonds de commerce de, au hasard, Arcade Fire.
Tom Waits by Anton Corbijn
Avec « Rain dogs », Tom Waits n’y va pas de main-morte. Il dégaine en un peu plus de cinquante minutes dix-neuf titres sans fausse note, sans faute de goût. Bon, si, en chipotant, on peut dire que « 9th & Hennepin », parlé et pas chanté sur fond jazzy d’avant-garde est la seule concession à « l’ancien » Tom Waits et le plus dispensable du lot. Mais le reste, on peut y aller les yeux fermés. Et les oreilles grandes ouvertes. Faut juste être attentif, s’imprégner, se laisser infuser par ces morceaux minimalistes et dissemblables qui réussissent malgré tout à former un tout cohérent. En fait, Tom Waits a su créer un monde sonore inédit.
En partant de choses connues (du blues, de la country, du folk, du rock, …), avec une économie de moyens qui force le respect. Pour faire un blues rustique et râpeux (Gun Street girl »), pas besoin de s’appeler Clapton et d’un backing band pléthorique, un banjo, une basse et quelques percussions ça le fait aussi, et bien mieux … S’il faut faire du rentre-dedans sans des dizaines de pistes d’overdubs, faut juste aller à l’essentiel et savoir s’entourer. Et pour « Rain dogs », Waits s’est acoquiné avec rien moins que le Master of Riffs Keith Richards (sans doute croisé dans quelque bar un soir de biture) pour trois titres. Qui pour situer sont les trois meilleurs de Keith R. durant les 80’s (oui, je sais, dans les 80’s, les Stones sortaient aussi des disques, mais … sérieusement, vous les avez écoutés ?), « Big black Mariah », entre rhythm’n’blues et boogie, « Union Square » rock typiquement stonien (on le jurerait pompé sur « Neighbhoors », présent sur « Tattoo you »), « Blind love », country-rock gramparsonien avec backing vocaux à bout de souffle du Keith. Pour clore le chapitre Stones-Richards de l’affaire, il convient de noter « Hang down your head », ballade asthmatique à la Keith Richards mais sans cette fois-ci sans lui.
Tom Waits & Keith Richards
Mais la grande majorité des titres n’ont rien à voir avec les Stones et peu avec le rock au sens large. Il faut entendre le Farfisa azimuté sur fond de brouhaha de fête foraine de « Cemetary polka », l’espèce de tango « Rain dogs » et sa fanfare de manouches bourrés qui en disent autant que l’intégrale sonore de Kusturica, Beirut et autres tenants de la tzigane touch. Il faut apprécier pour ce qu’il est, juste un décalque direct, le seul du disque dans cette veine-là du Captain Beefheart (même voix, même rythme) des meilleurs jours (« Walking spanish »), les délires d’une fanfare de cuivres reprenant quasiment le thème de « Pink Panther » le temps d’un trop court mais rigolo « Midtown », …
Et puis, la grosse affaire de ce disque, le genre qui semble avoir été créé exprès pour Waits, en tout cas celui dans lequel il excelle, la ballade déglinguée, titubante, zigzagante, celle qu’on peut s’essayer à déclamer quand on se fait jeter d’un troquet à quatre heures du matin, parce qu’on est trop bourré et qu’on casse les couilles à tout le monde avec des histoires sans queue ni  tête. Ici, il y en a une de monumentale. C’est juste servi par une basse, une guitare et un accordéon, c’est crépusculaire et beau et chialer, ça s’appelle « Time » et Tom Waits ne fera jamais mieux. C’est pas faute d’essayer, pourtant, ce genre deviendra sa trademark, il y en aura sur tous ses disques. Ici, dans le même genre, on a « Downtown train » (tellement Springsteen qu’on sait pas si c’est un hommage ou s’il se fout de la gueule du sénateur du New Jersey), et celle qui clôture le disque, totalement hantée (Waits se projetterait-il dans le personnage de Renfield que lui fera endosser Coppola dans son « Dracula » ?), et accompagnée par une fanfare dixie totalement déprimée (« Anywhere I lay my head »).

« Rain dogs », c’est peut-être bien le meilleur disque de rock des années 80. Euh, « Rain  dogs », c’est pas du rock en fait. C’est du Tom Waits en état de grâce, un état dont il s’approchera parfois par la suite, mais qu’il ne retrouvera tout de même plus. Ecoutez-le, dégustez-le, … ou crevez idiots …

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Closing Time

JIMI HENDRIX - ARE YOU EXPERIENCED (1967)

E.T.
James Marshall (ça s’invente pas, un second prénom comme ça …) Hendrix, lorsqu’il est apparu sur la scène musicale anglaise, lui le Ricain expatrié, n’a influencé personne. Il a traumatisé tout le monde. Et pas des troisièmes couteaux ou des gugusses à l’affût du prochain cataplasme branché. Non, Hendrix a foutu le moral dans les chaussettes à tous ceux dont le nom scintillait tout en haut de l’affiche, tous ces dieux de la guitare qui ont vu débarquer un phénomène hors norme.
Hendrix, pour l’éternité, restera comme le plus grand guitariste du rock. Ce qui est déjà pas mal, mais terriblement réducteur. Sans Hendrix, le rock aurait été aussi amusant qu’un blues-rock de Peter Green ou de Clapton de l’époque, un truc à te tirer une balle tellement c’est triste, fade, grisâtre … Hendrix a introduit dans le rock l’urgence, la flamboyance, la frime, l’épate … comme Janis Joplin, et leurs destins seront les mêmes jusqu’au bout …
Hendrix et sa veste à brandebourgs achetée aux Puces à Paris
Hendrix, souvent présenté comme la rock star ultime, comme celui qui a porté à des niveaux jamais vus avant et jamais égalés depuis la sainte trinité sex, drugs & rock’n’roll et le statut de guitar hero ultime, n’avait rien d’une grande gueule, d’un type prêt à tout pour faire parler de lui. Timide et pas sûr de lui, perturbé par un acné qui ne le lâchait pas, se sous-estimant sans cesse alors qu’il avait le monde du rock à ses pieds, éternel insatisfait de sa musique, les témoignages sont nombreux d’un Hendrix dans le doute. Mais il se dégageait de ce type une aura insensée dès qu’il montait sur scène Stratocaster en bandoulière. Hendrix est un showman, mais pas un artiste de cirque. Il ne mettait pas tous les soirs le feu à sa guitare, pas plus qu’il ne jouait tous les soirs avec les dents ou avec sa gratte dans le dos. Même si ce sont ces aspects là que la petite histoire a retenu. Et Hendrix n’a pas donné que des concerts tonitruants, la qualité de certains se voyant plus que perturbée par quelques substances prises en grande quantité.
Aujourd’hui, la discographie de Hendrix est plus que pléthorique. Des centaines de disques officiels live ou en studio paraissent depuis plus de quarante ans, encore plus de compilations. Sans compter les bootlegs, pirates, enregistrements non officiels qui pullulent. Faut faire là-dedans un sacré tri, tout n’est pas du même niveau, et pas seulement question qualité sonore. Un catalogue totalement labyrinthique dans lequel même le fan le plus motivé se perdra. Autant s’en tenir aux enregistrements officiels parus de son vivant. Là, le compte est plus vite fait. Trois disques studio et un live. « Are you experienced » est le premier.
Quand il paraît au printemps 67, le phénomène Hendrix n’est encore qu’une rumeur du Londres branché. Un Londres où il a atterri par défaut. Les States ne voulaient pas de lui. Ou plutôt ceux qui l’employaient aux States ne le gardaient pas longtemps. Hendrix n’était qu’un de ces obscurs accompagnateurs de noms confirmés de la soul ou du rhythm’n’blues (Wilson Pickett, Jackie Wilson, Isley Brothers, …). Généralement aussi vite viré qu’embauché. Little Richard ne supportera pas ce Black flamboyant et séducteur qui lui fait de l’ombre, Sam & Dave le vireront de scène au bout de trois titres ( ! ), et Hendrix ne fera guère de vieux os dans le backing band d’Ike et Tina Turner (le Ike, pourtant pas manchot avec une guitare, avouera n’avoir rien compris à ce type payé pour jouer rythmique et qui partait en solos étranges dès les premières mesures …). L’histoire de Hendrix, tout le monde la connaît (ou devrait). Chas Chandler, ex bassiste des Animals qui le repère dans un club new-yorkais, en fait l’attraction musicale de l’automne 66 du Swingin’ London, l’emmène en France pour une improbable tournée en première partie de Johnny Hallyday, les trois premiers 45T à succès (« Hey Joe », « Purple haze », « The wind cries Mary »), les deux minots (Mitch Mitchell et Noel Redding) recrutés pour bâtir un power trio fortement inspiré par celui qui avait le vent en poupe, Clapton et son Cream …

