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ROBERT WYATT - SHLEEP (1997)


Intouchable ...

Et Robert Wyatt, s’il est dans un fauteuil à roulettes, c’est pas pour tourner une comédie pleine de bons sentiments téléthonesques. Et même s’il a un solide sens de l’humour absurde, c’est pas marrant tous les jours …
Lui le batteur-star des par ailleurs vite devenus pénibles Soft Machine (et encore plus pénibles une fois qu’il les a eu largués au bout de trois disques) qui un soir de biture a confondu porte et fenêtre d’un troisième étage et s’est retrouvé avec les jambes bétonnées pour le restant de sa vie. Y’a des jours, et surtout des nuits, quand bien même compte t-il les moutons, il ne peut pas dormir … d’où le titre de ce disque.
Donc « Shleep » est une œuvre inspirée par l’insomnie et la souffrance morale. Je reconnais que présenté comme de la sorte, ça plombe un peu l’ambiance. Bon, fuyez pas tous. Parce que là, attention grande œuvre, voire chef-d’œuvre. Et une musique pas déprimante pour deux sous … Il y a même des fois où l’on se croirait face à des inédits de « Rock bottom », cet OVNI sonore qui avait illuminé de sa classe l’assez pénible milieu des seventies. Particulièrement flagrant sur un titre comme « Was a friend », où l’on retrouve tout ce qui ce qui a fait le génie de Wyatt en 1974 : les synthés mélancoliques, la trompette plaintive, la voix aiguë et fluette … Faut dire que l’infirme a un joli carnet d’adresses de fans que l’on retrouve sur la plupart des titres (Brian Eno, et pas seulement comme co-producteur), ou sur quelques-uns (l’ex Roxy Music Manzanera, l’ancien Jam Paul Weller, le jazzeux Philip Catherine, …). Sans oublier évidemment sa compagne-muse Alfreda Benge (« Alfie » pour les intimes et ceux qui en seraient restés à « Rock bottom »), responsable comme souvent de la jolie pochette naïve de « Shleep ».
Derrrière son éternel look de Raspoutine au regard malicieux, Wyatt est un poète. Et il n’a pas besoin de mots, avec des instruments de musique il y arrive, voir la comptine bouillonnante « Maryan », le concassage sonore de « The duchess » qui renvoie tous les « déstructurateurs » de musique à leurs chères études, « Free will and testament », titre lyrique au feeling ahurissant, et après lequel les pompiers Arcade Fire passeront toute leur existence à courir sans jamais rattraper ce niveau, l’inaugural « Heaps of sheeps », on dirait au début du Blondie ou du Talking Heads, avant que la voix de Wyatt propulse ce titre dans une stratosphère où bien peu ont réussi à aller. Et parce que Wyatt est fan de jazz et de classique (nobody’s perfect) « September the ninth » est  tout imprégné des funestes musiques, et ça ressemble à ce que les ridicules progueux devraient faire depuis quatre décennies, s’ils avaient une once de bon goût musical. Et puis, au cas ou un fan d’electro passerait par là le spatial et monstrueux « Alien » superpose synthés et boîtes à rythmes, et on a envie de suggérer aux joueurs de disquettes qu’ils prennent de la graine de ces schémas-là, leur bousin en serait moins pénible … Devant par la force des choses se contenter de donner le rythme par des percussions, Wyatt abuse parfois des claviers (piano et synthés), et quand il les combine à sa trompette lugubre (qui d’accessoire rigolo à ses débuts est devenue, infirmité oblige, très importante dans sa palette sonore), ça donne un truc bien plombant (« Out of season »), heureusement isolé dans ce disque et de moins de trois minutes, ça va on supporte.
C’est ça aussi la magie des disques de Wyatt, ce ne sont pas des œuvres sombres d’infirme qui cherche la compassion ou le réconfort, ça respire quelles qu’en soient les motivations la joie et l’envie de vivre, sans pour autant sonner comme la Compagnie créole ou des chansons à boire. Il y a une humanité, une subtilité et une finesse toujours présentes (ce qui n’est pas toujours le cas de sa production discographique, peu sont aussi réussis que « Shleep »). A la fin du disque, il y a même un hommage (tongue-in-cheek, comme souvent avec Wyatt) à Bob Dylan (« Blues in Bob minor ») qui comme le « Song for Bob Dylan » de Bowie n’a pas grand-chose à voir musicalement avec le barde de Duluth, même si ça fait parfois penser (la diction gaguesque de Wyatt sur ce titre), à la période « Highway 61 – Blonde on blonde » ; c’est le titre le plus direct, le plus rock du disque, le seul où les guitares sont mises en avant.
Wyatt est assez rare discographiquement, et pas souvent à ce niveau. Avec l’insubmersible et indépassable « Rock bottom », « Shleep » fait pour moi partie de ses pièces maîtresses.

Du même sur ce blog :
Rock Bottom


Dr. JOHN - GRIS-GRIS (1968)


Born on the bayou ...

