Kudzu songs ...
Le kudzu (ou kuzu) est une plante vivace et invasive
d’origine asiatique, qui s’est répandue dans d’autres continents, et notamment
la partie orientale tempérée des Etats-Unis. Aujourd’hui, quelques bobos végans
trouvent intéressant, voire intelligent ou carrément nourrissant d’en bouffer
les tiges ou les graines …
Et non, je n’ai pas passé le second (ou le deuxième, allez savoir, on nous cache tout on nous dit rien) confinement à prendre des cours du soir de botanique. Si je cause du kudzu, c’est parce qu’il recouvre tout sur la photo de la pochette de « Murmur ». Il y en a partout dans les environs d’Athens, Géorgie. Et les R.E.M. viennent justement d’Athens. Ville universitaire qui en ce début des années 80, venait de livrer au monde les exubérants B-52’s.
R.E.M. ça veut dire « rapid eye movement », une des phases du sommeil paradoxal. Arrivés à ce stade, les fans de Status Quo ont déjà abandonné la lecture. Ça tombe bien, R.E.M. c’est pas pour eux … D’ailleurs, a priori, R.E.M. c’était pas destiné à grand-monde. Quatre types qui jouent de la musique dans leur garage en espérant au mieux, si tout s’emmanche bien, donner un concert d’une demi-heure lors d’une soirée étudiante. A l’origine du groupe, le classique magasin de disques. Peter Buck (pas vraiment filiforme, plutôt trapu et une coupe de cheveux à la Roger McGuinn ou Beatles 65) y travaille comme vendeur et passe ses journées et ses nuits (sa vie entière, en fait, et il continuera, ce type a une des cultures musicales les plus phénoménales du monde du rock) à écouter les disques en rayon. Il repère un type qui n’achète que des disques qu’il a trouvés excellents. Ce type, c’est Michael Stipe (silhouette frêle et souffreteuse, des binocles et le cheveu long qui a déjà tendance à se dégarnir), un type dont le seul plaisir en dehors de la musique est de traîner et de méditer dans la campagne, de se mettre en symbiose avec la nature, ne rechignant pas à bouffer quelques poignées de terre pour être plus près de la Mère nourricière (c’est ce qu’il avouait timidement lors de ses premières interviews). Entre ces deux bizarros, une amitié musicale naît, et comme Buck gratouille un peu et que Stipe chante (ou murmure, on y reviendra) à peu près juste, pourquoi pas monter un petit groupe … Une section rythmique qui joue depuis quelque temps ensemble au gré d’éphémères formations de collège est repérée, et c’est parti. Le bassiste, c’est Mike Mills, tronche de musaraigne comme un brouillon du Bellamy de Mumuse, et son pote batteur aux sourcils gigantesques qui répond au commun patronyme de Bill Berry.
Au départ donc quatre boys next door plutôt pas mignons,
dont on ne peut être sûr que d’une chose, c’est qu’ils vont pas rendre trop de
gamines hystériques. D’autant plus que leurs points communs musicaux sont pas
vraiment dans l’air de ce début des 80’s : ils révèrent le Velvet
Underground (groupe culte, c’est-à-dire inconnu du consommateur lambda de
musique), les premiers disques des Byrds (passés de mode depuis belle lurette),
ou les Modern Lovers (et leur folk-rock en totale roue libre, la référence en
matière de je m’enfoutisme musical). Le son originel de R.E.M. repose sur une
rythmique mouvante, souple, élastique. Parce qu’après, ça se complique. Peter
Buck est le Buster Keaton de la guitare, le second faisait des films hilarants
sans jamais sourire, le premier est un guitar hero qui ne fait jamais de solos
et déteste tous les effets de manche et les gros riffs faciles, se contentant
le plus souvent de suites d’arpèges. Quant à Stipe, qui écrit les textes, il s’évertue
à les marmonner (parce qu’il en a honte, parce qu’ils n’ont aucun sens, parce
qu’il a pas du tout l’âme d’un frontman) les yeux fermés loin des poursuites
des projecteurs.
