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THE SMITHS - THE SMITHS (1984)

 

So British ...

Ouais, parce que plus anglais tu peux pas … déjà le nom du groupe. Choisi parce que Smith est le nom de famille le plus répandu du bon côté de la Manche (si l’on cause musique) … Mais c’est pas le tout d’avoir un nom qui va causer à ses concitoyens… Les Smiths, le temps de leur courte existence (une poignée d’années) furent chaque fois désignés par les lecteurs de la presse musicale (anglaise, évidemment) comme le meilleur groupe de l’année, voire du siècle. Une popularité mesurée à l’aune des Beatles et des Jam avant eux, et d’Oasis la décennie suivante.


Hors de la perfide Albion, que dalle … à tel point que le fan-club français du groupe, pour que l’on parle des Smiths dans les mags musicaux hexagonaux, n’eurent que la possibilité de créer le leur, de magazine musical. Ils le baptisèrent les Inrockuptibles, et bon an mal an, le mag persista dans une ligne éditoriale branchée, s’éloignant autant que les contraintes économiques le permettent, du mainstream, quitte à s’extasier pour des tocards terminaux … mais ceci est une autre histoire …

Les Smiths, donc … une curieuse entité bicéphale. A Johnny Marr la partie musicale. Le type est guitariste, jeune, et capable de fulgurances mélodiques remarquables. Il est considéré par ses pairs comme le guitariste le plus talentueux des 80’s, alors qu’il n’a strictement rien d’un virtuose qui s’expose et ne fait pas rugir des empilements de Marshall. Ce serait plutôt un taiseux discret.

Morrissey & Marr

Le contraire du chanteur et auteur des textes, le dénommé Steven Patrick Morrissey, dont le nom de famille lui servira de nom de scène. Lui, il cherche depuis quelque temps (il a vingt-trois ans, quatre ans de plus que Marr au début des Smiths) son quart d’heure de gloire dans l’underground artistique et musical (il a été président du fan-club anglais des New York Dolls, a fondé celui des Cramps, et se fait publier dans la presse anglaise grâce à de multiples lettres qu’il envoie aux rubriques « Courrier des lecteurs »). Il écrit des textes plutôt sombres et tordus. C’est un ami des deux (Billy Duffy, guitariste des hardeux steppenwolfiens The Cult) qui fera se rencontrer Marr et Morrissey. Leur alliage sera celui du feu et de la glace, Morrissey l’extraverti et Marr l’introverti. L’un cherche l’ombre, l’autre fait un numéro assez étrange sur scène, chante et danse lascivement comme un pantin désarticulé. Signe décoratif notoire des premiers temps, Morrissey est grand consommateur de glaïeuls, glissés dans son dos dans la ceinture du pantalon. Les fleuristes de Manchester seront en rupture de stock les soirs de concert, les filles du public inondant la scène de glaïeuls… Morrissey apparaît comme un sex symbol … las, les groupies doivent déchanter, le chanteur revendique une activité sexuelle quasi nulle (il se prétend tour à tour vierge, homo, bi) et ses fréquentations amoureuses et ses goûts sexuels resteront mystérieux longtemps (il est très occasionnellement gay) malgré une nuée de paparazzi qui le traquent … Par contre, il gardera un sens de la communication exacerbé, parfois acéré et direct (intituler une chanson sur Thatcher « Margaret on the guillotine » est plutôt explicite), parfois beaucoup plus abscons (« Suffer little children », on en recausera plus bas de celle-là), voire navrant (de multiples prises de position certes alambiquées mais tellement souvent répétées qui ont montré dès la fin des 80’s une certaine affinité avec les théories du National Front anglais, copie conforme du parti de la Le Pen family)…

La préhistoire des Smiths, c’est le parcours classique dans le total anonymat, de multiples groupes avec de multiples comparses, avant que la bonne formule se mette en place, et que les Smiths viennent au monde. Détail géographique plus qu’important, les Smiths sont de la scène de Manchester et fortement influencés par les « stars » locales récentes (Buzzcocks, Joy Division, The Fall). Bien que d’emblée les Smiths aient un succès aussi conséquent qu’imprévisible, et ce dès leurs trois premiers singles, « Hand in glove », « This charming man » et « What difference does it make », qui se comporteront fort honorablement dans les charts nationaux.


Ces trois titres sont présents dans leur première rondelle dont au sujet de laquelle il est question ici, ce qui ne sera pas toujours le cas (comme au hasard les Beatles, nombreux seront les singles des Smiths qui ne figureront pas dans leurs albums).

« Hand in glove », un de leurs titres les plus évidents, aura une vie après les Smiths. Morrissey assiègera quasiment le staff de Sandie Shaw (une de ses idoles, chanteuse pieds nus des sixties, qui avait touché le firmament avec « Puppet on a string », scie gagnante de l’Eurovision en 1967, et tombée aux oubliettes depuis), la quadragénaire diva reprendra la chanson pour un numéro un anglais. « This charming man » sera un des classiques absolus des Smiths, typique du Smiths sounds, et introduit par un riff qui me semble repiqué sur celui de « Souvenirs, souvenirs » de feu le mari de Laeticia Boudou.  « What difference … » j’ai beaucoup de mal avec celle-là parce que Morrissey, encore à la recherche de son style vocal, passe la moitié du titre à se forcer à piailler dans les suraigus, et putain ça fait trop mal aux oreilles …

Mêmes tics vocaux, mêmes causes et mêmes effets pour « Miserable lie ». Tout ça pour dire que « The Smiths », s’il constituera pour certains une révélation et se vendra très très bien, n’est pas pour moi un indispensable, ni même pas un de ces début albums qui marquent leur époque. Les Smiths se cherchent encore et ne se trouvent pas toujours. Il se dégage de ce premier disque une certaine uniformité qui vire parfois à la monotonie. Marr ne se lâche pas encore aux compositions, et Morrissey cherche encore sa voix. Avant d’être totalement originaux par la suite, les Smiths piochent leurs musiques aux frontières du rock (« You’ve got everything now », « What difference … »), ou même du ska (« Pretty girls make graves »).


Mais surtout les Smiths sont à l’opposé de ce qui marche, qui se vent par camions. Inutile de chercher chez eux le gros son de batterie à la « Born in the USA », les démonstrations virtuoses d’un Prince, le racolage commercial d’une Madonna, … Les Smiths seront les rois de la mélodie mid-tempo (« Still ill »), de la ballade cabossée de crooner (« I don’t owe you anything »). Avec des paroles qui claquent et font réagir. Ici, la controverse viendra de « Suffer little children », qui fait allusion à des meurtres d’enfants par un serial killer dans la région de Manchester. Les faits sont récents, et les prénoms des victimes sont cités. Polémique (Victor), des familles seront offusquées, d’autres reconnaissantes, les textes de Morrissey, toujours impersonnels, laissent la porte ouverte à toutes les interprétations, et cette ambiguïté littéraire sera sa marque de fabrique.