Selon la légende, le brave Ahmet Ertegun, pourtant un type qui faisait plus que bien son boulot de big boss de la major Atlantic, après avoir écouté le premier disque de ce Dr John qu’il venait de signer aurait dit : « How can we market this boogaloo crap? ». Il avait pas tout à fait tort, au moins sur un point. De ce « Gris-gris », il en a vendu que dalle. Par contre, ce disque, c’est pas de la merdouille boogaloo, c’est quand même un sacré truc …
Malcolm John Rebennack alias Dr John est en 1968 un musicien professionnel depuis 14 ans (il en a 28), un multi-instrumentiste, avec une prédilection pour le piano, et qui touche à tous les genres musicaux (on le trouve en studio avec plein de gens, de Sonny & Cher à Canned Heat). Il vient de la Nouvelle-Orléans, mais bosse surtout à Los Angeles.
Amulettes, colifichets, gris-gris et autres pendentifs : Dr John
C’est là qu’il enregistre « Gris-gris », jouant surtout de la guitare à cause d’une blessure à la main qui l’empêche de se servir du piano. Et comme si sa lointaine Louisiane lui manquait, il va la mettre partout sur son disque. Mais pas une Louisiane de carte postale. La musique de Dr John empeste l’odeur fétide des marais, leur moiteur étouffante, et toutes ces vieilles légendes colportées par des générations d’esclaves, le vaudou en particulier. Dr John est accro à toutes ces histoires de sorcières, d’amulettes, de poudres, de filtres, et le doctorat que suggère son pseudo tient plus des rebouteux, charlatans et autres guérisseurs que d’une quelconque faculté de médecine. Il est aussi accro à toutes sortes de poudres blanches, venant plus de Colombie que de pratiques plus ou moins magiques.
Il s’en explique d’ailleurs dès le 1er titre « Gris-gris gumbo ya ya » dans lequel il se présente comme « Dr John, the Night Tripper », et les autres sont farcis d’allusions à des messes noires ou des pratiques religieuses « déviantes », des zombies, des vieilles sorcières (« Mama Roux »), des croquemitaines (Coco Robicheaux dans « I walked on guilded splinters »). Voilà pour les réjouissantes visions cauchemardesques du Dr.
Quant à la musique, on comprend qu’elle ait pu déstabiliser Ertegun qui n’avait pourtant pas les oreilles dans sa poche. Parce qu’à une époque, LSD et autres substances aidant, la musique partait dans tous les sens, celle de Dr John semblait venir d’un autre monde, où personne ne s’était encore aventuré. Une synthèse de tout ce que l’on pouvait entendre à La Nouvelle-Orléans, le jazz bien sûr (avec l’ombre tutélaire de Professor Longhair, mentor de Dr John), le blues, les fanfares dixies et de Mardi-Gras, le swing ou le rhythm’n’blues si particuliers de Fats Domino ou Lee Dorsey, tout ça passé à la moulinette Rebennack, avec ces rythmes chaloupés et feignasses, et ce chant grommelé, quelque part entre Captain Beefheart et Tom Waits. Un Tom Waits dont les 40 ans de carrière sont déjà en filigrane d’un titre comme « Dance Kalinda Ba Doom » et ses incantations barrées.
Les pièces essentielles du disque sont « Gris-gris gumbo ya ya » comme un mix de « Sympathy for the Devil » et « Midnight Rambler » des Stones, l’espèce de calypso chaloupé « Mama Roux » sur la sorcière du bayou, et le définitif morceau hanté « I walked on guilded splinters », qui nous entraîne direct au milieu des alligators du bayou, peuplé de bruits étranges, de croquemitaines, de goules perfides et de zombies errants. Tous les gimmicks d’un Screamin’ Jay Hawkins à la puissance mille.
Ce « Gris-gris » est sans doute le disque le plus jusqu’auboutiste de Dr John. Par la suite, il affinera son style tout en le rendant moins aventureux, plus « accessible », et s’il ne sera jamais un gros vendeur de disques, il deviendra une des références les plus citées par les autres musiciens … Encore en activité aujourd’hui, et d’une façon beaucoup plus intéressante et digne que la plupart de ses contemporains encore en vie …

Du même dans ce blog :
In The Right Place
The Very Best Of Dr John 
Locked Down



CHARLES MINGUS - THE BLACK SAINT AND THE SINNER LADY (1963)


Very Bad Trip (3712)

On dira que cela avait été une soirée arrosée (par plein de boissons d’hommes, des vraies, rustiques, pas des machins coupés avec des jus de fruits exotiques pour cocktails lounge). Et le lendemain matin, un chantier dans la baraque à rebuter les plus motivés de chez Loulou Nicollin. Et donc séance de ménage avec combats de preux chevaliers en armure au milieu du crâne. On commence d’abord le rangement par l’essentiel, le vital, les disques. Et on trouve ce machin « The black saint … » sous des piles de Cds de rock. J’ai beau être inculte, je connais le nom de Mingus et je sais que c’est pas à moi, jamais je m’abaisserai à acheter pareille chose. Quelqu’un a dû l’oublier hier soir ou un autre jour. J’ai gobé quelques Aspro, et posé la rondelle dans le lecteur, du jazz, ça ne pouvait être que relaxant, et accompagner en douceur le remplissage de sacs poubelles.
Erreur, funeste erreur. Ça fait des trous dans les tympans, ce truc. Et comme je ne connais rien au jazz et encore moins à Charlie Mingus, je n’ai donc aucune référence de ce disque dans son œuvre. C’est un foutoir sonore savamment organisé ou désorganisé (free jazz ?), et tout un tas de plans et de sons agressifs que j’avais entendu « ailleurs » (les envolées crissantes de sax sur le « Fun house » des Stooges, les instrumentations dissonantes chez le Velvet Underground, Sonic Youth et tous leurs disciples, …).
Et donc, ce que j’en pense ? Ben rien, autant demander à une oie de Guinée ce qu’elle pense du confit de canard.
Je sais seulement que quand le disque a été fini, j’ai repris de l’aspirine.
Que je l’ai plus écouté.
Et que personne me l’a jamais réclamé …

PASCAL COMELADE - L'ARGOT DU BRUIT (1998)


L'Enfance de l'Art ...

Pascal Comelade, il jouerait sur des Marshall à onze, peut-être qu'en tendant l’oreille depuis chez moi, je l’entendrais. Même s’il vit à quelques dizaines de kilomètres, et quasiment dans un autre pays (la Catalogne, c’est pas vraiment la France, et encore moins l’Espagne). En tout cas Comelade vit dans un autre monde, inaccessible pour qui n’a pas gardé quelque part une âme d’enfant. Avec ses instruments-jouets, accompagné ou pas de son Bel Canto Orchestra, il compose de petites comptines surréalistes dont il remplit ses disques.
Il a débuté dans la galaxie des Vierges, groupe punk radical de Montpellier à la fin des années 70, avant de progressivement se concentrer sur son propre univers baroque et poétique. Ce fan ultime (entre autres) du Captain Beefheart, mais aussi des Cramps et du krautrock, produit une musique à mille lieues de ses idoles. Quelques fois en collaborant avec elles comme ici Jean-Hervé Peron ou PJ Harvey. Mais en s’entourant aussi de musiciens beaucoup plus anonymes (ceux du Bel Canto), d’amis, de gens rencontrés par hasard, …
La musique de Comelade, ce sont ces symphonies de poche désuètes, d’apparence simples et légères, le plus souvent sans paroles. Mais qui en disent quand même beaucoup, comme du Nino Rotta qui arrive à se suffire sans les images de Fellini.
Il y a dans « L’argot du bruit », des effluves de choses entendues mille fois (tiens, le morceau-titre, il me semble bien que c’est la même mélodie que la honteuse scie pré-disco « El Bimbo » des années 70), des sons qui viennent du fond des âges et des traditions locales. Il y a des titres avec des voix en catalan (du moins il me semble), des sons qui remontent en droite ligne des folklores andalous ou catalans, de la tristesse des incantations gitanes (ceux du quartier Saint-Jacques à Perpignan, mais aussi ceux des Balkans), il y a du rock basique à guitares, des embardées pataphysiques que ne renieraient pas Soft Machine ou Gong, il y a … tout un monde en fait, celui de Pascal Comelade.
Dont la musique est une des plus imagées qui soient. Défilent dans la tête les scènes absurdes d’un Fellini, le jazz manouche de voleurs de poules d’un Kusturica, la solennité funèbre d’un Tim Burton … mais c’est pas réalisé en cinémascope et Dolby surround, juste avec des morceaux de plastique ou de ferraille achetés pour une misère dans des brocantes, des objets détournés (quoi de plus logique qu’une batterie - de cuisine – pour donner le rythme).
« L’argot du bruit » fait alterner petites saynètes sonores (« Via-Crucis del Rocanrol » mélange riffs garage et accordéon de bal des pompiers, « Domisiladoré » comme du Calexico repris par Charlie Oleg, « Si » aurait pu figurer tel quel sur un disque de Tom Waits), détournement de sonorités locales (« Toti al Soler », (allusion au petit patelin de la banlieue perpignanaise ?), est un boléro minimaliste renforcé par un orgue à deux euros, « Sardana del desemparats » fait un sort à la guillerette danse folklorique du cru, la sardane, qui devient ici une marche quasi funèbre), …
Et puis il y a les collaborations avec les « stars », Peron (le Français de la légende kraut Faust), pour une reprise du « Sad skinhead » (à l’origine sur « Faust IV »), et PJ Harvey qui chante sur deux titres (« Love too soon », lente ballade crépusculaire et le meilleur des deux titres, mais aussi sur « Green eyes » qui évoque les univers glauques d’un autre inclassable, Scott Walker).
Et une fois achevé le dernier titre « Maruxina », pourtant un tango minimaliste d’une infini tristesse, on se retrouve les yeux brillants, comme un gosse qui croit que ses illusions vont se réaliser. Plus que de la musique, Comelade fabrique une machine à rêver …

