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DARREN ARONOFSKY - THE FOUNTAIN (2006)

 

The tree of life ?

« The tree of life », chacun le sait (?), est le premier film à peu près totalement foiré de Terrence Malick, quand il s’est mis à tourner à un rythme pour lui effréné, et qu’il a voulu barbouiller son pensum d’un mysticisme et d’un ésotérisme de pacotille.

Weisz & Aronofsky

Du mysticisme et de l’ésotérisme à deux balles, y’en a aussi dans le troisième film d’Aronofsky. Et aussi un arbre de vie. « The fountain » est plutôt déroutant d’entrée, et le devient de plus en plus. D’abord, il commence par une incrustation à l’écran d’une citation de la Genèse, qui peut laisser augurer du pire à tout infidèle qui se respecte. Ensuite, on voit un conquistador et une paire de ses soldats qui ont trouvé ce qu’ils cherchaient : un temple maya à la silhouette menaçante gardé par une forêt de crânes empalés sur des piques … comme dans n’importe quel Indiana Jones. Et comme t’as déjà vu les Indiana Jones, tu te dis, putain n’y allez pas, c’est plein de pièges … Et dans « The fountain » comme chez Spielberg, y’a évidemment des pièges et des sauvages plus que menaçants. Les deux fantassins font pas long feu, le héros (ou le type supposé tel) affronte bravement la meute, se fait mettre à terre, et là, les Mayas le portent pas vraiment en triomphe, mais ça y ressemble, au pied des marches du temple, qu’ils l’obligent à gravir. Sauf qu’en haut, y’a une sorte de chef emplumé avec une épée enflammée qui l’attend, qui lui enfonce un poignard dans le bide pendant leur baston et s’apprête à l’achever … Fin de la première séquence …

Deuxième séquence : dans une bulle transparente qui semble dériver au fin fond des galaxies, une sorte de moine bouddhiste est en lévitation à côté d’un arbre vénérable et gigantesque, mais pas très en forme, il semble sec, qui remplit quasiment toute la sphère. Le type arrête sa lévitation, va près de l’arbre (on voit qu’il est vivant, l’arbre, il a les poils qui se dressent, non, je déconne pas …) et bouffe un morceau d’écorce …

Conquistador Jackman

Troisième séquence. Dans un laboratoire, un groupe de chercheurs fait des expériences sur des chimpanzés atteints de tumeurs au cerveau. Un nouveau protocole est tenté, on va rajouter aux substances chimiques habituelles un extrait d’écorce d’un arbre provenant des forêts du Guatemala …

Soit trois séquences qui se déroulent à cinq siècles d’écart (le conquistador en 1500, le chercheur en 2000 et le bonze dans l’espace en 2500). Point commun, les trois sont joués par le même acteur, Hugh Jackman. Dont on a dit beaucoup de mal parce qu’il avait fait fortune dans les films Marvel. Ouais, d’accord, mais qui à part Daniel Day-Lewis et quelques rares autres n’est pas allé cachetonner chez Marvel ? Vous voulez la liste, de tous ceux affublés de fringues ridicules près du corps qui se sont agités devant des écrans verts ?

De toutes façons, on s’en fout de Jackman (même s’il est très correct dans « The fountain »), on n’a bientôt plus d’yeux que pour l’actrice principale, Rachel Weisz (à l’époque compagne d’Aronofsky), tellement belle que même un macho comme James Bond en tomberait vraiment amoureux (ceux qui n’ont pas compris gagnent un abonnement à Gala). Et comme Jackman, Weisz intervient dans les trois époques. Elle est la Reine d’Espagne qui veut sortir son pays du joug des inquisiteurs et envoie le brave conquistador à la recherche de l’Arbre de Vie, et s’il le trouve, elle lui donnera son amour, ils auront la vie éternelle, et libèreront leur pays. Elle est la femme du chercheur, et elle souffre d’une tumeur au cerveau comme le premier chimpanzé de laboratoire venu, et elle est soit Reine d’Espagne soit femme de chercheur sous forme d’apparitions dans la bulle dans l’espace). D’ailleurs c’est pas une bulle, c’est un vaisseau spatial, finit-on par apprendre, en route vers une planète en train de s’éteindre et qui serait la matrice de la vie dans l’Univers, selon une légende maya, retranscrite par la femme du chercheur dans un bouquin qu’elle est en train d’écrire, et qui s’appelle « The fountain ». Comme quoi tout est dans tout, et inversement … vous suivez ?

Weisz et Jackman , années 2000

Et comme les trois histoires se chevauchent à l’écran, et qu’à l’intérieur de ces trois époques la chronologie n’est pas respectée, tu finis par te sentir gagné par un tenace mal de crâne. « The fountain », c’est un peu un brouillon des films à Nolan, la première fois tu regardes les images, les fois suivantes, t’essaye de comprendre quelque chose …

Pour moi, après deux premiers films peu conventionnels mais très réussis (« p » et « Requiem for a dream »), « The fountain » est le premier (et pas le dernier, voir « The wrestler » et surtout « Noé ») faux pas d’Aronofsky.

Alors on peut lui trouver des excuses, voire des circonstances atténuantes. « The fountain » devait être un film à gros budget. Aronofsky, avant même que les acteurs soient recrutés, avait fait construire des décors gigantesques en Australie et des scènes devaient être tournées un peu partout dans le monde. Coup de ciseau de la major qui in fine lui retire le budget, décors en Australie bradés à qui en voulait, et une petite coproduction americano-canadienne low cost pour finir.

Les mêmes dans le futur ...

Le film  a été entièrement tourné à Montréal, et Aronofsky, qui est quand même un mec doué qui sait s’entourer, a fait un film qui en fout plein les yeux (surtout dans sa partie futuriste). Alors je sais pas quel était son projet de départ, mais là, en une heure et demie générique compris, tout est fini. Même si une heure supplémentaire n’aurait pas été forcément nécessaire (on finit par saisir tous les tenants et aboutissants, toute la symbolique lourdingue du truc sur la vie qui renaît de la mort, la chimère de l’immortalité, et autres balivernes mystiques …).

« The fountain » est à mon sens sauvé du naufrage par de belles prestations de Jackman et Weisz qui portent le film sur leurs épaules. A cause de son budget riquiqui, peu de personnage secondaires (tout juste quelques répliques d’Ellen Burstyn), le pognon étant englouti par le cachet des deux vedettes, quelques raccourcis et twists narratifs assez saugrenus, et une myriade d’effets spéciaux plutôt psychédéliques mais assez réussis.

Prévoir tout de même une boîte de dolipranes pour le premier visionnage …


Du même sur ce blog :

Mother! 



LUCHINO VISCONTI - LE GUEPARD (1963)

 

Pour qui sonne le glas ? ...

… Pour quelque miséreux, à qui le prêtre et un petit sacristain viennent d’apporter l’extrême onction. Le Prince Salina s’agenouille, se signe, et reprend son chemin vers son château, après une nuit passée dans une fastueuse réception … Et ce glas, c’est pas seulement pour un péquenot du village qu’il sonne, il annonce aussi la fin d’un certain monde, celui de Salina …

Cardinale, Visconti & Delon

« Le Guépard », c’est la masterpiece de Visconti, et le Luchino, c’est peut-être bien le meilleur cinéaste italien (désolé Fellini, Antonioni, De Sica, et il reste encore du boulot à Sorrentino s’il veut lui piquer la place) et « Le Guépard », c’est sa superproduction et par bien des points son film autobiographique …

D’ailleurs beaucoup de gens lui disaient qu’en plus de réaliser, il devait prendre le rôle principal. Finalement, après l’échec des pistes Brando et Laurence Olivier, c’est un Américain pur jus, qui n’a jamais tourné avec un « étranger » qui sera choisi. Choix a priori étrange que celui de Burt Lancaster pour incarner un prince sicilien, lui qui ne parle qu’anglais et qui paraît-il ignorait jusqu’à ce qu’ils se rencontrent (à New York), l’existence même de Visconti …

« Le Guépard », c’est d’abord un bouquin, le seul du Prince de Lampedusa, paru en 1958. Pour la petite histoire, « Le Guépard » est, c’est le moins que l’on puisse dire, largement inspiré par le roman de Federico de Roberto, « Les Princes de Francalanza ». Les deux romans situent l’action à partir de 1860 en Sicile, et les principaux protagonistes font partie de l’aristocratie sur le déclin de l’île … Ce déclin des aristos siciliens, fervents soutiens d’une monarchie qui va être balayée par les Républicains (en gros Garibaldi le militaire qui débarque une petite armée insurrectionnelle en 1860 en Sicile, et Cavour le politique sur le continent, bien que les deux hommes se détestent).

