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ANG LEE - ICE STORM (1996)

De tristes lendemains ...
Ang Lee est un réalisateur d’origine taïwanaise très vite repéré par les studios hollywoodiens. Un réalisateur qui touchera à tous les genres cinématographiques (de « Hulk » au « Secret de Brokeback Mountain » en passant par « Tigre et dragon » pour finir avec la 3D synthétique de « L’odyssée de Pi »). Difficile de trouver un thème conducteur dans sa filmographie, si ce n’est peut-être celui des relations humaines.
Ang Lee & Sigourney Weaver
« Ice storm » est un de ses premiers films « hollywoodiens ». C’est une fresque quasi entomologiste sur un petit échantillon d’américains. L’intrigue du film se déroule en quelques jours, et suit les pérégrinations, surtout amoureuses, de deux familles bourgeoises de la banlieue new-yorkaise (New Canaan dans le Connecticut). Plus que leur passé, Ang Lee prend beaucoup de soin à nous présenter les lieux, les gens, l’époque : le début de l’hiver 73, en plein scandale du Watergate. Le parallèle avec la politique n’est pas un hasard, en même temps que les citoyens se découvrent dirigés par des incompétents et des ripoux, toute une certaine american way of life est en train de s’effondrer. Toutes ces familles aisées, « cool », libérales et se croyant libérées, rattrapées par les idéaux hippies (la picole, les médocs-drogues légaux, la baise tendance échangisme), vont à l’occasion d’un événement climatique peu commun (une grosse pluie très givrante), prendre la réalité de la vie et de ses aléas en pleine poire …
Kevin Kline, Joan Allen & Christina Ricci
Là où beaucoup se seraient laissés aller à grossir le trait, Ang Lee fait dans la précision et le détail. Traite avec une finesse et une sensibilité que l’on retrouve toujours chez lui dans ces cas-là des situations « difficiles », ici les premiers émois amoureux d’enfants-adolescents … Mais ce sont aussi les détails qui servent à situer les personnages.
Le mari (Kevin Cline) ne parle pas de son travail, mais on le voit fugacement lire le Wall Street Journal, ça le situe. Sa femme au foyer (Joan Allen), on la sent fragile (elle a des pulsions kleptomanes, a suivi des thérapies de groupe). Ils n’ont plus de vie « physique » de couple. Leur fils aîné Paul est farci de complexes, se construit un monde en lisant ses BD de super-héros (le cocasse évidemment involontaire de la situation, c’est que le rôle est tenu par Tobey Maguire, futur Spiderman chez Sam Raimi). Leur fille (Wendy / Christina Ricci), en plein « âge bête » ne sait trop comment gérer sa sexualité qui bourgeonne et se la joue rebelle-contestataire.
Dans la famille voisine, le père est souvent absent et de toutes façons « ailleurs », sa femme (excellente Sigourney Weaver) joue les mantes religieuses avec les hommes qui passent à sa portée. L’aîné des enfants Mikey (Elijah Wood, on peut pas dire qu’il sente pas les carrières futures dans ses choix, Ang Lee, réunir dans trois rôles d’ados Maguire, Ricci et Wood, fallait le faire …), apparemment très doué, est livré à lui-même et se conduit souvent étrangement. Rien cependant à côté de son cadet, Sandy, gosse lunaire et très immature, qui souffre manifestement de l’absence morale de ses parents …
Tobey Maguire
Dans cette communauté (les deux familles n’entretiennent pas que des rapports d’amitié, il y a des liaisons en forme de chassé-croisé entre leurs composants) d’adultes infantiles et d’enfants laissés trop souvent seuls avec leurs problèmes, les masques vont tomber brutalement lors d’une soirée où s'abat une pluie givrante. Les parents sont réunis dans une soirée bourgeoise avinée décadente, une « soirée porte-clés » (les clés de voiture sont mises dans un saladier, les femmes en prennent une au hasard et partent passer la nuit avec le propriétaire de la voiture) qu’ils recréent dans leur petit bled, parce que les gens de la haute font ça à New York. Les enfants comme d’hab, sont livrés à eux-mêmes, et pour eux comme pour la plupart de leurs parents, la soirée va mal, voire tragiquement se passer …
Elijah Wood
Tout le talent de Lee, c’est de ne pas verser dans la soupe psychologique, les huis-clos bien plombants et les cris hystériques. Il y a toujours une situation, une attitude qui prêtent à sourire, entre ces parents qui ont tendance à s’infantiliser, leurs gosses à la ramasse et tous leurs petits secrets de pacotille. Il y a aussi des sujets graves ou dérangeants traités avec une finesse et une pudeur remarquables.

Il y a de nombreux points communs entre « Ice storm » et « De beaux lendemains » (« The sweet hereafter » en VO) de Atom Egoyan. Beaucoup de situations, de thèmes, les rôles primordiaux accordés aux enfants, et la météo glaciale sont communs aux deux films. Par pur hasard, ces deux excellentes réalisations étant sorties à deux semaines d’intervalle. Les grands esprits se rencontrent …


GUIDED BY VOICES - ALIEN LANES (1995)