Et les Smiths feront aussi causer avec leurs pochettes. Ils mettront souvent en photo des icônes masculines ou gay (voire les deux). Ici, c’est Joe d’Alessandro (photo extraite du film « Flesh » d’Andy Warhol), il y aura Jean Marais sur un single en 87, et Alain Delon sur leur chef-d’œuvre « The Queen is dead » en 86.

Les Smiths, vu leur succès, seront souvent cités comme références (enfin, Morrissey et Marr, tout le monde a oublié le nom de la section rythmique), leur style sera vite reconnaissable aux premières mesures, mais musicalement, peu se réclameront de leur influence. Ont-ils placé la barre trop haute, ou ne sont-ils que des étoiles filantes au cœur d’une décennie musicale souvent décriée ?

Vous avez deux heures pour répondre …


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HÜSKER DÜ - ZEN ARCADE (1984)

 

Te souviens-tu ...

Parce que Hüsker Dü ça veut à près dire ça dans une de ces langues nordiques (norvégien ?) avec plein de trémas et de o barrés … Hüsker Dü est un de ces groupes maudits, parce qu’à peu près oublié, par les livres d’Histoire. Pourtant il est reconnu que ses enfants musicaux (par les intéressés eux-mêmes) qui sont par ordre d’apparition les Pixies, Nirvana, et tous les suiveurs-successeurs de ces deux-là ce qui fait quand même pas mal de monde, doivent beaucoup à Hüsker Dü…

La « carrière » de Hüsker Dü est contenue dans les années 80 (discographiquement de 82 à 87, huit disques dont deux doubles en 6 ans, copieux …) et leurs contemporains, alors qu’ils commençaient à être connus, aimaient à les englober dans cette litanie de losers magnifiques de cette décade « maudite », comme au hasard, les Replacements. Avec lesquels ils partageaient une proximité géographique certaine (Saint Paul pour Hüsker Dü, Minneapolis pour les Replacements, les deux villes principales du Minnesota, de part et d’autre du Mississippi).

Norton, Hart & Mould : Hüsker Dü

Hüsker Dü, c’est un trio. Bob Mould, guitariste en apprentissage de calvitie et d’embonpoint (tiens, comme Black Francis des futurs Pixies), Greg Norton, bassiste taiseux dont le seul point notable est d’arborer une grotesque moustache très Second Empire, et Grant Hart, batteur chevelu et défoncé notoire. Mould et Hart se partagent à parts à peu près égales compositions et chant, et sur la fin de leur parcours, on verra leurs différences (Mould plutôt rentre-dedans, Hart beaucoup plus mélodique). Sur ce « Zen Arcade », ils ont écrit chacun à peu près un tiers des titres et cosigné les autres.

A ses débuts, le groupe est influencé par la scène punk hardcore locale, et par les « célébrités » nationales du genre comme Black Flag et les Dead Kennedys. C’est d’ailleurs sur SST le label formé par Greg Ginn guitariste de Black Flag, que paraîtront quelques-uns de leurs disques, dont ce « Zen Arcade ». Pour situer leur « gloire » et les moyens qui vont avec, les 23 titres de ce double vinyle seront enregistrés en quelques dizaines d’heures de studio pour un budget de quelques centaines de dollars. Tout est capté live en studio, auto-produit, autant dire qu’on est pas dans la fioriture sonore. L’objectif optimiste du groupe était d’en presser (et d’en vendre) entre trois et cinq mille copies. En vinyle évidemment, d’où un découpage sonore rattaché aux quatre faces. Les deux premières plutôt (très) rêches, la troisième plus mélodique, et la quatrième disons, … expérimentale. Parenthèse : plutôt qu’au niveau dynamique et qualité sonore, c’est avec ce genre de disques que le Cd montre ses limites par rapport au vinyle, ici tout s’enchaîne sans pause physique ou temporelle (plus besoin de se lever pour changer le disque ou le retourner) … Autant dire que pour s’enquiller les soixante-dix minutes de « Zen Arcade », faut laisser de côté tout ce qui a trait à la hi-fi de luxe. « Zen Arcade » est un disque qui se mérite … et se subit. Des lustres plus tard, des revues ayant pignon international sur rue en feront un des disques majeurs de la décennie, Rolling Stone (il me semble) le citant même comme un des cent disques les plus essentiels du rock … Mouais …

Pour les puristes (intégristes ?) « Zen Arcade » est la quintessence, la substantifique moelle de Hüsker Dü. Perso, je préfère ceux qui suivent, avec mention particulière pour leur dernier (un autre double vinyle « Warehouse : Songs ans Stories ») que les fan(atique)s du groupe détestent (paru sur une major, commercial, Mould et Hart se parlent quasiment plus, …).

Parce « Zen Arcade » est d’une sauvagerie austère (l’enregistrement en direct guitare-basse-batterie sans overdubs). Beaucoup de titres arrivent juste à deux minutes, et sont généralement des brûlots de punk hardcore (un tempo frénétique, une guitare tronçonneuse, et des vocaux glapis dont s’inspirera très fortement Black Francis aux débuts des Pixies). Dans cette rubrique on remarquera particulièrement « What’s going on » (rien à voir avec Marvin Gaye), « Beyond the treshold », « Indecision time » (à faire passer le Nirvana de « In Utero » pour du Pink Floyd), ou la doublette introductive « Something I Learned today » / « Broken home, broken heart », le dragster sonore « Masochism world » ... On trouve aussi l’ébauche des fameux quiet-loud qui feront la fortune (et la malheur) de Kurt Cobain, même si chez Hüsker Dü on serait plutôt dans le loud-encore plus loud. Témoins « The biggest lie » ou l’instrumental « Dreams reocurring ». Tous ces titres concentrés sur ce qui était le premier vinyle.


Sur la seconde partie de « Zen Arcade », on voit émerger (bien planquées cependant sous la gangue bruitiste) les mélodies et les chansons. Et à ce titre « Somewhere » ou « Pink turn to blue » pourraient être qualifiés de titres radiophoniques (le tempo se ralentit, on distingue nettement couplets et refrains, y’a même des harmonies vocales). Et puis, y’a même le batteur qui a trouvé quelque part un vieux piano pas très bien accordé et qui nous joue à un doigt une paire de courts instrumentaux, qui on s’en doute, ne vont pas attirer les connaisseurs de Chopin. On peut aussi rattacher à cette partie l’avant-dernier titre, le punk mélodique de « Turn on the news » dont Offspring (pour ne citer que les plus connus des copieurs) fera son fonds de carrière en le dupliquant à l’infini.

Deux titres sont plutôt à part. « The tooth fairy and the princess » est une sorte de déclamation sur fonds de trafics sonores à la « Revolution n°9 » de Lennon. Heureusement, il dure moins longtemps. On peut pas en dire de « Reoccuring dreams » qui clôture le disque pendant quatorze minutes. Basé sur une relecture instrumentale du précédent « Dreams reocurring », il en recycle la structure rythmique pendant que Mould se livre à un concerto de feedback. On touche là quasi au supplice chinois sonore …

Ah, et j’ai oublié, « Zen Arcade » est censé être un concept album narrant les pérégrinations d’un quidam dans ce monde qu’il ne comprend pas et qui n’est pas fait pour lui. Comme les paroles des morceaux sont plutôt de l’école Ramones (cinquante mots maxi), c’est moins plombant au niveau littéraire que d’autres pensums du même genre (de « Tommy » aux funestes rondelles prog …).

