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NICOLAS ROEG - L'HOMME QUI VENAIT D'AILLEURS (1976)

Cracked Actor ?
« L’homme qui venait d’ailleurs » (« The man who fell to Earth » en V.O). est un film qui s’est vautré lors de sa sortie en salles avant d’acquérir à la longue un statut de film culte. Essentiellement par la présence dans le rôle principal de David Robert Jones, plus connu sous le nom de David Bowie.
D’ailleurs aujourd’hui, le titre du film sert parfois de métaphore pour décrire le chanteur aux yeux vairons. Peu sont capables de citer d’autres acteurs du casting, rares ceux pour qui le nom du metteur en scène Nicolas Roeg évoque quelque chose. Les distributeurs ne s’y sont pas trompés, les bande-annonce et la promotion du film mettaient exagérément en avant le nom de Bowie. Même si c’est lui qui porte le film sur ses épaules. Frêles à l’époque. Bowie passe le plus clair de son temps dans une villa de Los Angeles, se nourrissant quasi exclusivement de lait et de cocaïne, et est d’une maigreur à faire envie à nos mannequins anorexiques d’aujourd’hui.
Vers 1975, quand le scénario du film lui est soumis, Bowie n’est pas au mieux, se cherche. Il a « suicidé » son personnage de Ziggy Stardust, s’est investi dans une multitude de collaborations musicales (Lou Reed, Iggy Pop, Mott The Hoople), certes appréciées, mais au détriment de sa propre carrière. Un album de reprises, « Pin ups » (qui a d’une certaine façon inventé le revivalisme dans le rock) plutôt boudé, une suite-renaissance du Ziggy Stardust sound (« Diamond dogs », qui ne vaut pas « Ziggy … » ou « Alladin Sane »), et dernier en date, un essai de disco-funk blanc (« Young americans »), descendu par la critique mais annonciateur de la déferlante disco imminente. Atout important de Bowie, c’est un curieux de tout, prêt à toutes les expérimentations artistiques. Alors du coup, le projet de Roeg lui offre un challenge inédit (il n’a jamais tourné), et satisfait quelque peu la mégalomanie (il a le premier rôle) inhérente à toutes les stars du rock.
Bowie & Roeg
Bowie n’aurait pris qu’une semaine de réflexion après avoir reçu le scénario pour donner son accord, s’envoler avec management, femme et enfant (Zowie, aujourd’hui Duncan Jones, ça fait moins crétin comme prénom tout de même) pour le Nouveau-Mexique, où doit être tourné le film.
Un film tiré d’un bouquin (largement réaménagé par le scénariste anglais Paul Mayersberg) de Walter Stone Tevis. Un panel de producteurs réunit un petit budget et un petit casting. Le tout confié à un réalisateur jugé plutôt bizarre (alors que l’époque comptait quand même pas mal de cramés notoires), l’américain Nicolas Roeg. Un « spécialiste » des rock-stars, puisqu’il avait déjà dirigé Mick Jagger (dans « Performance », lui aussi plus connu pour son acteur-vedette que pour sa qualité artistique), et venait de terminer ce qui reste son meilleur film « Don’t look now » (« Ne vous retournez pas » en français).
Il paraît (Bowie est absent des bonus du Dvd, ce qui fait un peu désordre et en dit long sur ce qu’il doit penser avec le recul du film) que le chanteur glam s’est beaucoup investi sur le tournage, suggérant plein de choses. Dans un climat curieux et vaudevillesque. Anecdote croquignolette, l’actrice principale, l’oubliée Candy Clark était la petite amie du producteur principal Michael Deelay, avant de devenir celle de Roeg qui l’a imposée dans le casting. Et dans le film, la maîtresse du richissime Newton finit dans les bras d’un de ses associés, si ça c’est pas de la private joke subliminale …
David Bowie & Candy Clark
L’histoire du film, c’est celle d’un alien (Thomas Jerome Newton / Bowie) venu sur Terre pour trouver le moyen d’aider et sauver sa famille victime de la désertification de sa planète d’origine. Doté de connaissances technologiques très supérieures aux nôtres, il va se lancer dans la construction d’un empire industrialo-financier qui lui permettra de mettre en chantier son voyage de retour et la résolution de ses problèmes lointains. Logiquement, cette étrange créature qui a pris forme humaine souffrira de quelques difficultés d’adaptation qui sont le cœur (et la conclusion) du film. « L’homme qui venait d’ailleurs » est un curieux mélange de fantastique et de  psychologique (une petite poignée de personnages évolue à peu près en vase clos, ce sont leurs relations étranges et ambiguës sur une longue période – non définie – qui sont montrées).
Dès le départ, « L’homme … » est un film perdu. Bowie est un chanteur, au mieux un performer, certainement pas un acteur. Roeg sauve un peu l’affaire en le faisant évoluer en « terrain connu ». Bowie, qui a chanté « Space odditty », « Life on Mars » et a été à la scène l’extra-terrestre Ziggy Stardust, n’est pas Thomas Jerome Newton. Il est Bowie, tout simplement, les similitudes entre son personnage à l’écran et sa vraie vie passée étant légion. Comme Bowie, Newton cultive une certaine dichotomie : le riche inadapté socialement se retrouve sous les feux de l’actualité quand il veut piloter le vaisseau spatial qu’il a fait construire ; à mettre en parallèle avec l’artiste introverti qui s’exhibe sur scène de la façon la plus choquante possible. L’incompréhension, la « chasse au sorcier » étranger est celle du créateur avant-gardiste. Newton, qui vivait dans une planète austère et vient sur Terre avec une mentalité d’écolo finit accro à la télévision, à la bibine et baise à couille rabattue. Newton ressemble beaucoup à Mick Jagger, Keith Richards, Steven Tyler, Joe Perry, Keith Moon, Alice Cooper (liste non exhaustive). Il y a même des fois où ça devient surréaliste (un des acteurs principaux du film va dans un magasin de disques plein d’affiches publicitaires pour « Young americans », oui, de Bowie, je vois que vous suivez, un Newton  démasqué et « étudié » par la CIA qui ne retournera jamais dans sa planète n’a rien trouvé de mieux que de sortir un disque pour que les siens puissent un jour avoir de ses nouvelles), où le mythe de la (rock) star éternelle devient un moteur même du scénario (Bowie / Newton ne vieillit pas, alors que tout son entourage met les cheveux blancs).
Loving the Alien ?
Le projet reposait tellement sur les épaules de celui qui allait revenir à la scène en Thin White Duke, qu’il devait même en écrire la partition musicale. Finalement c’est John Philips (l’ancien leader des Mamas & Papas) qui en sera chargé, les ébauches des titres écrits par Bowie durant le tournage seront ensuite améliorées pour figurer dans « Low », un disque qui comme « Station to station » reprend pour sa pochette des images issues du film de Roeg.

« L’homme qui venait d’ailleurs » est assez dispensable, bâti sur et pour le seul Bowie, multipliant les clichés plus ou moins bienvenus sur ce que doit (ou devait) être le quotidien d’une idole « décadente » des jeunes. Le montage façon puzzle (bien que chronologique) de l’histoire a occasionné de multiples versions du film (plus ou moins de fantastique, de face-à-face des acteurs, de scènes de cul, …). Aucune d’entre elles n’a convaincu grand-monde au-delà du fan-club de Bowie … Me semble t-il pourtant son meilleur rôle, c'est dire le niveau du reste ...