DEAD CAN DANCE - THE SERPENT'S EGG (1988)


Religieux, médiéval, ...

Signés sur un label réputé pour son originalité (4AD), Dead Can Dance est un duo original (un Irlandais Brendan Perry et l’Australienne à la voix d’or Lisa Gerrard, tous deux chanteurs et multi-instrumentistes), produisant une musique originale et inclassable.
Leurs disques sont généralement chroniqués dans la presse musicale rock, mais inutile de leur chercher des similitudes avec leurs voisins de magazines.
Dans « Serpent’s egg », on trouve des cantiques (« Orbis de ignis » apparemment en latin), du chant grégorien ici ou là, et un grand nombre de sonorités qui évoquent l’atmosphère moyenâgeuse de chants religieux, liturgiques ou baroques. Un parfum mystique, vaporeux, médiéval enrobe l’ensemble (« Severance » est le morceau après lequel les Simple Minds ont couru en vain durant toute leur carrière). D’autres fois (« Echolalia ») on a l’impression d’écouter Magma période « Mekanik Destruktïv Kommandöh ».
Ce Cd est étrange, dépaysant, déroutant souvent mais beau. Le genre de musique qui aurait trouvé sa place et relevé par exemple le niveau du navet sanguinolent de Mel Gibson sur la Passion du Christ, tant « The serpent’s egg » semble inspiré par la religion et le mysticisme.

THE 13th FLOOR ELEVATORS - THE PSYCHEDELIC SOUNDS OF THE 13th FLOOR ELEVATORS (1966)


Vous reprendrez bien un peu d'acide ?

Les 13th Floor Elevators étaient au mauvais endroit au mauvais moment. Trop en avance et trop ingérables.
Les 13th Floor Elevators se sont formés à Austin, Texas, le Lone Star State des rednecks. Ils ont commencé par du rock’n’roll garage, et ils n’étaient pas les seuls, que ce soit au Texas ou dans l’Amérique des mid-sixties. Ils ont pris du LSD (alors en vente libre). Beaucoup. Beaucoup trop. Et alors que tous ceux qui en prenaient, et notamment à San Francisco, viraient pop, clochettes, encens, et country mollassonne, et n’avaient pas encore sorti de disques (le Dead, l’Airplane), les 13th Floor Elevators sortaient dès 1966 ce « Psychedelic sounds ». Pour la 1ère fois dans l’histoire de la musique plus ou moins populaire était mentionné le terme psychédélique, pour un disque qui se démarque totalement de tous ceux que l’on rangera ensuite sous cette dénomination.
Les 13th Floor Elevators sont un groupe de rock, de rock violent, même, chez lequel la ballade et la rengaine mièvre n’ont pas leur place. Le groupe joue fort, vite, méchant, les guitares sont saturées à l’extrême (fuzz), flirtant dangereusement avec une sorte de bourdon perce-tympans. Le groupe est une entité unie, soudée, tous sont totalement rétamés à l’acide.
Roky Erickson 1966
Très vite, dès qu’une petite notoriété se dessinera, deux choses capteront plus particulièrement l’attention. La cruche électrique de Tommy Hall, supposé leader et gourou. What, cruche électrique ? Ben oui, une cruche en terre cuite contre laquelle est collée un micro, une cruche qui peut contenir de l’eau dans laquelle Tommy Hall souffle, siffle, crache, chantonne, ou alors qu’il tapote au gré de l’ « inspiration ». Et qui produit ce lancinant bruit bizarre glougloutant de fond que l’on entend sur la plupart des titres. Mais très vite, celui qui deviendra le point de convergence de tous les regards, c’est le chanteur (et aussi guitariste) Roky Erickson. A la base un bon et grand chanteur, braillard quand il faut, technique quand ça s’impose, et qui « habite » tous les titres … Il se murmure qu’il aurait fortement impressionné Jim Morrison. C’est lui le frontman, c’est lui qui deviendra l’image qui symbolisera les 13th Floor Elevators. Mais comme Syd Barrett ou Brian Wilson, le LSD qu’il consomme en quantités industrielles causera vite chez lui des dégâts irréversibles, et il partira dans un trip très spatial et spécial, encombré de visions de Martiens chelous, de vrais séjours en hôpital psychiatrique avec séances d’électrochocs, et de disques solos (le groupe ne fera pas de vieux os, Tommy Hall partira le premier, les rescapés sortiront un insignifiant « Easter everywhere » en 1968 avant la débandade finale) erratiques. C’est Roky Erickson qui inaugurera à partir de 1967 le célèbre look de gourou psychopathe (barbe et cheveux en bataille et à la longueur démesurée, regard de fou), repris par Sky Saxon des Seeds et tristement rendu célèbre par Charles Manson.
Roky Erickson plus tard ...
Coup de bol pour les 13th Floor Elevators, leur premier 45T « You’re gonna miss me » sera un petit succès sur tout le territoire américain, avant de devenir ensuite un classique du rock garage US, et un des piliers de la fameuse compilation « Nuggets » de Lenny Kaye qui a réhabilité dès le début des 70’s tous ces groupes américains quelque peu délaissés par l’histoire officielle durant la seconde moitié des années soixante.
Mais « Psychedelic sounds » ne se résume pas à ce seul titre, loin de là. On est là avec un disque de rock dur, qui plus est sans la faute de goût datée ou le titre neuneu qui encombreront la plupart des disques psychédéliques de l’époque, y compris ceux des stars célébrées. Ici pas de mantras, de comptine stupide, de titres planants interminables … Onze titres en un peu plus de demi-heure.
Derrière une pochette devenue emblématique du genre (le troisième œil, la fascination pour les pyramides, les taches huileuses mouvantes, les couleurs flashy, …), ça bastonne plus souvent que ça s’écroule. Des titres sans ambiguïté, « Roller coaster », voix planante et riff fuzzy mouliné sans fin, « Reverberation », mur de guitares crasseuses sur lequel on devine l’ombre à venir de la fraction dure du krautrock (Amon Düül II, Faust), ou du space rock d’Hawkwind … « Fire engine », intro de twang guitar comme si les Shadows avaient gobé des acides, un morceau qui très vite devient moite, caverneux, et qui réveillera le fan des Cramps qui devrait sommeiller en chacun. Rayon lourd, également « Thru the rhythm » et l’ultime « Tried to hide ». Psychédélisme oblige, la ritournelle pop affleure (« Splash 1 »), l’animalerie hallucinée se pointe (ici « Monkey island », à mettre en parallèle avec le « White rabbit » du Jefferson Airplane, les analogies sonores à venir avec les Californiens sont évidentes), « You don’t know » annonce l’univers barré de Barrett dans le Floyd …
Le rayonnement du disque ira beaucoup plus loin que ce que perdurera la vague psyché, et de temps à autre, des gens bien esquintés par la dope citeront les 13th Floor Elevators, le plus représentatif des dernières décennies étant sans doute Jason Pierce (Spacemen 3, Spiritualized), dont l’œuvre se trouve déjà en filigrane dans le gospel violent de « Don’t fall down », ou le titre écroulé, tête lourde dans le buvard de « Kingdom of heaven » …
La dernière ( ? ) réédition du disque propose en bonus des titres live (ils ont bien fait de le préciser, c’est totalement inaudible, niveau qualité sonore, une des pires choses que j’ai jamais entendues) du groupe reprenant sauvagement des classiques (« You really got me », « Roll over Beethoven », « Everybody needs somebody to love », « Gloria », …), plus le 45T des Spades (1er groupe de Roky Erickson) avec la version originale cuivrée de « You’re gonna miss me », complètement dispensable …