Moins de dix ans après leur formation, R.E.M. sera la
plus grosse machine d’indie rock (le terme a été inventé pour eux) de la
planète, vendant des disques par millions, classant des singles en haut des
charts d’une façon métronomique. Et tout cela sans cours de chant ou de
guitare, sans chirurgie esthétique, sans tenues fluo ni plumes d’oiseaux des
îles dans le cul … Le disque qui va les assoir sur le toit du monde pop-rock
(« Out of time » en 1991), il est pas foncièrement différent de leur
premier, ce « Murmur » dont il serait quand même temps de causer un
peu …
R.E.M. et « Murmur », ça tient quand même de
l’accident industriel. Leur premier single (autoproduit), avec « Radio
free Europe » en face A et une reprise en direct live dans le studio de
« There she goes again » du Velvet en face B est tiré à cent
exemplaires. Pendant qu’un contrat est signé avec I.R.S. (label indépendant où
l’on trouve à la tête le frangin de Stewart Copeland, le batteur de Police), voilà-t-il
pas que des journaux sérieux, pas forcément très rock’n’roll, mais d’audience
parfois nationale font de « Radio free Europe » qui son single de la
semaine, du mois, voire de l’année (quand il sera publié, « Murmur »
récoltera les mêmes louanges).
Une version réenregistrée de « Radio … » ouvre
« Murmur » (et « There she goes again » figure dans les
bonus de la réédition Cd de 93), et force est de reconnaître qu’on n’a pas
souvent entendu quelque chose d’aussi original et d’aussi évident bien souvent.
Tout ce que développera et affinera R.E.M. pendant des années est dans
« Radio free Europe ». Une base de country rock sautillante, une
atmosphère brumeuse et cotonneuse (forcément cotonneuse, on est en Géorgie),
cette voix qui tient plus du murmure que du chant, ces arpèges de guitare, ces
chœurs le plus souvent à contre-temps. On retrouve à des degrés divers ces
éléments dans tous les titres du disque. Mais attention si on parle bien
d’uniformité, on ne parle de répétition. Parce que ce qui distinguera R.E.M. de
tous ses semblables et bientôt suiveurs, c’est la capacité à écrire des
chansons, ce truc léger et en même temps rigoureux avec une mélodie, des couplets,
un refrain, le tout en trois-quatre minutes chrono. La concision sera aussi un
des signes distinctifs de R.E.M.
Une fois la recette établie, les variations interviennent sur le tempo (il faudra attendre l’arrivée du producteur Scott Litt et la signature sur la major Warner à la fin des eighties pour que morceaux s’enjolivent et deviennent beaucoup plus radio-compatibles, sans que jamais on ne puisse accuser lors de leur première décennie d’activité les Athéniens de virer commercial). Qu’il s’accélère, et on se retrouve face à de petites bombinettes pop-rock (« Pilgrimage », « Moral kiosk », « 9.9 », l’extraordinaire « Catapult »). Qu’il se ralentisse, et on se retrouve face à de superbes ballades country-rock (« Laughing », « Perfect circle », cette dernière comme en apesanteur).
Quelquefois, ces infimes variations peuvent déboucher sur
des titres moins réussis (le superflu « West of the fields », les
plus quelconques « Sitting still » ou « Talk about the
passion »). Et pour finir quelques ponts jetés vers l’avenir telle
« Shaking through » qui préfigure le disque suivant et selon moi
encore meilleur (« Reckoning »), la chanson triste et entraînante à
la fois comme une projection de tous les « Losing my religion »
futurs (« We walk », encore « Laughing »).
On ne peut cependant pas citer R.E.M. comme la réponse
américaine à la cold wave britannique (Cure et ses disciples). Il y a chez les
Américains une chaleur, une positivité et une légèreté qui ne sont pas de mise
chez tous les British vêtus de noir. R.E.M. est définitivement un groupe de
rock (cf. les trois titres live en bonus joués en surtempo, et tant pis pour
les pains où l’approximation, on est beaucoup dans le festif et pas dans la
rumination mélancolique).
« Murmur » est un des meilleurs premiers albums
jamais publiés et inaugure le début d’une décennie cohérente pour le groupe qui
tracera patiemment, disque après disque, améliorant sans jamais renier sa
formule initiale, une route qui le mènera sur le toit du monde …
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