TALKING HEADS - FEAR OF MUSIC (1979)

Le OK Computer des années 70 …
Squelettique et sautillant, le 1er Talking Heads avait fait l’effet d’une bombe deux ans plus tôt. « Talking Heads 77 », c’était un disque martial d’épileptique sous Tranxène, un disque de punk pour ceux qui aimaient pas çà. Le groupe avait eu beau partager la scène miteuse du CBGB avec les Ramones, ils avaient rien de sniffeurs de colle en Perfecto, et leur musique était loin du binaire « 1,2,3,4, Hey ho, let’s go ». Les Talking Heads, c’était un déjà vieux de la vieille (Jerry Harrison, un ancien des Modern Lovers de Jonathan Richman), une rythmique funky (le couple à la ville comme à la scène Chris Frantz – Tina Weymouth), et tête pensante des Têtes Parlantes, le sieur David Byrne. Lequel Byrne s’entiche très vite de l’œuvre d’une autre tête très pensante, Brian Eno.
Brian Eno & David Byrne
Eno, je connais. Ses débuts dans les deux premiers Roxy Music, quelques-uns de ses disques solos (dont je raffole pas au-delà), et pas mal de disques des autres qu’il a produit (dont je suis plutôt preneur), et là la liste est longue, son « client » le plus célèbre en cette fin des seventies étant David Bowie pour ses disques dits « berlinois ». Et il me semble avoir compris quelque chose au travail de producteur d’Eno. Il aime pas vraiment le rock au sens large (ouh, le vilain !) et veut faire « autre chose » quand il bosse sur un disque. En instaurant une sorte de rapport de forces psychologique avec les gens qu’il produit. Et là, si t’as pas du caractère, et des idées bien arrêtées, t’es mort, tu te retrouves avec un disque de Eno. Faut instaurer un combat artistique avec lui. Ce que n’a pas fait David Byrne en allant le chercher. Byrne est trop fan de Eno, et Eno a bouffé les Talking Heads. Non sans que Weymouth et Frantz résistent, ils reprendront la main le coup d’après (le superbe « Remain in light », toujours avec Eno, mais il a été obligé de lâcher du lest), dernier éclat de ce groupe qui s’appelait Talking Heads, avant qu’il devienne la chose du seul David Byrne.
« Fear of music » donc. La tarte à la crème de ceux pour qui le rock doit être mûrement pensé, pesé, intello et cérébral. La référence suprême de la disco des Talking Heads pour ceux qui n’aiment pas le rock. La matrice de tous les groupes d’Anglais torturés et leur descendance qui vont faire leurs les années 80, tous les Joy Division, OMD, Cabaret Voltaire et consorts … « Fear of music » est un virage radical pour les Talking Heads. Sur onze titres, seuls une paire (« Paper » et « Animals ») se situent en terrain connu. Tous le reste est une plongée vers l’inédit sonore, et on sent que Eno et Byrne ont pris leur pied en utilisant un nouvel état d’esprit (le punk-new wave-machin chose) pour triturer la carcasse du bon vieux old rock.
1979, les Talking Heads prennent l'eau
Le résultat d’ensemble, désolé, mais je vois là-dedans rien qui puisse ressembler au chef-d’œuvre indiscutable qu’on tente de nous refourguer depuis plus de trente ans. Y’a de bonnes choses, d’accord, et aussi des machins pénibles qui me gavent. Genre « Cities », funk robotique syncopé en totale roue libre, « Drugs », anecdotique machin barré-psyché-krautrock … Au hasard, deux des titres jugés « fabuleux » par ceux qui aiment ce disque. Par contre, j’aime bien l’inaugural « I Zimbra », avec son texte en kobaïen africanisant, et la guitare mathématique de Robert Fripp reconnaissable entre mille, « Mind » comme du Roxy Music des débuts (période Eno donc) repris par les Talking Heads, « Life during wartime », rhythm’n’blues quasi méconnaissable et pour moi meilleur titre du disque. et puis une grosse partie du skeud qui me laisse à peu près indifférent (« Heaven », toutes les recettes du Bowie période berlinoise mais mieux vaut l’original, le sombre « Memories can wait » très joydivisionnesque mais là aussi c’est mieux avec Ian Curtis et sa bande de tristos).

En fait, l’histoire l’a montré, deux tendances commençaient à s’affronter au sein des Talking Heads. Pour faire simple, on dira la tendance intello (Byrne et son nouveau pote Eno, quasiment cinquième membre du groupe), et la tendance funky (Weymouth et Frantz, au final rejoints par Harrison). « Remain in light » sera un compromis étonnamment réussi, avant que le groupe n’implose, la bassiste et le batteur fondant le rigolo et dansant Tom Tom Club, mais continuant de participer aux disques des Talking Heads, désormais sous la tutelle entière de Byrne.

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MINK DEVILLE - RETURN TO MAGENTA (1978)

De la suite dans les idées ...
« Return to Magenta » est le second disque de Mink DeVille. Et un challenge. Succéder au parfait « Cabretta », qui avait reçu des louanges quasi unanimes, sans cependant se vendre par camions (ce qui sera un handicap récurent et finalement fatal pour le groupe, lâché au bout de trois disques par son label Capitol).
Aujourd’hui, « Return to Magenta » est un des disques oubliés de Mink DeVille. Un peu coincé entre « Cabretta » et « Le Chat Bleu », les disques majeurs du groupe dans les 70’s. Mais un disque qu’il faudrait peut-être songer à réévaluer.
Même si … comment dire. « Return to Magenta » est écrasé par son début. L’enchaînement des trois, voire des quatre premiers titres est fantastique. Et tout le restant en souffre, le cœur du disque est en comparaison bien en dedans, et malgré un final intéressant, il en reste une impression de montagnes russes qualitatives.
Mink DeVille le groupe fin 70's
Alors, par ordre d’apparition dans les oreilles, « Guardian angel », entre soul, doo-wop et rhythm’n’blues, porté par la superbe voix (et pour l’occasion dans le registre où elle est la meilleure) de Willy DeVille, c’est juste parfait. Le groupe, honteusement sous-estimé parce qu’on l’a trop souvent confondu et assimilé à son emblématique leader fait également un sans-faute. Bon, faut dire qu’il y a Jack Nitzsche aux manettes, et quand comme lui on a commencé à pousser des boutons sous les ordres de Phil Spector, si on est pas trop con, on arrive à mettre des instruments en place. Il y a quelque chose de spectorien dans ce disque. Rien qui ressemble au Wall of Sound, mais un choix de mettre tout le son au centre, qui allait à contre-courant de toutes les modes de l’époque, ces effets et ces arrangements passant d’un canal à l’autre. « Return to Magenta » est un disque stéréo qui sonne comme un disque mono, le seul format sonore valable selon Spector, et nul doute que Nitzche a retenu cette leçon-là aussi …
« Soul twist », ce serait plutôt du rhythm’n’blues avec ses riffs de cuivres millimétrés, là aussi c’est à tous les niveaux du travail d’orfèvre. « A Train Lady », c’est la ballade soul millésimée, le genre de titres que Willy DeVille aimera mettre en scène en live, tout en poses christiques d’amoureux transi, et ça complète sans la moindre fausse note le tiercé introductif de ce disque.
Ensuite, une reprise de Moon Martin, autre très grand mésestimé de l’époque, et dont Willy DeVille a le premier su reconnaître le talent (il avait déjà repris un des ses titres, le fantastique « Cadillac walk » sur « Cabretta »). Ici, il relit le pétaradant « Rolene » et le groupe sert un boogie’n’roll brûlant.
Willy DeVille
Et puis, … la boulette, le truc qu’il fallait pas faire, le titre reggae (« Desperate days »), on dirait du Jimmy Cliff période hyper-commerciale, et ça va à peu près aussi bien à Mink-Willy DeVille, que la présentation d’une émission littéraire à Franck Ribéry … On sait (enfin ceux que ça intéresse, pas des foules considérables quand même) Willy fortement attiré par les rythmes caraïbes, mais là, c’est juste que c’est totalement raté, daté et ringard … Et on a encore ce funeste titre dans les oreilles quand arrive la roucoulade, jolie mais tellement prévisible, jusque dans ses notes d’harmonica de « Just for friends », et l’impression que le niveau est en train de descendre de quelques crans s’installe. C’est malheureusement confirmé par la suite, le Diddley beat bluesy un peu pataud de « Steady drivin’ man », et le dernier titre, un court rock’n’roll punky (« Confidence to kill ») est à mon sens un autre hors-sujet, Willy DeVille, qui était un habitué du CGGB à ses débuts n’a plus besoin de prouver quoi que soit, il fait là un espèce de punk-rock avec lequel sa musique n’a rien à voir.
Heureusement, le remuant « Easy slider » et la ballade hispanisante « I broke that promise », toutes les deux réussies, avaient presque sauvé auparavant cette seconde partie du disque.
Evidemment, on peut être déçu de quelques morceaux à la ramasse ou un peu faibles, mais l’histoire montrera qu’il en est ainsi de tous les disques majeurs de Willy-Mink. Il ne fera (hormis pour moi « Coup de grâce », mais les « vrais » fans du bonhomme n’aiment pas ce disque « commercial ») aucun disque parfait, mais toujours, même quand il semblait au fond du trou, il trouvera le moyen sur chacune de ses rondelles d’aller tutoyer les anges.