TIM BUCKLEY - GOODBYE AND HELLO (1967)


L'explorateur de l'inouï ...

Avec son premier album sans titre, Tim Buckley avait signé une œuvre profondément originale. « Goodbye and Hello » va encore plus loin dans l’inouï, au sens premier du terme.
Il y a tout d’abord la voix. Unique, exceptionnelle, elle suffirait à elle seule  à tirer n’importe quelle composition vers des sommets célestes. Mais il y a aussi la musique, totalement à contre-courant de ce qui se faisait à l’époque. Certes la base est du folk mélodique teinté de psychédélisme, mais se rajoutent surtout des touches classiques et jazzy. Assez proche dans l’esprit de ce que fera plus tard Robert Wyatt, avec Soft Machine ou en solo.
Comme un air de famille ... Tim Buckley 1967
D’entrée, « No man can find the war », fait penser à Love, de l’autre génial inclassable Arthur Lee (un peu le Mr Loyal du Los Angeles psychédélique, artiste choyé du label Elektra, qui a fait signer les Doors et le MC5 à son patron Jac Holzman ; Buckley est également chez Elektra, et l’ingé-son de tous les artistes du label Bruce Botnick est présent sur tous leurs disques, ceci expliquant les nombreuses similitudes sonores entre tous ces gens), et installe la voix irréelle de Tim Buckley. Et cette voix se balade littéralement avec une facilité écœurante sur un véritable patchwork sonore, chaque titre ouvrant son propre univers. « Carnival song » a des airs de fête foraine dévastée et triste, « Hallucinations laisse entrevoir un folk médiéval et arabisant. Une influence orientale que l’on retrouve sur « I never asked to be your mountain » (chanson adressée à son tout jeune fils Jeff alors qu’il vient de se séparer de sa mère, un Jeff qu’il ne verra pratiquement jamais), et qui pourrait être décrite comme le « Kashmir » psychédélique … « Phanstasmagoria in two » porte bien son nom, il s’agit d’une véritable fantasmagorie sonore et vocale, et last but not least « Goodbye and Hello » le morceau, laisse entrevoir avec un lustre d’avance ce qu’aurait pu être du rock progressif intéressant …
Ce disque est le premier chef-d’œuvre de Tim Buckley, et pour moi son plus facile d’accès, celui qui ne s’éloigne pas trop des chemins connus, qui laisse à l’auditeur des repères. Les suivants jusqu’à sa mort en 1975 seront aussi beaux, mais plus hermétiques, Buckley créant un univers sonore très personnel …

Du même sur ce blog : 
Tim Buckley

AMON DÜÜL II - YETI (1970)