La famille Salina

Les éléments historiques sont présents dans « Le Guépard ». Dans une des premières scènes, Tancrède (Alain Delon), neveu du Prince Salina (Burt Lancaster donc), annonce au patriarche de la famille qu’il va aller rejoindre les troupes de Garibaldi qui marchent sur Palerme. Déjà se mettent en place les deux personnages principaux, le vieil aristo lucide qui sent confusément que des siècles d’histoire vont être balayés et son neveu qui entend se faire une place dans ce monde nouveau plus par opportunisme que pour une conversion aux valeurs républicaines. Ce qui vaudra cette réplique d’anthologie de Tancrède : « Si nous voulons que tout reste pareil, il faut que nous changions tout ».

Le scénario du « Guépard » aurait pu donner un film intimiste, genre théâtre filmé. Sauf que Visconti est vénéré en Italie et il entend faire de son film quelque chose de marquant. « Le Guépard » sera le plus gros budget jamais engagé par une production italienne (la colossale somme pour l’époque de trois milliards de lires) et va aller jouer dans la même cour que les superproductions américaines. La version intégrale du film dépasse les trois heures, celles distribuées par Pathé pour la France (Palme d’Or à Cannes) et la Fox pour le reste du monde la raccourcissent d’à peu près un quart d’heure. Les dernières éditions Dvd et Blu-ray proposent la version intégrale, dont notamment une belle scène entre le régisseur / garde-chasse (excellent Serge Reggiani) et le prince Salina. Ces scènes « supplémentaires » n’ont jamais été doublées et sont donc en V.O. sous-titrée, on les reconnaît facilement …

La bataille de Palerme

Alors oui, « Le Guépard » est une superproduction avec son budget « no limit ». Esthétiquement et par certaines scènes-clés, la comparaison qui me semble la plus évidente est avec « Autant en emporte le vent ». Le chaos de la bataille de Palerme à grands coups d’effets pyrotechniques en tout genre, évoque les scènes de la bataille d’Atlanta, notamment le fuite de Rhett et Scarlett dans la ville en flammes, et les deux films comportent chacun une homérique (par la durée, les décors, les costumes, le grand nombre de figurants) scène de bal.

Bon, je vais vous donner mon avis, ferme, définitif, etc … « le Guépard » est trop long, à cause justement de cette scène de bal qui n’apporte plus grand-chose à l’intrigue, et est en grande partie là comme une démonstration virtuose pour en foutre plein les mirettes du spectateur. L’histoire est déjà finie à ce moment-là, les protagonistes principaux sont tous arrivés où leur destin les a conduits. Il n’en demeure pas moins que « Le Guépard » est une réussite magistrale.

Parce qu’il y a de grands acteurs. Lancaster surprend, lui qui était plutôt cantonné au rôle de bon soldat américain, forcément américain (« Tant qu’il y aura des hommes » était jusque-là sa prestation la plus aboutie). Il est ici ce patriarche écrasé par des siècles de prééminence qui comprend que le monde change et que cette Italie en train de naître n’a pas besoin de gens comme lui (superbe scène avec l’émissaire du gouvernement qui lui propose un poste de sénateur, et qui donne lieu à une fulgurante réplique de Salina « Nous étions les guépards, ceux qui nous remplaceront seront les chacals »). Il a compris que malgré les honneurs que les villageois lui rendent encore (autre superbe scène lorsque le cortège familial qui fuit en calèches Palerme en insurrection pour son château à la campagne, est accueilli en grandes pompes avec fanfare et messe immédiatement célébrée en leur honneur à laquelle ils assistent tout poussiéreux du voyage dans leurs immenses sièges réservés), son mode est en train de s’écrouler.

L’inexorable déclin de l’aristocratie sicilienne va de pair avec celui des ecclésiastiques, montré à travers la figure drolatique du prêtre de la famille, forcé de s’adapter aux bouleversements politiques et moraux de l’époque. Le contexte historique est bien saisi, avec les arrivistes, les profiteurs de révolution qui prennent à toute berzingue ce que l’on n’appelait pas encore l’ascenseur social (Tancrède bien sûr, qui passe aisément de républicain à royaliste « libéral », mais aussi le maire du patelin, autre personnage comique, paysan mal dégrossi qui devient immensément puissant et riche).

Mais « Le Guépard » n’est pas seulement politique ou social. Il y aussi une love story qui occupe une grande part du film. Celle entre Tancrède (Delon a-t-il été plus beau, mieux mis en valeur que dans ce film ?) et Angelica, la fille du maire parvenu. Angelica, c’est Claudia Cardinale (elle a déjà tourné avec lui sous la direction de Visconti dans « Rocco et ses frères »). Son apparition (au bout de pile une heure de film, Visconti sait nous faire attendre) fait partie de ces visions qui se doivent de provoquer d’étranges sensations chez tout mâle normalement constitué (même si avec cinq ans de plus et quelques kilos en moins elle sera encore plus belle dans « Il était une fois dans l’Ouest »). Va donc se mettre en place une parade amoureuse au détriment de l’ancienne promise, l’effacée Concetta, une des filles de Salina (un personnage effacé, proche de celui qu’interprétait Olivia de Havilland dans, comme par hasard, « Autant en emporte le vent »).

Cardinale & Lancaster

Comme déjà dit quelque part plus haut, il y a beaucoup du Guépard chez Visconti. Il est descendant d’une illustrissime famille noble, très riche de naissance, et très respecté. C’est lui, l’aristo qui a placé le premier le cinéma italien sur la carte du monde avec « Ossessione » (« Les amants diaboliques » en français), relecture noire et fauchée de « Le facteur sonne toujours deux fois », inventant de toutes pièces dans une Italie qui commençait à être malmenée militairement (le film est sorti en 1942) un genre de cinéma fait avec des bouts de ficelle qu’on appellera le néo-réalisme. C’est Visconti qui a ouvert la porte dans laquelle allaient s’engouffrer Rossellini et De Sica. Le temps et la reconnaissance aidant, même si Visconti n’est pas un stakhanoviste des tournages (moins de quinze films en plus de trente ans), c’est lui qui le premier, inconsciemment sûrement, jettera les bases d’un cinéma européen, allant chercher capitaux et acteurs hors de l’Italie. A ce propos, il faut voir un Delon humble (pas fréquent tant le type a le melon) en 2003 ne pas tarir d’éloges sur celui qui a le plus contribué à en faire une star …

« Le Guépard » aurait dû avoir une suite. C’était pas difficile à envisager, parce qu’elle existait dans le livre de Lampedusa, la dernière partie du bouquin étant située trente ans après ce qui nous est montré dans le film. Visconti, quoique très handicapé (des AVC à répétition l’avaient condamné au fauteuil roulant) était partant, Burt Lancaster (même le Prince Salina était mort dans la suite du bouquin) aussi, et Delon aussi. C’est Claudia Cardinale qui en refusant le scénario a entrainé l’abandon du projet …

De l’avis de tous les intervenants, Visconti était extrêmement exigeant avec son casting, mais aussi toute son équipe. Le tournage de la scène dite du bal (en fait une réception avec un bal) a duré un mois, toujours de nuit, et en lumière naturelle, au grand dam des producteurs qui se faisaient livrer tous les deux-trois jours des semi-remorques plein de chandelles pour éclairer un espace immense …

La bande-son et notamment le thème principal, sont de Nino Rota. Même si c’est considéré comme un des soundtracks légendaires du cinéma, c’est assez surchargé et pas à mon sens ce que Nino Rota a fait de mieux …

Voilà, si vous avez trois heures six minutes de disponibles, vous savez ce qu’il vous reste à faire : revoir « Le Guépard ». Parce que venez pas me dire que vous l’avez jamais vu …


MARGUERITE DURAS - INDIA SONG (1975)

 

Valium song ...