Je ne préconise pas une écoute quotidienne de « Zen Arcade », mais le disque méritait vraiment de sortir de l’obscurité pour laquelle il semblait être destiné …


R.E.M. - MURMUR (1983)

 

Kudzu songs ...

Le kudzu (ou kuzu) est une plante vivace et invasive d’origine asiatique, qui s’est répandue dans d’autres continents, et notamment la partie orientale tempérée des Etats-Unis. Aujourd’hui, quelques bobos végans trouvent intéressant, voire intelligent ou carrément nourrissant d’en bouffer les tiges ou les graines …

Et non, je n’ai pas passé le second (ou le deuxième, allez savoir, on nous cache tout on nous dit rien) confinement à prendre des cours du soir de botanique. Si je cause du kudzu, c’est parce qu’il recouvre tout sur la photo de la pochette de « Murmur ». Il y en a partout dans les environs d’Athens, Géorgie. Et les R.E.M. viennent justement d’Athens. Ville universitaire qui en ce début des années 80, venait de livrer au monde les exubérants B-52’s.


R.E.M. ça veut dire « rapid eye movement », une des phases du sommeil paradoxal. Arrivés à ce stade, les fans de Status Quo ont déjà abandonné la lecture. Ça tombe bien, R.E.M. c’est pas pour eux … D’ailleurs, a priori, R.E.M. c’était pas destiné à grand-monde. Quatre types qui jouent de la musique dans leur garage en espérant au mieux, si tout s’emmanche bien, donner un concert d’une demi-heure lors d’une soirée étudiante. A l’origine du groupe, le classique magasin de disques. Peter Buck (pas vraiment filiforme, plutôt trapu et une coupe de cheveux à la Roger McGuinn ou Beatles 65) y travaille comme vendeur et passe ses journées et ses nuits (sa vie entière, en fait, et il continuera, ce type a une des cultures musicales les plus phénoménales du monde du rock) à écouter les disques en rayon. Il repère un type qui n’achète que des disques qu’il a trouvés excellents. Ce type, c’est Michael Stipe (silhouette frêle et souffreteuse, des binocles et le cheveu long qui a déjà tendance à se dégarnir), un type dont le seul plaisir en dehors de la musique est de traîner et de méditer dans la campagne, de se mettre en symbiose avec la nature, ne rechignant pas à bouffer quelques poignées de terre pour être plus près de la Mère nourricière (c’est ce qu’il avouait timidement lors de ses premières interviews). Entre ces deux bizarros, une amitié musicale naît, et comme Buck gratouille un peu et que Stipe chante (ou murmure, on y reviendra) à peu près juste, pourquoi pas monter un petit groupe … Une section rythmique qui joue depuis quelque temps ensemble au gré d’éphémères formations de collège est repérée, et c’est parti. Le bassiste, c’est Mike Mills, tronche de musaraigne comme un brouillon du Bellamy de Mumuse, et son pote batteur aux sourcils gigantesques qui répond au commun patronyme de Bill Berry.


Au départ donc quatre boys next door plutôt pas mignons, dont on ne peut être sûr que d’une chose, c’est qu’ils vont pas rendre trop de gamines hystériques. D’autant plus que leurs points communs musicaux sont pas vraiment dans l’air de ce début des 80’s : ils révèrent le Velvet Underground (groupe culte, c’est-à-dire inconnu du consommateur lambda de musique), les premiers disques des Byrds (passés de mode depuis belle lurette), ou les Modern Lovers (et leur folk-rock en totale roue libre, la référence en matière de je m’enfoutisme musical). Le son originel de R.E.M. repose sur une rythmique mouvante, souple, élastique. Parce qu’après, ça se complique. Peter Buck est le Buster Keaton de la guitare, le second faisait des films hilarants sans jamais sourire, le premier est un guitar hero qui ne fait jamais de solos et déteste tous les effets de manche et les gros riffs faciles, se contentant le plus souvent de suites d’arpèges. Quant à Stipe, qui écrit les textes, il s’évertue à les marmonner (parce qu’il en a honte, parce qu’ils n’ont aucun sens, parce qu’il a pas du tout l’âme d’un frontman) les yeux fermés loin des poursuites des projecteurs.

Moins de dix ans après leur formation, R.E.M. sera la plus grosse machine d’indie rock (le terme a été inventé pour eux) de la planète, vendant des disques par millions, classant des singles en haut des charts d’une façon métronomique. Et tout cela sans cours de chant ou de guitare, sans chirurgie esthétique, sans tenues fluo ni plumes d’oiseaux des îles dans le cul … Le disque qui va les assoir sur le toit du monde pop-rock (« Out of time » en 1991), il est pas foncièrement différent de leur premier, ce « Murmur » dont il serait quand même temps de causer un peu …

R.E.M. et « Murmur », ça tient quand même de l’accident industriel. Leur premier single (autoproduit), avec « Radio free Europe » en face A et une reprise en direct live dans le studio de « There she goes again » du Velvet en face B est tiré à cent exemplaires. Pendant qu’un contrat est signé avec I.R.S. (label indépendant où l’on trouve à la tête le frangin de Stewart Copeland, le batteur de Police), voilà-t-il pas que des journaux sérieux, pas forcément très rock’n’roll, mais d’audience parfois nationale font de « Radio free Europe » qui son single de la semaine, du mois, voire de l’année (quand il sera publié, « Murmur » récoltera les mêmes louanges).

Une version réenregistrée de « Radio … » ouvre « Murmur » (et « There she goes again » figure dans les bonus de la réédition Cd de 93), et force est de reconnaître qu’on n’a pas souvent entendu quelque chose d’aussi original et d’aussi évident bien souvent. Tout ce que développera et affinera R.E.M. pendant des années est dans « Radio free Europe ». Une base de country rock sautillante, une atmosphère brumeuse et cotonneuse (forcément cotonneuse, on est en Géorgie), cette voix qui tient plus du murmure que du chant, ces arpèges de guitare, ces chœurs le plus souvent à contre-temps. On retrouve à des degrés divers ces éléments dans tous les titres du disque. Mais attention si on parle bien d’uniformité, on ne parle de répétition. Parce que ce qui distinguera R.E.M. de tous ses semblables et bientôt suiveurs, c’est la capacité à écrire des chansons, ce truc léger et en même temps rigoureux avec une mélodie, des couplets, un refrain, le tout en trois-quatre minutes chrono. La concision sera aussi un des signes distinctifs de R.E.M.

