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SIOUXSIE AND THE BANSHEES - THE SCREAM (1978)

La Prêtresse gothique ...
C’est l’étiquette indélébile qui la suivra jusqu’à la nuit des temps. Et qui la gonfle passablement. Elle, c’est Susan Ballion pour l’état civil. Une figure du Londres punk. Quasiment une star au sens warholien du terme. Egérie du Bromley Contingent, la section hardcore du fan-club des groupes punks, et des Pistols en particulier. Dont les photos se sont retrouvées sur les tabloïds. Elle passe pas inaperçue, celle qui se fait maintenant appeler Siouxsie. Coiffure de jais spike au rasoir, yeux au charbon, et tenue vestimentaire traditionnelle composée de soutien-gorges en cuir noir sous imperméable transparent. Au bras de l’imper, un brassard à croix gammée. Les paparazzi s’en donnent à cœur joie.
Siouxsie 1978
Alors quand avec des potes de squatt Siouxsie entend se lancer dans la musique, par un grand coup de balancier réactionnaire (les punks sont ingérables, et les leaders du mouvement, les « scandaleux » Sex Pistols, en pleine débandade seulement un an après leur apparition), ça se bouscule pas du tout pour les signer. Malgré tout, sur la foi d’un seul single à gros succès (« Hong Kong garden »), Polydor complète sa devanture musicale « branchée » en s’offrant Siouxsie et son groupe, les Banshees.
Le premier 33T des Banshees sort fin 1978. Quasiment après la bataille pouvait-on penser. S’il s’était agi d’un disque de punk-rock basique, personne ne s’en serait préoccupé. Or Siouxsie et ses trois garçons (formation basique, guitare-basse-batterie), vont déposer dans les bacs une étrangeté sonore telle qu’elle n’a pas pris une ride depuis sa parution. Rares sont les disques qui peuvent se vanter d’être parmi les fondateurs d’une mode, d’une tendance, d’un courant. « The scream » réussit l’exploit d’être à la fois une des premières parutions de post-punk, new wave, cold wave, rock gothique. Aussi fort, aussi important que les disques contemporains de PIL, Magazine ou Wire, une longueur d’avance et un modèle dans lequel ont très largement puisé Joy Division, Cure, Bauhaus, et toute la clique des corbacs gothiques. Et plein de gens qu’on pourrait croire à des lieues de tout ça ne cessent de revendiquer l’héritage de ce disque ou de Siouxsie (de Jane’s Addiction à Radiohead, ça ratisse large …).
Alors, il y a quoi dans ce « Scream » ? Deux choses qui dominent. La voix de la Siouxsie qui hurle et monte dans les aigus pour tester les tympans. Un type, John McKay, qui joue de la guitare façon scalpel, tout en riffs incisifs et saignants, dédaignant tout le foutu bazar pentatonique bluesy. Les deux stridences se mélangent, se répondent, s’invectivent, et tous ces gimmicks juste entrevus chez Wire ou Magazine sont la base même de la musique des Banshees. Ajoutez un tout jeune producteur, Steve Lillywhite, qui deviendra un des pousseurs de manettes roi des années 80 grâce à ses batteries mixées très en avant. Ici, si ça ne sonne pas encore comme U2 ou Simple Minds, le son de batterie des Banshees, tout en brisures et en contre-temps, porte sans nul doute la patte du producteur.
Siouxsie & The Banshees avec Robert Smith
« Pure » ouvre les hostilités. Et on est bien en terrain hostile. C’est un court instrumental menaçant comme la B.O. d’un giallo de Dario Argento, avec quelques cris terrifiants au fond du mix (Siouxsie). Mais on égorge quoi là ? Le punk, tout simplement. Parce que la suite confirme. La guitare crissante sur une note, la rythmique tournoyante, la voix qui hurle dans les aigus, c’est « Jigsaw feeling », c’est une coulée de lave glaciale qui sort des sillons du disque. Troisième titre et troisième plongée dans l’inconnu, « Overground », avec son riff au cutter débuté à la limite de la perception avant de gronder en avant, une incantation de la Siouxsie, et quand la batterie arrive, on a du Cure (qui n’a pas encore sorti de disque). Ensuite, on prend ses repères, c’est quasiment du terrain connu. « Carcass », sur un riff dérivé de celui de « Rebel rebel » de Bowie (la dame est très fan du chanteur aux yeux vairons), et ne serait cette voix syncopée, ce serait du classic rock de l’époque. On relâche la garde à l’intitulé de « Helter Skelter », ouais, ces jeunots, ils s’amusent à faire du boucan désorganisé, mais ils reviennent vite aux Beatles, aux valeurs sûres. Grave erreur, fallait rester vigilant. Le titre de Paulo Macca est totalement déchiqueté, déstructuré à rendre jaloux l’insupportable Zorn et son fan-club, et si Manson avait pu entendre cette reprise, c’est pas Sharon Tate et une poignée d’autres, c’est tout Los Angeles qui se serait retrouvée les tripes à l’air… Fin de la première face du vinyle …
La seconde n’a rien de primesautier. Moins surprenante, parce que là, maintenant, on est prêt à tout. Mais pas pour autant mainstream. « Mirage » anticipe la pop noire et hantée des 80’s (pas un hasard si les Depeche Mode en mode « célébration noire » des débuts ne tarissaient pas d’éloges sur les Banshees), tous les corbeaux gothiques se délecteront des stridences de « Metal postcards ». Sûrement concession aux potes du Bromley Contingent, « Nicotine stain » est le titre plus ou moins punk de l’album, mais du punk qui n’en est déjà plus (post-punk ?, post-rock ?). En tout cas, il paraît léger à côté du final, le très lent et très inquiétant « Suburban relapse », avant la conclusion (« Switch »), longue montée névrotique entamée par des arpèges de guitare et voix plaintive de la Siouxsie, un titre qui contient en germe la trilogie « glaciale » des Cure.