Pas abominable ...
C’est le genre de disques pour lequel le contexte est au moins aussi important que la musique. La toute fin des années 60 et le début des années 70 vont placer l’Allemagne au premier plan sur le planisphère du rock. L’engagement social et politique est au cœur de la musique d’Amon Düül II, dans une période charnière qui voit se radicaliser les propos. Barre (très à) gauche toute, sous l’influence du printemps 68 français mais aussi de celui de Prague, qui montre les premières fissures d’un socialisme est-européen. Avec également l’apparition idéalisée dans la pensée politique des prétendus modèles chinois ou yougoslaves. Si l’on ajoute la libéralisation (morale, sociale, …) colportée par les utopies hippies venues de Californie, il y a de quoi faire bouillir la marmite sous le crâne des jeunes allemands, toujours à la pointe de l’actualité musicale gràce aux soldats américains des troupes d’occupation …
Amon Düül est à la fin des années 60 un groupe, un collectif, une communauté (au choix) de hippies allemands, qui se scinde en deux entités (I et II), la première plus portée sur l’activisme politique, et la seconde sur la musique.
Hippy allemand : une expression qui fleure bon l’encens, le fromage de chèvre et les soirées macramé où l’on rêve d’Ardèche et de Larzac, sur fond de musique planante. Problème avec Amon Düül II : de musique planante il n’est ici pas question et ceux qui attendent une version teutonne des pénibles Yes et Genesis seront déçus.
Ce Cd est un putain de truc électrique qui ne ressemble à pas grand-chose de ce qui se faisait à l’époque. Seul un violon strident vient rappeler le Velvet Underground furieusement agressif, genre « Sister Ray ». Pour le reste, on pense quelquefois au King Crimson bruitiste de « Red », et bruitisme oblige, aux dérapages guitaristiques d’Hawkwind, Television ou Sonic Youth des débuts, tous postérieurs à ce disque.
Même trois longues impros (et pourtant cet exercice casse-gueule est souvent pénible) en fin de disque sont intéressantes. Comme le suggère la pochette, ce disque est mortel.

JULIAN COPE - PEGGY SUICIDE (1991)


D'inspiration divine ?
Julian Cope était dans les années 80 le leader des Teardrop Explodes, sympathique groupe de seconde division à peu près oublié aujourd’hui. La carrière de Cope est à l’image du personnage : instable et erratique. Grand amateur de drogues psychédéliques et de la musique qui va avec (il a écrit une encyclopédie considérée par les spécialistes comme définitive sur le krautrock, le rock planant allemand du début des 70’s), Julian Cope alterne en solo le bon et l’anecdotique.
Coup de bol, ce « Peggy Suicide » de 1991 est un de ses meilleurs. Cd copieux (76 minutes), il offre des paysages musicaux variés. De la balade de crooner introductive (« Pristeen »), aux rocks à guitares saturées (« Double Vegetation », « Hanging out … »), en passant par l’intégration de boucles électroniques (« East Easy Rider »), le funky (« Soldier Blue »), la pop (« Beautiful Love »), … le spectre sonore visité est large.
Le côté halluciné de Cope se retrouve dans le concept même du Cd. Il a vu en rêve la divinité Mother Earth (celle représentée sur la pochette) que pour d’obscures raisons il rebaptise « Peggy Suicide ». Du coup, Cope s’est senti concerné par de « grands » problèmes de société (le Sida, la couche d’ozone, le nucléaire, l’écologie, la guerre, …) lui inspirant les morceaux du Cd.
Si l’on laisse de côté l’aspect prêcheur sous acide, les réussites musicales sont nombreuses, hormis le dernier quart du Cd quelque peu confus et pénible avec quelques titres de remplissage.
« Peggy Suicide » est un disque essentiel dans la carrière de Julian Cope, et pour l’auditeur un de ses plus accessibles et réussis.


MAGMA - MEKANIK DESTRUKTIW KOMMANDOH (1973)


En fusion ...
Magma, c’est tout d’abord un concept, certes, mais organisé autour de Christian Vander. Fils (adoptif) du compositeur Maurice Vander et se sentant fils (spirituel) de Coltrane. A la mort de celui-ci, et après avoir recherché comme son idole le suicide dans la drogue, il aura un jour l’illumination, décidera de faire revivre sa musique dans un groupe qu’il va monter, Magma.
Groupe peu commun, emmené par un Vander leader et batteur, influencé par Elvin Jones, croisé grâce à son père dans le milieu familial. Mais Magma sera plus qu’un groupe, ce sera surtout une « expérience » au sens hendrixien du terme. Un espace sonore sans frontières ni limites, accueillant en son sein au gré de multiples changements de line-up, tout le gotha des musiciens de studio français des seventies. Une illumination supplémentaire fait créer à Vander une langue nouvelle, le kobaïen, qui sera partie intégrante de tous les titres.
Magma 1973
Avec de telles bases d’une originalité assez unique, Magma ne pouvait être qu’un groupe hors-norme, insaisissable et inclassable. Il fera vite le bonheur des fans de prog qui se l’accapareront, ce qui les changera de la bouillasse à laquelle ils sont habitués. Même si Magma n’a rien à voir avec l’école de Canterbury … Magma sera le premier (de toutes façons, il n’y en a pas eu tant que ça depuis) groupe français à jouir d’une (petite) notoriété internationale.
« Mekanik Destruktiw Kommandoh », (M.D.K. pour les amis et sur certaines pochettes de réédition Cd), est le troisième disque de Magma et souvent cité comme leur pièce maîtresse. S’éloignant des relents parfois jazz des deux premiers, Vander oriente sa musique vers quelque chose de martial, limite para-militaire (on pense quelquefois à l’idéologiquement douteux Carl Orff et son « Carmina Burana »), souvent implacable… Il suffit de lire le texte (« Terrien, race maudite … ») du livret, en accord sur la musique. Ce genre de textes et d’ambiances sont évidemment à prendre au second degré, mais quelques bas du front y verront l’apologie des totalitarismes … Magma restera éternellement par ici un groupe qu’il sera de bon ton d’ignorer ou de mépriser.
« MDK » est un Cd à écouter d’une traite, d’ailleurs la plupart des titres sont enchaînés, basés sur la répétition et l’évolution d’une phrase musicale (un peu comme Dylan dans sa B.O. de Pat Garrett & Billy the Kid), alternant passages apaisés avant des explosions soniques accompagnées de chœurs lancinants. Beaucoup de choses, d’ambiances, traversent ce disque. Certes assez hermétiques pour le commun des … Terriens, mais difficile de rester insensible à ce maelström de sons et mots inouïs. Toujours grandiose, mais évitant l’écueil du pompiérisme dans lequel les groupes prog (entre autres) se sont copieusement vautrés dans ces mid-seventies.
« MDK » met en scène ceux que beaucoup considèrent comme la formation « royale » de Magma, dictature démocratique de Vander, entouré par des gens comme Jannick Top, Klaus Blasquiz, Claude Olmos, sa femme Stella Vander, … 

SPIRITUALIZED - LAZER GUIDED MELODIES (1992)