« Are you experienced » donc. Le premier de ce qui deviendra le Jimi Hendrix Experience (sur la pochette originale, seul figure le nom de Hendrix). Gros succès en Angleterre (seulement devancé par « Sgt Pepper’s … » dans les charts) et aux States, pas rancuniers envers leur exilé pour le coup. Un disque forcément un peu étrange, nous sommes en 67, année psychédélique s’il en fut. Un de ces debut-albums mythiques dont l’Histoire (et les marchands de disques) se délectent. Et bizarrement, alors que l’on n’a retenu que les extravagances en tous genres d’Hendrix, ce premier disque est bien « sage », bien « classique ». Faut dire aussi que l’époque était prolixe en individus et disques bariolés (Doors, Airplane, Floyd, Love, …). En fait, « Are you experienced » est à la croisée des chemins. Entre les croisés du blues (Clapton, Mayall, Fleetwood Mac, …) et les disjonctés déjà cités, auxquels il convient de rajouter les Beatles du Sergent Poivre et les Beach Boys de « Pet sounds ».
Avec « Are you experienced », Hendrix garde les pieds sur Terre, n’est pas encore le musicien barré de « Axis … », le génie cosmique de « Electric Ladyland ». Il sacrifie peu à l’air du temps (alors qu’il est furieusement « à la mode »), propose des titres de structure assez classique et n’assène pas des solos avec trois milliards de notes / seconde toutes les deux mesures.
Il a juste un background que n’ont pas les autres. Ses années de sessionman miteux aux States lui ont confiné un truc que n’auront jamais les pauvres Clapton ou Beck, Hendrix funke et groove. Et çà, il a su le transmettre à Mitchell et Redding qui font plus volontiers dans le chaloupé sautillant  (sur l’énorme « Fire », on dirait James Brown sous LSD, « Remember » est un bon vieux rhythm’n’blues des familles) que dans l’artillerie lourde. Même si quant il faut, tout le monde est capable de plomber le tempo (« Foxy Lady », blues-rock et son riff aplatissant en intro). Le plus souvent, Hendrix mélange un peu tout, en dépit du bon sens et des canons sonores de l’époque. Les titres peuvent être fantasques, commencer de façon classique et puis partir « ailleurs » (« Manic depression », « I don’t live today »). Fort logiquement, certains s’adressent aux amateurs de buvards parfumés et tiennent plus de la jam que de l’écriture rigoureuse (« Love or confusion », le quasi instrumental « 3rd stone from the Sun », le manifeste psyché « Are you experienced » avec ses guitares carillonnantes, ses effets de scratch, et cette téléportation sonore cosmique).

Beaucoup plus rarement, Hendrix fait simple, sobre. « May this be love » est mélodique, pop, doux et suave. « Red house » est la leçon de blues donnée aux Anglais. Dans un registre rustique propre au delta-blues, seul morceau du 33T enregistré en mono, Hendrix se réapproprie et réinvente le genre, le titre deviendra un de ses chevaux de bataille de scénique (la tellurique version de vingt minutes à l’Île de Wight est indépassable en matière de blues live).
« Are you experienced » est bien le disque d’un trio, Hendrix laisse s’exprimer et se déchaîner Mitchell et Redding. Qui ont le bon goût de ne pas en faire trop, de tomber dans le risible solo de basse ou de batterie. Et, mais au fait, la guitare d’Hendrix ? Oh certes, il y a bien quelques effets de manche inaccessibles au commun des mortels, mais le disque n’est pas un catalogue démonstratif. Hendrix reste relativement « sérieux », efficace avant tout. Avant de devenir le voyageur de commerce de tous les bidules joués au pied dont il aura parfois tendance à abuser, il se cantonne dans ce premier disque à l’essentiel. De la saturation (pédale fuzz un peu partout, mais à dose raisonnable) et c’est à peu près tout. Pour l’anecdote, la pédale Vox Crybaby ( pédale wah-wah pour le vulgum pecus) qui sera son indélébile marque de fabrique par la suite, n’a pas été utilisée, c’est Clapton le premier qui l’a testée sur disque avec Cream (« Tales of brave Ulyses » sur « Disraeli gears ») …

« Are you experienced » est produit par Chas Chandler, bien aidé par celui qui deviendra le superviseur de tous les disques d’Hendrix (surtout les posthumes officiels), l’ingénieur du son américain Eddie Kramer. Pour celui, honte à lui, qui ne possèderait pas cette pierre angulaire du rock des sixties et du rock en général, choisir les rééditions qui ajoutent aux onze titres originaux les trois indispensables singles et leurs faces B sorties auparavant …


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STRAY CATS - STRAY CATS (1981)

Rebirth of cool ...
Les Stray Cats, c’est la success story la plus improbable qui soit. Personne n’avait vu venir ça, personne n’y croyait. Même pas les Américains. Pourtant, plus américains que les Stray Cats et la musique qu’ils jouent, y’a pas. C’est le conte de fées de trois minots new-yorkais fans de rockabilly, qui en l’espace de quelques mois passent de l’anonymat total au statut de superstars en Europe et à la tournée des stades US en première partie des Stones.
Les Stray Cats procèdent de la même démarche que les punks. Halte à la sophistication, la surenchère technique, et aux budgets exponentiels de studio. Le truc des Stray Cats, c’est le retour-revival aux années 50 dans leur versant rock’n’roll. Ils ne proposent guère mieux que des gens comme Robert Gordon à New York (pourtant associé à l’ébouriffant guitar-hero Link Wray), ou Crazy Cavan en Angleterre, dont l’audience est confinée à une poignée de nostalgiques. Les têtes d’affiche punk elles-mêmes ont remis au goût du jour les classiques des pionniers, les Pistols reprennent Chuck Berry, Sid Vicious maltraite Eddie Cochran, le Clash revisite Vince Taylor, tout cela ne va pas plus loin que la citation, l’hommage référencé, et puis dans la plage suivante de leurs disques, ils passent à autre chose … Les Stray Cats, eux, vont sortir un disque totalement vintage dans l’esprit, entièrement dédié à la « cause » 50’s.