« Marguerite Duras, elle a pas écrit que des conneries, elle en a aussi filmées » (Pierre Desproges, très drôle, évidemment, sauf que c’était une tirade sur « Hiroshima mon amour », sublime film de Resnais d’après un scénario de Duras, donc vanne de mauvaise foi …)

Bon, « India song ». Qui d’ailleurs est beaucoup plus de Benoît Jacquot et Bruno Nuytten que d’elle (techniquement, elle fait pas la différence entre une caméra et une 2 CV, elle disait ce qu’elle voulait voir à l’écran, et les acteurs et l’équipe technique devaient se démerder pour arriver au résultat).

Duras & Seyrig

« India Song », c’est l’histoire d’Anne-Marie Stretter, veuve de l’ambassadeur de France à Calcutta dans les années 30, qui accumule les amants (qui défilent à grande vitesse, enfin, façon de parler, et on en reparlera) et rejette le seul type qui l’aime vraiment (le vice-consul de Lahore). Bon, tous les personnages sont fictifs, à part peut-être la veuve, plus ou moins double de Duras jeune. Car avant de devenir le sosie officiel de Karl Zero, Margot Duras était une jeune femme gironde et, comment dire, libérée (« L’amant », son bouquin et le film d’Annaud qui en a été tiré seraient en partie autobiographiques).

« India song », au vu de son titre et du scénario, on peut se dire qu’on va voir au moins un film exotique. Bon, y’a pas de scènes au Taj Mahal … loin de là. Les intérieurs ont été tournés dans des hôtels parisiens (notamment le Georges V, et des hôtels particuliers, dont un, délabré, de la famille Rothschild). Quant aux rares extérieurs, ils ont été tournés à Neauphle-le-Château, le bled des Yvelines où vivait Duras et où, quelques années plus tard, sera assigné à résidence l’ayatollah Gros Minet (merci Coluche) avant qu’il devienne Guide Suprême de la révolution iranienne. Je doute que la féministe et le fondamentaliste aient souvent pris le thé ensemble …

« India Song » a été tourné en moins de deux semaines. Faut dire que pour plein de raisons (le scénar, Duras à la caméra, …), les financeurs se sont pas bousculés. A l’origine, Duras rêvait dans les rôles principaux de Peter O’Toole et Dominique Sanda. Une fois le budget pris en compte, c’est Delphine Seyrig (« un film en quinze jours, je signe pour une année avec elle, ça me fera six mois de vacances » citation tongue-in-cheek mais véridique) qui prendra le rôle principal. Comme elle dépasse le mètre quatre vingt, il a fallu prendre des grands (de préférence débutants et pas trop chers) pour qu’elle ait pas l’air d’une croqueuse de nains. Les deux plus connus aux rôles masculins seront Mathieu Carrière et Michael Lonsdale.

Lonsdale & Seyrig

« India song » est un film en couleurs muet … avec plein de dialogues. Je m’explique. Les acteurs évoluent sans dire un mot, leurs dialogues sont en voix off … plus quatre « récitants » qui exposent et narrent l’histoire. Parce que « India song » se comporte majoritairement de plans fixes que les acteurs traversent en marchant très lentement, ou en dansant, encore plus lentement. Exceptions, quelques rares panoramiques, évidemment très lents et un superbe travelling vers la fin dans les couloirs du Georges V. Il y a même une (longue) scène genre nature morte (c’est pas une photo, on voit la fumée de bâtons d’encens omniprésents dans le film, et ne me demandez pas ce qu’ils viennent foutre là, ces fumigènes odorants) qui réunit la plupart du casting (Madame et ses flirts ?).

Bon, la défense pourra toujours dire que le film est tiré d’une pièce de théâtre du même nom, elle-même tirée d’un bouquin de Duras, « Le Vice-Consul ») ; la défense pourra toujours s’appuyer sur les critiques dithyrambiques de l’époque, reproduites sur la jaquette du Blu-ray et signées Gérard Lefort, Jean de Baroncelli et Henry Chapier, dont l’avis est certes bien supérieur au mien, mais qui ont passé leur vie à défendre des machins intellos qui t’endorment au bout de deux bobines … La défense pourra à juste titre s’appuyer sur le jeu de miroirs d’un certain nombre de plans, où la caméra est judicieusement placée de biais sur un immense miroir mural devant lequel passent ou dansent les acteurs, et on les voit arriver (ou partir selon l’angle) avant qu’ils soient dans le champ de l’objectif, un procédé largement utilisé chez d’autres (Ophuls dans « Madame de … », Losey dans « The servant », …) mais jamais d’une façon aussi systématique (à mon sens, ce procédé est la seule chose à sauver du film). « India song » (titre tiré d’un morceau de jazz qui revient souvent dans la bande-son) est intriguant et original au début, mais cette lenteur sans paroles et sans aucune action (même si ça finit très mal pour Lonsdale et Seyrig), c’est juste insupportable sur la durée, et l’argument, y’a deux films, un film des voix et un film des corps, sur la durée ça tient pas …

Seyrig et ses amants dans les couloirs du Georges V

Des gens à l’époque se sont extasiés de la scène la plus fameuse d’« India song », où on a un plan fixe puis un gros plan (au moins cinq minutes en tout) sur une Delphine Seyrig au sein droit dénudé, couchée à même le sol avec une paire de ses gigolos … autres temps, autres mœurs, et autres réactions …

« India song », c’est le genre de film qui doit passer une fois tous les dix ans à pas d’heure sur Arte, et qui a été remastérisé en 2K récemment (heureusement, tant l’image d’origine paraissait floue et granuleuse (pas sûr que ce soit fait exprès). Combo Blu-ray et Dvd (plus bonus) vendu à prix très raisonnable par la petite boîte d’édition Tamasa (j’ai pas d’actions chez eux, d’ailleurs il risque fort d’y en avoir un d’occase en état mint à la vente bientôt) alors que de vieilles versions Dvd ou VHS coûtent une blinde sur le net …


SIDNEY LUMET - 12 HOMMES EN COLERE (1957)

 

Autopsie d'un meurtre ...