Enter The Void
Au commencement étaient les Spacemen 3, avec ses deux têtes pensantes et chercheuses, Jason Pierce et Peter « Sonic Boom » Kember. Trop d’egos au mètre carré et split du groupe.
Jason Pierce monte son propre projet, Spiritualized, en fait les Spacemen 3 moins Kember. Autant dire qu’on navigue en terrain déjà connu. Les tempo ralentis, les guitares bourdonnantes qui tournent en boucle sur quelques notes, les mélodies languides, l’influence du Velvet, des Jesus & Mary Chain, du shoegazing, les échafaudages sonores à la Brian Wilson, les relents de gospel halluciné …
« Lazer guided melodies » est le premier disque de Spiritualized. Qui sonne comme s’il avait été enregistré d’une traite, alors qu’il résulte de pratiquement deux ans de séances en studio. Un disque bizarre, déroutant, limite dérangeant. Conçu comme un trip sous hallucinogènes, et quand on connaît les antécédents de Pierce et ses rapports avec toutes sortes de substances chimiques, on sent le vécu …
Un début fait de morceaux courts, faciles d’accès, quasiment très radiophoniques. La lentissime et sublime ballade d’ouverture, « You know it’s true », descent en droite ligne du troisième Velvet. « I want you » n’a rien à voir avec Dylan, mais beaucoup avec Jesus & Mary Chain et Primal Scream, à un moment, on jurerait que The Edge est venu faire une pige à la gratte, avant que le titre s’abîme dans un fracas funhousien. « If I were with her now » , malgré son côté chanson, joue avec nos nerfs, son mid-tempo avec un seul accord de guitare sursaturée lui confère une violence latente …

Au bout du troisième titre, les fêlures apparaissent, les psychotropes commencent à faire effet. « Run » est … je sais pas trop, un boogie techno peut-être, auquel viennent s’enchaîner une paire de titres irréels, cotonneux. Et puis, à partir de « Symphony space », c’est vraiment parti pour le trip mystique et halluciné. La durée des titres s’allonge sensiblement, les ambiances deviennent planantes, oniriques, et Jason Pierce se mue en un Jerry Garcia des nineties, pilotant son vaisseau vers quelque dark star que lui seul semble voir. Au fil des morceaux, le plus souvent enchaînés, les basses deviennent bourdon, les guitares moulinent métronomiquement le même accord qui devient mantra, la batterie n’est plus qu’une pulsation cardiaque, la voix quand elle est là, est toujours lointaine et brumeuse. Quelque mauvais karma fait parfois rugir les guitares (la fin de « Angel sigh ») avant qu’une sorte de gospel (une des marottes de Pierce) autiste, marque la fin du voyage (illumination, ou bien le dream est-il over ?). Retour sur Terre avec le final de « 200 Bars » qui renoue avec la pop entrevue au début du disque…
Il est certain que ce « Lazer … » , qu’on pourrait méchamment réduire à un disque de new age farineuse, a été conçu pour inciter au rêve, à la planerie, à la méditation. Il doit s’écouter d’une traite et pas en mode « lecture aléatoire », l’ordre des morceaux, leur enchaînement est primordial. Pendant que je l’écoutais, j’ai souvent pensé au film de Gaspar Noé, « Enter The Void », et à sa B.O. On retrouve dans le Cd de Spiritualized, cette langueur morbide, ces sons comme aquatiques, cette longue dérive de l’âme du trépassé Oscar au-dessus du Tokyo nocturne avant qu’elle se rematérialise … Et pourtant j’étais à jeun …
Quand même une réserve, et pas petite, la même d’ailleurs que pour le film de Noé. C’est extrêmement original, mais aussi hyper chiant. Spiritualized affinera son propos, toujours selon les mêmes ingrédients, avant de produire son chef-d’œuvre (« Ladies & Gentlemen, we are floating in space », … what else ?). Pour Noé, c’était déjà fait, ça s’appelait « Irréversible » …

Des mêmes sur ce blog :
Ladies And Gentlemen We Are Floating In Space


Brian ENO & David BYRNE - MY LIFE IN THE BUSH OF GHOSTS (1981)


Tête Parlante et Tête Pensante ...

David Byrne (Talking Heads) et Brian Eno (Roxy Music, lui-même, production de la trilogie berlinoise de Bowie) avaient déjà travaillé ensemble (Eno produisant « Fear of Music » et « Remain in Light » pour les Talking Heads).
Eno & Byrne : pensez s'ils ont pensé ...
Ils poussent plus loin leur collaboration en 1981 avec ce disque en duo qui explore des sons qui deviendront quelques années plus tard des genres musicaux à part entière comme l’ambient, la world-music, la techno … et des techniques comme le collage de boucles, le sampling …
De là à dire qu’ils ont tout inventé … Les rythmiques hypnotiques de Can, les instrumentaux « berlinois » de Bowie, le minimalisme de Suicide, les boucles de La Monte Young ou Kraftwerk, les mix « ethniques » de Brian Jones et des marocains de Joujouka ou ceux de George Harrison et Ravi Shankar, sans parler des structures rythmiques « africaines » chez Sly & the Family Stone, les Meters ou (forcément) Fela, tout cela existait déjà.
« My life in the bush of ghosts » est beaucoup plus un mixage de genres « avant-gardistes » qu’une réelle invention, même s’il se révèle souvent intéressant et relativement agréable à écouter.
A titre perso, je préfère quand même nettement les Cds de Talking Heads ou les albums solo de Eno de la fin des 70’s que cette rondelle tout de même très typée « musique intello ».

FAUST - FAUST IV (1973)


Krautrock

Ils devaient commencer à avoir les boules, les Faust, de voir qualifier leur musique de « krautrock » (« rock de Boches ») par la presse anglaise, grande colleuse d’étiquettes. Et surtout de l’opposition entre leur musique et les bouses sonores du prog anglais auquel on les comparait.

D’un côté, les pénibles british fans de classique, et leurs purges racontant des histoires d’elfes, de donjons et de dragons, en gros toutes ces billevesées et calembredaines inspirées par l’univers médiéval de Tolkien. Tandis que les Faust, dans leur communauté bavaroise, le soir à la veillée, ils se racontaient pas les histoires de Bilbo le Hobbit, ils discutaient avec les gars et les filles qui faisaient ou allaient faire partie des Brigades Rouges, Bande à Baader, Fraction Armée Rouge, qu’ils hébergeaient (ou planquaient, c’est selon).

Prêts à partir dans tous les sens : Faust 1973
Les Faust étaient dans leur tête des révolutionnaires, à des lieues de l’image d’Epinal du hippy allemand avachi, s’apprêtant à envahir le Larzac ou l’Ardèche. Niveau musical, ils venaient de l’avant-garde, Stockhausen est souvent cité, en compagnie des Stooges, du Velvet Underground, des Mothers de Zappa. Alors forcément ça part un peu dans tous les sens, et quelquefois droit dans le mur. Les Faust sont capables de crétineries sonores absolues, comme de fulgurances électriques inouïes.