Ici, il y arrive la moitié du temps. Un disque à réévaluer, je vous dis, et pas un follow-up inconsistant de « Cabretta », comme on le présente trop souvent …

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Le Chat Bleu


THE HARDER THEY COME - SOUNDTRACK (1972)

Le reggae pour les nuls ...
Cette notule pédagogique s’adresse à tous ceux dont les conduits auditifs ont été sérieusement malmenés par une écoute prolongée de choses aussi insignifiantes que la country, le blues, la pop, le rock, le trash-doom metal, le drum’n’glitch ou autres sonorités bruyantes affligeantes …
Pour ceux dont la morne existence a été rythmée ( ? ) par du jazz, du classique, du prog-rock, Christophe Obispo ou Pascal Maé, … une prophylaxie éradicante de type vangoghien reste malheureusement la seule solution connue à ce jour.
Bienvenue donc pour une introduction aux merveilles chaloupées et ensoleillées du reggae…
Cette compilation est idéale pour débuter. Et pour plusieurs raisons…
Jimmy Cliff
C’est la première qui a mis la Jamaïque sur la carte du monde musical. Bande sonore d’un nanar de série B de Perry Henzel, (« The harder they come »,  « Tout, tout de suite » en France) version caraïbe des films US de blackploitation, relatant les tribulations d’un paysan jamaïcain confronté au milieu gangstérisé de la production musicale locale. Jimmy Cliff y tient le rôle principal d’une manière assez comique (voire tragique), démontrant que pour faire une carrière d’acteur, l’Actor’s Studio peut s’avérer utile.
Cette compilation est parue en 1972, qui est aussi la fin de l’âge de l’or du reggae. La révélation l’année suivante de la comète Marley signée par un label à vocation internationale, Island de Chris Blackwell, Jamaïcain exilé en Angleterre, marquera la fin de la créativité musicale inouïe locale, le formatage (de qualité, certes, mais formatage quand même) devenant dès lors de mise…
On voit sur cette B.O. toute l’évolution, qui s’effectuait alors à une vitesse prodigieuse, menant du rocksteady et du ska de la fin des 60’s, au reggae tel qu’il a été popularisé par la suite…
Sur les douze morceaux (deux sont en deux versions, « You can get it if you really want » et « The harder they come ») neuf font partie du patrimoine incontournable du reggae, dans cette compilation où surtout Jimmy Cliff est à l’honneur (la moitié des titres).
Toots & The Maytals
« You can’t get if you really want » est un reggae de Cliff de facture très pop, sous influence américaine du genre, avec durant le pont, l’apparition d’une section de cuivres très Stax. C’est en poursuivant dans cette voie-là que Jimmy Cliff obtiendra de gros succès populaires, délaissant au passage la qualité artistique de ses débuts.
« Draw your breaks » (comprendre brakes (freins), les Jamaïcains entretenant de curieux rapports avec l’anglais, tant parlé qu’écrit …) est un des classiques du reggae, par l’oublié 3ème couteau Scotty. Ce morceau contient une mélodie et une phrase récurrentes (« Stop that train », le train représentant le progrès, la civilisation occidentale, Babylone, …) que l’on retrouvera dans des centaines d’enregistrements par la suite.
« Rivers of Babylon », par les Melodians (et non les Melodions comme écrit sur le livret et la jaquette du Cd), est lui aussi très connu … dans la version Boney M. Evidemment, la version originale, beaucoup plus lente, est mille fois fois supérieure à la scie disco… Ce titre représente un des sommets d’un genre à part entière, celui du groupe vocal (généralement un trio) dans le reggae. Tous ces groupes vocaux sont fortement influencés par la musique noire américaine avec comme noms qui reviennent le plus souvent dans leurs références, les Drifters et les Impressions de Curtis Mayfield.
The Melodians
Avec « Many rivers to cross », coup de bol, vous récupérez sur une compilation de reggae une ballade soul définitive, l’égale des « It’s a man man’s world » ou « When a man loves a woman ». Un classique indémodable.
« Sweet and dandy » des Maytals , est typique du rocksteady, combinant un phrasé lent sur  un rythme rapide issu du rock américain fifties. Les Maytals ont pour leader Toots Hibbert, qui deviendra un des quatre ou cinq plus grands noms du reggae dans les 70’s (Toots & The Maytals).
« The harder they come », à nouveau Jimmy Cliff, avec un reggae toujours agrémenté d’une mélodie pop. Un des titres dont raffoleront les punks anglais (Joe Strummer & The Mescaleros), ou américains (Rancid), qui le reprendront. A noter une reprise risible par Eddy Mitchell (« Le maître du monde »), que Schmoll est allé enregistrer au milieu des 70’s à Memphis ( ? )…
Autre merveille d’un groupe vocal oublié, le « Johnny too bad » des Slickers. Repris lui aussi par les anciens punks reconvertis gothique-synthés Lors of the New Church (Cd « Is nothing sacred ? ») qui avaient « oublié » de créditer les vrais auteurs, s’appropriant sans vergogne la paternité du titre …
Desmond Dekker
« Shanty town », sur un rythme rocksteady, a fait de son interprète Desmond Dekker l’archétype du « rude boy », le stéréotype du rasta dur-à-cuire (cf le titre du film des Clash)…
« Pressure drop » est un autre titre des Maytals, un des plus connus du reggae en général, lui aussi énormément repris (Clash bien sûr, mais aussi Robert Palmer, Izzy Stradlin, Specials, …).
Il fallait sur cette compilation un titre pas terrible, c’est Jimmy Cliff qui s’y colle avec l’anecdotique morceau influencé par la soul « Sitting in limbo » …