Illuminations ...
Guided By Voices (GBV pour les intimes), c’est un faux groupe. Ou pour être plus précis, un conglomérat à géométrie très variable gravitant autour de Robert Pollard, citoyen américain des mornes plaines de l’Ohio, leader, âme, et compositeur quasi exclusif des Guided By Voices.
Un gars qui devrait être reconnu comme un des plus brillants songwriters de son temps. Mais pour ça, il faudrait une seule chose : que les gens écoutent ou achètent ses disques. Mais voilà, Pollard ne fait pas des disques. Ou plutôt pas des disques dans le sens admis par le commun des mortels. Car personne, y compris le groupe garage-punk le plus radical, ne se pointerait chez un label aussi minuscule soit-il avec ce que Guided By Voices met sur « le marché ». Qualifier ce que publie Guided By Voices de maquettes est déjà très au-dessus de la réalité.
A côté des disques de GBV, les enregistrements de Son House ou Robert Johnson, c’est quasiment de la qualité sonore de « Dark side of the Moon ». On trouve sur « Alien lanes » (un de ses disques, voire son disque le plus abouti, au dire des spécialistes) la bagatelle de 28 morceaux (jamais terme n’aura aussi bien porté son nom) pour 40 minutes. Et non, les GBV ne font pas du punk hardcore. Loin de là, très loin, même.
Guided y Voices dans les 90's. Robert Pollard  à droite.
Pollard est un mélodiste incroyable, capable de torcher des rengaines que ne désapprouveraient pas les fans des Beatles ou des Kinks. De les enrober dans des guitares que ne renieraient pas les Lemonheads ou Dinosaur Jr. D’appliquer à ses titres un traitement lo-fi  à rendre jaloux Pavement ou les Minutemen. Pollard fourmille de bonnes idées (on se perd dans sa discographie pléthorique et labyrinthique), mais quand tout un chacun transformerait cette idée en chanson, en titre « normal », lui enregistre cette idée et basta, terminé, on passe à la suivante. Alors parfois, c’est juste une bribe mélodique, deux vers d’un couplet, et ça ne dure que 20 secondes. S’il est tout seul à ce moment-là, ben il fait ça avec la première gratte qui lui tombe sous la main, électrique, acoustique, peu importe. Si un ou plusieurs de ses potes traînent par là, ils prennent un instrument et enregistrent avec lui.
Enfin, enregistrer … les mots classiques du vocabulaire musical ne s’appliquent pas à Guided By Voices. Pour ce disque, le groupe avait signé avec un label indépendant, Matador. Qui envoya Pollard et sa bande dans un studio « normal », professionnel, mais certainement pas le plus high-tech des States. Le Pollard se prêta de mauvaise grâce au jeu, fit tourner les consoles quelques temps, écouta le résultat, et devant ce résultat beaucoup trop joli selon lui, retourna illico auprès de son quatre-pistes dans son garage.
« Alien lanes » est un disque qui demande de l’imagination. Au moins les deux tiers des titres sont à tomber et on se demande pourquoi des trucs d’une telle limpidité, d’une telle évidence, personne ne les avait jamais faits. Et là, il faut imaginer ce que donneraient ces titres avec un son correct, une intro, des arrangements, des ponts, d’autres couplets, un refrain, une coda … Parfois, on a des pistes, quelques titres sont pratiquement « finis », ils durent une paire de minutes, il y a plusieurs instruments, voire même des overdubs de guitare. Bon, peut-être aussi que tout ça perdrait tous son charme si c’était fait « comme il faut ». C’est tout ce côté amateur, enfantin quasiment, qui fait tout le charme de ce « Alien Lanes ». Totalement indescriptible, ça fourmille d’idées, de trouvailles, ça défile à toute vitesse, on passe de riffs sales grungy à du country-rock, de la sunshine pop à du folk acoustique, d’arpèges délicats à des rythmiques en surchauffe… déstabilisation et balayage d’idées reçues assurées…
Guided By Voices et Pollard ont bénéficié d’une réputation aussi flatteuse qu’underground, passant même plus tard par la case major (Capitol, avec Ocasek comme producteur). Sans résultat, évidemment (et sûrement aussi sans aucune motivation). On ne demande pas à un maître artisan chocolatier d’aller bosser chez Nestlé …

PS. On pourrait croire que Pollard est un rustique, un réfractaire à son temps. Il est très présent et « publieux » sur Facebook et le site de Guided By Voices et Pollard est d’une exhaustivité incroyable.

CHRIS NOONAN - BABE, LE COCHON DEVENU BERGER (1995)

Film cochon ...
Y’a des soirées comme ça, où on hésite … Soit l’intégrale Bergman des années 70, soit un coffret Ozu au ralenti. Et puis, manière d’accorder un peu de RTT aux quelques neurones encore en état marche mais déjà bien fatigués qui restent, on revient vers des fondamentaux simples mais efficaces. Une comédie sans prétention, ou un film d’animation … Avec « Babe, … » premier de la série, on a les deux.

« Babe … » est un conte pour enfants. Au premier degré. Pas de message retors ou sournois, pas de message subliminal ou caché. Tout au plus peut-on y trouver quelques allusions à une vie campagnarde idyllique et allégorique (le retour aux fondamentaux de la nature, l’écologie bon enfant), et un militantisme végétarien qui ne mange pas de pain …
Vieux fermier et jeune premier
« Babe … » est une fable animale. Les animaux « humains » au milieu des vrais « humains ». Et comme toujours dans ce genre de films, c’est chez les animaux qu’on trouve le plus d’humanité, d’autant plus qu’ils « parlent » entre eux (par ici on connaissait, Patrick Bouchitey faisait ça depuis des années). L’intrigue est contenue dans le titre, un porcelet « au cœur pur » gagné à une tombola par un vieux fermier sympa, finit par devenir plus doué que les chiens de berger pour garder les troupeaux de brebis. En ayant failli passer à la casserole à plusieurs reprises, fait quelques bêtises, s’être conduit innocemment et héroïquement, avant l’apothéose et la consécration finales.
On passe une petite heure et demie sympa, au milieu de ces animaux qui parlent, d’un duo d’acteurs « typés » (le fermier, grand, sec et peu bavard, sa femme, petite, ronde et joviale, qui envisage les cochons uniquement du point de vue alimentaire), d’un trio de souris (de synthèse) qui commentent les intertitres annonçant les grands « chapitres » de l’intrigue (on les entend même chanter « Jingle bells » ou « Blue moon »), d’une silhouette nocturne de la ferme qu’on croirait dessinée par Tim Burton, de quelques mimiques caricaturales des humains …
Derrière tout çà, George Miller, le producteur et réalisateur de « Mad Max », film perçu lors de sa sortie comme un sommet de violence, le changement de style est ici radical. Le réalisateur de « Babe … » est un dénommé Chris Noonan, qui a oublié de faire parler de lui depuis. Mais le plus gros boulot concerne l’animation, qui fait cohabiter vrais animaux (18 porcelets « jouent » Babe) et animaux numériques dus à la société créée par le génial marionnettiste Jim Henson. Ce film a presque vingt ans, et bien difficile de faire la différence entre vrais et faux habitants de basse-cour. D’ailleurs cette adaptation d’un conte pour enfants australien à succès était envisagée depuis des années, et n’a été mise en chantier que lorsque les effets numériques ont été à la hauteur du résultat escompté.
Résultat sympa, même si on ne s’approche pas de la lecture à plusieurs niveaux de films comme la fabuleuse « Ferme des animaux », l’adaptation animée du féroce pamphlet anti-totalitaire d’Orwell.
Qualité du Dvd correcte, contenu plus que chiche, aucun bonus …
Bon c’est pas le tout je bavarde, je bavarde … serait temps de passer à table. Au menu, charcuterie et rôti de porc … Impeccable.



ZEBDA - ESSENCE ORDINAIRE (1998)

Toulouse ô Toulouse ...

Zebda, c’est le groupe du coin qui s’est retrouvé célébré à l’échelle du pays. Tout çà grâce (ou à cause) d’un titre festif « Tomber la chemise », devenu point de passage obligé de toutes les soirées beauf. Assez paradoxal. Tellement même que Zebda dans cette affaire y a laissé la sienne de chemise.
Zebda, c’est le groupe formé autour de potes d’un même quartier populaire toulousain, qui vient déjà de loin quand paraît « Essence ordinaire ». Repéré en ayant détourné et brocardé une réflexion malheureuse (pléonasme) de Chirac. « Le bruit et l’odeur » avait fait un petit hit dans le milieu des années 90. Et valu à ses auteurs une réputation de groupe festif et engagé. Entretenue avec toute la faconde de l’accent du Sud-Ouest par les trois chanteurs et porte-paroles du groupe, Magyd Cherfi et les frères Amokrane.
Zebda sera musicalement classé quelque part entre IAM (pour l’accent et la dérision) et les Négresses Vertes (pour le côté melting pot festif), le groupe tissant dans ses titres tout un entrelacs de sons et de rythmes venant du rap, du reggae, du rock, de la musique « world » ou folklorique ibérique, maghrébine, d’Europe centrale ou du Proche-Orient. Une mixture sinon inédite, du moins originale, et une notoriété tout de même assez confidentielle.