Y’a des façons de commencer plus mal derrière une caméra. « 12 hommes en colère » est le premier film de Sidney Lumet. Qui aura sa décennie de gloire dans les roaring seventies, avec Pacino (« Serpico », « Un après-midi de chien »), ou pas (« Network »), et qui, la chose est suffisamment rare pour être soulignée, terminera sa carrière cinquante ans après ses débuts par un autre grand film (« 7h58 ce samedi là »). Lumet, c’est en gros le type qui filme l’envers du décor, les histoires tout sauf glamour, où des héros en papier viennent se fracasser sur les murs des réalités. Les personnages de Lumet, c’est souvent des anti-héros Marvel …

Fonda, Lumet & Cobb

« 12 hommes en colère » est un chef-d’œuvre, un classique … avec plein de défauts, cependant emportés par le souffle épique et la tension du film. Bon, évacuons ce qui peut piquer aux yeux. Des raccords plus qu’approximatifs, ainsi des cendriers pleins avant d’être à moitié, des auréoles de transpiration grandes comme des ballons de foot qui ont disparu la scène suivante, …, c’est assez couillon quand on filme un huis-clos dans la continuité. Et puis, le revirement assez inattendu et plutôt irrationnel des derniers partisans de la culpabilité …

Bon, il aurait peut-être fallu que je sois moins bordélique et commencer par l’histoire. « 12 hommes … », c’est un film de tribunal, et pour être encore plus précis, un film sur la délibération d’un jury. Amené à se prononcer sur la culpabilité ou pas d’un minot basané accusé d’avoir poignardé son père. Il a tout contre lui, l’ado, des menaces publiques envers son vieux, un stiletto qu’il exhibait devant ses potes et qu’on retrouvera dans la poitrine du macchabée, des témoins visuels du meurtre et de sa fuite, pas d’alibi, un casier déjà épais comme un bottin, et j’en passe…

Tout ça, on l’apprend très vite après un plan d’exposition sur un Palais de Justice à New York (on situe), et un laïus du juge qui explique aux jurés comment ça se passe une délibération. Soit unanimité pour la culpabilité (et dans ce cas-ci, c’est chaise électrique), soit unanimité pour la non-culpabilité (on relâche le prévenu). Si les avis sont partagés, délibération du jury nulle et on rejugera avec un nouveau jury … Les jurés se lèvent (tous des hommes, en ce temps-là, aux USA comme ailleurs, les femmes faisaient le ménage et la bouffe et n’avaient pas à s’occuper de « choses sérieuses », pas un Black ni un « coloured » non plus, on est en 1957 dans une Amérique qui n’a pas encore « digéré » l’affaire Rosa Parks), et le regard perdu de l’ado les accompagne quand ils rejoignent la salle de délibérations (c’est la seule fois où on le verra, d’ailleurs il est même pas crédité au générique).

Premier vote du jury ...

Dès lors (et hormis la courte scène finale à la sortie du Palais de Justice, où les deux premiers à avoir mis en doute la culpabilité s’échangent leurs noms), tout le film va se passer dans cette salle de délibérations, quasiment en temps réel. Atmosphère suffocante, en plus de la tension qui très vite s’installera entre les douze, c’est aussi la journée la plus chaude de l’année, et c’est pas le gros orage qui surviendra qui rafraîchira l’ambiance …). Le temps que les débats commencent, les discussions entre jurés montrent clairement la tendance, le gosse est coupable sans aucun doute possible, et les personnalités en présence se dessinent. Pourtant, lors du premier vote, un juré se prononce pour la non-culpabilité. C’est un architecte, qui n’a aucune certitude, mais se pose des questions. Ce juré est interprété par le grand Henry Fonda, habitué des personnages « positifs » (même si son rôle le plus connu sera une décennie plus tard l’inoubliable salopard de « Il était une fois dans l’Ouest »). Son voisin de chaise, un retraité et le plus âgé du groupe, le rejoindra au vote suivant et tous deux devront affronter le mépris, l’incompréhension, voire la haine des plus virulents du groupe.

Le génie du film, en plus d’une analyse psychologique et sociologique des gens présents, sera aussi de refaire l’enquête (le coup du même stiletto acheté par Fonda, la reconstitution du trajet du témoin boiteux dans son appartement), de pointer du doigt les questions légitimes pesant sur les deux témoins oculaires du meurtre, et petit à petit, d’instiller le doute chez les autres jurés. Dès lors les tenants de la non-culpabilité deviennent plus nombreux au fil des votes, certains par leur vécu ou leur expérience, amenant de nouveaux éléments à décharge …

Reconstitution tendue entre Fonda & Cobb

L’issue est prévisible, l’intérêt étant de montrer quel va être l’argument qui fera basculer les votes successifs. Ça se complique scénaristiquement quand ils ne sont plus qu’une poignée (la versatilité du publiciste et du gars qui veut pas rater le match de baseball, ouais, un peu limite quand même). Le coup des lunettes avec l’assureur qui ne transpire jamais est discutable (si la femme témoin est presbyte et pas myope, l’argument de la « défense » ne tient pas), le speech du raciste se tient, sa « capitulation » morale beaucoup moins (quand on est raciste, c’est pour la vie, on devient pas un bisounours sous le simple poids du regard des autres), et l’effondrement du plus véhément partisan de la culpabilité (énorme prestation de Lee J. Cobb) qui transfère sur le basané accusé la haine que lui-même voue à son fils avec lequel il est plus qu’en froid, c’est quand même de la psychanalyse à deux balles …

Ce qui est aussi fabuleux, comme c’est souvent répété, c’est que si de nombreux éléments peuvent permettre de disculper l’accusé et d’installer un « doute raisonnable », rien n’indique cependant que le minot ne puisse pas être coupable … C’est aussi à ma connaissance le premier film « de tribunal » à se concentrer uniquement sur la délibération du juré.

Deux remarques pour finir. Il y a parmi les jurés un horloger qui intervient plusieurs fois sur la thématique de l’Amérique pays de la liberté et de la démocratie. Faut regarder le film en V.O. pour comprendre. Le type parle avec un accent étranger, c’est le plus tatillon pour défendre les valeurs du pays qui l’a accueilli. Dans la version française, il n’a pas d’accent, du coup ses sorties sont pas aussi clairement explicables … Ensuite le publicitaire, assez distant et imbu de sa personne. Il ne m’étonnerait pas que son look (costard-cravate, clope au bec, cheveux gominés et raie impeccable sur le côté) ait servi d’inspiration aux créateurs de la série « Mad Men » (pour les Hommes de Madison Avenue, lieu des agences publicitaires new-yorkaises au début des 60’s) pour leur personnage principal de Don Draper …

« 12 hommes en colère » est aujourd’hui reconnu et célébré comme un immense classique du cinéma. Un peu à l’image de toute l’œuvre de Lumet, la reconnaissance ne sera pas immédiate et malgré les merveilles qu’il a sorties, la « profession » ne le couvrira jamais de louanges, ne le récompensera pas beaucoup (juste un Oscar d’honneur tardif pour l’ensemble de sa carrière) …


Du même sur ce blog : 


PETER WEIR - LES CHEMINS DE LA LIBERTE (2010)

 



Les Marcheurs Blancs ?

« Les chemins de la liberté » (« The way back » en V.O.) est adapté d’un bouquin (« A marche forcée ») de Slavomir Rawicz, « pensionnaire » des goulags sibériens. Qui ne s’est pas évadé, mais a été amnistié. Et qui raconte l’histoire de gens qui se sont évadés, parcourant des milliers de kilomètres pour rejoindre la Chine ou l’Inde dans une nature hostile, forcément hostile … Récits vraisemblables, véridiques, mais pas forcément vrais, même si le réalisateur Peter Weir et l’acteur principal Jim Sturgess affirment avoir rencontré des survivants de ces ultra trails … Les noms de ces gars (pas très nombreux évidemment, trois il me semble) apparaissent au début du film. Le film de Weir est une totale fiction, et ne retrace aucun périple étant censé avoir existé.