Les Stray Cats sont à fond dans le truc, pas un groupe formaté et préfabriqué. Leur leader évident, c’est le mignon guitariste ( il joue sur une Grestch, presque une évidence) Brian Setzer, que les plus érudits avaient remarqué sur une cassette-compilation « 5 X 2 » (allusion à un des premiers disques des Stones) publiée sur le petit label Red Star de Marty Thau (manager et patron de label de la fin de parcours des New York Dolls et du premier Suicide, on reste dans la « famille ») avec son groupe les Bloodless Pharaohs. Un groupe éphémère, mais qui sera la matrice après moult changements de noms et de line-ups des Stray Cats. Feront partie de l’aventure deux copains d’enfance de Setzer le batteur Slim Jim Phantom (kit minimaliste, il joue debout, non pas comme Moe Tucker du Velvet, mais comme le batteur des Blue Caps de Gene Vincent), et le contrebassiste (toujours le souci de l’instrumentation originelle du rock) Lee Rocker.
Chez eux à New York les Stray Cats jouent dans les bouges « historiques » du punk (CBGB, Max’s Kansas City), enchaînant les bides. Sur la foi de rumeurs (infondées) qui présentent l’Angleterre mûre pour un revival teddy boy, ils traversent l’Atlantique. Un parcours étrangement voisin de celui de Hendrix. L’homme de la situation à Londres pour le gaucher de Seatlle avait été Chas Chandler, bassiste des Animals devenu son manager et qui lui avait ouvert les portes des clubs du Swingin’ London. Pour les Cats, ce sera Dave Edmunds, guitariste des classic rockeux Rockpile. C’est lui qui produira en partie ce « Stray Cats ».
Le succès dépassera les espoirs les plus fous. Pas forcément grâce à la musique. Les Stray Cats bénéficieront essentiellement d’un look totalement inédit à cette époque où se multiplient en Europe les émissions télévisées sur le rock (par ici, Chorus présenté par Antoine de Caunes). Difficile de ne pas se faire remarquer quand on arbore bananes démesurées, Perfectos ou fringues vintage 50’s, creepers, … Toute une panoplie visuelle forte à une époque où l’image et l’apparence sont essentielles, et ce n’est pas pour rien que la mignonne frimousse de Setzer est souvent mise en avant. Les Stray Cats sont photogéniques, télégéniques. On les remarque, on parle d’eux, ils deviennent en Angleterre et en France une attraction branchée. Certains vont même écouter leur disque. Et s’apercevoir qu’il est très bon.
Savant mélange de reprises et de compositions originales qu’on a du mal à distinguer, et ça c’est déjà un exploit (mettez une reprise d’un oldies dans un skeud, il y a de bonnes chances qu’on ne retienne qu’elle). Mieux, les titres les plus connus de ce disque, ceux qui grimperont dans les hit parades européens (« Stray Cats » sera un bide colossal aux States) sont tous des originaux, qu’il s’agisse des deux locomotives du revival rockabilly (« Runaway boys » et « Rock this town ») ou de la ballade doo-wop jazzy « Stray Cat strut ». « Stray Cats » est un disque courageux, entièrement tourné vers la célébration de temps et de rythmes à la mode alors que Setzer et sa bande n’étaient pas encore ou tout juste nés. Douze titres, douze hymnes fifties. Pas de demi-mesure, aucun compromis, ça passe ou ça casse.

Setzer est un passionné de cette époque-là, un fonceur avec toute sa candeur quasi-adolescente. Il trouve en Edmunds un alter ego plus posé, plus méthodique. L’énergie débordante du groupe est superbement canalisée, le son n’est pas archaïque, ne copie pas Eddie Cochran, Carl Perkins ou le Johnny Burnette Trio. Les reprises ne sont pas des standards incontournables ( « Ubangi stomp » du second couteau de chez Sun Warren Smith doit être la plus « connue »). Mieux, les deux dernières présentes à la fin du disque ouvrent grand les portes vers d’autres espaces sonores. « My own desire » est une ballade up-tempo, qui permettra plus tard à Setzer d’exprimer ses talents de crooner. « Wild saxophone » annonce elle l’armada instrumentale swing du Brian Setzer Orchestra dans les années 90. Un Brian Setzer qui se révèle d’entrée comme un grand chanteur et qui laisse par moments filtrer tout son potentiel guitaristique dans des solos concis mais marquants.
Il y a juste dans ce disque une bêtise qu’on ne peut décemment pas passer sous silence, les paroles crétines, militaristes et réacs de « Storm the Embassy », titre inspiré à Setzer par l’affaire de la prise de l’Ambassade des Etats-Unis en Iran par une foule d’intégristes religieux (l’événement qui sert aussi de point de départ à l’excellent film « Argo » de et avec Ben Affleck).

Les Stray Cats vont très vite devenir un phénomène, entraînant dans leur sillage une multitude de groupes les copiant. Tous ces suiveurs disparaîtront aussi vite qu’ils étaient apparus. Les Stray Cats, eux, resteront. Même si l’existence du groupe sera brève (deux-trois ans), chacune de ses nombreuses reformations sera un succès populaire, preuve qu’ils avaient du talent et étaient bien plus qu’un phénomène de mode …

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ELVIS COSTELLO - THIS YEAR'S MODEL (1978)

Elvis, King op Pop ?
« This year’s model » est le second disque d’Elvis Costello. Son tout premier, « My aim is true » était déjà excellent, et pourtant il paraît à côté bien anecdotique. Pour moi, c’est simple, après 35 ans de carrière et deux grosses douzaines de publications, « This year’s model » est un des deux meilleurs Costello (pour les curieux, l’autre est « Imperial bedroom »).