Bon, vous avez à portée de conduit auditif la meilleure compilation reggae en un Cd. Avant d’aller plus loin dans l’apprentissage, il est conseillé de se laisser pousser les dreadlocks, les ongles du pouce et de l’index, se munir de quelques barrettes (non, non, pas pour se coiffer), de papier fin (non, non, pas pour prendre des notes)… Vous serez dès lors prêts pour appréhender le plus grand groupe reggae de tous les temps, Sting & The Police … euh non, pardon, Bob Marley & The Wailers… 


EMERSON, LAKE & PALMER - TARKUS (1971)

(H)ELP !
Il paraît, c’est écrit par un gazier en extase dans le livret de la réédition, que ce machin est le disque fondateur du rock progressif, grâce (à cause ?) de son morceau-titre de plus de vingt minutes. Qu’est-ce que vous voulez dire après ça ? Un poubelle direct et on passe au suivant …
Les coupables
Ben non, quand même pas, tant qu’à y être, faut se moquer un peu de ces trois pantins. Qui avaient pas si mal commencé que ça dans la vie. Keith Emerson s’était fait remarquer en jouant de l’orgue Hammond avec des couteaux (si, si) chez les Nice, groupe d’accros au LSD pas loin de la première division du Swingin’ London psychédélique. Greg Lake, c’était le bassiste-chanteur du fabuleux « In the court … » de King Crimson (il était aussi guitariste, mais bon , Robert Fripp n’était pas exactement un partageux). Carl Palmer avait fait ses armes chez le braillard Arthur Brown et son Band, et chez les néo-progueux d’Atomic Rooster. Sous la houlette d’Emerson, les trois vont se réunir genre super-groupe (la tarte à la crème obligatoire des musiciens « techniques » de l’époque), décréter que le rock c’est so ringard et faire autre chose.
Résultat des courses, une litanie de pensums prétentieux dans les seventies (et comme ils sont tous vivants, la menace de la reformation est bien réelle, même s’ils ont pas donné de nouvelles depuis vingt ans), qui fera de ces trois benêts des poids lourds (dans tous les sens du terme) du rock progressif. Certains amateurs ( ? ) du genre prétendent même que ELP, c’est encore plus alambiqué que Yes. Assertion que je réfute totalement, y’a rien de pire que Yes.
Bon, alors ce « Tarkus » ? Déjà, ça commence avec le sus-cité morceau-titre et ses sept « mouvements » (tu parles de mouvement, t’as plutôt envie de piquer un roupillon au milieu de cet enchevêtrement de jazz et classique pompiers entrelardé de rengaines molles). Une face du 33T original. La seconde face, le préposé aux notes de réédition, il en parle tout juste, tout tourneboulé ce mal entendant par l’encombrante suite. Je vais en causer, non pas qu’elle soit captivante, mais parce qu’elle est quand même bien moins moche.
Il est pas beau, le livret intérieur ?
Ça commence plutôt bien (« Jeremy Bender »), sur une base de piano honky tonk (avant de faire son petit Mozart, Emerson avait passé 215 ans au conservatoire, il faut reconnaître qu’il est assez doué dès qu’il y a un engin avec des touches blanches et noires qui lui passe entre les pattes). Las, l’embellie ne dure pas, le titre suivant (« Bitches crystal » ??), sous ses atours jazzy méthode Marcel Zanini, on dirait les embarrassants débuts de Sting en solo, quand il était entouré des requins de studio genre Hakim ou Marsalis. Les deux titres suivants, sortez costards queue-de-pie et hauts-de-forme, Emerson nous emmène salle Pleyel pour une extrapolation risible à partir de machins de Bach. Les fans du lourdaud Jon Lord, période solos live sur « Lazy » ou « Space truckin » ne seront pas dépaysés avec « A time and a place », ça sonne exactement comme du Deep Purple qui jouerait sans Blackmore et Gillan, mais on partait de tellement bas, que dans ce skeud ça relève (un peu) le niveau. Le plus inattendu, c’est le dernier titre. Un rock’n’roll (oui, oui, surprenant, isn’t it ?) à la Jerry Lee Lewis. Destiné à l’ingé-son du disque, Eddie Offord, coupable par la suite d’être le producteur des « albums historiques » (on ne rit pas, suffit de les écouter ces skeuds, c’est vraiment pas drôle) de Yes.

Signalons pour les malentendants qui seraient tentés que « Tarkus » (pourquoi « Tarkus », c’est quoi un « Tarkus », hein, bon remarque on s’en cogne) a été remastérisé en 2007. Sans bonus. Donc pour les remix techno et les versions dub il faudra encore patienter.


MADNESS - COMPLETE MADNESS (1982)

Juste un petit grain de folie ...
Pour quasiment tout le monde, Madness se résume à un titre, « One step beyond ». Rabâché, et même encore de nos jours, jusqu’à l’écœurement. Symbole du ska dit festif, avec en filigrane la vision de ces horribles multitudes de groupes du genre qui squattent les après-midi de festivals provinciaux, aussi vite chiants que les fuckin’ bandas du Sud-Ouest …
Madness, c’est pas que « One step beyond ». Le groupe, après quelques années de mise en sommeil s’est reformé quasiment dans son line-up original et demeure une institution. En Angleterre uniquement. Parce que Madness est un groupe typiquement anglais, autant qu’avait pu l’être à la même époque de leurs débuts le trépassé Ian Dury et ses Blockheads. Madness viennent d’un quartier populaire de Londres (Camden Town), et ont savamment entretenu cet aspect cockney-potache-loufoque inné chez eux.

Madness, c’est en 79 la tête d’affiche commerciale du ska, ceux qui ont fait exploser la reconnaissance commerciale du mouvement (« One step … » donc, leur second 45T). Laissant aux Specials le meilleur disque du genre, mais entamant pour leur part à coups de singles malins la conquête régulière des charts. Au bout de deux ans, le ska revival aura fait long feu, faute de combattants (l’essentiel des groupes de la mouvance, y compris les Specials, ont disparu), et la mode est passée à autre chose (les gothiques, la synth-pop, le post-tout-ce-qu’on-veut, …). Madness vont perdurer, en gros une décennie, grâce à un virage pop. Sans se « vendre ». Le groupe a eu la chance de compter en son sein trois, voire quatre auteurs capables de pondre des rengaines putes juste ce qu’il faut pour avoir du succès, mais sacrément efficaces.
Ce « Complete Madness » est paru en 1982, soit trois ans et trois disques après leurs débuts. Ce qui est un timing rapide, mais il faut battre le fer etc …, n’est-ce pas Messieurs les comptables de chez Warner ? Pas de bol, mais personne pouvait savoir, juste avant leur meilleur disque « The rise and fall ». Pas malin non plus, le tracklisting, qui mêle les titres sans tenir compte de la chronologie, et vu que Madness est un groupe qui a évolué dans le bon sens du terme, c’est vraiment pas une bonne idée. Démago, le sous-titre d’origine « 16 hit tracks » (judicieusement supprimé des rééditions) est bien évidemment plus qu’optimiste par rapport à la réalité, d’ailleurs certains titres sont même pas sortis en single.
On trouve donc du ska. Plus exactement ce qu’on appelait du ska en Angleterre et par extension ailleurs dans le monde civilisé, à savoir des choses s’inspirant certes du ska jamaïcain fin 60’s – début 70’s, mais couplé à du reggae, du dub, du toasting, de l’accélération du tempo liée à l’énergie plus ou moins punk de l’époque, le tout dans un format concis (3 minutes maxi). Sont donc de la revue outre l’incontournable « One step beyond », des choses comme « Baggy trousers », « Night boat to Cairo », « The Prince », « Madness », ce qui permet de noter que les Madness sont vraiment des fans ultimes d’une des grandes figures du ska jamaïcain, Prince Buster, puisqu’un titre lui est dédié (« The Prince ») et qu’ils en reprennent deux autres ( « Madness », qui leur donnera leur nom de scène, et « One step beyond », ben oui, c’est pas d’eux).
Ensuite, c’est un peu tout, et aussi n’importe quoi. Du plus ou moins second degré (« The return of the Las Palmas 7 », improbable hybride instrumental entre merengue et calypso), de l’humour macabre (« Cardiac arrest », un des titres les plus enjoués, parle d’un type en train de claquer d’un infarctus), de la pochade fainéante (« In the city » est extrapolé à partir d’un jingle de pub qu’ils avaient écrit pour une bagnole japonaise), de l’hommage certainement sincère à un méconnu poète et musicien anglais d’origine nigériane Labbi Siffre à travers la reprise de son « It must be love » (bonne cover, truffée d’arrangements intéressants de classique et de big band jazz). Cette compile montre aussi la lucidité de gars qui se sentent enfermés dans un style qu’ils pressentent éphémères et qui se retournent vers les bases de la musique anglaise, la pop de qualité. Même si le propos est parfois encore un peu gauche quand ils créent eux-mêmes (« Embarassment », « Shut up »), les choses sont bien meilleures quand ils « s’inspirent » pour pas dire plus (ils sont honnêtes les gars de Madness, ils le reconnaissent dans les courtes mais intéressantes notes du livret) de choses existantes. Ainsi le meilleur titre du disque, « My girl » doit beaucoup au « Watching the detectives » d’Elvis Costello et « Grey day » au schéma rythmique du « Bogus man » de Roxy Music.