Peter Weir

Mais avant de s’évader d’un goulag au milieu de la Sibérie, faut d’abord y être déporté. Le film débute en 1940, au moment où Staline et Hitler sont copains comme cochons qu’ils sont et se partagent la Pologne. Tous ceux qui ne plaisent pas à l’Armée Rouge et au pouvoir politique de Moscou finiront au goulag. La première scène (et pour moi la meilleure du film) montre un soldat polonais (Janusz / Jim Sturgess) interrogé par un militaire sur des faits qui lui sont reprochés. Il nie, jusqu’à ce qu’il soit confronté avec sa femme qui l’accuse. On voit bien qu’il y a eu pression et chantage sur elle. Et Janusz se retrouve donc dans un « camp de travail », il ne sait même pas où, au milieu des neiges sibériennes … Les « anciens » lui expliquent que tu coupes du bois dans la forêt, et que si tu déconnes, tu finis à la mine attenante. Avec dans tous les cas, une espérance de vie d’à peu près un an. Et comme le rappelle gentiment le surveillant général, la prison c’est pas le camp, c’est la Sibérie et ses millions de kilomètres carrés enneigés …

La réadaptation sociale par le travail (comme ils diront plus tard en Chine), ça ne concerne pas que les « suspects » des pays conquis. Il y a aussi ceux qui ne sont pas dans la ligne du parti (dessinateur, acteur, rom, …), un Américain ayant fui la Grande Dépression (Ed Harris) croyant trouver en Russie communiste un nouvel Eldorado, et puis les prisonniers de droit commun, tous ces plus ou moins grands criminels que le régime stalinien envoyait dans les camps … Dans le baraquement où échoue Janusz, le maître des lieux, c’est Vilka, parce que c’est pas un tendre, et qu’il a un putain de couteau qui le fait respecter. Vilka, c’est un Colin Farrell, hirsute et forcément violent, avec Lénine et Staline (entre autres tatouages) sur le poitrail, loin ici de ses rôles de beau gosse … Dans le contexte, le but du jeu est simple : survivre en attendant la mort. Et être prêt à tout pour survivre (« la bonté ça peut te tuer ici » glisse l’Américain à Janusz alors que le Polonais vient de filer la moitié de son ignoble rata à un pauvre vieux qui crevait de faim dans la neige). Et puis il faut rêver d’évasion parce que ça ne coûte rien de rêver. Par contre si tu la tentes, c’est la mort assurée (les gardes, les paysans Russes aux alentours qui touchent une prime s’ils ramènent la tête d’un évadé, les loups, l’étendue et le climat sibérien).

Lénine, Staline & Colin Farrell

Pourtant, une petite bande prépare the great escape. Et une nuit, ils passent à l’action. Ils sont sept, ceux qui avaient prévu le coup, ceux qui se retrouvent là par hasard, ceux qui profitent de l’occasion, comme Vilka et son couteau …

Dès lors s’organise un survival direction la Mongolie. Evidemment, les faibles ne vont pas très loin (l’aveugle se perd en cherchant du bois, et meurt congelé à quelque pas du campement de fortune organisé pour passer le nuit), tout le monde s’épuise un peu mentalement et surtout physiquement, les conditions sont extrêmes, on ne survit qu’en rongeant l’écorce des arbres, en mangeant des vers, des serpents, en disputant des charognes aux loups. Les festins ont lieu quand on attrape un poisson avec une ligne de fortune, un daim (?) embourbé dans un marais, ou de la volaille que Vilka est allé piquer dans un village (en tuant un chien qui aboyait, ou un paysan, on sait pas trop …). Assez vite se joint à cette mâle troupe un élément féminin, une jeune fermière polonaise (Saoirse Ronan, à peine 16 ans et pleine de talent, la suite l’a prouvé) qui fuit elle aussi un site concentrationnaire.

Après avoir longé le lac Baïkal, la petite troupe se retrouve à la frontière mongole. Vilka fait demi-tour et revient en Russie (c’est son pays, il ne veut pas le quitter, et veut contribuer à sa criminelle façon au succès du communisme), les autres vont vite déchanter. La Mongolie est devenue communiste, et les monastères bouddhistes où ils comptaient se réfugier ont été détruits, pillés et saccagés. Décision est prise par les six rescapés de traverser la Mongolie, la Chine, franchir l’Himalaya pour passer en Inde … Je vais pas tout spoiler, tous n’y arriveront pas (le désert de Gobi se révèlera plus dangereux et mortel que la Sibérie enneigée) …


Le scénario a tout de l’épopée grandiose, de la grande aventure humaine et larmoyante. Il peut en sortir un chef-d’œuvre comme un navet. C’est là qu’intervient Peter Weir. L’Australien a du bagage. Une carrière commencée avec un thriller Belle Epoque au milieu d’un pensionnat féminin (« Pique-nique à Hanging Rock »), pour finir avec de (très) gros succès au box-office : « Witness », « Le cercle des poètes disparus », « Green card », « The Truman show », « Master and commander, de l’autre côté du monde ». Pour la façon de filmer, Weir à un modèle, c’est John Ford. Ça tombe bien, montrer les immenses étendues enneigées ou désertiques traversées par les personnages qui semblent minuscules dans leur environnement, et en respectant les proportions de Ford (2/3 de ciel, 1/3 de terre), tout cela sied à ravir au format en cinémascope choisi. Le David Lean des immenses panoramiques n’est pas loin non plus. Ici, les paysages de la Bulgarie, du Maroc et de l’Inde (oui, pas possible pour Weir et son équipe de filmer en URSS ou en Chine, la Muraille de Chine qu’il y a dans une scène est numérique) sont somptueux.

Bon point également pour les différentes parties du film. La vie au goulag (un vrai faux goulag construit par l’équipe du film, mais une fausse forêt de studio pour certaines scènes, surtout pour pouvoir gérer les effets spéciaux désirés, comme la neige ou le blizzard) occupe la juste part du film, parce qu’il faut montrer l’enfer qu’y représente la vie, que ce soit dans la vie « normale » où lorsque l’on est « puni » à la mine, parce qu’il faut montrer la promiscuité et la tension générée par cette multitude disparate. On comprend pourquoi par la suite, tous ceux qui se retrouveront à crapahuter dans la nature, ont des parts d’ombre ou de mystère. Dans l’enfermement du goulag, il faut en dire le moins possible, gommer son passé … Même la jeune Polonaise (ou qui se présente comme telle) qui les rejoint dissimule soigneusement son passé. Il leur faudra du temps pour qu’ils se livrent tous sur leur vraie vie passée et leurs rêves d’avenir …

En rando sur les bords du lac Baïkal ...

La scène d’évasion est quand même un peu sabotée, avant que le groupe se retrouve dans la forêt sous les tirs des soldats russes et avec leurs clébards au cul. Cette scène d’évasion dure juste quelques secondes, à tel point qu’on se demande si le Blu-ray a pas sauté vers l’avant.

Les deux tiers du film constituent leur longue marche vers la liberté pour certains, vers la mort pour d’autres. C’est fort bien fait, entre volonté et résignation, courage et désespoir, tant la tâche est immense et difficile.