Par manque de moyens, « My aim is true » sonnait un peu rachitique. Le son de « This year’s model », sans qu’on risque de le confondre avec une production spectorienne, est beaucoup plus « étoffé ». Pourtant le budget alloué n’a pas dû être colossal, et c’est toujours Nick Lowe qui produit. Avec son alter-ego Dave Edmunds, Lowe est une sorte de Monsieur Loyal de tous les faux punks, entendez par là tous ces zozos apparus à la seconde moitié des seventies, par paresse rattachés à un mouvement punk mais qui partagent peu de références avec les tribus à crête. Ce qui fait vraiment la différence avec ce disque, c’est l’apparition aux côtés de Costello de ceux qui deviendront et restent à ce jour le meilleur backing band qu’il ait eu, Bruce et Pete Thomas à la rythmique et Steve Nieve aux claviers.
Costello, il faut sans cesse le répéter tant ses glorieuses années (en gros jusqu’au milieu des 80’s) sont ignorées par ici, Costello donc est un immense compositeur, capable de torcher des titres à rendre McCartney jaloux avec des textes à faire pleurer Ray Davies. Avec « This year’s model », on est encore dans l’urgence, dans ce rythme qui apparaîtrait dément aujourd’hui, sortir au moins un disque par an. Il y a douze titres (ou treize, selon les éditions) sur « This year’s model », avec un bon paquet d’autres en réserve (la réédition qui pour moi fait date, celle du label Edsel en 2002, en rajoute d’autres sur un Cd bonus ainsi que les sempiternelles maquettes et prestations live).
Elvis Costello & The Attractions
Traits communs à tous les titres, la concision (tout est dit en trois minutes), l’aspect syncopé et énervé. Costello connaît par cœur ses classiques, mais insuffle dans tous les titres une urgence, une rage qui n’appartiennent qu’à lui (il a pas besoin de forcer, dans la vraie vie c’était à cette époque un teigneux à l’humour méchant et caustique). S’il faut faire le tri, perso je vois que deux titres en peu en retrait, « Hand in hand » et « Night rally ». Le reste, c’est du haut de gamme, et un paquet d’incontournables de  cet autre Elvis.
Du brutal « No action », qui va droit à l’essentiel en moins de deux minutes et ouvre le disque, en passant par la merveilleuse « You belong to me » (comme du Dylan 60’s, mais un Dylan qui aurait bouffé un troupeau de lions au petit déjeuner), l’addictive « Pump it up » (chanson sur la coke au pays des branchés), l’extraordinaire « (I don’t want to go to) Chelsea » (toujours ce mépris du bourgeois et de ses quartiers chicos), construite sur une base reggae speedée. La power pop en plein essor donne la trame de choses comme « Lip service » ou « Radio radio » … Et puis, comme tout semble tellement facile pour lui, Costello s’amuse à imiter à la fois Lennon et McCartney dans leurs carrières solo (« Little triggers »), ou pastiche carrément un des autres très doués de l’époque, la grande asperge Joe Jackson (« Living in paradise »).
Les Attractions assurent ô combien, et laissent entrevoir les merveilles dont ils seront capables dans l’accompagnement, avec notamment un Steve Nieve qui se signale déjà à l’attention de ses contemporains (sur « Pump it up » par exemple).

Avec « This year’s model », aucun doute n’est permis, Elvis Costello signe son entrée dans la cour des très grands …

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T.REX - ELECTRIC WARRIOR (1971)

Faire mouiller les petites filles ...
… et ramasser la monnaie. Une formule déjà bien rodée. Le dénommé Mark Feld, alias Marc Bolan, va la pousser à son paroxysme dans l’Angleterre du début des années 70.

Bolan, c’est le type qui veut absolument réussir. Depuis le milieu des années 60, il entend devenir une rock star. Une obsession qu’il partage avec une de ses connaissances, un certain David Jones, devenu à la scène David Bowie. Les deux hommes sont plus amis que rivaux (ils utilisent souvent le même producteur, Tony Visconti), épient leurs carrières respectives. Début 71, match nul. Bolan est à la tête d’un groupe (en fait un duo) de folk campagnard hippy (Tyrannosaurus Rex), sort des disques qui au mieux font un succès d’estime. Bowie y a goûté au succès, celui du single « Space Oddity » en 1969. Depuis, accueils critiques polis et c’est tout. C’est Bolan qui va trouver la formule magique. Exit les babacooleries folky (Devendra Banhart reprendra la formule des décennies plus tard), exit Tyrannosaurus Rex, et place à T.Rex. Si le nom se raccourcit, le personnel augmente. En plus de Bolan au chant et à la guitare, on y trouve Micky Finn (l’autre moitié de Tyrannosaurus Rex), aux backing vocaux et percussions, Steve Currie à la basse et Will Legend à la batterie. Deux titres classés, « Ride a white swan » et « Hot love », dans un nouveau registre. Plus rythmé, plus pop, plus rock … et on voit à la télé anglaise un Bolan aguicheur, en satin et  platform shoes … La mutation T.Rex est en marche, et Bowie dans les cordes compte les points …
Bolan cogite un projet global de domination des charts. Son physique elfique ne laisse pas les filles, surtout les plus jeunes, indifférentes. Il va soigner son apparence, ne pas mégoter sur les couleurs vives et les paillettes. Musicalement, il va s’inspirer de deux stars qui ont fasciné le public. La première du rock, Elvis Presley, et la plus magnétique qui vient de mourir, Jimi Hendrix. Il empruntera un peu aux deux, la lascivité des rock mid tempo au King, la flamboyance et dans la mesure de ses possibilités, recyclera quelques plans de six-cordes d’Hendrix.

A cet égard, rien que la pochette du disque « Electric warrior » qui doit concrétiser son triomphe est révélatrice. Bolan pose en guitar hero (Gibson Les Paul), devant un énorme ampli (de la confidentielle marque Vamp). Et au départ, « Electric warrior » était conçu comme un disque très rock. Il suffit d’écouter sur une de ses multiples rééditions les versions « work in progress » des titres pour s’en rendre compte. On  y entend le groupe répéter, grosse batterie, gros riffs de guitare, et chant souvent hurlé de Bolan. Lors de la parution du disque, il ne restera qu’un titre dans cet esprit, « Rip off », phrasé plus vomi que chanté (très punk, aussi ceux-ci citeront souvent Bolan comme une de leurs influences), guitare hurlante et final avec sax free gueulard sur un mur de feedback.
Pour le reste, nul doute que Tony Visconti a beaucoup aidé Bolan à enjoliver son propos. Les titres de « Electric warrior » font alterner ballades (« Cosmic dancer », « Monolith », la très suave « Life’s a gas ») avec titres plus énergiques (« Jeepster », « Get it on », « The motivator »). L’innovation est aussi de la partie, détournement de mambo (« Mambo sun »), blues à paillettes (« Lean woman blues »), percussions très en avant (« Planet Queen », quasiment un duo avec Micky Finn, cependant à mon sens le titre le plus faible du disque). « Girl » fait immédiatement penser à du Lennon solo, « Imagine » du binoclard sort à peu près en même temps et son titre éponyme et « Get it on » seront à la lutte pour être les deux succès de l’hiver 71-72.