Ce « Faust IV », c’est le disque de « Krautrock », le titre. Un déluge de guitares et de claviers, sept minutes de stridences, à faire passer le Velvet de « Sister Ray » pour la Bande à Basile. Et puis, comme si ça ne suffisait pas avec ce mur de larsens et de feedback, y’a le batteur qui arrive et commence à enclumer cinq minutes de plus. Le genre de titre qui laisse vidé, lessivé, essoré par tant de jusqu’auboutisme…

Alors le reste de la rondelle, à côté de cette orgie de sons bouillonnants, elle fait triste figure. D’autant plus que se glissent quelques bêtises comme « Läuft … », qui malgré son titre en teuton est chanté dans un français incompréhensible (y’a un Français dans Faust), et nous sert un folk acoustique et psychédélique interminable juste bon à ravir quelque malentendant fan de Devendra Banhart. Rayon atroce, une sorte de reggae mutant (« The sad skinhead »), à faire passer Jahnick Noah pour Burning Spear. L’enchaînement « Just a second …» donne l’impression que dans leurs antiques synthés ce sont les circuits imprimés qui ont pris le pouvoir, et ça me paraît totalement inaudible.

Le reste, faut voir, car les types de Faust prennent un malin plaisir à déconstruire, à brouiller les pistes. « Giggy smile » est un rock psychédélique qui part dans tous les sens genre Zappa, c’est à dire en perpétuel équilibre entre génie et fumisterie ; « It’s a bit of a pain » serait une ballade captivante si elle n’était pas perturbée par des couinements (y’a pas d’autre mot) synthétiques genre kazoo échantillonné.

On a l’impression que les Faust ont quelque peu saboté le boulot (mais avaient-ils vraiment envie de le réussir ?). Ce disque assez incohérent, suivant l’encore plus ardu « Faust tapes », va faire voir rouge (enfin, façon de parler) à Richard Branson qui vient de les signer sur Virgin. Groupe totalement ingérable et imprévisible, Faust va cesser d’émettre pendant plus de vingt ans avant un retour au milieu des années 90, qui aura beaucoup moins de retentissement que la période conclue par ce « Faust IV ».


YOUNG MARBLE GIANTS - COLOSSAL YOUTH (1980)


Minimalisme colossal

Mais que diable font-ils sur cette galère ?
« Colossal Youth » est un disque qui ne ressemble à rien (de connu) : rachitique, minimaliste, étriqué, épuré, simplifié à l’extrême.

25 morceaux en moins d’une heure, soit quasiment toute la carrière du groupe (le 33 T « Colossal  Youth », plus quelques singles) est contenue dans ce Cd.

Une basse, une guitare économe de ses notes, une voix féminine opaque et voilée (mais pas sur tous les morceaux, 1/3 du Cd est instrumental), de temps en temps un orgue et une boîte à rythmes squelettiques. Mais il exsude cet assemblage minimaliste de comptines quasi enfantines et de ballades fragiles une émotion et une pureté uniques.

Par comparaison, un groupe comme les Violent Femmes des débuts ressemble à un orchestre symphonique, c’est dire le degré d’épure atteint par les Young Marble Giants, et il existe peu de choses à ma connaissance ressemblant à ce Cd.

« Colossal Youth » est un disque unique, rare et précieux . Une expérience en soi.

Indispensable.


NINE INCH NAILS - PRETTY HATE MACHINE (1989)


 Sound Machine

Nine Inch Nails, c’est Trent Reznor. Point Barre. C’est d’ailleurs écrit dans le livret de « Pretty Hate Machine », premier disque paru à la toute fin des 80’s. Un disque qui ne sera pas un gros succès, sorti sur un label indépendant… il faut dire que la musique proposée et les thèmes abordés avaient de quoi faire fuir les directeurs artistiques des majors.
Nine Inch Nails au grand complet
Reznor n’est pas un joyeux (drogues et dépressions semblent être ses seuls amis durables), son univers musical non plus. Tout est fait pour choquer, agresser, dérouter. Le matériau de base, c’est une techno industrielle (beaucoup de choses ressemblent aux Belges radicaux de Front 242) lacérée de gros riffs de guitare. Assez proche également de ce que produisent les héroïnomanes déjantés de Ministry, le côté rock’n’roll circus en moins. Nine Inch Nails est beaucoup plus sombre, plus glauque, sans la moindre trace d’humour ou de second degré qui caractérisent le « groupe » de Jourgensen …
Mais Reznor est très fort en studio. Il va mettre en place un design sonore qui va durablement marquer la décennie des 90’s et faire la fortune de son plus célèbre « disciple » Marylin Manson, dont il produira les premiers disques avant une série de brouilles, embrouilles, carambouilles et réconciliations …
Dans « Pretty Hate Machine », de l’électricité sale gicle de partout, lézardée d’interférences électriques, de sons distordus et parasités. Une masse sonore inquiétante, brouillonne en apparence, déstabilisante … La voix de Reznor, toute en plaintes, gémissements et hurlements contribue également pour beaucoup à la noirceur des titres. En fait, ce qui est le plus gênant dans ce premier disque, et d’ailleurs comme dans la plupart de ceux qui suivront, c’est l’absence ou du moins la rareté de titres construits. De chansons pour dire les choses simplement. On suppose que c’est un parti pris volontaire car « Head like a hole » (de la mélodie, des machines, des guitares, que demande le peuple ?) ici, « Closer » ou « We’re in this together » plus tard, montrent que Reznor est capable d’écrire de grands morceaux de structure classique.
Il y a d’autres bonnes choses dans ce disque, « Something I can never have » avec son piano triste et sa touche lyrique, « Sin », débuté comme du Depeche Mode avant de s’abîmer dans du metal chauffé à blanc, le noir « Sanctified » avec son passage bien trouvé de chant grégorien … Il y aussi pas mal de titres qui marquent moins les esprits, englués dans des effets sonores quelque peu foire à la ferraille et bugs électriques divers … Ce disque doit cependant être considéré comme un tout, et plutôt qu’une succession de « chansons »,  comme une porte d’entrée intéressante mais pas exceptionnelle pour l’univers très particulier de Nine Inch Nails …

Des mêmes sur ce blog : 
The Fragile

SPANK ROCK - YoYoYoYoYo (2006)


 Innovant mais "difficile" ...