Et quoiqu’on pense de la véracité de ce périple, faut reconnaitre que « Les chemins de la liberté » est un film plaisant, grande aventure prenante au milieu d’espaces naturels gigantesques, avec son lot d’émotions, de joies et de larmes de la part des protagonistes …

C’est juste la dernière scène que je trouve totalement à côté de la plaque. Janusz, une fois gagné l’Inde, veut à tout prix retrouver sa femme si elle est encore en vie, parce qu’il est persuadé qu’elle ne l’a trahi que sous la contrainte. Il lui faudra attendre 1990 (après la chute du Mur et l’effondrement de l’URSS), soit cinquante ans après son arrestation, pour pouvoir retourner en Pologne. Et là, comme dans ses rêves qui l’ont aidé à tenir dans le goulag et dans sa longue marche, il va retrouver la même baraque, avec la clé sous la même pierre, et sa femme qui l’attend, assise à la table … Je suis désolé, ça peut faire écraser une larmette à la ménagère de moins de cinquante ans, mais moi je trouve ça juste très con, finir une histoire qu’on présente comme vraie, par un truc totalement irréel …

Bon film de dimanche soir tout de même …


Du même sur ce blog : 

Master And Commander De L'Autre Côté Du Monde


PETER BOGDANOVICH - LA CIBLE (1968)

 

La dernière séance de Boris Karloff …

Il y a quelques jours, je lisais sur un blog voisin et néanmoins ami, sous la plume alerte d’un certain Luc B., un article consacré à un bouquin qui parlait de films qui auraient pu se faire et qui se sont jamais faits. Manière de faire mon intéressant, je m’en vas vous causer d’un film qui aurait jamais dû se faire et qui s’est fait … Comme quoi tout peut arriver dans le merveilleux (?) monde des types qui tiennent une caméra …

Tout commence avec Peter Bogdanovich, critique de cinéma et tellement fan de la chose qu’il traîne sur les plateaux de tournage, essayant de se rendre utile et ne manquant pas une occasion de dire aux réalisateurs avec qui il bosse que lui aussi, il aimerait bien passer derrière la caméra. Là intervient Roger Corman, avec qui Bogdanovich s’est un peu lié. Roger Corman, c’est Lucky Luke avec une caméra à la place du colt. Le gars, avec trois bouts de ficelle, arrive à tourner une demi-douzaine de films par an, en tout cas jamais moins de trois. Le pape de la série B, ce bon Roger. Il propose un jour un deal abracadabrant à Bogdanovich. Boris Karloff, l’inoubliable Frankenstein dans le film de John Whale, devait par contrat deux jours de tournage à Corman. Il fait cadeau de ces deux jours à Bogdanovich (« ça te fera vingt minutes de film »), lui donne des extraits de « L’halluciné » un film qu’il avait tourné avec Karloff (« ça te fera vingt minutes de plus »), et cent mille dollars pour tourner quarante minutes supplémentaires (« en mettant tout ça bout à bout, t’auras un film ») … le genre de proposition qui peut pas se refuser quand on veut se lancer, mais une équation compliquée à résoudre pour Bogdanovich, qui n’envisage pas exactement un scénario et un tournage de la même façon que Corman … Il voudrait faire un vrai film, le Peter …

Karloff & Bogdanovich

Il tente avec sa femme, la scénariste Polly Platt, de mettre une histoire en place. Sauf qu’ils arrivent à rien de cohérent. Là intervient une autre des connaissances de Bogdanovich. Rien de moins que Samuel Fuller qui en trois heures lui pond un scénario, à une seule condition, que son nom n’apparaisse pas au générique (c’est ainsi que le réalisateur joué par Bogdanovich dans le film se nommera Sammy Michaels, en hommage à Samuel Michael Fuller).

Tout est paré pour relever le challenge. Qui pour la petite histoire ne sera pas respecté, tout le monde ne tourne pas aussi vite que Corman, et Karloff fera en tout cinq journées de tournage (moyennant une rallonge de vingt-cinq mille dollars, business is business). Le scénario de Fuller consiste à montrer un vieil acteur de films d’horreur, Byron Orlock (mix entre Lord Byron, le poète anglais, ami voire amant de Mary Shelley, auteur de « Frankenstein » et le comte Orlock, nom donné pour une question de droits au comte Dracula dans le film éponyme de Murnau), qui après le visionnage de son dernier film, décide d’arrêter sa carrière, acceptant à contre-cœur une ultime apparition publique à l’issue d’une projection dans un drive-in. C’est évidemment Karloff qui tient ce rôle.

Il fallait donc raccrocher cette histoire à une autre. L’inspirateur de l’autre histoire, c’est Charles Whitman. De sinistre mémoire. Le gars s’est fait connaître en 1966. Après avoir tué sa femme et sa mère, il se rendit lourdement chargé en flingues de tous genres à l’université d’Austin, monta sur un toit et tira sur tout ce qui bougeait alentour. Bilan total : 16 macchabées. Le Bobby Thompson du film, joué par l’inconnu Tim O’Kelly (choisi pour une vague ressemblance avec Ryan O’Neal), fera un carnage familial, s’en ira canarder les bagnoles qui passent sur l’autoroute, se fera traquer par la police, ira se réfugier dans la structure de l’écran d’un drive-in d’où il continuera à tirer dans le tas. C’est évidemment dans ce drive-in que doit se rendre Orlock …

O'Kelly prêt à faire un carton sur l'autoroute

Bon, arriver à écrire un scénario qui tient debout avec tous les prérequis exigés est une chose, en faire un film est une autre paire de manches. Bogdanovich s’en tire plutôt bien, avec toute l’imagination des sans-le-sou de la caméra. Quatre bouts de cloison repeints autant de fois que nécessaire fourniront les décors de tous les intérieurs, on essaiera de faire autant de plans-séquence que possible pour éviter trop de prises et trop de temps de montage, la famille et les amis seront les figurants, … Et surtout on tournera en situation réelle. C’est-à-dire que quand le tueur circule en bagnole (et parfois avec les flics – de cinéma – au cul), il s’immisce dans la circulation, et il y a un vrai mec à vélo (et pas un cascadeur) qui a bien failli passer sous les roues de sa Ford Mustang. Il y a des scènes de conduite sur autoroute (c’est formellement interdit pour d’évidentes raisons de sécurité), et pire encore, les cartons sur les voitures qui y circulent sont certes faits sur des voitures où se trouvent des figurants, mais au milieu de la circulation (y’a même un vrai motard de la police qui passe à toute blinde parce que quelqu’un a dû lui signaler des trucs étranges sur le freeway, et qui est conservé au montage).

« La Cible » (« Targets » en V.O.) est un bon film, autant que faire se peut vu son budget. Karloff que l’on aurait pu imaginer en roue libre, s’investit (il va même jusqu’à conseiller Bogdanovich, obligé de tenir un des rôles principaux faute de pouvoir engager un acteur supplémentaire, lorsqu’ils ont des scènes en commun), et manie parfaitement l’auto-dérision (il trouve son dernier film tellement mauvais qu’il décide d’arrêter, déclare en avoir assez de sa carrière de croque-mitaine de série B, se fait peur en passant devant une glace, …). Il va même jusqu’à déclamer ce qui doit être sa plus longue tirade au cinéma, en racontant une histoire genre Conte des Mille et une Nuits macabre. « La cible » sera son dernier rôle au cinéma, il est déjà malade et handicapé (la canne sur laquelle il s’appuie n’est pas un accessoire, il a du mal à marcher à cause de vieilles fractures aux jambes).

Le minot qui joue le flingueur en série, l’autre personnage-clé du film, s’en sort pas trop mal. Il est distant, détaché de tout, déjà dans la boucherie qu’il prépare. Et Bogdanovich assez malin pour nous le présenter à travers deux photos (faut bien feinter, la caméra s’attarde pas dessus), l’une le montrant en uniforme dans la jungle (il a donc fait le Vietnam et sait utiliser des flingues), l’autre est une photo de mariage (les époux avec des colliers de fleurs, donc à Hawaï, on voit que l’on est chez des bourgeois qui ont les moyens). Et pour rendre son personnage crédible, son parcours meurtrier se calque sur celui de Whitman. Après avoir dégommé mère et femme (et un livreur qui traînait dans la baraque), il les met dans leur lit, nettoie ou cache les traces de sang, laisse bien en vue une lettre (reprise sur l'affiche du film) qui « justifie » ce carnage et celui qui va suivre …

Sur Sunset Boulevard ...