Visconti concocte pour « Electric warrior » un son très soyeux, fait swinguer la section rythmique, multiplie les arrangements agréables à l’oreille. Mais surtout il recadre Bolan au chant et à la guitare. Et c’est ce qui fera toute la différence. Bolan, même s’il ne fait pas partie des ténors de l’instrument se concentre sur les riffs, joue peu souvent rythmique. Sa guitare n’est pas toujours présente, et donc se remarque d’autant plus lorsqu’elle intervient. Rajoutez des efforts sur la trituration et la distorsion du son (l’influence hendrixienne), et ça donne tout son cachet à des titres qui au niveau composition, n’ont cependant pas inventé la foudre … C’est pourtant au niveau du chant que se fera la différence. Bolan murmure, susurre (l’Elvis des débuts), ronronne avant de rugir, multipliant râles, soupirs, hoquètements. Une voix et un chant très sexués, qui agira très directement sur son public. Le cœur de cible de Bolan-T.Rex, c’est la midinette collégienne, et on verra se reproduire à chacune de ses apparitions des scènes d’hystérie collective pas vues en Angleterre depuis la beatlemania. Les deux singles issus de « Electric warrior », « Jeepster » et « Get it on » connaîtront un succès considérable, lançant la mode glam qui verra des légions de groupes plus ou moins suiveurs envahir le pays. Bolan surfera tout en haut de cette énorme vague (deux concerts à Wembley au printemps 72, avec la fameuse mise en scène du culte de sa propre personnalité alors inédite, Bolan y apparaissant en tee-shirt … Bolan), trustant les sommets des hit-parades avec les singles « Metal guru » et « Telegram Sam », ainsi que l’album suivant, « The slider » …

Et Bowie dans tout çà ? Il va retenir les leçons qui ont fait l’énorme succès de Bolan. Et pousser le bouchon encore plus loin. Bolan plaît au filles ? Il va plaire aux filles ET aux garçons, mettant en scène son équivoque ambiguïté sexuelle, à grands renforts d’interviews malines, de trousses de maquillage et de tenues encore plus extravagantes … Le vaisseau de Ziggy Stardust est en route pour la Terre …


THE SPECIALS - THE SPECIALS (1979)

Punky reggae party ...
Le punk, c’est bien … on a vite fait le tour, mais c’est bien quand même. Il y avait dans l’Angleterre de la fin des 70’s une alternative aux mastodontes du rock, tous ces types qui approchaient le quarantaine et qui, en plus, étaient pas au mieux artistiquement. La jeunesse prenait le pouvoir (enfin, elle le croyait). Retour au sain boucan, à l’approximation bordélique, aux fondamentaux du rock’n’roll, à la simplicité, à l’esprit de démerde (do it yourself) …
Y’avait juste un petit problème : tu fais quoi, quand t’as vingt ans en province, et que les Pistols, le pub-rock, Eddie Cochran, te gavent autant que Yes, Clapton et les Stones ? Tu fais quoi, quand t’es une bande de potes dont quelques-uns sont pas blancs ? Tu fais quoi quand les trucs que t’écoutes c’est des trucs jamaïcains de la décennie passée ? Si tu te bouges pas le cul, t’es mort, personne entendra jamais causer de toi …
Ce postulat, Jerry Dammers, leader de cette bande de potes un peu paumés et en tout cas hors sujet musicalement, l’avait parfaitement compris. Les majors s’en foutent des Specials ? On va monter un label. Comment se faire connaître ? En étant rigoureux (en bossant sur sa musique, quoi), et en étant originaux. Dammers a fait tout çà. En créant 2 Tone Records, en écrivant au moins la moitié des titres, en trouvant ce gimmick (le 2 tone) exploité à fond. Les vieilles fringues en noir et blanc, idem le logo du label, les flyers, tout à base de damiers … Quasiment à lui seul, Dammers est responsable du ska revival … L’Histoire, cruelle, fera la fortune de Madness. Pour les Specials, ne resteront que la légende (mais ça remplit pas l’assiette, la légende), et les emmerdes …

Le ska, c’est la Jamaïque, on sait … en Angleterre dès le début des années 60, les skinheads vont s’approprier la musique jamaïcaine, en faire leur chasse gardée. Les skins, au début, c’était de braves gars, prolos et de gauche. A la fin des années 70, les skins c’est des fachos proches du National Front, mais qui continuent d’écouter du ska. Ces sinistres connards se pointeront en nombre à tous les concerts ska avec leurs conséquences prévisibles (passage à tabac de tout ce qui n’est pas blanc, bastons systématiques avec les punks, etc … ). Les Specials sont à des lieues de cette idéologie nauséeuse, mais l’ambiance délétère de leurs concerts leur coûtera cher, leur carrière en fait.
Parce que le premier disque des Specials, il enfonce toute la concurrence (Madness, Selecter, Bad Manners, The (English) Beat). Parce qu’en plus d’avoir écrit trois poignées de titres sans points faibles, les Specials vont bénéficier à la production des services d’un type alors en état de grâce, le sieur Elvis Costello. « The Specials » est un régal. Pour chaque titre, il y a toujours une trouvaille sonore. Sans toutefois dénaturer le propos, la base et l’essence des titres. Déjà, sur quinze titres, plus de la moitié ne sont pas du ska. Il y a du reggae, du rock steady, du dub, du lovers rock (et non, c’est pas la même chose ...). Et parfois même un fonds rock (« Concrete jungle »), voire rock’n’roll (« Dawning of a new era »). Priorité est donnée fort justement à la rythmique (fabuleux arrangements des parties de batterie, et une basse omniprésente), à la mise en place vocale (deux chanteurs, et deux autres qui interviennent dans les chœurs) et aux mélodies nerveuses (le rythme originel de la musique jamaïcaine est très souvent accéléré).
Sur quinze titres, un seul est à mon sens raté (« Stupid marriage »), et un autre un peu hors-sujet (« Concrete jungle », avec ses rythmes tribaux à la « We will rock you » de Queen). Le reste, c’est du tout bon. Bien que des vrais hits, il n’y en ait qu’un, « Gangsters », absent du vinyle original mais rajouté depuis sur toutes les rééditions. D’autres titres, relativement anonymes pour le « grand » public, auraient mérité le haut des charts (« A message to you Rudy », « Doesn’t make it alright » sont les plus évidents. Mention particulière au long « Too much too young », reggae-ska sur une boucle rythmique de six minutes, jouant sur d’imperceptibles variations, et démontrant par là-même qu’instrumentalement les Specials assuraient (on n’était pas dans l’approximation punk), et qu’encore une fois Costello faisait des miracles à la console.

Potentiellement, les Specials avaient  tout pour réussir (les parties de guitare de Roddy Radiation sont un régal, il aborde chaque morceau différemment, les cuivres savent être discrets dans leur efficacité), et une marge de progression assez impressionnante, les amenant à préparer un second disque beaucoup plus ambitieux, débardant le cadre du reggae au sens large. C’est surtout humainement que la mayonnaise ne prendra pas. Jerry Dammers, personnage clé du groupe, est assez peu « visible » aux claviers et les ego ne vont pas tarder à prendre le dessus. Plus que la retombée de la vague éphémère du ska, c’est le clash des personnalités qui provoquera la chute des Specials.
L’héritage laissé par le groupe ne sera pas à la hauteur de son talent. Les Specials, on n’en a retenu que la matrice d’un ska festif up tempo, pénible passage obligé de tout festival qui se veut « sympathique » et « populaire », alors que dans ce premier disque, il n’y a réellement qu’un titre (« Nite Klub ») qui réponde à cette définition …

Les « vrais » Specials (plusieurs moutures du groupe avec quelques-uns des membres originaux essayent de temps en temps de revenir sur le devant de la scène, sans aucun succès) n’ont sorti que deux disques. Celui-ci est d’assez loin le meilleur …

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MC5 - BACK IN THE USA (1970)

Rock'n'roll never die ...
Le second disque du Five ... dès son titre, tout un programme … Jusque là, le programme du MC5, vu de loin, ça se confondait avec celui de son manager, le bien allumé John Sinclair. Le manager-gourou du groupe était aussi le fondateur du White Panther Party, version …euh … différente des Black Panthers. En gros, un gloubi-boulga anarcho-marxiste-barré articulé autour de dix points dont quelques-uns assez fumeux. Tellement fumeux que la brigade des stups de Detroit va serrer Sinclair en 1969 pour deux pauvres joints et l’envoyer au pénitencier.
Le MC5 se retrouve livré à lui-même, ce qui n’est pas une bonne chose. Et sans maison de disques. Le premier brûlot du MC5, « Kick out the jams » (à l’usage des sourds et des jeunes générations, je rappelle qu’il s’agit du meilleur disque live de tous les temps) ne s’est guère vendu. Pire, à cause de quelques « motherfuckers » bien audibles, une grande chaîne de magasins de disques l’a d’emblée retiré des rayons. Bravache et activiste, le groupe entre en résistance, à coups d’affiches, slogans et appels au boycott de l’épicier vinylique. Bataille du pot de terre contre le pot de fer. La label du Five, Elektra (entre autres celui des Doors) est menacé de voir retirer de la vente tous ses « produits ». Aussi sec, devant la pression de l’épicier, Elektra se débarrasse du MC5.