On l’aura compris, cette compile d’époque n’a qu’un intérêt somme toute limité, présentant un bon point de vue de leurs premières années, qui sans être à renier ou à rejeter, ne sont pas forcément leurs meilleures. Leurs masterpieces sont encore à venir, même si leur discographie des années 80 est à envisager avec circonspection, beaucoup de choses étant sacrifiées à l’air sonore du temps pour pérenniser un succès qui ne se démentira pas chez leurs compatriotes …


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SIOUXSIE AND THE BANSHEES - THE SCREAM (1978)

La Prêtresse gothique ...
C’est l’étiquette indélébile qui la suivra jusqu’à la nuit des temps. Et qui la gonfle passablement. Elle, c’est Susan Ballion pour l’état civil. Une figure du Londres punk. Quasiment une star au sens warholien du terme. Egérie du Bromley Contingent, la section hardcore du fan-club des groupes punks, et des Pistols en particulier. Dont les photos se sont retrouvées sur les tabloïds. Elle passe pas inaperçue, celle qui se fait maintenant appeler Siouxsie. Coiffure de jais spike au rasoir, yeux au charbon, et tenue vestimentaire traditionnelle composée de soutien-gorges en cuir noir sous imperméable transparent. Au bras de l’imper, un brassard à croix gammée. Les paparazzi s’en donnent à cœur joie.
Siouxsie 1978
Alors quand avec des potes de squatt Siouxsie entend se lancer dans la musique, par un grand coup de balancier réactionnaire (les punks sont ingérables, et les leaders du mouvement, les « scandaleux » Sex Pistols, en pleine débandade seulement un an après leur apparition), ça se bouscule pas du tout pour les signer. Malgré tout, sur la foi d’un seul single à gros succès (« Hong Kong garden »), Polydor complète sa devanture musicale « branchée » en s’offrant Siouxsie et son groupe, les Banshees.
Le premier 33T des Banshees sort fin 1978. Quasiment après la bataille pouvait-on penser. S’il s’était agi d’un disque de punk-rock basique, personne ne s’en serait préoccupé. Or Siouxsie et ses trois garçons (formation basique, guitare-basse-batterie), vont déposer dans les bacs une étrangeté sonore telle qu’elle n’a pas pris une ride depuis sa parution. Rares sont les disques qui peuvent se vanter d’être parmi les fondateurs d’une mode, d’une tendance, d’un courant. « The scream » réussit l’exploit d’être à la fois une des premières parutions de post-punk, new wave, cold wave, rock gothique. Aussi fort, aussi important que les disques contemporains de PIL, Magazine ou Wire, une longueur d’avance et un modèle dans lequel ont très largement puisé Joy Division, Cure, Bauhaus, et toute la clique des corbacs gothiques. Et plein de gens qu’on pourrait croire à des lieues de tout ça ne cessent de revendiquer l’héritage de ce disque ou de Siouxsie (de Jane’s Addiction à Radiohead, ça ratisse large …).
Alors, il y a quoi dans ce « Scream » ? Deux choses qui dominent. La voix de la Siouxsie qui hurle et monte dans les aigus pour tester les tympans. Un type, John McKay, qui joue de la guitare façon scalpel, tout en riffs incisifs et saignants, dédaignant tout le foutu bazar pentatonique bluesy. Les deux stridences se mélangent, se répondent, s’invectivent, et tous ces gimmicks juste entrevus chez Wire ou Magazine sont la base même de la musique des Banshees. Ajoutez un tout jeune producteur, Steve Lillywhite, qui deviendra un des pousseurs de manettes roi des années 80 grâce à ses batteries mixées très en avant. Ici, si ça ne sonne pas encore comme U2 ou Simple Minds, le son de batterie des Banshees, tout en brisures et en contre-temps, porte sans nul doute la patte du producteur.
Siouxsie & The Banshees avec Robert Smith
« Pure » ouvre les hostilités. Et on est bien en terrain hostile. C’est un court instrumental menaçant comme la B.O. d’un giallo de Dario Argento, avec quelques cris terrifiants au fond du mix (Siouxsie). Mais on égorge quoi là ? Le punk, tout simplement. Parce que la suite confirme. La guitare crissante sur une note, la rythmique tournoyante, la voix qui hurle dans les aigus, c’est « Jigsaw feeling », c’est une coulée de lave glaciale qui sort des sillons du disque. Troisième titre et troisième plongée dans l’inconnu, « Overground », avec son riff au cutter débuté à la limite de la perception avant de gronder en avant, une incantation de la Siouxsie, et quand la batterie arrive, on a du Cure (qui n’a pas encore sorti de disque). Ensuite, on prend ses repères, c’est quasiment du terrain connu. « Carcass », sur un riff dérivé de celui de « Rebel rebel » de Bowie (la dame est très fan du chanteur aux yeux vairons), et ne serait cette voix syncopée, ce serait du classic rock de l’époque. On relâche la garde à l’intitulé de « Helter Skelter », ouais, ces jeunots, ils s’amusent à faire du boucan désorganisé, mais ils reviennent vite aux Beatles, aux valeurs sûres. Grave erreur, fallait rester vigilant. Le titre de Paulo Macca est totalement déchiqueté, déstructuré à rendre jaloux l’insupportable Zorn et son fan-club, et si Manson avait pu entendre cette reprise, c’est pas Sharon Tate et une poignée d’autres, c’est tout Los Angeles qui se serait retrouvée les tripes à l’air… Fin de la première face du vinyle …
La seconde n’a rien de primesautier. Moins surprenante, parce que là, maintenant, on est prêt à tout. Mais pas pour autant mainstream. « Mirage » anticipe la pop noire et hantée des 80’s (pas un hasard si les Depeche Mode en mode « célébration noire » des débuts ne tarissaient pas d’éloges sur les Banshees), tous les corbeaux gothiques se délecteront des stridences de « Metal postcards ». Sûrement concession aux potes du Bromley Contingent, « Nicotine stain » est le titre plus ou moins punk de l’album, mais du punk qui n’en est déjà plus (post-punk ?, post-rock ?). En tout cas, il paraît léger à côté du final, le très lent et très inquiétant « Suburban relapse », avant la conclusion (« Switch »), longue montée névrotique entamée par des arpèges de guitare et voix plaintive de la Siouxsie, un titre qui contient en germe la trilogie « glaciale » des Cure.