En plus, même s’il le dit pas, Bogdanovich entend se démarquer de Corman. Certes « La cible » a été tourné en 23 jours (dont douze passés au drive-in), et certes il y a deux longs passages de « L’halluciné » (son final au début de « La cible », et d’autres extraits au drive-in), c’était le deal, mais ça s’intègre bien (même si forcément ça fait un peu long). En plus, on peut s’amuser à reconnaître dans ce film dans le film une des premières apparitions de Jack Nicholson, en uniforme militaire … Bogdanovich rend cependant hommage au « grand » cinéma. La première « vraie » scène tournée l’a été sur Sunset Boulevard (évidemment allusion au chef-d’œuvre de Wilder), on voit à moment donné sur une télé un court extrait d’une émission présentant « Autopsie d’un meurtre » de Preminger, et Byron Orlock regarde dans sa chambre d’hôtel « Le code criminel » de Howard Hawks, dont l’acteur principal est … Boris Karloff.

Film dans le film : Nicholson & Karloff dans "L'Halluciné"

Une fois le montage terminé (par Bogdanovich lui-même), une autre aventure allait commencer. Corman (rappelons que l’on est au pays du dollar-roi) propose de sortir le film sur sa propre compagnie. Bogdanovich, plus ambitieux, tente de le vendre aux majors. La Paramount est très vite intéressée, sauf que se font buter Luther King et Ted Kennedy. Après un certain temps de réflexion (plus d’un an après le tournage), la Paramount rachète « La cible » à Corman (le Roger y gagnera cinquante mille dollars au passage), et le sort dans quelques salles. Accueil réservé, voire glacial ou choqué du public, bide commercial.

Mais ça a suffi à Bogdanovich pour se faire repérer. Il pourra ainsi faire ce qui restera son film majeur, « La dernière séance ».


CHRISTOPHE HONORE - LES CHANSONS D'AMOUR (2007)

 

Hommages et dommage ...

« Les chansons d’amour » en voilà un film dont je sais pas trop quoi penser. Une chose est sûre, pas un chef-d’œuvre du 7ème art, bon, c’était pas le but non plus … « Les chansons d’amour » est un film fauché, ça se voit, et c’est d’ailleurs revendiqué par Honoré lui-même.

Beaupain, Mastroianni, Leprince-Ringuet, Sagnier, Garrel, Honoré, Hesme

« Les chansons d’amour », c’est un peu une version bobo des premiers Godard notamment, mais aussi du cinéma de Truffaut, de Demy, la Nouvelle Vague en fait. Par cette obsession à mettre Paris en scène (ici en l’occurrence le Xème arrondissement, pas très loin de la Place de la Bastille) on pense forcément au Godard de « A bout de souffle », dont Honoré recopie la technique rudimentaire. On tourne en décors naturels, avec des vrais passants, la caméra installée sur un fauteuil roulant. Et donc on voit des gens qui se retournent vers l’objectif, qui sortent sur la porte des boutiques … on en a même un qui suit Mastroianni et Garrel avec un caméscope … « Les chansons d’amour », c’est aussi un clin d’œil à Truffaut (le ménage à trois à la « Jules et Jim », et un Garrel aussi tête à claques avec son jeu très stylisé que Léaud – Doinel). Et puisque comme son titre l’indique on a affaire à un film musical, impossible d’évacuer l’influence omniprésente du Demy des « Parapluies de Cherbourg » avec son actrice blonde (Ludivine Sagnier) coiffée comme Deneuve à l’époque, et dont la Chiara de fille a un des rôles principaux … et pour les maniaques, on trouve plein de pages sur le Net qui évoquent les allusions aux films de la Nouvelle Vague …

Avoir des références solides n’exclut pas d’avoir aussi un peu de rigueur. Les commentaires d’Honoré sur son film sont assez saisissants : « si le premier quart d’heure est raté, c’est pas grave », « il faut des scènes faibles pour faire ressortir les moments forts » … c’est quand même le genre de réflexions qui me laissent assez dubitatif … Parce que le challenge est de taille. Pour faire un bon film musical (et pas une comédie musicale, la différence est de taille), faut une bonne histoire et de bonnes chansons.

Sagnier, Garrel & Hesme : bizarre love triangle

Côté histoire, ça peut aller. Ismaël (Louis Garrel), Julie (Ludivine Sagnier) et Alice (Clotilde Hesme), vivent, dorment et baisent dans le même appartement (à noter que Hesme et Garrel étaient déjà en couple dans "Les amants réguliers"  de Philippe Garrel et de morne mémoire). Et lorsque Julie meurt subitement au bout d’un petit tiers du film (ça fait penser les coups de canif dans la douche en moins à Janet Leigh dans « Psychose »), on suit la dérive émotionnelle d’Ismaël, lâché par Alice (on comprend pas pourquoi), partagé entre sa belle-famille (Jean-Marie Winling et Brigitte Rouan, les parents de Julie, Chiara Mastroianni et Alice Butaud ses sœurs), ses nanas de passage (une serveuse de bar), et sa « révélation » homosexuelle avec le frangin du nouveau copain d’Alice (Erwann, joué par Grégoire Leprince-Ringuet) … même si dans cette histoire la tendance bobo blasé surjouée des personnages finit par être redondante et plutôt pénible …

Côté chansons, la bande-son (hormis une citation des « Amoureux solitaires » de Elli et Jacno dans sa reprise par Lio, et un obscur titre de Barbara sur le générique de fin) est à mettre à l’actif (ou au passif, c’est selon) d’un pote d’Honoré, Alex Beaupain (Alex qui ? désolé, j’ai des lacunes en chanson française). Ça sonne quasi exclusivement comme du Souchon sous Lexomil, même si Beaupain cite souvent Daniel Darc (la connexion Frédéric Lo, producteur de l’ancien Taxi Girl et de la bande-son) et Etienne Daho. C’est chanté avec les moyens du bord (par les acteurs eux-mêmes en studio, et en play-back - ça se voit, pas toujours synchros – lors du tournage des scènes), pendant des séquences du film qui font penser à un vidéo-clip réalisé par France 3 Limousin pour le vainqueur du radio-crochet de la foire aux bestiaux de Tulle …

Leprince-Ringuet & Garrel : mélodie en balcon

Tiens, et puisqu’on en est à parler de Tulle (patrie du grand François Hollande, non, je déconne …), le film a été tourné pendant l’hiver 2006-2007, lors les débuts de la campagne pour la présidentielle de 2007. Au début, on voit très fugacement une affiche avec la rose du PS, et puis Garrel passe de nuit devant la permanence électorale de Sarkozy. Et comme Honoré est un « engagé », on voit Garrel et Hesme travailler (ils bossent dans la presse écrite) sur un article relatant la fameuse traque du scooter au fils à Sarko (retrouvé en mobilisant la police scientifique et les empreintes ADN, tout ça pour un scoot, et dire qu’il y a des nostalgiques de ce nabot …). Le genre de précision idéologique tant datée que dispensable …

« Les chansons d’amour », c’est quand même globalement un film élitiste (j’ai pas dit prétentieux) … ça s’adresse pas au « grand public », c’est parfois assez chiant, le jeu des acteurs me laisse perplexe (Leprince-Ringuet je le trouve pas bon dans son rôle d’ado qui s’éveille à l’homosexualité, Garrel en fait souvent trop et le reste du casting souvent pas assez, …), et la musique, passons …

« Les chansons d’amour », ça ciblait les abonnés de Télérama. De ce côté-là, objectif atteint, le mag l’a encensé … Ailleurs, les avis ont été assez mitigés et le film n’a pas enflammé la Croisette lors du Cannes 2007 …


JEAN-LUC GODARD - VIVRE SA VIE (1962)

 

Chemin de croix ...