Les cinq types du Five ne sont pas vraiment des politiciens révolutionnaires. Le seul genre de révolution qui trouve grâce à leurs yeux se résume en quatre mots : meufs, dope, bagnole, rock’n’roll, les trois premiers gros consommateurs de dollars, le quatrième étant  censé les leur apporter. Atlantic consent à signer pour un disque cette bande assez ingérable, et un petit journaleux de Rolling Stone, qui n’a pas encore vu le futur du rock’n’roll décide de s’occuper d’eux, les emmène en studio et s’auto proclame leur producteur. Le groupe s’en fout un peu de ce Jon Landau, mais bon, faut bien faire rentrer du cash pour faire le plein aux Ferrari et un disque est mis en chantier.
Concept : puisque l’utopie militante ne nourrit pas son homme, on va faire simple, basique même. Foin des influences de Sun Ra (« inspirateur » du « Starship » de « Kick out de jams »), back in the USA, back to the roots. Concis, ramassés, urgents, tels seront les titres de ce disque. Onze pour vingt huit minutes, comme un majeur dressé bien haut devant tous les techniciens bluesy ou pas qui étirent un titre sur toute une face de vinyle. Et retour aux bases de la musique qui les fait vibrer, le rock’n’roll des origines remis aux goût du jour à la sauce Motor City, puisque c’est de la capitale automobile qu’ils viennent et où leur insuccès les condamne à rester.
Ils sont pas nombreux dans ce créneau à cette époque-là. Les revivalistes loufoques de Sha Na Na (leur copie conforme française s’appellera Au Bonheur Des Dames) et puis, quand même un mammouth en terme de ventes et de popularité (de qualité aussi, mais c’est pas le propos ici), le Creedence Clearwater Revival de John Fogerty. Fogerty qui bien que de la ville (celle des hippies, San Francisco), donne dans le rock’n’roll rustique et campagnard. Le Five va faire la même chose, mais dans son versant urbain, et la différence ne s’arrêtera pas au port ou non de chemises de bûcherons à carreaux.
Dans l’ancienne place forte de la Tamla Motown, le MC5 va livrer une version urbaine, violente, de la musique originelle. « Back in the USA » commence et finit par une défenestration de deux classiques : « Tutti frutti » de Little Richard et l’éponyme « Back in the USA » de Chuck Berry. Versions du Five sauvages mais assez proches et respectueuses des originales. Tout le reste est plus sournois, plus agressif aussi. Finie la rythmique char d’assaut, c’est rapide, ça pulse et ça swingue. Finis les numéros de shredders de Kramer et Smith aux guitares, ça joue carré, sérieux, et ça se paye même des solos dans les « règles de l’art ». Finis les cris et hurlements de Tyner, ça chante et plutôt très bien même. Beaucoup affirment que « Back in the USA » est un disque annonciateur du punk. Ma foi … Moi je dirais que trois ans avant le « Pin Ups » de Bowie, le disque du MC5 est avec le « Supernazz » des Flamin’ Groovies sorti quelques semaines plus tôt, une des premières œuvres strictement revivalistes du rock.

Là où se situe le talent du groupe, en plus de la Detroit touch devenue cliché et tarte à la crème d’une  certaine forme de musique dure, « pour hommes », estampillée « street credibility », c’est dans la clarté du propos et la mise en place. Respectueux des fondamentaux (il n’y a rien d’original, ça dure en moyenne moins de trois minutes par titre, personne cherche à se mettre en avant), tout en entrouvrant des lucarnes pour les générations futures. Les punks, on l’a dit et (trop) répété à mauvais escient, mais beaucoup plus la power pop (« Teenage Lust », « High school », « Shakin’ Street »), et la matrice de toutes les formations revivalistes « lettrées » (en gros tous ceux qui ont fait l’effort d’écouter des disques sortis avant le premier Ramones, et dont l’exemple typique français doit être les Dogs). Le Five casse avec « Back in the USA » sa réputation de groupe sauvage mais approximatif, Kramer y va de quelques solos qui ne feront certes pas oublier Hendrix, mais qui sont « propres ». Le rôle de Landau,  souvent tenu pour quantité négligeable, y est pour quelque chose : pour son baptême du feu aux consoles, il fait faute de pouvoir mieux dans l’ultra basique, et coup de bol, c’est ce qui convient parfaitement au disque. A peine deux concessions : une à la mode de l’époque, la ballade pour emballer la meuf  (ici « Let me try »), évite le pathos et les couches de violons dans lesquels des cohortes de groupes se livrant à cet exercice se perdront ; l’autre au son psyché du rock garage de la fin des sixties avec « The human being lawnmover ».
Personne n’attendait ce disque. Peut-être quelques amateurs des stridences rageuses de « Kick out the jams » qui ont été déçus. Et en 1970, le MC5 n’était pas encore « culte », juste à peu près inconnu (le pays où il était le plus « populaire », c’était la France …). Les deux singles extraits, « Looking at you » et « Shakin’ Street » (sans parler de « High school » tuerie totale, un des grands morceaux ignorés des seventies, même pas sorti en 45T) n’entreront pas dans les charts. Le second l’aurait mérité, bien qu’il soit atypique (chanté par Fred Smith, le futur mari de la Patti du même nom). Il ne sera pas perdu pour tout le monde, et servira de nom de baptême à une rude escouade menée par une chanteuse française (Fabienne Shine), groupe qui malgré des prédictions de succès à l’échelon international, disparaîtra rapidement dans l’anonymat.