Une fois la recette établie, les variations interviennent sur le tempo (il faudra attendre l’arrivée du producteur Scott Litt et la signature sur la major Warner à la fin des eighties pour que morceaux s’enjolivent et deviennent beaucoup plus radio-compatibles, sans que jamais on ne puisse accuser lors de leur première décennie d’activité les Athéniens de virer commercial). Qu’il s’accélère, et on se retrouve face à de petites bombinettes pop-rock (« Pilgrimage », « Moral kiosk », « 9.9 », l’extraordinaire « Catapult »). Qu’il se ralentisse, et on se retrouve face à de superbes ballades country-rock (« Laughing », « Perfect circle », cette dernière comme en apesanteur).


Quelquefois, ces infimes variations peuvent déboucher sur des titres moins réussis (le superflu « West of the fields », les plus quelconques « Sitting still » ou « Talk about the passion »). Et pour finir quelques ponts jetés vers l’avenir telle « Shaking through » qui préfigure le disque suivant et selon moi encore meilleur (« Reckoning »), la chanson triste et entraînante à la fois comme une projection de tous les « Losing my religion » futurs (« We walk », encore « Laughing »).

On ne peut cependant pas citer R.E.M. comme la réponse américaine à la cold wave britannique (Cure et ses disciples). Il y a chez les Américains une chaleur, une positivité et une légèreté qui ne sont pas de mise chez tous les British vêtus de noir. R.E.M. est définitivement un groupe de rock (cf. les trois titres live en bonus joués en surtempo, et tant pis pour les pains où l’approximation, on est beaucoup dans le festif et pas dans la rumination mélancolique).

« Murmur » est un des meilleurs premiers albums jamais publiés et inaugure le début d’une décennie cohérente pour le groupe qui tracera patiemment, disque après disque, améliorant sans jamais renier sa formule initiale, une route qui le mènera sur le toit du monde …



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FAT WHITE FAMILY - SERFS UP (2019)

Lendemain de cuite ...

La Grosse Famille Blanche, ils font tout pour être le groupe clivant (faut faire parler le plus possible de soi, s’efforcer d’être un maximum reconnu, et si possible sans que les gens écoutent les disques, ça viendra forcément plus tard, quand tu seras un incontournable des discussions …). Toutes leurs déclarations, les rumeurs, ragots et potins ça me passe par-dessus la tête, moi j’écoute d’abord les skeuds…
Comme je suis un connard consciencieux, j’ai réécouté celui d’avant (« Songs for our mothers ») et ce que j’en avais écrit… je persiste et signe. Sauf que depuis pas mal d’alcool a coulé dans les gosiers. Les types sont partis dans tous les sens (enfin les deux plus notables, Lias Saoudi et Saul Adamczewski), sans forcément se perdre (Moonlandigz et Insecure Men ça tenait la route et si vous voulez mon avis, mieux que « Songs … »). Et alors que ceux qui n’ont rien de mieux à foutre ergotaient sur une improbable reformation de la Famille, celle-ci revient.

Même si c’est pas vraiment exactement le même line-up que sur « Songs … », on s’en fout un peu, Saoudi et Adamchose sont là, ils ont amené dans leurs bagages Romans-Hopcraft (des Insecure Men) et Alex White, multi-instrumentiste repéré dans Electric Soft Parade. Et à eux quatre, ils ont fait l’essentiel de ce « Serfs Up » (une allusion au trois millième degré à un excellent disque triste des Beach Boys, à cause de la quasi-homonymie et d’une pochette dans des teintes sombres à peu près identiques ?) ;
Et « Serfs Up », vous savez quoi, il laisse à mon sens loin derrière son prédécesseur. Et surtout parce qu’au lieu de la jouer déglingo attitude, il met surtout l’accent sur ce qu’on demande d’abord à un disque : la musique. Et dans un genre cohérent, pas un vague collage genre patchwork de ce qui passe par la tête des gars de retour de leurs péripéties extra Fat White Family. « Serfs Up » est homogène, axé uniquement sur des tempos lents. Comme quand on se réveille le matin avec un mal de tronche carabiné parce que l’on a trop forcé la nuit sur les liqueurs d’homme et écouté de la musique à 130 (bpm, dB, km/h, … ce que vous voulez). « Serf Up » n’est pas un disque gai, faut pas déconner non plus, il est plutôt d’une beauté vénéneuse, bien écrit, et n’hésitant pas à recourir à de réussis arrangements de cordes.
Et pourtant, « Serfs Up » commence crispant avec « Feet ». Une intro lugubre genre BO de giallo, une rythmique martiale, une ambiance gothique à la Joy Division avec son mid tempo lancinant. Un des titres les plus faibles, avec ce « Vagina dentata » ( ? ) et son solo de sax jazzy placé en troisième position. Comme quoi les FWF ont pas dû écouter le chef de produit de leur maison de disques (Domino, très gros indé) qui leur a dit que sur un disque, il faut mettre du lourd d’entrée et les morceaux anecdotiques ou foireux vers la fin … Quoique le dernier titre « Bobby’s boyfriend » avec son refrain borderline (« Bobby’s boyfriend is a prostitute ») pourrait susciter quelques grincements de dents de la communauté arc-en-ciel, si le décorum bruitiste et expérimental, manière d’être sûr d’achever dans le mur, n’avait pas suffi à être énervant …

Mais malgré un début pas terrible et une fin qui vaut guère mieux, le cœur de « Serfs Up » est d’un (très) bon niveau. Et sans que ça sonne comme des plagiats éhontés, plein de bons trucs reviennent en mémoire. Le Depeche Mode qui faisait de la musique pour les masses avec « I believe in something better » (parallèle troublant avec la voix vocoderisée, la rythmique électronique, la mélodie triste et désenchantée). Spiritualized pointe son museau le temps d’un « Tastes good with the money », avec son intro genre gospel pour désaxés, ses mantras opiacés et ses gazouillis de guitare au final. « Kim’s sunset » me semble devoir pas mal à Bowie (ses disques des années 90, et un gimmick en intro qui évoque furieusement celui de « Under pressure »). Les ballades vénéneuses sont aussi de sortie, la fabuleuse « Oh Sebastian » qui semble issue du même moule que « The struggle of Ana » des Moonlandigz, et la très 60’s « Rock fishes ». Ils s’essayent même (avec succès) à un hommage aux BO de western, Morricone et Calexico, ça s’appelle « When I Leave », c’est sympa bien qu’anecdotique. Preuve qu’ils ont pas l’esprit très mercantile, les singles ou les vidéos concernent les morceaux généralement insignifiants … Rock’n’roll suicide, quoi …
Au final, ce « Serfs Up » est une bonne surprise (les groupes de toxicos se bonifient rarement, voir le cas d’école Guns N’Roses), même s’il apparaît évident que Fat White Family n’est pas vraiment un groupe, mais plutôt la réunion ponctuelle et à géométrie variable de quelques talents de l’Angleterre désabusée de May – Johnson. Les FWF sont des prolos un peu bourrins et fiers de l’être. Du temps de Thatcher, il sortait des groupes de rock militants de partout. A part la Family et quelques gueulards genre Slaves ou Idles, combien sont-ils aujourd’hui ? S’il faut compter sur Saoudi, Adamczewski et consorts pour porter la flamme du rock, gaffe, ces cons seraient capables de la vendre pour acheter du crack …
En attendant, ils confirment le buzz un peu surévalué qui les poursuivait … ou les précédait …

Des mêmes sur ce blog :

TOY - HAPPY IN THE HOLLOW (2019)

My Bloody Toy ?