Une notoriété qui va devenir quelque peu démesurée avec « Essence ordinaire » (comprendre « d’extraction populaire ») et sa locomotive « Tomber la chemise ». Dans la lignée, on entendra beaucoup aussi « Y’a pas d’arrangement » ou « Oualalaradime », construits sur les mêmes rythmes festifs, entraînants et humoristiques. Sauf que l’humour de Zebda est à prendre plutôt au second degré et a atténué l’essentiel d’un propos qui sans être sinistre, est beaucoup plus réaliste. Et que le disque se partage entre chansons « joyeuses » et ambiances beaucoup plus lentes et tristes. Des titres comme « Tombé des nues » (les rêves brisés des gosses), « Je crois que ça va pas être possible » (sur le racisme au quotidien), « Quinze ans » (l’âge ou tout peut basculer dans les cités), « Le manouche » (la solidarité entre « étrangers »), tant musicalement que par le propos, valent bien les « hits ».
Le cœur du discours de Zebda (musicalement, faut être honnête, ça casse pas vraiment des briques, et ça ressemble beaucoup aux Négresses Vertes, en forçant encore un plus sur le trait world), c’est en gros l’intégration. La plupart des textes font allusions aux problèmes et brimades subis au quotidien quand on vient d’un quartier populaire, et qu’on a le teint un peu basané. La dénonciation énervée est facile, et ça peut rapporter aussi gros, l’immense majorité des rappeurs l’a démontré, NTM en tête. Les Zebda ne vont pas aussi loin dans le discours, mais ouvrent les portes à une attitude « positive », « participative ». Motivés. Pour réussir à s’intégrer. Ou comme la bannière politico-associative dans laquelle le groupe s’impliquera lors des municipales de Toulouse en 2001 pour s’opposer à la dynastie des Baudis qui dirigent la ville depuis des décennies.
Un engagement qui coûtera cher à Zebda. Les sept membres du groupe ne s’impliqueront pas tous sur Toulouse, ou le feront à des degrés divers (Cherfi, sentant le piège de l’embrigadement et de la récup politique sera le seul sur la liste aux municipales, et pas en position éligible). On verra le groupe, profitant d’une soudaine et inattendue popularité (« Essence ordinaire » dépassera le million de ventes), s’investir dans beaucoup de causes plutôt bonnes, on les verra beaucoup aux côtés des alter mondialistes, des écolos et d’un José Bové alors en pleine croisade anti-OGM-malbouffe-MacDo … Plusieurs monteront des projets annexes.
La suite, parce qu’il faudra en donner une, viendra quatre ans plus tard (« Utopie d’occase ») et, selon la formule scélérate, « ne trouvera pas son public ». Le groupe disparaîtra de la circulation, certains membres le quitteront définitivement, avant une récente tentative de come-back elle aussi à peu près ignorée… Il faut croire que par ici, il est difficile de mélanger préoccupations sociales et succès populaires. Zebda l’a appris à ses dépens …

ICE CUBE - AMERIKKKA'S MOST WANTED (1990)

Ennemi Public ?

Frapper fort d’entrée … c’est que devait se dire Ice Cube, fraîchement en vacances des NWA, collectif essentiel mais avec trop de fortes têtes au mètre carré pour que l’expérience soit longtemps viable.
Et les débuts en solo du rondouillard Ice Cube seront une rupture. Comme un majeur dressé bien haut en direction de ses anciens collègues et du rap californien en général. Même si la rivalité entre New York et Los Angeles n’en était pas encore à la guerre des mégalopoles américaines qui culminera quelques années plus tard avec l’opposition 2Pac  -  Notorious Big et sa litanie de cercueils, il y avait des choses, je vous le dis ma bonne dame, qu’il faut pas faire.

En l’occurrence, Ice Cube va faire appel pour produire (et la production, dans le rap, ça va beaucoup plus loin que dans le rock traditionnel, le producteur est au moins aussi important que l’auteur) au Bomb Squad. Pour ceux qui avaient séché les cours de rap old school à l’école, rappelons que le Bomb Squad, c’est la nébuleuse à géométrie variable (les frères Shocklee, Eric Sadler, Chuck D, …) derrière les consoles de tous les disques de Public Enemy, soit les leaders incontestés du rap new-yorkais. Le Bomb Squad, ça se reconnaît facilement, c’est métronomique, martial, brutal, plein de bruitages agressifs. Pas grand-chose de funky ou de groovy. Et ça s’accommode parfaitement avec ce que veut dire Ice Cube.
Qui ne fait pas dans la dentelle. Déjà, le titre avec son AmériKKKe au triple K, sa pochette sur laquelle on voit Ice Cube en avant d’une foule noire, montre qu’il se prend pour un porte-parole, qu’il va dénoncer ou accuser. Corollaire, le rappeur à grande gueule se met immodestement bien en avant (la chanson-titre), se cite très souvent dans les lyrics. Clairement dans la descendance des Black Panthers, le discours d’Ice Cube est revendicatif, rythmé par quantité de « fuck », sirènes de police, bruis de gunshots. Sans éviter les dérives inhérentes aux genres, l’apologie du gangsta way of life, avec ses drive-by-shooting (« The drive by »), son machisme et son sexisme primaires (« Get off my dick … »).
Musicalement, on est clairement dans le rap old school (le Bomb Squad, après avoir eu plusieurs longueurs d’avance sur tous les autres a fait du sur-place, ce qui explique en partie le déclin de Public Enemy dès le début des 90’s), les rythmiques sont bien lourdes, on reste dans la galaxie soul-funk seventies au niveau des samples, avec en point de mire leur Godfather à tous, Jaaaames Brown (allusion macho et sample sur « It’s a man’s world »). Avec juste un lâchage général sur « The bomb », très up-tempo par rapport à tout le reste, avec foultitude de bidouillages sonores, et un des singles « Who’s the Mack », plutôt cool et jazzy..
N’en reste pas moins que cette association curieuse fonctionne, avec d’un côté les artificiers sonores new-yorkais encore au sommet de leur art et d’autre part un des meilleurs rappeurs de la côte Ouest. « Amerikkka’s … » fait clairement partie de ce qu’Ice Cube a fait de meilleur, avant de délaisser quelque peu les studios d’enregistrement au profit des plateaux de cinéma.
A noter que ce disque est maintenant proposé en version expended, comprenant quelques titre bonus dont quelques versions alternatives ou remixées des titre originaux, qui à l’exception d’un bon remix (une fois n’est pas coutume) de « Get off my dick … » n’apporte pas grand-chose de crucial …

Du même sur ce blog :


SNOOP DOGGY DOGG - DOGGYSTYLE (1993)

Sex and the city ...