Par bien des aspects, « Back in the USA » n’est pas ce que les musicologues qualifient de disque parfait. Heureusement, c’était pas le but recherché. C’est juste pour moi le plus grand disque de strict rock’n’roll américain …

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High Time


THE VELVET UNDERGROUND - THE VELVET UNDERGROUND & NICO (1967)

Walk on the wild side ...
Le premier Velvet, c’est un des disques les plus mythiques de la maintenant interminable saga du wock’n’woll … un disque qui ne laisse pas indifférent. Soit on le porte au pinacle, soit on ne comprend pas très bien ou pas du tout pourquoi tant de barouf autour de cette rondelle. « Velvet Underground & Nico », c’est le disque qui passe de l’autre côté, qui explore toutes les dark sides de la vie, de la musique … toutes ces choses et ces sons pas très jojos qu’on évacuait jusque là un peu hypocritement.
Nico, Warhol, Tucker, Reed, Morrison, Cale
Du pop-rock qui attaque l’oreille, alors que la mode, la référence ultime, c’était les Beatles, les Beach Boys, les girl-groups, la sunshine pop, tout ce qui était joli, bien fait, bien propre, bien mignon … Alors tu parles quand tu prends le son du Velvet … quasiment l’antithèse. La rythmique du Velvet ? Une batterie (jouée par une meuf, et circonstance aggravante dans un monde de paraître, toute moche) réduite à un kit dans sa portion la plus congrue et jouée debout (hérésie ? non, beaucoup des batteurs des pionniers du rock’n’roll jouaient de la sorte, celui des Forbans aussi d’ailleurs...). La basse ? jouée par celui (Cale ou Morrison) qui avait pas autre chose à foutre. Alors que le règne des sections rythmiques musclées et techniques (les fondations, la base, bla-bla-bla, …) arrivaient, le Velvet faisait quasiment l’impasse sur cet aspect. La guitare ? un type qui moulinait mécaniquement le structure rythmique (Sterling Morrison), un autre qui cherchait pendant ce temps la note qui produise le même effet que les ongles griffant un tableau noir (Lou Reed)… tout çà à l’époque des tags « Clapton is God » sur les murs de Londres, annonçant le culte (stupide) du guitar-hero technique et flamboyant … Un violon ? quoi, un putain de crin-crin dans un groupe de rock ? Le symbole absolu de toute la musique qu’il était de bon ton de mépriser : la classique pour les bobos, la country pour les ploucs … en plus un violon alto (le plus grinçant), entre les pattes d’un type (Cale) qui s’efforçait de le rendre le plus désagréable possible à l’oreille. Et au chant ? alors là, c’est la cerise sur le gâteau … ils étaient deux, le Lou Reed qui parlait, marmonnait, et une femelle blonde (Nico) avec une voix caverneuse, les deux à peu près incapables de chanter juste sur des mélodies pourtant pas très élaborées …
Et ils causaient de quoi, au fait ? Oh, Jésus Marie Joseph, jamais on n’avait entendu çà … pas des pluie dures de bombes (Dylan), et pas de vouloir hold la hand de la pretty little girl (tous les autres). Non, le type, là, qui écrivait quasi tous les textes (en plus de la musique), ce Lou Reed, c’était juste un sale pédé accro à l’héro, qui balançait sur des boogies préhistoriques ou des mélodies macabres ses histoires de putes, de dealers qu’on attend au coin de la rue, de sado-masochisme et de fix à l’héro … la naissance du glauque’n’roll, cherchez pas ailleurs, c’est le 1er Velvet … Petite parenthèse, la vraie vie de Lou Reed n’était pas aussi caricaturale que ce que le prétend l’histoire « officielle », il a été plus longtemps hétéro qu’homo, et ses rapports avec les drogues très dures terminés depuis le début des années 60 (les shoots avec des seringues usagées, l’hépatite C contractée alors, même si Lou Reed a été bien destroy quelques temps, en gros jusqu’à la fin des 70’s, il a également pris quelques sages précautions pour rester en vie, et la légende du junkie agonisant et se fixant sur scène n’est justement que légende et mise en scène …). 
 
Le Velvet, au départ et à la base, c’est pas un groupe de rock comme on l’entendait à l’époque et l’entend aujourd’hui. C’est juste la partie sonore du concept artistique qui se voulait total et global monté par Andy Warhol à New York, The Factory. C’est là, dans cet immense loft que celui qui était en train de devenir le pape du pop art, avait réuni une faune hétéroclite, voire interlope, censée travailler à l’élaboration de nouvelles formes d’expression artistique. De fait, c’était à peu près une party ininterrompue, avec comme figures de proue Paul Morrissey (photographe, futur cinéaste), Joe Dallessandro et Edie Sedgwick (acteurs), Ultra Violet (peintre et plasticienne), Gerard Malanga et Mary Woronow (danseurs), plus quelques figures locales « pittoresques » comme Candy Darling … Le Velvet Underground était avant tout un assemblage hétéroclite ( Reed, Cale, Morrison, Tucker) et cosmopolite (trois Américains et un Gallois, John Cale). Il deviendra encore plus hétéroclite et cosmopolite quand Warhol lui adjoindra (ou plutôt lui imposera) une mannequin et actrice allemande, répondant au surnom de Nico, et remarquée par son Pygmalion pour son apparition (le plus souvent en armure !) dans « La dolce vita » de Fellini. Warhol entend faire de cette sculpturale blonde troublante son égérie et la chanteuse de cette bande de va-nu-pieds qu’est le Velvet Underground. Un spectacle est monté, l’Exploding Plactic Inevitable, le Velvet accompagne Nico, Lou Reed chante quelques titres, Woronow et Malanga dansent (lui met en scène une choquante chorégraphie à base de tenues de cuir et de fouet), Morrissey balance sur un écran des photos et animations psyché-barrées … Les « concerts » sont donnés dans des galeries d’art ou de petites salles à travers les Etats-Unis, divisent la presse très spécialisée, mais n’ont aucun impact réellement populaire.