Accueil critique dithyrambique, accueil poli du public. Ce disque est très novateur, et à mon sens, les Banshees n’iront plus jamais aussi loin dans ce qu’il est bien convenu d’appeler quand même de l’expérimental. D’ailleurs de la formation présente sur « The Scream » ne resteront vite que Siouxsie et le bassiste Steve Severin. Budgie, le batteur des Slits, et futur Monsieur Siouxsie les rejoindra, Robert Smith viendra faire quelques piges à la guitare, avant l’arrivée de John McGeoch (ex Magazine) pour ce qui constituera alors la formation « à succès » de Siouxsie & The Banshees … 

TOM PETTY AND THE HEARTBREAKERS - DAMN THE TORPEDOES (1979)

American Boy ...
Tom Petty et ses Heartbreakers, c’est une des figures principales du bon vieux classic rock ricain, tous ces types qui ont commencé à avoir de gros succès vers la fin des 70’s … surtout chez les Ricains. Ailleurs, le culturiste du New Jersey Springsteen écrase tout. Aux States aussi, mais un peu moins. Il est talonné de près par Petty, Seger, Mellencamp, même s’il reste la figure de proue du genre. Mais les trois autres, quand il avait des coups de moins bien, étaient là pour assurer la relève, Seger vers le milieu des seventies, Mellencamp dans la seconde moitié des eighties, Petty au tournant des années 90. Depuis, tous ces dinosaures « vivotent » sur leurs acquis, se « contentant » à chaque tournée de remplir les arenas de leur pays.
Tom Petty & The Heartbreakers
Petty s’était fait remarquer en 1976, grâce notamment à un titre, « American girl » de son premier album éponyme qui avait cartonné sur l’omnipotente bande FM. Un second disque (« You’re gonna get it ») raté, et très vite le tir est corrigé avec ce « Damn the Torpedoes ». La progression est énorme. Petty et ses Briseurs de Cœurs laissent tomber le « gros son » qui caractérisait le précédent. Le son des Heartbreakers de « Damn … »  est ramassé, homogène, nerveux. Personne ne tire la couverture à soi, n’est surmixé. Hormis un peu la voix de Petty, ce qui n’est pas la meilleure idée du monde, mais c’est à peu près la seule menue réserve que l’on puisse émettre. Allez, si, une autre, qu’on évacue les mauvais points d’entrée, y’a bien le morceau « You tell me » qui semble assurer la transition avec le disque précédent, et qui me paraît le plus faible du skeud, malgré la pige en guest de Donald « Duck » Dunn, le bassiste de Booker T. & the MG’s.
Dunn est d’ailleurs le seul intervenant « extérieur », même si certaines sources font état du batteur de studio Jim Keltner sur un titre. Tout le reste, c’est écrit et joué par Petty et les Heartbreakers. Pour l’écriture, Petty se taille la part du lion, signant seul sept titres et co-signant avec Mike Campbell les deux autres (« Refugee » et « Here comes my girl »). Et même si avec le temps tous ceux qui ont composé les Heartbreakers (pas si nombreux que çà en fait, le groupe qui va entamer sa cinquième décennie d’existence est plutôt du genre stable) sont devenus des musiciens très côtés et très recherchés, pour moi c’est Mike Campbell qui se détache du lot. Ce type, qu’il ne viendrait à l’idée de personne de citer parmi les « grands » guitaristes, est un vrai cador de l’instrument, capable de trouver une idée, un gimmick, un chorus ou un petit solo malins sur chaque titre. Ecoutez-le par exemple sur « Mojo », une des dernières productions du groupe, c’est maintenant lui qui tient la baraque Heartbreakers au bout de ses doigts agiles. Et sur ce « Damn the Torpedoes », il est déjà là et bien là.
Les Heartbreakers, groupe marxiste tendance Groucho ?
Parce que « Damn … » est disque à guitares, un disque de rock, quoi. Pas un hasard si sur la pochette, Petty tient une Rickenbacker. La Ricken, c’est la guitare des élégants, ceux qui préfèrent le son nerveux au gros son. Elle va bien aux Heartbreakers, et aussi à Petty, le dandy du classic rock, qui passe plus de temps devant le miroir à choisir ses fringues qu’à faire des séances de muscu. Niveau look, depuis toujours, il enterre la concurrence. L’alter ego d’un Willy DeVille …
« Damn the Torpedoes » va se hisser vers les cimes des charts, boosté par deux singles. « Refugee » qui ouvre le disque, c’est peut-être le titre le plus emblématique de Petty, qui le résume le mieux. Dans le contexte de la parution (1979), il assure la transition entre le classic rock « pour hommes » (Springsteen, et surtout Seger) des 70’s, et celui beaucoup plus radiophonique des années 80. Il y a tout dans « Refugee », la mélodie, le refrain-hymne, le riff qui colle à l’oreille, l’énergie débridée mais canalisée, … Les radios américaines (parce que les nôtres, à cette époque-là, je vous dis pas, elles étaient même pas FM) réserveront un accueil encore meilleur à « Don’t do me like that », qui ouvrait de façon maline la seconde face du vinyle original, et représentait un versant tendant vers le rhythm’n’blues des Heartbreakers, qui n’aura guère de suites dans leur carrière.
Mais l’essentiel du disque est du même niveau. « Here comes my girl » avec ses couplets parlés rageurs et son refrain explosif pur sucre, est un petit bijou. « Even the losers » est très pop, calibré idéalement pour la bande FM. La troupe sait aussi envoyer le bois, faire hurler les guitares sur le rock de « Shadow of a doubt », et réactualiser le good old rock’n’roll le temps d’un « Century city ». Les Heartbreakers taquinent aussi la power pop avec « What are you doin’ in my life ? », avant de conclure le disque par un country-rock épique (« Louisiana rain »), un peu comme si Gram Parsons jammait avec Springsteen. A noter que pour la première fois de sa carrière, Tom Petty glisse des notes de douze cordes acoustiques, la marque de fabrique de ces Byrds qui l’ont tellement influencé, notamment au début de « Refugee ».
Le succès de ce « Damn the Torpedoes » sera conséquent (aux States), et il peut être considéré comme la première étape de la popularité bientôt immense dont bénéficieront les Heartbreakers. Avec ce disque, Petty commence à devenir grand …

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ORNETTE COLEMAN - BODY META (1976)

Why not ?
‘tain, ça va mal là … En être réduit à écouter du fuckin’ jazz … Va falloir se ressaisir pour pas finir l’été à Antibes Juan-les-Pins.
En plus, poissard comme pas deux, ça tombe sur Ornette Coleman. Un des derniers grands noms de la funeste musique à être encore en vie, concasseur de routines établies, avant-gardiste allumé notoire, le free-jazz et toute cette sorte de choses,  … Même si pour ce « Body Meta », il serait plutôt à la traîne, ce disque étant aux débuts d’une série dont je ne connais rien de sa période dite électrique. Comme Miles Davis et tant d’autres quelques années plus tôt. Arriver après la bataille peut présenter certains intérêts, notamment ne pas refaire les mêmes bêtises que les prédécesseurs (le jazz-rock issu des formations « électriques » est avec le prog la pire abomination qui soit arrivée à la musique le siècle passé).