Y’en a pas beaucoup, des comme ça … je veux dire des disques de rap qui pourraient plaire à ceux qui détestent le rap. Et pourtant « Doggystyle » et Snoop, ce sont un peu le best of de tous les clichés qui accompagnent le rap. Difficile de faire plus caricatural.
Snoop, c’est le petit délinquant de banlieue californienne (Long Beach) qui file un coton de plus en plus mauvais (il est accusé de meurtre pendant qu’il enregistre « Doggystyle », il sera finalement acquitté), fumeur boulimique d’herbe, amateur de bling-bling et de putes siliconées en string. Rappeur pour « spécialistes », il fait partie du Dogg Pound (collectif tentant de se faire remarquer en cachetonnant sur quelques disques), et il est crédité en 1992 sur « The chronic » de Dr Dre (le meilleur pote de Snoop, Warren G, est le demi-frère de Dre, ceci expliquant sans doute cela). Dès lors, le conte de fées sauce rap va pouvoir se mettre en place. Un contrat signé avec le label Death Row Records du boss aux méthodes de truand Suge Knight, et un premier disque produit par Dr. Dre. Qui va faire un carton planétaire et de Snoop une légende du rap.
Snoop 
Snoop a t-il plus de talent que les autres ? Euh, non. C’est plutôt un rappeur atypique, pas un technicien de la tchatche avec sa voix nasillarde, traînarde et enfumée par tous les pétards qu’il s’envoie. D’ailleurs, il est un peu feignasse sur les bords et laisse volontiers le micro à ses potes (ses homies comme il dit). Les crédits, participations et featurings sont interminables sur « Doggystyle » comme d’ailleurs sur la plupart des disques de rap. Ce qui sort « Doggystyle » du lot, c’est le boulot de Dr. Dre. Qui codifie définitivement le gangsta-rap et sa variante de circonstance le g-funk (g pour gangsta, évidemment). Un genre musical autour duquel il tournait depuis ses débuts avec les NWA, qu’il peaufinait petit à petit, aidé par une culture musicale phénoménale et un talent confinant plus souvent que de raison au génie dès lors qu’il se mettait derrière une console de studio.
Dre démontre que la recette d’un disque de rap, ça peut aller plus loin qu’un sample de James Brown, un type qui passe des vinyles à l’envers, et un nègre à débit vocal de mitraillette en survet et casquette à l’envers. Le nom même du genre est évidemment une référence au P-Funk de George Clinton et de ses avatars Parliament et Funkadelic. Dre ne va pas se focaliser uniquement sur les rythmiques métronomiques, il va aller exhumer des samples venus du jazz, de la soul, du funk pré-disco, voire se mettre en phase avec les dernières modes (si « Murder was the case », c’est pas du trip-hop, je veux bien changer d’oreilles), sortir des lignes de basse fantastiques, et écrire des mélodies d’une tuante évidence. Le résultat, autant un disque de pop qu’un disque de rap, c’est une musique à l’opposé des stéréotypes de l’époque du rap, une musique qui swingue et qui ondule, qui fourmille de trouvailles sonores et d’arrangements malins.
Malins, on peut pas en dire autant des textes de Snoop qui eux multiplient allusions malheureusement guère équivoques : la gangsta-attitude et tous ses clichés violents et mysogynes, sa vulgarité à ras du caniveau. Le pire, c’est qu’on ne peut guère soupçonner Snoop de jouer un rôle de composition, les montagnes de dollars récoltées avec ce « Doggystyle » en feront un type d’une prétention méprisable, qui pour se faire remarquer quand ses disques deviendront moins bons, radicalisera des propos racistes et sexistes. La parfaite tête de nœud imbue de sa propre personne …
Le Dogg et Dr Dre
Il n’empêche que « Doggystyle » fut perçu à très juste titre comme un choc artistique, la conjonction de l’énorme talent d’un type (Dr. Dre) avec son époque. Des titres vont particulièrement cartonner (« Who am I », « Gin & juice », Doggy dogg world »), mais quasiment tous auraient pu sortir en single. Un morceau comme « Ain’t no fun » funke comme du Rick James, « Gz & hustles » mélange groove pachydermique et comptine, « Tha shiznit » est plein de gimmicks imparables, … ce sont ces innombrables petites touches variées au sein d’un ensemble instantanément reconnaissable qui caractérisent le mieux le boulot de titan de Dr. Dre.
Si pour Snoop Doggy Dogg ce « Doggystyle » (titre à double sens, que ceux qui n’ont pas compris regardent  le très moche crobard de la pochette, il y a un indice …) représente un Everest dont il ne s’approchera plus, Dr. Dre a fait au moins aussi fort dans le même genre avec « Regulate … G-Funk era » de Warren G, son apogée en tant que producteur étant selon moi à chercher du côté du « Slim Shady Lp » d’Eminem ou du « Get rich or die tryin’ » de 50 Cent, parce que vendre des millions disques avec ces deux-là (un blanc white trash et un des pires rappeurs de la décennie), faut vraiment le faire …

DIANA ROSS - ONE WOMAN THE ULTIMATE COLLECTION (1993)

Dirty Diana ?