Eux, là, Toy, ils ont trouvé le nom qui tue … Tapez juste Toy sur un moteur de recherche, et vous risquez pas de tomber sur eux. Et puis si par hasard vous atterrissez sur leur page Wikipedia (uniquement en anglais et pas bien fournie, maintenant traduite en français depuis la sortie de ce skeud), le lien qui renvoie à leur site vous donne une erreur 404 (page introuvable). Là, ils sont fidèles au titre de leur rondelle, ils sont pas heureux dans le creux, mais semblent ravis d’être au fond du trou de l’anonymat… Et je parle même pas du packaging de leur galette, un digipack spartiate avec rien d’écrit sur la tranche (vachement facile à retrouver au milieu de la pile) et pas grand-chose ailleurs, juste le titre des morceaux dans une police minuscropique, et pour seule littérature : « Recorded and mixed by TOY, engineered by James Hoare (James Qui ??), special thanks to Takatsuna Mukai and Dan Carey ». Voilà voilà … Avec ça, démerde toi.
Toy, un jouet extraordinaire ?
Finalement, le mieux à faire, c’est de l’écouter le disque de Toy. Et ma foi, force est de constater qu’on en a entendu de pires, y compris chez des prétendus cadors du wokanwol. Bon, inutile aussi de piquer le sac à une mémé qui sort de la Poste pour aller l’acheter. « Happy in the hollow » s’adresse à un public de connaisseurs selon la formule à relents élitistes consacrée. Pour une fois, on vise pas les collectionneurs de raretés garage sixties. Les Toy, en matière de revival (parce qu’ils ne sont pas exactement des défricheurs d’espaces sonores inconnus), font faire au schmilblick un bond de deux décennies et demi. On passe de 1966 à 1990 avec eux. Vous situez les machins de 90 ? Non, eh bien dans mon infinie mansuétude, je vous offre un tour dans la machine à remonter le temps. Voyage sponsorisé par Toy.
Les Toy étant anglais, ce sont les groupes anglais qui te sautent d’abord à la figure. My Bloody Valentine et Spiritualized, on les trouve à peu près partout. Dans les ambiances éthérées, cotonneuses, brumeuses, liquides, tant au niveau de la musique que de la voix (le leader et guitariste Tom Dougall). Un genre musical risqué (parce que si tu es juste moyen, tu es aussi chiant qu’une pluie bretonne) qui ne s’accorde qu’avec l’excellence. Et les Toy le sont parfois excellents (« Sequence One », « The Willo », « Mechanism » sont des titres aux qualités évidentes).
S’accrocher à un son, le photocopier, tout le monde ne fait quasiment plus que ça. Pour se démarquer du troupeau, faut de temps en temps avoir une idée, trouver un gimmick, innover … les Toy en sont capables, s’en allant parfois vagabonder vers des rythmiques krautrock (le frénétique dans le contexte « Energy » qui rappelle les Thee Oh Sees), et n’hésitant pas à se démarquer des fameuses ( ? ) guitares « liquides » à la My Bloody Valentine pour en glisser des acoustiques (« Mistake a stranger »), voire gentiment surf à la Hank Marvin (des Shadows, me souffle mon arrière-grand-père) sur « Last warmth of the day » ou « Jolt awake ».

« Happy in the hollow » est construit d’une façon évolutive (ou alors le hasard fait bien les choses). On démarre très MBV pour finir à la Jesus & Mary Chain (ou 3ème Velvet, ce qui revient à peu près au même) sur le final (« Move through the dark »). En passant par des claviers élaborés à la Stranglers (« The Willo ») à ceux joués à un doigt très Orchestral Manœuvres (« Mechanism »), et en s’arrêtant faire un petit coucou au Floyd d’après Barrett et d’avant la face cachée de la Lune (« Charlie’s House », seul écart au son 90’s prédominant). Manière d’enfoncer le clou lysergique, deux titres sont quasi instrumentaux (« Jolt awake » et « Charlie’s House »).
Bon, c’est pas avec ce genre de bousin que les Toy vont remplir les arenas. Ils ont débuté en faisant la première partie des horribles Horrors, c’est dire s’ils reviennent du diable vauvert, comme le disait Leon Zitrone quand il commentait le tiercé dans la télé 4/3 en noir et blanc il y a cinquante ans. Et … je m’arrête là, avoir réussi à caser le nom de Zitrone dans un post sur un disque de rock suffit à mon bonheur …
Mais sans déc., il est vraiment pas mal ce « Happy in the hollow » …



PARQUET COURTS - WIDE AWAAAAAKE! (2018)

Mea culpa ?