Spank Rock 2006
Alors que le rap a fêté ses trois décennies, cette musique née de l’urgence et dans l’urgence n’a finalement évolué que lentement.
Spank Rock (Fesser le Rock ? la bonne blague …), duo américain, fait clairement avancer et évoluer le rap. Des rythmiques ultra-saccadées, infra-basses en avant, des relents de trip-hop, des morceaux courts et sobres, des recherches mélodiques … Rarement autant d’innovations ont été présentes sur un même disque.
Le problème c’est que tout cela aboutit à des titres crispants, robotiques et d’un accès ardu. Pas le genre de truc qui va squatter la bande FM.
L’idée de départ est excellente (dépoussiérer un genre musical ronronnant) et se rapproche de ce que faisaient à la même époque les Liars avec le rock ou TV On The Radio avec la pop.
Spank Rock possèdait les atouts pour être the “next Big Thing”, ou au minimum le truc branché du moment. Resté silencieux pendant cinq ans, le duo semble condamné à la confidentialité …





Ping pong | Myspace Music Videos

TOM WAITS - BAD AS ME (2011)


Time Waits for no one ...

Et lui encore moins … Soixante ans et quelque au compteur, intronisé au Rock’n’roll Hall of Fame (le musée Grévin du binaire), et des disques qui depuis sa paire d’as du début des années 80 (« Swordfishtrombones » et « Rain dogs »), se perdaient régulièrement entre auto-parodies et expérimentations cacophoniques. Tom Waits faisait pour moi partie des affaires classées, rubrique des bons vieux souvenirs, le type dont on n’attend plus grand-chose, et encore moins un bon disque … Et pour tout dire, il valait mieux le voir ou le revoir dans des films de Jarmusch ou Altman qu’écouter ses dernières productions.

Et bien, ce « Bad as me », il est très bon. Presque avant même de l’écouter, quand on voit au générique des crédits le vieux pirate Keith R., les vieux potes Ribot et Taylor, le plus tout jeune Hidalgo de feu Los Lobos … pas exactement des perdreaux de l’année, mais ça rappelle plein de bons souvenirs de ses grands disques passés. Et « Chicago », très rock avec riffs de Richards et un sax qui déraille ouvre on ne peut mieux les hostilités. On sent que là ça ne récite pas de la formule, ça ne ronronne pas, les vieux croûtons envoient d’entrée la sauce.

Qu'est-ce que tu dis, Lester ? Que j'ai fait un bon disque ?
Alors on oublie la présence de Flea, certes grand bassiste, mais depuis combien de temps il a pas fait de bon disque avec ses RHCP ? On zappe aussi la présence de Madame Tom Waits, sa Yoko Ono à lui Kathleen Brennan, créditée de la co-écriture de tous les titres (on aimerait vraiment connaître son niveau d’implication, elle nous avait pas habitué à tant de bonnes choses, plutôt marâtre veillant jalousement sur son époux et ses intérêts que grande songwriter, mais bon, passons, …). On oublie deux-trois titres complaisants de remplissage (« Hell broke Luce » ou Waits semble s’intéresser à quelque chose qui ressemble à du doom metal, ce qui lui va aussi bien qu’un bon scénario à Danny Boon, « Kiss me », où le Tom nous refait le coup du pochetron déglinguo de piano-bar qui avait lancé sa carrière dans les années 70 et dont on se fout aujourd’hui).

Mais pour le reste, hats off … ça rocke, ça rolle, ça bluese, ça rythm’n’bluese, ça ballade triste, rien que du bon … Et puis, chose pas entendue depuis … oh, plus que çà, même, Tom Waits chante. Enfin, c’est pas encore Pavarotti, et c’est heureusement tant mieux, mais là, sur ce « Bad as me », il ne se contente pas de marmonner et de bredouiller dans sa barbichette de sa voix tout dans les graves devenue un gimmick, non, il suit la mélodie, fait des efforts pour détacher les syllabes, il chante, tout simplement, et il s’assume me semble t-il comme jamais dans cet exercice… Et du coup, tous ces rocks décharnés, toutes ces ballades concassées de fin de cuite prennent une autre dimension … Et autant qu’un classique sens de la concision retrouvé dans les compositions, cet accompagnement vocal rend ces titres encore plus intéressants.

Des exemples ? « Face the highway », énorme titre d’americana traînante qui à lui seul rend obsolète l’intégrale de Giant Sand, « Bad as me » le morceau-titre, rythm’n’blues baroque et habité qui évoque le grand cintré Screamin’ Jay Hawkins, le méchamment rock « Satisfied » (clin d’œil à un fameux titre cosigné par Keith Richards ?), « Last leaf », la meilleure ballade du disque, très dépouillée et feeling à la tonne, « New Year’s Eve », complainte de fin de réveillon triste …

C’est Noël juste un peu avant l’heure, Tom Waits is alive and well …

Du même sur ce blog :
Closing Time
Nighthawks At The Diner
Asylum Years

MIKE OLDFIELD - TUBULAR BELLS (1973)


Un génie, pas d'associé, et des cloches (tubulaires)

Les gens qui très jeunes (Oldfield n’a pas vingt ans quand paraît « Tubular Bells ») enregistrent seuls des disques sont peu nombreux, ceux dans le lot qui ont du succès (critique et commercial) se comptent sur les doigts d’une main (Stevie Wonder, McCartney, Prince, Todd Rundgren). Mais seul Oldfield a réussi le carton planétaire d’entrée.

Mike Oldfield : The Man Machine ?
Faire paraître un disque composé de deux longues suites instrumentales en 1973 pouvait sembler dans l’air (progressif) du temps. Mais que plus de trente cinq ans plus tard, ces deux titres soient encore écoutables avec plaisir montre la qualité de la chose. A des lieues des sottises progressives des Yes, Genesis, ELP et consorts, « Tubular Bells » avec ses climats changeants, tantôt apaisés et bucoliques puis violemment électriques et bruyants quelques mesures plus tard va engendrer toute une cohorte de suiveurs, plus souvent pour le pire (JM Jarre) que pour le meilleur.

Et pour que le conte de fées soit complet, c’est un copain d’Oldfield, qui va créer sa propre compagnie de disques pour distribuer une œuvre dont les autres labels ne voulaient pas. Les disques Virgin étaient nés et Richard Branson en route pour sa « carrière » de milliardaire hippy.

Oldfield, lui, ne se remettra jamais du succès de « Tubular Bells », dont un passage sera utilisé par Friedkin dans « L’Exorciste », et sa carrière déclinera entre tentatives de donner une suite du même niveau à son chef-d’œuvre, et tentations de hit-parades avec des morceaux pop quelquefois réussis, mais qui ne s’approcheront jamais de la beauté inégalée de « Tubular Bells ».