Ah que non, ce serait trop facile de dézinguer la vieille mémére, la sophisticated diva des années 60 et suivantes. Parce que je vais vous avouer quelque chose, Diana Ross, elle a un truc (le même que Chrissie Hynde ou à un degré moindre Alison Mosshart) : une voix qui fait bander. Ça s’explique pas, … c’est comme ça, la la la …
Et y’a pas qu’à moi qu’elle a du faire cet effet. Dans le lot, il doit y en avoir quelques autres, parce que la Ross, sous son seul nom et avec les Supremes est la recordwoman de ventes de disques dans le monde. Ce qui n’est certes pas un gage de production discographique de qualité … Parce que comme tous les autres, la Ross a assis sa légende sur quelques années de son interminable carrière. En gros, les premières et sa période dite « disco ».
Pourtant ça n’avait pas débuté du feu de Dieu pour la Diana. Un petit groupe chantant, les Primettes, remarqué par Berry Gordy (enfin, il avait surtout remarqué Diana, on y reviendra) et signé sur son label Motown. Et quelques 45T qui se ramassent. Pas glop, l’organisation quasi militaire que Gordy met en place n’aime pas ça, et nombreux sont ceux qui n’auront pas de seconde chance. Faut dire que dans un répertoire « classique », Diana, chanteuse lead du trio rebaptisé Supremes, n’est pas très à son aise, et comme la concurrence est rude, chez Motown et ailleurs, il faut être plus que correct pour grimper dans les charts.
Diana Ross & The Supremes
Berry Gordy, que le minois de Diana Ross ne laisse pas indifférent, s’entête, réquisitionne ses meilleurs auteurs (Holland/Dozier/Holland) au service des Supremes. Deux essais du trio pour régler le tir, et bingo avec le troisième titre « Where did our love go » en 1964, qui deviendra le premier N°1 des filles et un peu la quintessence du son Tamla-Motown. Le monde entier succombe et les Supremes vont alors enchaîner les hits pendant trois ans. Jusqu’à ce que le groupe, sous l’instigation de … Berry Gordy, soit rebaptisé Diana Ross & The Supremes. Sur la lancée, nouveaux hits, mais la belle mécanique commence à s’enrayer, les changements de personnel autour de l’inamovible Ross surviennent, et la formule Motown commence à lasser. De cette période Supremes, on ne trouve sur cette compilation que quatre titres, et encore, le tardif « Reflections » ne fait pas pour moi partie des titres légendaires du groupe.
Diana Ross devient alors en quelque sorte l’ambassadrice de la Motown, la Dionne Warwick de Berry Gordy. Elle participe pleinement au rêve américain, son histoire tient de la success story (quelque peu romancée), et elle qui est issue d’une famille nombreuse, s’entiche d’une troupe de gosses chantants, plus particulièrement du plus jeune, un certain Michael Jackson. C’est elle qui assure leur promotion sur leur tout premier disque « Diana Ross presents the Jackson 5 ».
Pause Closer. Deux questions essentielles reviennent au sujet de Diana Ross. Un : Berry Gordy l’a t-elle pécho ? Oui, elle a eu un enfant de lui (alors qu’elle était mariée avec un autre). Deux : Diana Ross a t-elle dépucelé Michael Jackson ? Rien n’est officiel, il y a de fortes présomptions … Fin de l’épisode presse people …
Diana Ross époque "Diana"
Revenons à cette compile. Les seize titres restants couvrent la période 1970-1993. Evacuons d’emblée les trois derniers des années 90, très mauvais. Le reste rassemble ses morceaux les plus connus, plus ou moins chronologiquement. Dès les débuts de sa carrière solo (comme toutes les autres stars de la Motown, Marvin Gaye ou Stevie Wonder, Diana Ross aura des velléités d’indépendance, mais c’est celle qui renâclera le moins pour rester sur le label, ses liens particuliers avec Gordy expliquant cela), Diana Ross devient une chanteuse centriste, au répertoire très middle of the road, invitée vedette de tous les shows de variété familiaux. Meilleur titre de l’époque, « Ain’t no mountain high enough », grosse pièce montée pop avec orchestration démesurée et quelque peu dégoulinante …
Lentement mais sûrement au cours des seventies, l’étoile de la Ross commence à pâlir. Sont convoqués à la rescousse Bernard Edwards et Nile Rodgers, les rois du disco Chic, chargés d’écrire et produire un disque. Ce sera « Diana » en 1980. Les choses ne se passent pas très bien, la Diana fait ses numéros de diva, et gonfle passablement Edwards et Rodgers. Qui font leur boulot, tout en truffant les lyrics du disque de paroles à double sens. Et si Diana Ross chante maintenant très bien, si elle sait prendre des poses avantageuses sur ses photos, elle … comment dire, ne brille pas forcément par son esprit. Elle piquera une légendaire colère quand elle comprendra des mois après l’avoir enregistré ce que signifie le titre et les paroles de la chanson « I’m coming out » qui feront forcément d’elle une icône de la culture disco gay. Ce titre ne se trouve évidemment pas sur la compilation, mais il y a de cette collaboration avec les leaders de Chic l’imparable « Upside down » qui fera de Diana Ross la rivale et l’égale en terme de succès de toutes les divas disco de l’époque.
Diana Ross 1989
La revoici donc au top, se piquant de gérer au plus près sa carrière, quittant Motown (avant d’y revenir quelques années plus tard), duotant avec Lionel Richie (titre calamiteux mais qui se vendra très bien). Elle n’en poursuivra pas moins son déclin artistique, non sans avoir tenté en 1985 un génial coup de poker avec les frangins Gibb à l’écriture (oui, oui, ceux des Bee Gees). Ce conglomérat de vieilles gloires disco sur le retour va accoucher d’un titre fabuleux, « Chain reaction », mix discoïde insensé du son des Supremes, mélangeant plus particulièrement dans ses influences « Baby love » et « You keep me hangin’ on ».
Evidemment aujourd’hui, vu l’âge de la dame, il n’y a plus rien de bon, même pas de moyen à attendre de sa part. Et on ne fait pas  sur plusieurs décennies une carrière dans la variété haut de gamme, mais la variété tout de même, sans enregistrer des choses très dispensables. Cette compilation le démontre. Les titres avec les Supremes font bien de l’ombre,  c’est le moins que l’on puisse dire, au reste de sa carrière, malgré une poignée de hits disco très recommandables …

GENESIS - WE CAN'T DANCE (1991)


Têtu ...

Non, il ne va pas être question du magazine pour LGBT … mais du qualificatif qui peut s’appliquer à Genesis. Faut vraiment être obstiné pour persister à emmerder la Terre entière aussi longtemps. Les trois gonzos restants au début des années 90 s’accrochent à la musique tels des morpions aux poils dans des entrejambes négligées.
« Tell me why » s’interrogent-ils sur un titre (un dirait une maquette inachevée de Sting, ce truc, c’est dire le niveau). On pourrait leur retourner la question. Pourquoi, oui pourquoi cet acharnement pervers ? Ils auraient pas pu arrêter quand Peter Gabriel, certainement dans un éclair de lucidité s’est cassé au milieu des seventies ? Ou quand le guitariste Steve Hackett a fait de même quelques années plus tard ? Non, pensez donc … les inénarrables Phil Collins, Mike Rutherford et Tony Banks, en plus d’être livreurs de daubes en solo, se sont tout du long des années 80 sentis obligés de faire des disques ensemble. Comme s’ils avaient besoin de fric … Comme si quelqu’un de sensé attendait quelque chose de ces trois pantins …

D’ailleurs même leurs fans des débuts (si, si, il y en eut, et beaucoup) n’y comprenaient plus rien à leurs disques. Les Pieds-Nickelés du prog sortaient des disques de chansonnettes, qui, il faut être honnête, valaient bien celles d’Olivia Newton-John ou des Bananarama. Ce qui place pas la barre très haut. Malgré tout, les vieux couillons baba continuaient d’acheter les disques, rejoints par tous les sourds scotchés aux radios FM. Et durant toutes les 80’s, les Genesis, encore plus mauvais que quand ils étaient nuls (ou le contraire, ça marche aussi), vendirent du disque par camions.
Il me semble même que le jackpot fut atteint avec ce « We can’t dance », pas meilleur ni pire que « Mama » ou « Abacab ». Juste plus long, avec des morceaux de dix minutes. Imagination débordante ? Tu parles, on a tout compris dès le premier titre « No son of mine ». L’intro qui fait frémir avec ses synthés lugubres, la voix de canard cancéreux du Collins, sa batterie hyper-compressée, et sa mélodie pompée sur celle de sa scie casse-bonbons « In the air tonight ». Autant dire que d’entrée les Genesis montraient qu’en matière de pop bas de gamme, ils avaient bien cinq ans et trois modes de retard …
Ce « We can’t dance » est un (inter)minable déballage de ballades pourries (dont certaines, allez savoir pourquoi, ont fait des hits, comme « Hold on my heart »), des espèces de rock variéteux crédibles comme des promesses électorales (« Jesus he knows me »), des machins englués jusqu’au trognon dans des synthés périmés (« Dreamin’ while you sleep »), des …
Bon, ça suffit …
Remets-moi Johnny Kidd …



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MARTIN SCORSESE - CASINO (1995)


Jackpot ...