Bon, j’ai relu ce que j’avais écrit d’eux à propos de leur « Sunbathing animal » il y a quatre ans. Je l’ai même réécouté (en travers). Bof, toujours bof … Entre temps, j’ai bien aimé la rondelle solo quasi confidentielle de Adrian Savage, auteur et chanteur principal des Parquet Courts. Bon disque, en démarquage total de ce qui l’avait rendu almost famous.
« Wide Awaaaaake ! » dernière livraison en date Des Parquet Machins, avec sa pochette BD ligne claire pour école primaire, ça m’inspirait pas du tout a priori. Tel l’opportuniste de Dutronc, et avant de retourner mon futal, je retourne ma veste. « Wide Awaaaaake ! » est un excellent disque… pour les temps qui courent, des temps en perpétuelle recherche d’un avant qui était forcément mieux. En gros, « Wide … », il s’adresse aussi aux vieux … enfin, surtout aux vieux, j’ai l’impression.
In bed with Parquet Courts ...
« Wide Awaaaaake ! », c’est rien de moins que le « London Calling » des Parquet Courts, un « London Calling » des lendemains qui déchantent, un « London Calling » d’une époque broyée par le nombrilisme et les héros de pacotille, un « London Calling » désespéré où on s’énerve pour la forme, parce que ça servira plus à rien, que les cyniques et les hipsters ont gagné, mais que ça fait du bien de gueuler sans espoir que notre pauvre monde est pourri par ceux qui le/nous gouvernent … Parquet Courts ne sont pas les premiers depuis que le simili facho à perruque orange déblatère tel le cuistre qu’il est, a toujours été et sera toujours. Les Parquet Courts sont en colère, se fendent de quelques titres politico-écolos à messages forts. Même si ça sert à rien, ça fait du bien, et ces gars me semblent loin  d’une « opposition » de circonstance, ils ont la rage et le font savoir.
« Wide Awaaaaake ! » aurait pu être signé d’un Offspring (ou des Black Lips, je suis pas sectaire) pour une génération en quête de combat(s) à mener. Manière de prendre un peu de monnaie et de se casser vers d’autres destinations. Je sais pas pourquoi, je trouve ces types plus crédibles (moralement) et moins chiants (musicalement) que tous ces anciens combattants des bonnes causes  (Beyoncé, Springsteen, Jackson Browne & Kanye West même combat ? et pas ou plus vraiment rock). En gros les Parquet Courts me paraissent éviter le piège de la BernieBonvoisination qui était passé de « Antisocial » au fan-club de Bayrou.
Ah ouais, quand même ... c'est pas gagné niveau look ...
Tout ceci en essayant de raison garder. Non, bien sûr, « Wide … » n’arrive pas à la cheville de « London Calling ». Au mieux, il est au niveau de « Combat rock ». Et je parle même pas du look de Adrian Savage, avec ses binocles Sécu de premier de la classe. Même si je sais, Buddy Holly et Elvis Costello. Mais là, à l’ère des végan et des séances de sophrologie pour cadres sup surmenés (oh, les pauvres trésors, ils voudraient avoir leurs dix mille euros par mois et vingt heures de libres par jour, parce que la pression des rendez-vous importants dans les restaus chicos, ça use son homme, c’est infernal cette vie … ouais, tu préférerais être migrant, mon garçon ?), les Parquet Courts affichent un non look total, tellement que si ça marche pas leur truc, ils pourront aller bosser chez Ikea ou dans une compagnie d’assurance.
Comme quoi, même avec une tronche de carême, tu peux réussir dans la musique aujourd’hui. Et ça m’emmerderait pas que la roue de la fortune s’arrête sur les Parquet Courts plutôt que sur quelques autres qui en font pourtant des caisses pour se faire remarquer (Arcade Bidule, Muse, quelqu’un ?). Parce qu’ils viennent de sortir un disque qu’on pourra même réécouter dans six mois ou trois ans. On les a annoncés punk, ils font du punk. L’opportuniste ( ? ) « Total football » ouvre la galette et n’a que peu à voir avec les milliardaires capricieux et égotiques qui ont couru derrière le ballon dans le riant pays de Vlad le Poutine. Ça pourrait passer pour un bon titre d’Oasis (des vrais fans de foot pour le coup) lorsque leur affaire fraternelle commençait à sentir le sapin et le réchauffé (circa « Be here now »). « Almost had … / In and out … » commence par un carnage très 77 spirit avant de virer colossale power pop, et rien que pour ça on regrette pas d’avoir lâché quelques euros Macron pour cette rondelle. « Normalisation », slogan braillé punk-rap offre un raccourci et une passerelle entre RATM et PIL, sans les rodomontades de pacotille des premiers et le côté muezzin sous LSD de Rotten.

Mais ce pourquoi ce « Wide Awaaaaake ! » est intéressant, c’est pour toutes ces embardées hors des sentiers que le groupe battait jusqu’à présent. Et ceci sans faire dans l’inaudible arty et le conceptuel lourdingue. On voit (enfin moi) ressurgir l’ombre des vieux rebelles hardcore Bad Brains sur le ska-rap de « Violence », ce qui me donne l’occasion de souligner ce son de basse moelleux et prenant qui est l’élément sonore majeur de ce disque. On parle de ska, et le reggae (écolo) n’est pas très loin avec « Before the water », et le dub pointe le bout de son tarin (toujours cette basse caoutchouteuse) avec le morceau titre. Les Parquet Courts s’en tiennent prudemment à ces trois titres d’obédience jamaïcaine, évitant de tomber dans le cliché d’Epinal du blanc opportuniste qui donne dans la musique à dreadlocks …
Ils sont aussi capables de verser dans la ballade dévastée et déglinguée (« Mardi Gras Beads ») comme ça ils surprendront personne si le prochain coup ils se prennent pour Keith Richards et nous sortent un truc à la « Exile on Main Street ». Tant qu’on parle vieux pots et vieilles peaux, les Parquet Courts ont aussi écouté l’axe Who-Kinks-Jam (« Extinction »). Ils jettent de fausses pistes, « Freebird 2 » n’est pas un hommage à Lynyrd Skynyrd et au southern rock, ça ressemble plutôt à un gospel païen. Ces blancs-becs nous sortent même (auraient-ils vraiment du, c’est pas le meilleur morceau de la rondelle) une samba-funk ( ? ) qui évoque à la fois Chic et Stevie Wonder, sans toutefois le génie des uns ou de l’autre. Ça s’appelle « NYC Observation » et on peut la zapper …
Les Parquet Bidule, même si Andrew Savage en est la figure proéminente, sont deux à composer, comme dans tout grand groupe pop qui se respecte (les Beatles, XTC, Sheila & Ringo). Peut-être qu’un jour on dissèquera les chansons de l’un ou l’autre (l’autre étant Austin Brown), mais pour le moment, ça leur permet d’ouvrir agréablement leur spectre sonore, évitant la redite monolithique. Et comme ils ont capables de vocaliser tous les quatre, ils peuvent même ressembler aux Beach Boys tristes et mélancoliques de la fin des 60’s (« Death Will Bring Change »). Autrement dit, y’a de la mélodie et pas que du boucan, comme en atteste le dernier titre (« Tenderness ») qui bien qu’un peu foutraque et alambiqué, renvoie aux meilleures vignettes de Madness (et non, je parle pas des ska festifs et crétins à la « One step beyond », mais plutôt de « My girl » ou « Our house »).
Rien dans « Wide Awaaaaake ! » ne me semble en mesure de devenir le tube de l’été. Tant mieux. Faudra le prendre pour ce qu’il est, une  superbe collection de chansons, et non pas un engin assemblé derrière un arbre mignon qui cache la misère de la forêt.
Question con : et si les Parquet Courts devenaient le groupe majeur des années à venir ? Elles seraient peut-être moins chiantes que les années Radiohead …

Des mêmes sur ce blog :



RICHARD HAWLEY - STANDING AT THE SKY'S EDGE (2012)

Qu'a fait Hawley ?