Derrière Coleman et son sax, on trouve donc une section rythmique (avec une guitare basse électrique, mais qui sonne le plus souvent comme une contrebasse) et deux guitaristes. Et les quatre sont vraiment derrière le boss, dont le sax est mixé très très en avant. Par la suite, cette formation deviendra (avec moult changements de personnel) Prime Time.
« Body Meta », c’est même pas insupportable, même si … bon, vous m’avez compris. Ça démarre (« Voice poetry ») sur un rythme saccadé et des cocottes funky (il paraît que « Body Meta » est un disque funky … euh faut pas déconner …) à la guitare, le sax de Coleman arrive à 2’30 et dès lors ne quittera plus le devant de l’espace sonore jusqu’à la fin du disque.
Autant dire qu’on en bouffe du sax. Heureusement pour moi pas trop de façon exagérément couinante, dont Coleman est adepte. Techniquement, ça a l’air d’être très fort, mais c’est de toute façon un peu l’axiome de base du jazz. Ça semble joué live, tous ensemble dans le studio, on entend même assez distinctement sur deux morceaux les « 1,2,3,4 » de rigueur au début. Deux titres, « Home grown » et « Macho woman » ( ?? Ornette Coleman et Village People même combat ?) où la section rythmique flirte avec le rouge niveau tempo (du hardcore jazz ?), les deux guitares et le sax partent en loopings d’entrée, on est quand même content quand ça s’arrête.
Les deux derniers titres, « Fou amour » (??) et « European echoes » sont plus classiques (enfin classiques, faut le dire vite), le premier donnant lieu à des solos asynchrones de guitare et de sax qui donnent l’impression de se poursuivre, et le second entamé par un motif  de valse tanguante de fête foraine qui reviendra à la fin, après que ça ait longuement mouliné du free-jazz.
Je suis plutôt preneur, mais avec une liste de réserves longues comme le bras, faut pas déconner non plus, même si c’est barré (dans le bon sens), ça reste évidemment du fuckin’ jazz.

SLY & THE FAMILY STONE - THERE'S A RIOT GOING ON (1971)

The Sly Stone Funk Explosion …
Il y a des disques sur lesquels il n’y a rien à dire. Qu’ils soient bons ou mauvais n’est pas le problème. Il y a derrière eux des personnages falots, discrets, des monsieur Tout-le-monde dont on ne sait rien ou presque, et dont on n’a pas envie d’en savoir plus (Plastikman a t-il des enfants, sort-il en club, mange t-il bio ? on s’en cogne …). Et puis il y en a d’autres qui sortent des disques (bons ou mauvais), mais qui ont une aura, une flamboyance, l’art de ne pas passer inaperçus, et dont le parcours entretient la saga mythique (donc souvent enjolivée) qui donne tout son intérêt, toute sa substance à la musique qu’écoutent les djeunes (ou les vieux djeunes) depuis des décennies. Des gens dont les disques sont indissociables de leur vie, de leur histoire.
Sylvester Stewart alias Sly Stone fait sans conteste partie de la seconde catégorie. « There’s a riot going on’ » est son chef-d’oeuvre. Qui n’est pas là par hasard. Il y a toute une histoire, toute une façon d’aborder la vie derrière. Alors bougez-pas, asseyez-vous, Tonton Lester  va vous raconter tout çà …
Il était une fois …
Sly Stone et ses tenues de scène austères ...
Woodstock, dans la nuit du 16 au 17 Août 1969. Après le Grateful Dead, Creedence, L’Airplane et Janis Joplin (qui viennent tous de se vautrer devant 500 000 hippies), et avant les Who (le pire concert de leur carrière dixit Daltrey), Sly et sa Famille Stone montent sur scène. Cinquante minutes plus tard, le meilleur concert du festival est terminé. Le Cd de l’intégralité du show bouillant, avec un Sly Stone complètement « high » en chef d’orchestre d’une folle sarabande de groove total sortira quarante ans plus tard (« Sly & The Family Stone - The Woodstock Experience »). Par leur prestation mémorable à ce festival, certains vont débuter une carrière de superstar : l’ancien plombier Joe Cocker, le basané Carlos Santana et son groupe du même nom, Ten Years After avec les solos supersoniques d’Alvin Lee. Mais pas Sly & the Family Stone.
Dont le disque qui est sorti avant le festival (le très excellent « Stand ! ») se vendra correctement mais sans plus. Le groupe est atypique, pour Woodstock et l’époque. Construit autour de la famille Stewart (Sly, Freddie, la petite sœur Rosie), il est mixte et multiracial (plutôt rare à l’époque), et n’œuvre pas dans le folk / rock qui était la tendance majoritaire et de Woodstock et du rock. Et puis son leader ne passe pas inaperçu. Ses fringues flamboyantes, sa démesurée coupe afro, sa consommation effrénée de femmes et de drogues en font quelqu’un « dont on parle ».
Sly & The Family Stone
Et « Stand ! » et les concerts de la Family Stone vont peu impressionner le « grand public », mais fortement un certain nombre de musiciens. Hendrix, qui traînera un peu avec Sly, mais surtout Miles Davis. Le peu modeste joueur de trompette (que certains ont qualifié de meilleur musicien du siècle, ce qu’il a fini par croire) s’aperçoit que la musique de Sly groove et swingue mille fois plus que la sienne. Il va dès lors littéralement assiéger le studio transformé en lupanar (ou le contraire, on y trouve people, alcool, drogues, groupies, putes, dealers, le tout en grandes quantités) dans lequel se terre Sly qui tente tant bien que mal (plutôt mal, il ne se nourrit que de cocaïne et de filles consentantes) d’enregistrer le successeur de « Stand ! ». Cette fréquentation de Sly aura pour Davis deux conséquences non anodines, dont les effets sont liés. Il va négliger sa femme, la longiligne et bouillante Betty. Hendrix la réconfortera, c’est du moins ce que prétend la rumeur, avant qu’elle divorce. Musicalement, Miles Davis va prendre une claque dont il ne se remettra pas, l’univers sonore de Sly étant un peu plus coloré et chatoyant que le sien. Davis va laisser tomber ses stricts costards de blaireau new-yorkais, s’habiller flashy (comme Sly), se coiffer afro (comme Sly), se défoncer démesurément (comme Sly), tenter d’inventer un univers sonore en prise directe avec le rock au sens large (comme Sly). Le premier disque de Davis après la fréquentation de Sly Stone s’appelera « Bitches brew », c’est une daube, mais une daube qui a compté à l’époque. De même, Davis va penser pouvoir devenir avec sa bouillasse jazz-rock une superstar du rock’n’roll circus, et il figurera comme tête d’affiche au festival de l’Ile de Wight en 1970, avant que les chevelus de tout bord finissent par se rendre compte de l’imposture. Que pense Sly de tout çà ? Que Miles Davis est juste un putain de nègre qui le gonfle grave, et il ne tardera pas à l’éjecter de son antre. Sly, complètement à l’Ouest, ne respecte rien ni personne.
Un autre, qui ne fréquentera pas Sly (il est totalement straight, enfin pour encore dix ans, il se rattrapera par la suite), mais qui prendra son aura en pleine poire, c’est Jaaaaames Brown. Le Parrain jusque là incontesté, avec ses antiques JB’s, de la black music qui groove se voit très nettement dépassé sur sa gauche par les prestations étincelantes de la Family Stone. Ce que Brown commençait à entrevoir (la pulsation rythmique démesurée au centre de la musique), c’est Sly Stone qui le concrétise. Conséquence : Brown va virer l’essentiel de ses vieux fonctionnaires en costard, et monter un nouveau groupe, autour de deux jeunes frangins flamboyants, Catfish et Bootsy Collins ; premier disque de ce nouveau groupe, « Sex machine », et James Brown relance sa carrière. Enfin, et pour en terminer avec l’influence colossale qu’exercera au tournant des années 70 Sly Stone sur la musique, il convient de citer Prince, qui sera un de ses plus doués suiveurs et qui n’a de cesse depuis le début de sa carrière de mélanger toute les formes de musique répertoriées.
Parce que Sly Stone, très vite calciné par son excessif train de vie, va perdre les pédales. Il se voit en incontesté leader musical de son époque, et pourquoi pas, en gourou-leader de tous les Noirs américains. Le costume est un peu trop large pour ses épaules. Ce qui ne l’empêche pas de s’attaquer dans une incohérence totale à son nouveau disque, qui doit transmettre à son « peuple » LE message politico-mystique que celui-ci est censé attendre, tout en proposant la meilleure musique de la planète. Et en réglant au passage leur compte à tous ces roitelets de la black music qui sont au sommet des hit-parades. Sur bien des points, cette tâche démesurée sera un naufrage.