Par bien des aspects, « Casino » restera comme une sorte d’apogée.
De Scorsese d’abord. Pas le genre de metteur en scène qui se fait bouffer par son scénario ou ses acteurs. Scorsese a un style, une patte. Scorsese montre tout. Et quand il fait des films qui se déroulent dans un milieu violent, il montre la violence. Pas pour le plaisir de remplir l’écran de jets d’hémoglobine, mais parce que la violence fait partie de l’histoire. Et quand la mafia (ici, celle qui dirige en sous-main les casinos de Las Vegas), les millions de dollars, et les montagnes de coke sont au cœur de l’histoire, eh ben, ça bastonne, ça tabasse, ça flingue et ça saigne. Scorsese ne donne pas dans le réalisme façon Bisounours. Au mépris des censeurs et des millions de dollars perdus, lorsque le film quitte le cadre du « public familial » (« Casino » a été interdit aux moins de 17 ans aux USA lors de sa sortie). Cette saga toute en démesure (trois heures, des centaines de « fuck » dans la V.O., soixante crédits musicaux dans la B.O., le Caesars Palace réquisitionné pour le tournage, …) est pour le moment, sinon définitivement, la fin du cycle « mafia contemporaine» de Scorsese, et le second volet d’un diptyque majeur entamé avec « Les Affranchis ».
Scorsese & De Niro
« Casino » est aussi l’apogée, et là aussi semble t-il le terme de la collaboration Scorsese – De Niro. Même si des rumeurs de nouveau film les réunissant à nouveau voient régulièrement le jour. A mon humble avis, si Scorsese est toujours capable de faire de bons films, je vois mal De Niro, à 70 balais, livrer une de ces performances d’acteur que Scorsese a su mieux que quiconque lui extirper, suffit de voir sa reconversion grimaçante en beau-père de Ben Stiller pour se dire que le Roberto a depuis pas mal d’années la tête dans le sac … Un De Niro, qui évidemment, joue dans « Casino » un personnage sinon de mafieux, du moins un type jonglant avec toutes les limites permises par la loi et en relation étroite avec truands et ripoux de tous bords …
Le tandem Scorsese – De Niro en fout plein la vue. « Casino » est avant tout un film à grand spectacle, éclairé par les lumières aveuglantes du Tangiers, et tous ces mouvements hyper-techniques de caméra qui ne se remarquent même pas, la fluidité des séquences est fabuleuse, jamais un effet de trop …  De Niro est le personnage central du scénario, le dépositaire de la toute-puissance maffieuse. Il est autant le moteur de l’histoire, celui qui fait avancer l’intrigue, que celui qui la subit, car il est entouré par deux personnages forts.
Joe Pesci, immense dans ce film. La connexion ritale de Scorsese, évidemment. Pesci livre une performance de truand sauvage et speedé qui n’est pas sans rappeler les numéros de James Cagney dans « L’ennemi public » ou « L’enfer est à lui ». Une présence phénoménale, et pour moi il vole la vedette à De Niro.
Sharon Stone & De Niro
Sharon Stone aussi. Certainement son meilleur rôle (de toutes façons, malgré sa réputation, on ne l’avait vue que dans de furieux navets ou pas loin), pute de luxe, flambeuse et junkie, avec tout au long du film une lente mais sûre descente aux enfers (l’alcool au début, la dope ensuite) qui l’oblige à composer différemment quasiment à chaque scène. Et qu’elle soit au faîte de sa beauté glamoureuse n’est certes pas un handicap …
L’intrigue centrale du film est assez simple. Sam « Ace » Rothstein (De Niro), bookmaker de génie lié à la mafia de Chicago, est envoyé par celle-ci gérer un casino de Las Vegas. Les affaires sont vite florissantes, les valises pleines de billets retournent « au pays ». La situation va se compliquer pour tous quand Rothstein tombe amoureux et épouse Ginger (Sharon Stone) et quand il est rejoint par son ami d’enfance Nicki Santoro (Pesci), par l’odeur du business illégal alléché. Rothstein va dès lors devoir composer avec ces deux ingérables et l’histoire va très mal finir pour la plupart des protagonistes.
Joe Pesci & De Niro
Alors certes, si c’est bien cette triplette qui est essentielle dans le film, et si on ne retrouve que leurs trois têtes sur l’affiche, ce serait faire peu de cas de toute la multitude de personnages secondaires, et de tout un système (celui du jeu en général et de Vegas en particulier) minutieusement décrit par Scorsese. Malgré ses trois heures, de nombreux éléments de l’histoire ne sont pas montrés, ils sont résumés en voix off par Rothstein le plus souvent, voire par Santoro. Certaines choses abordées dans le film auraient pu faire l’objet d’un long-métrage entier : le fonctionnement d’un casino, les techniques de fraude fiscale et de blanchiment d’argent, la corruption du personnel, les tricheurs plus ou moins professionnels, les relations troubles avec la politique, la police et la justice, … autant d’intrigues secondaires dans le film, juste abordées, mais qui en font toute la richesse et la complexité. Faut suivre si on veut saisir toutes les nuances, les allusions, les sous-entendus et les non-dits … Ce qui permet d’avoir au casting toute une galerie de personnages secondaires, du mac minable de Ginger (James Woods), aux gueules pittoresques des pontes de la mafia, en passant par toute une faune d’employés, de petits truands, d’arnaqueurs, de flambeurs, de politicards et de flics ripoux. Même la propre mère de Scorsese est de la distribution …
Joe Pesci & Sharon Stone
Scorsese traite là d’un sujet globalement brûlant, et pour éviter de se retrouver avec une patate trop chaude, transpose l’action dans les années 70 et 80, en précisant dans le final que depuis les choses ont changé. Tout en insinuant que les vétérans de la mafia italo-américaine ont juste été remplacés par les cols blancs des banksters et du monde de la finance en général. Scorsese a aussi modifié (certains survivants, pas beaucoup, l’essentiel de la distribution se fait dégommer avant le générique de fin, pourraient être susceptibles et envoyer au minimum leurs avocats) les noms des véritables protagonistes (les personnages joués par l’essentiel du casting ont réellement existé, et dans ses grandes lignes, le scénario s’inspire de faits réels). Cette véracité de l’histoire fait l’objet d’une incrustation au début ou la fin, je sais plus, et on trouve dans les bonus du BluRay et sur le Net les véritables noms, ce qui n’a à la limite qu’un intérêt tout anecdotique. C’est une histoire, un mode de fonctionnement qui est montré, peu importent les personnages. D’ailleurs Scorsese met vraiment des gants, essayant de nous faire croire dans les bonus que pour lui le thème central de « Casino », c’est la dégradation de la relation Rothstein-Ginger … Hum, Marty, j’ai du mal, j’y crois pas trop, j’avais pas l’impression de regarder un remake de Douglas Sirk. Tiens, tant que je cause bonus et support, autant dire que la version BluRay est somptueuse image et son d’une précision et d’une clarté diaboliques, et les bonus (un survol de la filmo de Scorsese commentée par lui, et une « enquête » sur les véritables personnages ayant inspiré le film) assez nuls pour qui a déjà vu et entendu le débit de mitrailleuse de Scorsese.
Et s’il encore trop tôt pour enterrer Scorsese et faire un palmarès de sa carrière (il a depuis « Casino » sorti des trucs pas dégueus et fourmille encore de projets), « Casino » est un des films qui seront mis en avant pour montrer ce qu’il a fait de mieux. Peut-être pas sa masterpiece, parce que depuis « Mean streets », y’a eu du lourd, du très lourd même, mais sûrement un de ses films majeurs … Question subsidiaire : en a t-il fait de vraiment mineurs ?