Ben ouais, quoi … quand on  a réussi à se faire un (petit) nom dans le music business, qu’on a son (petit) public, quand son patronyme est immédiatement assimilé à une forme d’expression musicale, faut pas chercher à comprendre, faut passer sa vie à refaire le même disque sous peine de retomber dans l’anonymat.
Mais voilà, Richard Hawley n’est pas – au hasard – Chris Isaak. Il aurait pu être ad vitam aeternam un crooner anglais triste, torchant des rondelles dont chacune serait la photocopie de la précédente ou de la suivante, avec comme seul point de différenciation un état de grâce dans la composition qu’on atteint parfois. Ses états de grâce à Hawley s’appelaient « Cole’s corner » qui lui valut le Mercury Prize (sorte de prix Goncourt british du rock-pop-machin) et « Truelove’s gutter » sur lequel sa recette patiemment mise en place touchait au sublime.
En train de raconter une histoire un peu Hawley Hawley ?
« Truelove’s gutter » est le disque précédant ce « Standing … ». Et Hawley qui ne doit être ni sourd ni con a dû se dire qu’il avait placé la barre tellement haut qu’il serait vain de vouloir la dépasser. Et des évènements extérieurs lui ont collé une sorte de rage, contenue, mais la rage quand même. Selon lui, ces idées noires lui seraient venues de la mort d’un ami proche et de l’exercice du pouvoir calamiteux (what else ?) des conservateurs revenus aux affaires en Angleterre. Parce que Hawley est Anglais, peut-être pas autant musicalement que Ray Davies, mais Anglais quand même, est originaire de Sheffield, vieux bastion industriel du Labour Party, à l’activité saccagée par les années Thatcher …
Hawley s’est aussi souvenu qu’il avait été guitariste en tournée et parfois en studio du Pulp de Jarvis Cocker et que ce dernier venait de le rappeler quelques mois plus tôt pour remonter une énième mouture de son groupe. Parce que Hawley, c’est un de ces guitar heroes anglais, reconnus par leur pairs (comme tous ces Chris Spedding, Albert Lee, Richard Thompson, Bert Jansch, liste infinie) mais condamnés à passer leur vie dans l’obscurité qu’ont posé sur leurs successeurs la Sainte Trinité des 60’s des Beck, Clapton et Page. Et Hawley oubliant sa trademark et sa petite notoriété publique, a fait un disque de guitariste. Pas même besoin d’écouter la rondelle, suffit de voir l’intérieur du (maigre) livret rempli de gros plans sur des détails de guitares qu’on suppose prestigieuses et vintage …
La plupart des habitués de la maison Hawley furent déçus par ce « Standing … » de rupture. Ils ont dû l’écouter en travers, cette rondelle. Qui si effectivement n’a que peu à voir avec les précédentes, vaut plus que largement le coup d’oreille. D’abord parce que Hawley n’est pas un guitariste brise burnes reléguant les autres musicos au fond du mix pour placer plein centre de la stéréo un solo que l’on imagine toutes grimaces en avant de douze mille milliards de notes à la seconde. Non, Hawley mixe sa guitare à un volume tout à fait déraisonnable tout le temps, et ne se hasarde que très rarement à des solos égomaniaques (les deux sur le premier titre « She brings the sunlight » étant l’exception qui confirme la règle), qui de toute façon misent tout sur le rendu sonore plutôt que sur l’agilité des doigts le long du manche. En gros, si vous aimez le Neil Young énervé et grand-père du grunge de la fin des 80’s, ce disque est pour vous. Dans un registre de chansons tout à fait différent de celles du canadien …
Je vous avais dit qu'il était guitariste ?
Le domaine de prédilection de Hawley, c’est la ballade down ou mid tempo. Dont il s’éloigne parfois pour faire des machins beaucoup plus rentre dedans. Ainsi « Down in the woods » dont le riff rappelle le « 1969 » des Stooges (pas besoin d’en dire davantage, le seul nom des Stooges vaut plus que de longs discours). Ou « Leave your body behind you », qui avec son gros riff qui dépote et sa voix aérienne ramène au shoegazing (Angleterre, quelques mois vers la fin du XXème siècle, avec My Bloody Valentine et Ride en tête de gondole, mais que sont ces gens devenus ?). On pense aussi de loin aux Jesus & Mary Chain pour ces mélodies pur sucre noyées sous des guitares toutes en reverb, feedback et larsens …
Ce qui nous amène à parler du chanteur Richard Hawley. On sent qu’il chante parce qu’il en faut bien un qui s’y colle et comme c’est son disque, c’est tombé sur lui. Faut être clair, dans le genre ballade triste, il se situe à des années lumière de l’expressivité d’un Roy Orbison, si vous voyez ce que je veux dire … Et quand les titres s’emballent, Hawley n’a pas le coffre pour accompagner la musique. C’est le seul gros reproche qu’on peut faire à cette rondelle, avec la faiblesse relative par rapport au reste du morceau « The wood collier’s grave ».  Parce que il y a dans « Standing … » de la matière. Hawley compose bien, évite le monolithisme donnant parfois dans l’ambiance floydienne (le crescendo de « Don’t stare at the sun » même si son jeu de guitare n’a rien à voir avec celui de Gilmour), l’alternance du quiet / loud sur le même tempo (la somptueuse ballade terminale « Before »), la prière incantatoire rageuse du titre d’ouverture (« She brings the sunlight »), quelques intros (longues et très travaillées chez Hawley) qui évoquent les ambiances sombres des Doors …
Tout à fait « logiquement », malgré de louables efforts de sa nouvelle maison de disques (Parlophone) qui a sorti quatre titres en singles, « Standing … » a été une gamelle commerciale …
Normal par les temps qui courent. C’est un bon disque …


Du même sur ce blog :





KING TUFF - THE OTHER (2018)

Le King est mort, etc ...

Bien que celui dont il s’agit ici, le dénommé King Tuff, doit un peu s’en foutre d’un quelconque royaume … Il se contente, le sieur Kyle Thomas de son vrai nom, d’être guitariste plus ou moins attitré des Muggers, un des backing bands de la « superstar » Ty Segall et donc évidemment pote avec cette nébuleuse de types de la scène garage de San Francisco. Le King Tuff donnant l’impression d’être un gars assez instable et bizarre. 
Décontracté au milieu du mur de Marshalls, le King ...
Suffit de le voir poser sur sa pochette en chapeau pointu turlututu. Paraît qu’il est fan du mage sataniste Aleister Crowley (comme Jimmy Page  … ou l’Ozzy Osbourne). Paraît aussi que sous ses airs frappadingues de roi de pacotille c’est plutôt un dépressif. Tout ça nous amène à ce « The Other », aux textes pas forcément très joyeux et remplis à la gueule pour ce que j’en ai compris de références ésotériques plus ou moins fumeuses.