Le Velvet et Nico se doivent de laisser une trace. Avant de disparaître, car l’atmosphère est détestable entre Nico, prétendue star parachutée peu diplomatiquement par Warhol dans le groupe et Lou Reed, a priori à cette époque-là le seul capable d’écrire quelque chose qui ressemble plus ou moins à des chansons. Lou Reed, qui commence là sa carrière de joyeux luron et philanthrope rebaptisera d’ailleurs Nico « l’emmerdeuse ». Ce disque sobrement baptisé « The Velvet Underground & Nico », sort dans les bacs début 67, juste avant le fameux Eté de l’Amour. Autant dire que question timing, il est pas vraiment dans l’air du temps. Warhol a conçu une pochette toute blanche, avec une banane au milieu, même pas le nom du groupe mais le sien. Cette banane peut se peler (« Peel slowly and see »), dévoilant une partie comestible … rose. Une symbolique phallique que même les fans de la Comtesse de Ségur pouvaient percevoir. Sur les premiers exemplaires, légende ou anecdote, une fois cette chair rose dévoilée, il fallait passer à l’acte, la gomme adhésive étant parfumée au LSD …
En comptant large, ce disque se vendra à mille exemplaires. Et peu après sa parution, Nico quittera le Velvet. Scénario classique, la galère habituelle du groupe de rock anonyme … L’histoire aurait pu, aurait dû s’arrêter là. En dépit de mésententes de plus en plus grandes chez les « rescapés » (à chaque disque suivant, le Velvet perdra encore un membre essentiel, Cale, puis Lou Reed), trois autres disques officiels estampillés Velvet Underground paraîtront entre 67 et 70, avant la débandade définitive. Deux Anglais, d’abord Brian Eno de Roxy Music et David Bowie de la Ziggy Stardust Incorporated ne vont pas tarir de louanges sur le Velvet. Le premier aura une phrase restée célèbre (« Velvet & Nico s’est vendu à 1000 exemplaires, mais tous ceux qui en ont acheté un ont monté immédiatement leur propre groupe »), l’autre reprendra très fréquemment sur scène le « White light / White heat » de leur second album, avant de décider de faire de Lou Reed une superstar glam …
Edie Sedgwick, Gerard Malanga & The Velvet Underground live
La légende du Velvet, sa réhabilitation et sa sacralisation sont dès lors en route. Même si … le Velvet c’est trop dérangeant, pas assez « confortable ». Il suffisait d’entendre dans les JT officiels et sérieux il y a quelques jours lorsque le vieux Lou  (maintenant archi-reconnu, célébré et décoré) a cassé sa pipe le fonds sonore : toujours « Walk on the wild side », certes pourtant pas bluette inoffesive au niveau du texte, et jamais « Heroin » ou « Venus in furs ».
Car au final, qu’est-ce qu’on y trouve, sur ce « Velvet & Nico » ? La Révolution, tout simplement, la première vraie mutation monstrueuse du rock, qui qu’on le veuille ou pas était jusque là affaire de bisounours, tant ceux qui en faisaient que ceux qui l’écoutaient. Les choses étaient simples : le rock, ça venait de chez les ploucs le bluegrass, la country, le hillbilly (rien que les noms déjà …), le blues (en plus d’être des paysans, ils étaient noirs …), le folk, le rock’n’roll, rien que des campagnards tout çà … La ville, c’était le domaine de la pop, moins sauvage, plus conviviale ? Les Beatles à Liverpool, la Tamla à Detroit, le Brill Building à New York, Spector et Beach Boys à L.A, c’était parfaitement « cadré »… Les hippies qui commençaient à se multiplier, c’était pire, ils partaient de San Francisco pour aller se perdre à Woodstock, Monterey, ou dans le Larzac … en fait ils retournaient chez les ploucs …
Avec le Velvet, le rock, tendance ‘n’roll devient un élément culturel du décor urbain. La rupture est encore plus consommée dès lors qu’il s’agit des textes. Absolument tous (Dylan et quelques autres folkeux de moindre acabit étant l’exception qui confirme la règle) ne parlaient que de meufs (avec plus ou moins d’élégance), de saine amitié virile, de bagnoles et de motos … Lou Reed causait de putes, de travestis, d’homos, de drogués (tous les autres se défonçaient, mais étaient au mieux vaguement allusifs), de dealers, de sado-masochisme, de petits matins blêmes … ça jouait pas dans la même cour de récréation que « Yellow submarine », c’est clair…
Quatre titres sont chantés (ouais, si on veut) par Nico. La ballade mortifère des lendemains qui déchantent (« Sunday morning »), pop perverse, voix grave hautaine qui comme si ça ne suffisait pas est gavée d’écho. La voix de Nico dégage une impression de dominance, un aspect hiératique, solennel, totalement flippant. Même dans le registre girl-group dévoyé (« Femme fatale »), ou la comptine dépravée (« I’ll be your mirror », tout le 3ème disque du Velvet est en gestation dans ce titre). La solennité inaccessible et funèbre de la dame trouvant son apogée dans « All tomorrow’s parties ».
Warhol & Nico
Lou Reed trouve son meilleur rendement dans les lents boogie monolithiques de la première face vinyle (« I’m waiting for my man », le « man » étant le dealer), ou « Run run run », ce dernier se colorant de relents psyché, une des rares concessions à l’air du temps. « Venus in furs » est le titre le plus dérangeant de cette face, par son thème-hommage à Sacher-Masoch, mais aussi parce qu’il fait se confronter dans les discordances et les dissonances l’alto de Cale et la guitare de Reed, sur fond des percussions tribales de Mo Tucker. On entend, on ressent la douleur, la souffrance et la mort que véhiculent ce titre.
Car « Velvet & Nico » c’est aussi un disque organique, qui parle aux sens, tout le contraire d’un boucan arty obtus. On s’en rend compte à l’entame de la seconde face vinyle quand on doit affronter « Heroin », le titre qui a le plus fait pour la réputation malsaine  de Lou Reed. « Heroin » est une description par la parole et la musique d’un fix, cette relation-dépendance entre amour et haine que le junkie porte à sa came. Description portée par un tempo qui s’accélère (le sang qui cogne dans les tempes) et striée par le violon de Cale (la raison qui zigzague). A ma connaissance, personne n’avait encore abordé la drogue et sa dépendance de façon aussi frontale, aussi crue, dans une chanson. Le contraste est saisissant avec la suivante, la plus « légère » du disque, l’enjouée (par le tempo) « There she goes again ». Après le court intermède chanté par Nico (« I’ll be your mirror »), on pourrait penser à un final moins éprouvant. C’est justement là que le Velvet choisit de pousser le bouchon le plus loin. Peut-être lassé de l’hégémonie d’écriture de Reed, Cale fomente un coup d’état et s’arroge la co-écriture pour « The black angel’s death song ». C’est le violon  strident du Gallois qui mène cette danse forcément macabre, et ces trois minutes d’agression préfigurent les 17 de « Sister Ray » sur le disque suivant, « White light / White heat ». Le final du disque « European son » est une longue litanie stridente, résultant de jams bruyantes du temps de la tournée Exploding Plactic Inevitable, signée collectivement. Elle présente dans l’esprit beaucoup de similitudes avec « The end » des Doors sortie quelques semaines plus tôt. Les paroles sont un hommage à Delmore Schwarz, père spirituel de Lou Reed, écrivain « maudit » américain récemment mort dans l’oubli.
« The Velvet Underground & Nico » mettra à peu près cinq ans avant de commencer à être reconnu et cité comme un disque majeur. Son aura n’a depuis fait que croître, des pans entiers du rock (le krautrock, le punk new-yorkais, Sonic Youth et tous ses descendants, tous les frangins Bruitos de la planète, série en cours, …) le citent comme influence majeure. Les autres disques du Velvet en découlent d’évidence. Même si dès le suivant Nico ne sera plus là … On l’a oublié, mais le Velvet n’était à l’origine censé être que son backing-band …
Parmi la multitude de rééditions en version plus ou moins DeLuxe ou Expended parues, celle de 2010 fait la part belle à l’Allemande. Outre les versions mono et stéréo du disque, on y trouve en version single (inutile de dire qu’ils n’ont pas visité le haut des charts) les quatre morceaux qu’elle chante et une bonne part de son premier disque solo « Chelsea girl », écrit par Lou Reed et produit par John Cale, ce qui permet de signaler que malgré le peu de succès rencontré par ses disques en solo, c’est vraiment elle la première « héritière » du Velvet, celle qui est restée toute sa carrière dans « l’esprit » du groupe, responsable d’une discographie assez abrupte, où l’on retrouve toujours cette atmosphère hiératique et glaciale des « All tomorrow’s parties » et autres « Femme fatale ».

« Velvet Underground & Nico » est pour moi un des deux ou trois meilleurs disques du siècle passé, de l’actuel, et de ceux à venir. Depuis sa parution, pillé, imité, plagié … mais jamais égalé …


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P.S. Sur la vidéo de "Wating for my man", l'enfant assis à côté de Nico est Ari, le fils qu'elle a eu avec Alain Delon