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RADIOHEAD - OK COMPUTER (1997)


Computer blues ...

Alors là, attention chef-d’œuvre … c’est ce que vous diront avec des trémolos dans la voix tous les maniaco-dépressifs, et tous ceux qui n’écoutent que de mauvais disques.
Non, non, mes petits chéris, il n’y a pas de quoi se relever la nuit. Tout au plus je serai d’accord avec vous pour dire que c’est un disque intéressant, le meilleur des tristos Radiohead. Des types pourtant prometteurs, dont j’attends encore qu’ils sortent un bon disque. Qui ne viendra jamais, ils sont maintenant trop vieux, trop rances, trop perdus dans leur cérébralité neurasthénique …
« OK Computer » est un disque qui n’eut pas grand mal à surnager dans cette seconde moitié des années 90, à la qualité musicale en chute libre (on avait commencé avec Nirvana et fini avec Mumuse, c’est dire l’ampleur des dégâts) et globalement très affligeante. « OK Computer » est un ramassis assez bien torché de tout ce qui pouvait « fédérer » la génération désenchantée comme disait l’autre. Des choses, des sons, des structures de titres déjà entendus mille fois chez d’autres, vaguement ripolinés d’une humeur morose et d’un pathos geignard. Et comme point de ralliement, la voix sous Prozac pleurnicharde de Thom Yorke. Que je ne supporte pas, il y peut rien et moi non plus …
Musicalement, ça tient globalement assez bien la route. « OK Computer » sera certainement le dernier grand disque conçu pour les chaînes hi-fi, avant que l’hyper compression pour mp3 et iPod lamine tout. Les Radiohead et leur producteur Nigel Godrich, de fait le sixième membre du groupe, ont effectué un travail considérable et le plus souvent réussi sur la structure sonore. « OK Computer » est un disque qui s’écoute, qui ne se subit pas. Avec suffisamment de prise de risques pour se démarquer du troupeau indie-rock dans lequel s’ébrouait jusque-là le groupe.
On a souvent qualifié ce disque de « floydien ». Ouais, si on veut, quand bien même « Subterranean homesick Alien » doit autant à Dylan par son titre qu’aux disques solo de Roger Waters des 80’s. Comparaison plus pertinente quand il s’agit des brouillages radios de l’intermède « Fitter happier » et surtout du très « Echoes » « The Tourist ». Rayon seventies, « Lucky » me semble inspiré par le « Red » de King Crimson, même s’il est juste pleurnichard quand le disque de la chose à Fripp suintait le tragique et le désespéré. Les deux titres les plus révérés m’ont toujours gavé, que ce soit le patchwork « Paranoid android » (du folk, du bruitisme, du chant grégorien, etc, etc …, me fait penser au fuckin’ prog ce machin …), et la ballade qui s’énerve sur la fin comme il y en a des milliards de « Karma Police ». J’ai aussi beaucoup de mal avec cette sorte de heavy metal qu’est « Electioneering », et avec la bouillasse free-rock sans intérêt de « Climbing up the walls ».
Le reste, je suis preneur. Avec mention particulière pour « No surprises » la comptine mélodique simple mais efficace, « Exit music for a film », qui réveille le fantôme de l’excellent Jeff Buckley, pour une fois bien chantée (comme quoi il en est capable, mais pourquoi diable alors ces sempiternels funestes gémissements ?) par Yorke, et la pop-rock de « Let down », sorte de « Ruby Tuesday » des années 90.
Au vu et surtout à l’entendu de ce qu’ils ont fait par la suite (curieusement, j’ai toujours apprécié un de leurs plus ignorés, le politisé « Hail to the thief »), il semble aussi que les Radiohead aient voulu conclure avec « OK Computer » un cycle de leur carrière, s’acheminant de façon de plus en plus kamikaze vers l’électronique envisagée par eux de façon quasi lugubre. Rien que pour ça, ce pied de nez à tous les schémas de rentabilité immédiate, ils auront gagné ma miséricorde …

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In Rainbows



MARTIN SCORSESE - KUNDUN (1997)


Zen, restons zen ...

« Kundun » n’est pas le genre de film qu’on attend forcément de Scorsese. Venant de lui, on compte sur des scénarios sanguins et violents, avec des personnages qui le sont tout autant. Surtout que « Kundun » arrive après « Casino » et « Les affranchis », classiques de son réalisateur. Sauf qu’entre-temps il y a eu le calme et quasi contemplatif « Le temps de l’innocence ».
« Kundun » serait plutôt à rattacher (plus sur le fond que la forme) à « La dernière tentation du Christ », résurgence des jeunes années passées par Scorsese au séminaire, et dont il a gardé un attrait, voire une fascination pour tout ce qui est religieux et mystique. « Kundun » (du nom du premier dalaï-lama de l’Histoire) raconte la jeunesse de l’actuel dalaï-lama. Et comme le type qui s’habille avec les chutes de tissu des tenues des employés de l’Equipement est une de ces vaches sacrées de notre époque qu’il est interdit de critiquer, ce mélange de biopic et de film historique est lisse comme une peau de bébé, respectueux, limite obséquieux. Certes, s’il fallait absolument choisir, mieux vaut une bande de zozos orange pacifistes, que les inventeurs de l’Inquisition ou de la charia. Mais les bouddhistes, ça reste quand même juste une fuckin’ secte (officielle), parole d’athée farouche et féroce dès qu’il s’agit de religion…