Ça aurait pu donner une galette genre Cure – Joy Division au rabais, le truc à écouter quand après avoir raté ta vie, tu te prépares à rater ton suicide. Ben non, pas du tout. On est très loin de la cold wave et d’une black celebration. La musique du Roi Tuff est apaisée, plutôt enjouée, voire carrément funky. Ses potes sont venus lui filer un coup de main (Ty Segall à la batterie sur la plupart des titres, quand c’est pas lui c’est Charles Moothart, Mikal Cronin fait une apparition au saxo, et Kevin Morby fait les chœurs sur un titre, on reste dans la famille). King Tuff s’occupe de tout le reste, il a écrit, enregistré at home, produit, chante et joue de tout un tas d’instruments. Dont les maintenant incontournables synthés 80’s, dont il ne garde heureusement que le côté sonore vintage, préférant en napper ses titres plutôt que d’en tirer des mélodies putassières jouées à un doigt. En résumé, le type a plutôt bon goût.
Et il écrit même des trucs qui, s’ils ne risquent pas de faire de l’ombre à Kanye West et Justin Timberlake en haut des charts se laissent écouter, et certains plutôt deux fois qu’une. A commencer par le morceau-titre qui ouvre les hostilités par des bruits de clochettes, auxquels se greffent des nappes de synthés et une mélodie évidente, le tout donnant l’illusion parfaite de la ballade 60’s toute en émotion et feeling. Le genre de titre dont pourraient tomber amoureux les fans de Nick Drake, s’il en reste encore et qu’il leur vienne à l’idée d’écouter cette galette. Ce « The Other » surclasse pour moi tout le reste du disque… sans que toutefois le reste démérite. On pourra néanmoins zapper sans trop de regrets « Infinite smile », le genre de titre un peu foutraque comme le scientologue Beck doit en écrire dix par jour et foutre à la poubelle ensuite. Le single choisi, censé booster la notoriété du machin, c’est « Psycho star » qui à mon avis est plutôt quelconque, passons ….
Au milieu d'un cadre très aristocratique ...
Mais il serait quand même dommage de passer à côté du somptueux « Birds of paradise » (rien à voir avec les terrifiants Mahavishnu Machin), grande chanson pop citant je crois bien des bribes du « Pastime paradise » de Stevie Wonder. Et tant qu’on est parler de l’aveugle dreadlocké de la fin des 70’s, il y a parfois tout du long de ce « The Other » de ces intonations funky jazzeuses dont était friand le Wonder. J’ai même cru déceler (ou sont-ce mes nouvelles enceintes qui sont pas encore rodées) sur les couplets de « Circuits in the sand » des bribes mélodiques très « I will survive ». Rayon bonne pioche, on peut prendre « Raindrop blue » classic rock d’americana qui ne dépaysera pas les aficionados de la sainte trinité centriste Springsteen-Seger-Petty. Et alors que la planète semblait avoir oublié le Knopfler du temps de Dire Straits, l’intro de « Ultraviolet » (rien à voir avec l’égérie de Warhol ou le morceau de U2) fera ressortir des étagères « Money for nothing » pour constater que la gratte du Tuff sonne comme celle du Marko K… Précisons que tout ceci tient plus du subliminal que de la citation scolaire ou de la copie éhontée.
King Tuff est un guitariste. Le moins qu’on puisse dire, c’est qu’il la joue pas vraiment guitar hero, et perso ça me gêne pas. Il s’appuie volontiers sur ses vieux claviers et ça donne une patine très rétro chic à son disque, sans que ça tourne non plus à la citation énamourée de la syntaxe musicale 60’s – 70’s. Il y a chez lui une sorte de classicisme, une envie de faire un disque « à l’ancienne ». Et comme une évidence, « The Other » se termine avec « No man’s land » par une ballade-berceuse (genre « Goodnight ladies » de Lou Reed) qui va crescendo en s’appuyant sur des nappes de synthé comme on en a entendu des milliers …
De la belle ouvrage, plutôt bien faite, quelques excellents titres, rien de révolutionnaire, donc le King peut garder sa couronne …



SONNY SMITH - ROD FOR YOUR LOVE (2018)

L'homéopathie Smith ...

Ne surtout pas se fier à la pochette. On dirait l’affreux Michael Youn en train de se la péter dans une décapotable vintage ricaine. Ben non, ce type est une de ces légendes underground (entendez par là qu’à part sa famille et quelques spécialistes du rock indé de la Côte Ouest des USA, personne en a jamais entendu causer) dont les faits d’armes sont habituellement commentés par ses maigres cohortes de fans.
Sonny Smith & Dan Auerbach
La plupart du temps, il sévit en groupe, sous le nom de Sonny & The Sunsets (et cette fois-ci, c’est bien avec ses Sunsets qui l’accompagnent sur scène qu’il a enregistré, mais comme les paroles sont très personnelles, « Rod for your love » paraît sous son seul nom). Son plus haut fait d’armes à ce jour est d’avoir fait le pari (stupide ?) de sortir cent (oui, vous avez bien lu) 45T sous autant de pseudos différents et avec des comparses plus ou moins nouveaux à chaque fois. Sinon, il est paraît-il pote avec Ty Segall et John Dwyer, et rien que pour ça, il a toute ma sympathie, Smith.
Pour ce « Rod for your love », il s’est acoquiné avec Dan Auerbach le chanteur guitariste des Black Keys, et s’en est allé enregistrer dans le studio de ce dernier, à Nashville (le disque sort d’ailleurs sur le label d’Auerbach, Easy Eye Sound). Vu la tournure de plus en plus mainstream qu’a pris la carrière des Black Keys, il aurait été présomptueux d’attendre un décape-oreilles radical de l’Auerbach.
On est fixé dès l’intro du premier titre « Pictures of you » qui a comme un petit air de celle de « Mr Tambourine Man » par les Byrds. Ce qui en soi est plutôt pas mal. La mélodie est superbe, le chant de crooner désabusé du Smith soutenu par des chœurs féminins discrets et des arrangements millimétrés, tout concourt à faire de cette mise en bouche une réussite. Bon, des types capables d’un morceau génial entouré de machins soporifiques, c’est pas ça qui manque.
Et bien, avec Sonny Smith, on a pas le temps de piquer un somme. D’abord parce que le disque dure pas trois plombes (dix titres en 31 minutes), et ensuite parce que le niveau d’excellence se maintient d’un bout à l’autre. Assez surprenant, parce que le Smith n’est pas un joyeux de nature, plutôt un dépressif qui fait des efforts pour avoir juste l’air triste. Après écoute de cette rondelle, il y a un nom qui clignote chez moi, celui d’Elvis. Non, pas l’amateur de sandwiches au beurre de cacahuètes, mais le teigneux binoclard Costello. Et plus précisément le Costello de « Imperial bedroom » (1982), quand l’autre Elvis s’était mis en tête de sortir au milieu de sa logorrhée vinylique, un disque de chansons comme on n’en avait pas entendu depuis … Lee Hazlewood ? … Burt Bacharach ?
Sonny Smith
« Rod for your love » est un disque de sunshine pop triste, inspiré par les grandes chansons des années soixante, avec le son des années quatre vingt. Vous situez ? Non ? Tant pis pour vous … Que le grand cric me croque si certaines mélodies n’ont pas comme un air de déjà entendu (attention, on ne parle pas copie ou plagiat, mais réminiscences). Si l’intro de « Burnin’ up » n’évoque pas celle de « Stand by me » ; si les paroles du ska ralenti  « Live, love and be free » (sublime meilleure chanson du disque, adressée à son fils) ne rappellent pas les Specials (« A message to you my son » vs « A message to you Rudy ») … Et tiens, ces Specials là étaient produits par … Elvis Costello, je vois que vous suivez. Le Joe Jackson de la grande époque (celle de ses débuts) pointe son museau (les lignes de basse de « Lost »), le Ray Davies qui torchait plus souvent qu’à son tour des titres géniaux planqués sous des mélodies désuètes est aussi de la revue (« More bad times »). Sinon, on pense à la power pop du Dwight Twilley Band, à l’americana mainstream de Petty (« Refugees », un titre pareil ne peut pas être une coïncidence).
Pour faire simple, on dira que sur dix morceaux, ils y en a neuf de magnifiques. Le dixième (« Bores me to tears »), placé à la fin du disque est le plus ambitieux, comme si Sonny Smith voulait donner sa version de « Good vibrations ». Faut quelquefois savoir raison garder, le résultat est plutôt médiocre, n’est pas Brian Wilson qui veut …
Disque totalement improbable et pourtant réussite majeure… quand je vous disais qu’il a toute ma sympathie, Smith …