« Vivre sa vie » est sous-titré « Film en douze tableaux ». Du strict point de vue du montage, des intertitres séparent des groupes de scènes et annoncent sommairement ce qui va suivre. Douze tableaux comme il y a quatorze stations du Chemin de Croix … Même si « Vivre sa vie » n’est pas un film religieux. Au mieux, on frôle le mysticisme quand Godard, dont il n’est pas inutile de rappeler qu’il fut d’abord critique et donc fan de cinéma, insère une scène qui s’annoncera prémonitoire, celle de l’annonce à Jeanne d’Arc de sa condamnation dans le chef-d’œuvre de Dreyer « La passion de Jeanne d’Arc » avec ce long gros plan sublime sur le visage d’Andrée Falconetti, une des scènes les plus expressives jamais mises en images.

Godard & Anna Karina 1962

Godard a toujours aimé la symbolique, suggérer plutôt que montrer, ce qui n’est pas forcément plus simple ou évident. Mais Godard, encore à l’orée de sa carrière (« Vivre sa vie » n’est que son quatrième long-métrage, et il n’a qu’un chef-d’œuvre, « A bout de souffle », à son actif) estime avoir des dettes à payer au septième art, tout en suivant une voie profondément originale. Ce qui occasionne des tensions. Avec à peu près tous ceux qui sont les plus importants lorsqu’il met en chantier ses films.

Godard envisage son art d’une façon unique à l’époque, et surtout n’aime pas les concessions. Comme beaucoup de ses films des sixties (vive la censure gaullienne), « Vivre sa vie » va se retrouver interdit aux moins de dix-huit ans. Faut dire que faire un film sur la prostitution et « offrir » au spectateur-voyeur de l’époque quelques images (certes fugaces) gratuites de seins et de fesses ne risquait pas de le réconcilier avec la triste bien-pensance de la censure de l’époque. Il ne se foutait pas de la censure, il la cherchait …

Des concessions, Godard n’en fera pas plus à la production. Lâché par son premier et historique financeur Georges de Beauregard, il trouvera comme producteur Jean Schlumberger, à qui il refusera un petit second rôle pour sa femme, avant d’entrer en conflit ouvert avec lui (des rumeurs, comme d’habitude serait-on tenté de dire sur les tournages de Godard, font état de bagarres entre les deux et au moins de situations très tendues bien réelles).

La censure et la production sur le dos, ça peut déjà faire beaucoup pour un seul homme. Godard ne s’arrête pas là. Bien que son mariage prenne l’eau, il confie à sa femme Anna Karina le premier rôle, et prendra quasiment un malin plaisir à lui imposer multitudes de choses qu’il n’est pas sans savoir qu’elle va détester (sa coupe de cheveux, ses fringues, de nombreuses situations et répliques, …).

L'amour tarifé ...

Certes à peu près tout ce qu’a fait Godard dans les sixties mérite d’être vu, mais bien peu se hasardent à citer « Vivre sa vie » comme un de ses films majeurs. Même si on y trouve tout ce qui symbolise le meilleur cinéma de Godard. Les personnages antisystèmes d’abord. Ceux qui sont en marge de la société et se foutent donc des codes de la société. Anna Karina est Nana. Une allusion au personnage du même prénom de Zola. Même si la trajectoire de la Nana du film évoque plus celle de sa mère (la Gervaise de « L’Assommoir ») dans la saga de Zola.

Nana vivote dans son boulot de vendeuse de disques dans un magasin d’électro-ménager (même s’il ne comprend rien à la musique de son époque, Godard lui donne toujours une place importante dans ses films). Elle se fait larguer par son mec (superbe premier « tableau », scène de rupture pendant laquelle les deux protagonistes sont filmés de dos au zinc d’un bistrot, on ne voit leurs visages flous de face que dans le reflet des glaces du comptoir), se fait courser par sa logeuse parce qu’elle lui doit du fric qu’elle essaye de trouver en vain auprès de ses connaissances. Dès lors, d’abord occasionnellement ensuite régulièrement, Nana va se prostituer, sans qu’on sache et comprenne vraiment ce qui la pousse sur le trottoir.

Nana au cinéma

Dès lors, la prostitution va devenir le fil conducteur du film. Bon, Godard ne fait pas ici du cinéma social (même si « Vivre sa vie » doit bien plaire à Ken Loach), il marche plutôt sur les traces du réalisme désincarné de Bresson, un des théoriciens de la Nouvelle Vague. Il aurait même reconnu l’influence du néo-réalisme italien, et plus particulièrement de Rossellini, ce qui se tient … Le point de départ de « Vivre sa vie » étant un très sérieux rapport de Marcel Sacotte, juge de son état, intitulé « Où en est la prostitution ? » (ce qui donne l’occasion à Godard au cours d’une scène en voiture de faire tenir à ses personnages un très didactique dialogue sur le mode question-réponse sur le thème de la prostitution, sa tarification, l’organisation de la hiérarchie mac-tapineuse, etc …).

Anna Karina traverse cette histoire qui finit mal en roue libre (on la sent pas toujours très concernée). Il y aurait évidemment beaucoup à dire sur la façon très particulière et freudienne qu’a Godard de mettre en scène la femme dont il est en train de se séparer. Il la fait coiffer façon Louise Brooks sachant pertinemment qu’elle déteste les coupes à la garçonne, invente quasiment le système d’oreillette pour lui donner des ordres sur le tournage, elle manque se faire écrabouiller par une voiture, et finira par une tentative de suicide aux barbituriques. Autant dire qu’elle n’est pas aussi irradiante que dans « Pierrot le Fou », période à laquelle sa relation avec Godard était beaucoup plus claire (ils venaient de divorcer). Elle arrive cependant à sublimer une paire de scènes, lors de la projection de « La passion de Jeanne d’Arc » où ses larmes viennent répondre à celles d’Andrée Falconetti à l’écran, ou lors d’une danse endiablée au milieu de macs dans une salle de billard. Elle est par contre assez à l’Ouest lors d’une discussion philosophique dans un bistrot avec un intellectuel oublié (Brice Parrain), lors d’une longue scène (bien dix minutes) totalement hors sujet par rapport au reste du film, technique récurrente chez Godard pour faire au grand n’importe quoi, alors qu’il a ça en tête depuis le début du tournage …

Un final à bout de souffle ...

Et comme si ça ne suffisait pas, Godard doit faire face au départ au milieu des prises de vue de l’indispensable chef-opérateur Raoul Coutard, engagé sur un autre tournage alors que celui de « Vivre sa vie » s’éternise.

Pour l’anecdote, alors que passe dans un bar la chanson de Jean Ferrat « Ma môme », c’est le chanteur lui-même que l’on voit accoudé au jukebox.

En fait on se demande si pour « Vivre sa vie » tout n’était pas dit dans le générique d’entrée (« ce film est dédié aux fans de série B »). Même si les thématiques de la série B américaine sont là (les marginaux, rebelles, les catins, les voyous), même si la fin renvoie étrangement à celle de « A bout de souffle », il manque ce petit quelque chose qui peut faire d’une série B un grand film …

A noter que le film remastérisé en haute définition ne semble disponible en Blu-ray qu’en import anglais (chez la boîte d’édition BFI). Avec beaucoup de bonus, dont notamment trois courts-métrages assez rares de Godard (« Charlotte et Véronique » avec scénario d’Éric Rohmer, « Une histoire d’eau » co-réalisé avec Truffaut et « Charlotte et son Jules » avec un Belmondo doublé étrangement dans la VO pourtant en français). Par contre la version commentée du film (par un critique de cinéma … australien) et une longue d’interview de Karina en 1973 par un journaliste qui parle beaucoup plus qu’elle, ne sont disponibles qu’en anglais. J’ai pas l’impression qu’on perde grand-chose d’après les bribes écoutées …


Du même sur ce blog :

A Bout De Souffle (1960)
Le Mépris (1963)
Pierrot Le Fou (1965)
Masculin Féminin (1967)