« Kundun » s’inscrit dans une mode, très prisée de la pseudo « intelligentsia » du mitan des années 90 visant à une mobilisation favorable à la cause tibétaine. Cause qui en vaut bien une autre, et le film arrive conjointement à une série de concerts des gens de la chose « rock » donnés aux Etats-Unis sous le slogan « Free Tibet » (de l’occupation chinoise), avec en figure de proue le dalaï-lama. Et si l’idée du film remonte au tout début des années 90, elle procède bien de la même démarche, et il n’est pas surprenant que Scorsese, par ailleurs grand fan de rock devant l’éternel ait apporté sa pierre à l’édifice. Ceci étant, on ne trouvera pas dans la BO de « Kundun » trace du « Sympathy for the Devil » des Rolling Stones, c’est un film « sérieux » qui ne mélange pas les genres.
« Kundun » est une prouesse cinématographique, parce que Scorsese derrière une caméra, c’est quand même pas rien. Le Tibet a été « reconstruit » aux studios de Ouarzazate au Maroc grâce à des décors pharaoniques et à quelques retouches numériques. Le casting est uniquement composé de comédiens non professionnels, recrutés partout dans le monde et appartenant tous à la communauté tibétaine exilée. Il était évidemment hors de question de tourner au Tibet, toujours sous tutelle chinoise, et la mise en route du film a entraîné quelques tensions diplomatiques entre la Chine et les USA, quelques mesures de rétorsion économiques de la part de Pékin, une médiation de Kissinger, … la routine de l’étrange ballet diplomatique quasi-permanent entre ces deux états hégémoniques.
Visuellement, « Kundun » est un superbe spectacle, avec des paysages qui n’ont rien à envier à ceux des grands westerns, tout un tas de costumes étranges qui ne surprendront pas les lecteurs de « Tintin au Tibet », et des reconstitutions minutieuses des endroits, des cérémonies et des grands moments qui ont marqué la jeunesse du dalaï-lama. L’histoire montrée commence en 1937 alors qu’il n’a que deux ans et se termine lors de la « fuite » en Inde en 1959, après les premières années d’occupation chinoise et les exactions de son armée … « Kundun » est un film partisan, une hagiographie, limite un film publicitaire pour la « bonne cause ». On devine bien que cette religion étrange, qui fait d’un homme vivant une divinité, une sorte de monarque spirituel à qui tous les égards et toutes les soumissions sont dus (il y a bien à ses côtés un aréopage de conseillers-précepteurs-ministres, mais ils doivent s’effacer devant ses desiderata, les intrigues de ces « courtisans » sont évoquées mais vite éludées). Il convient de préciser que le dalaï-lama en personne a participé à plusieurs reprises au processus de création du scénario, et que tout au long de la préparation et du tournage, sa garde rapprochée de conseillers divers et variés suivait l’équipe du film.
On se retrouve donc avec une sorte de conte de fées religieux, dans lequel les « bons » sont très bons et les « méchants » très méchants. Pas très nuancé, tout ceci. Etrangement, le personnage le plus marquant du film est pour moi Mao, lors des quelques rencontres qu’il a eues avec le dalaï–lama, présenté malgré la dureté des ses propos et de sa stratégie, comme un personnage courtois, séducteur et charmeur … étrange que les consultants bouddhistes n’aient pas cherché à « noircir » davantage le personnage …
Il est clair que c’est le talent de Scorsese qui sauve le film, tirant le maximum des paysages sauvages, des palais tibétains et des costumes, jouant avec les angles de prise de vue, promenant sa caméra au milieu des protagonistes, … S’il ne peut pas glisser quelque vieux rock ou antique blues dans la B.O (confiée à Philip Glass), Scorsese ne peut s’empêcher de glisser un hommage à Méliès (prémonitoire de « Hugo Cabret » ?), à travers quelques films d’époque que regarde un dalaï-lama adolescent. « Kundun » sans quelqu’un du calibre de Scorsese, aurait ressemblé à un documentaire de Stéphane Bern sur une quelconque tête couronnée de la planète.
Reste que cet iconoclaste, ce transgresseur de genre qui a commencé sa carrière comme cameraman à Woodstock et traversé comme ses idoles les 70’s dans un grand nuage de poudres blanches, a livré là une œuvre qu’on pourrait qualifier « de commande », ripolinée et sans aspérités, à la gloire d’une personne dont le but est quand même de retourner exercer sa monarchie théocratique dans son pays … entre ça ou alors les Chinois, ils sont quand même putain de mal barrés, les Tibétains …

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Casino


WAYNE KRAMER - THE HARD STUFF (1995)


The toughest ...

Y’a des noms comme ça, qui forcent le respect. Celui de Wayne Kramer par exemple. Parti de rien pour aller nulle part, et revenu de tout.
Wayne Kramer, l’une des deux guitares du MC5. Déjà, rien que ça, ça suffirait comme carte de visite à des milliards de types qui veulent se la jouer rocker dur. Mais c’est pratiquement une parenthèse dans la vie de Wayne Kramer. Le groupe enragé dissous vers 1972 dans une bourrasque de poudres blanches, Kramer va entamer un périple flirtant avec toutes les limites. Des trafics divers, des affaires un peu chelous pour commencer, et une virée au pénitencier. Rendu à la vie civile, une autre formation sponsorisée par les cartels colombiens, Gang War, avec Johnny Thunders, un autre sacré client en matière de guitares et d’opiacées. Des projets éphémères avec notamment des survivants du MC5 ou des amis-concurrents des Stooges …
Evidemment pareil pedigree n’attire pas les majors du disque, la musique jouée n’a pas trop de « potentiel » marchand, et tous ces garnements sont un peu plus difficiles à gérer que, au hasard (tu parles), la dizaine de cacochymes vieillards ayant fait partie de Yes qui s’entêtent à resservir leur daube à des grabataires sourds et consentants …
Il fallait un malade comme Brett Gurewitz, le boss du label Epitaph, qui au vu de son catalogue (Bad Religion, Turbonegro, Cramps, Tricky, Circle Jerks, …) s’y connaît un peu en cas sociaux imprévisibles, pour signer cette légende à la dérive. Même si Kramer n’a rien de la tête brûlée à laquelle il serait trop facile de le réduire. C’est un type qu’on respecte, voire admire, à la manière d’un Keith Richards ou d’un Lemmy (avec lequel, fatalement, il jouera pour des concerts tribute au MC5), et Kramer est encore en course pour être le dernier survivant de ce trio de défoncés, pour le moment c’est celui qui à l’air d’aller le mieux …
Donc, dès que la rumeur d’un retour au studio se répandit, les volontaires se trouvèrent légion pour venir l’épauler. Généralement tout un tas de durs à cuir(e) issus de la galaxie Epitaph, avec en tête les furieux Melvins, mais aussi des gens vus et entendus chez Rancid, Black Flag, ou dans des groupes de Detroit (Sweat Pea Atkinson, chanteur chez Was (Not Was), et le plus grand bassiste de tous les temps, James Jamerson des Funk Brothers himself). Le résultat est à la hauteur de ce casting bariolé. Là où l’on pourrait s’attendre à exclusivement du rock dur, garage, on est surpris par la variété sonore proposée.
A côté de titres « pour hommes » qui sont quand même majoritaires, on trouve des ballades dévastées, comme la fabuleuse « Junkie romance », très Keith Richards à bout de souffle (pléonasme), la rythmique funky d’une sorte de free-rock (« Incident on Stock Island ») comme il y a du free-jazz avec voix parlée, un titre dans la lignée de certaines dérives scéniques du Five ou des impros de Beefheart et Zappa. Un morceau qui trouve son pendant dans le dernier titre plus ou moins caché du Cd (« So long, Hank »). Kramer titille occasionnellement le hardcore (« Bad seed »), l’énorme ligne de basse de Jamerson emporte « Pillar of fire » vers les rivages du rock lourd seventies, « Realm of pirate kings » est très hendrixien avec ses guitares glougloutantes, l’intro de « Sharkskin suit » devrait parler à tous les fans de Noir Désir (ou du Gun Club), et l’inaugural « Crack in the universe » s’est souvent retrouvé sur des compilations « spécialisées » sans que l’on puisse pour autant le qualifier de hit.
Logiquement, l’impact commercial de « The hard stuff » sera limité (pour être gentil). C’est pas un disque qui s’adresse au grand public, c’est un peu réservé à la « famille ». Qui a été comblée, le disque est excellent et remettait sous les projecteurs une des légendes encore vivantes d’un des plus séminaux groupes de rock ayant existé …