Sly va se mettre à dos l’essentiel de son groupe, surtout la section rythmique. Le batteur Greg Errico (un Blanc) sera jugé incapable d’assurer le groove, Sly le remplacera souvent lui-même à la batterie. Idem pour le bassiste, et là on parle pas de n’importe qui, mais de Larry Graham, l’autre plus grand bassiste du funk avec Bootsy Collins. Seuls échapperont aux colères homériques de Sly Stone son frère le guitariste Freddie, et sa sœur la trompettiste-chanteuse Rosie. A tel point qu’au bout de deux ans de sessions, les intéressés eux-mêmes ne savent plus qui joue et qui joue quoi sur ce disque, les pistes ayant été sans cesse effacées et réenregistrées. Certains prétendent même que Lennon et Clapton (qui ont traîné et jammé un temps avec-chez Sly) seraient présents sans le savoir ni être crédités sur ce disque.
Qui au bout d’un marathon de séances studio de presque deux ans assorti de millions d’anecdotes, s’intitule « There’s a riot going on’ », en forme de réponse cinglante au gentil et insignifiant (du moins jugé comme tel par Sly) « What’s goin’ on » de Marvin Gaye. Enième provocation de Sly, le morceau-titre dure quatre secondes et ne contient que du silence (si le « morceau » figure toujours sur le tracklisting des rééditions, il n’a souvent plus de piste attribuée, son titre est juste accolé au précédent « Africa talk to you … »).
Au vu de sa gestation, on se doute bien que « There’s a riot … » n’est pas un disque « normal ». Il y a des choses absolument géniales et du total n’importe quoi. Bizarrement (l’inverse aurait été logique), c’est le génial qui domine très largement. Il y a des trouvailles rythmiques fabuleuses qui redéfinissent l’essence même de la musique noire qu’il s’agisse de soul, de funk, de jazz, de rhythm’n’blues. Tous les genres sont engloutis, malaxés, triturés dans chaque titre, pour finalement donner naissance à des objets sonores dont la qualité et la cohérence surprennent, eu égard à la santé mentale de leur auteur. « There’s a riot … » réussit l’exploit d’être à la fois dans l’air du temps (on pense à Marvin Gaye, Isaac Hayes, Curtis Mayfield, …) et totalement futuriste pour son époque.
Les deux pièces essentielles du disque se situent à la fin de chaque face de vinyle. Ce sont les deux titres les plus longs. « Africa talks to you (The asphalt jungle) » et « Thank you for talkin to me Africa » se répondent comme les talkin’ drums de la musique traditionnelle africaine. C’est l’appel à la Terre Nourricière d’Afrique, ce sont deux tourneries hypnotiques, la première plus barrée (free soul-funk ?), la seconde reposant sur un groove pachydermique de basse. La basse qui est au cœur de tout « There’s a riot … », lente, lourde, sinueuse, c’est elle qui dirige tout.
Sylvester Stewart aka Sly Stone
Ensuite, l’enrobage, ça dépend de l’humeur hautement versatile de Sly Stone. Tous les genres se mélangent. La couleur jazz peut dominer, comme sur le fabuleux (et ça me coûte de trouver fabuleux un machin de fuckin’ jazz) « Just like a baby ». Ça  peut être beaucoup plus soul que ce soit la soul suave de ce début des seventies (« Family affair »), la soul énergique des sixties (l’introductif « Luv n’ haight », avec un duo vocal de Sly et Rosie), la ballade soul intemporelle (« Time »). Le rhythm’n’blues pointe le bout de son nez  (« Brave & strong », comme si James Brown avait pris du LSD), une ritournelle sunshine pop arrive sans prévenir (« Runnin’ away »), le funk lourd et lent domine « Poet ».
Et puis, de temps en temps, parce qu’il y a chez Sly des fils de la même couleur qui se touchent (ou pas), on a droit à des morceaux totalement explosés et délirants. Mention particulière dans ce registre à « You caught me (Smilin’) » où traînent les carcasses de structures soul, jazz et pop dans un joyeux foutoir. Et médaille d’or du titre le plus barré à « Space cowboy », dans lequel la famille Stone vire country à grand renfort de yodels tyroliens. Niveau trous dans le cerveau, ce titre est parfait, mais comparé aux autres, c’est juste un assez mauvais gag de défoncé …
L’accueil critique de « There’s a riot … » sera bon, celui du public mitigé. Il faut dire que Sly, qui a claqué une fortune en enregistrement (et en substances et « accessoires » divers) commence à voir sa côte baisser auprès de son label. Les gros cigares d’Epic n’apprécient que très modérément ses extravagances de génie auto-proclamé. La façon dont Sly traite son entourage lui sera encore plus préjudiciable. Larry Graham le premier quittera le groupe, un paquet des musiciens de ce conglomérat quasi anonyme qu’est devenu la Family Stone (sur « Stand ! » ils étaient six, tous crédités, ici plus personne sauf Sly, auteur, arrangeur et producteur) feront de même. Seuls lui resteront fidèles encore quelque temps son frère Freddie et sa sœur Rosie. Bon et pour en finir, parce que ça commence à durer, cette chro, signalons que la Rosie en question épousera le manager (enfin, celui qui essaie de gérer cette débandade permanente) Bubba Banks, enlèvera une lettre à son prénom et sous le nom de Rose Banks, sortira au milieu des seventies un disque funky devenu culte et jamais réédité en Cd, l’excellent « Rose ».

Quand au groupe Sly & The Family Stone, malgré d’autres sorties de disques régulières pendant quelques années, il ne retrouvera jamais le niveau de « Stand ! » et « There’s a riot … ». Sly, lui, toxico au dernier degré, louvoiera à partir du milieu des années 70 entre les métiers de dealer et de clochard, tâtera du pénitencier, réapparaissant épisodiquement à l’improviste pour annoncer au monde qu’il va bientôt sortir un disque d’exception. A ce jour, il n’est pas encore paru …

Du même sur ce blog :
The Woodstock Experience