Accueil critique dithyrambique, accueil poli du public. Ce disque est très novateur, et à mon sens, les Banshees n’iront plus jamais aussi loin dans ce qu’il est bien convenu d’appeler quand même de l’expérimental. D’ailleurs de la formation présente sur « The Scream » ne resteront vite que Siouxsie et le bassiste Steve Severin. Budgie, le batteur des Slits, et futur Monsieur Siouxsie les rejoindra, Robert Smith viendra faire quelques piges à la guitare, avant l’arrivée de John McGeoch (ex Magazine) pour ce qui constituera alors la formation « à succès » de Siouxsie & The Banshees … 

TOM PETTY AND THE HEARTBREAKERS - DAMN THE TORPEDOES (1979)

American Boy ...
Tom Petty et ses Heartbreakers, c’est une des figures principales du bon vieux classic rock ricain, tous ces types qui ont commencé à avoir de gros succès vers la fin des 70’s … surtout chez les Ricains. Ailleurs, le culturiste du New Jersey Springsteen écrase tout. Aux States aussi, mais un peu moins. Il est talonné de près par Petty, Seger, Mellencamp, même s’il reste la figure de proue du genre. Mais les trois autres, quand il avait des coups de moins bien, étaient là pour assurer la relève, Seger vers le milieu des seventies, Mellencamp dans la seconde moitié des eighties, Petty au tournant des années 90. Depuis, tous ces dinosaures « vivotent » sur leurs acquis, se « contentant » à chaque tournée de remplir les arenas de leur pays.
Tom Petty & The Heartbreakers
Petty s’était fait remarquer en 1976, grâce notamment à un titre, « American girl » de son premier album éponyme qui avait cartonné sur l’omnipotente bande FM. Un second disque (« You’re gonna get it ») raté, et très vite le tir est corrigé avec ce « Damn the Torpedoes ». La progression est énorme. Petty et ses Briseurs de Cœurs laissent tomber le « gros son » qui caractérisait le précédent. Le son des Heartbreakers de « Damn … »  est ramassé, homogène, nerveux. Personne ne tire la couverture à soi, n’est surmixé. Hormis un peu la voix de Petty, ce qui n’est pas la meilleure idée du monde, mais c’est à peu près la seule menue réserve que l’on puisse émettre. Allez, si, une autre, qu’on évacue les mauvais points d’entrée, y’a bien le morceau « You tell me » qui semble assurer la transition avec le disque précédent, et qui me paraît le plus faible du skeud, malgré la pige en guest de Donald « Duck » Dunn, le bassiste de Booker T. & the MG’s.
Dunn est d’ailleurs le seul intervenant « extérieur », même si certaines sources font état du batteur de studio Jim Keltner sur un titre. Tout le reste, c’est écrit et joué par Petty et les Heartbreakers. Pour l’écriture, Petty se taille la part du lion, signant seul sept titres et co-signant avec Mike Campbell les deux autres (« Refugee » et « Here comes my girl »). Et même si avec le temps tous ceux qui ont composé les Heartbreakers (pas si nombreux que çà en fait, le groupe qui va entamer sa cinquième décennie d’existence est plutôt du genre stable) sont devenus des musiciens très côtés et très recherchés, pour moi c’est Mike Campbell qui se détache du lot. Ce type, qu’il ne viendrait à l’idée de personne de citer parmi les « grands » guitaristes, est un vrai cador de l’instrument, capable de trouver une idée, un gimmick, un chorus ou un petit solo malins sur chaque titre. Ecoutez-le par exemple sur « Mojo », une des dernières productions du groupe, c’est maintenant lui qui tient la baraque Heartbreakers au bout de ses doigts agiles. Et sur ce « Damn the Torpedoes », il est déjà là et bien là.
Les Heartbreakers, groupe marxiste tendance Groucho ?
Parce que « Damn … » est disque à guitares, un disque de rock, quoi. Pas un hasard si sur la pochette, Petty tient une Rickenbacker. La Ricken, c’est la guitare des élégants, ceux qui préfèrent le son nerveux au gros son. Elle va bien aux Heartbreakers, et aussi à Petty, le dandy du classic rock, qui passe plus de temps devant le miroir à choisir ses fringues qu’à faire des séances de muscu. Niveau look, depuis toujours, il enterre la concurrence. L’alter ego d’un Willy DeVille …
« Damn the Torpedoes » va se hisser vers les cimes des charts, boosté par deux singles. « Refugee » qui ouvre le disque, c’est peut-être le titre le plus emblématique de Petty, qui le résume le mieux. Dans le contexte de la parution (1979), il assure la transition entre le classic rock « pour hommes » (Springsteen, et surtout Seger) des 70’s, et celui beaucoup plus radiophonique des années 80. Il y a tout dans « Refugee », la mélodie, le refrain-hymne, le riff qui colle à l’oreille, l’énergie débridée mais canalisée, … Les radios américaines (parce que les nôtres, à cette époque-là, je vous dis pas, elles étaient même pas FM) réserveront un accueil encore meilleur à « Don’t do me like that », qui ouvrait de façon maline la seconde face du vinyle original, et représentait un versant tendant vers le rhythm’n’blues des Heartbreakers, qui n’aura guère de suites dans leur carrière.
Mais l’essentiel du disque est du même niveau. « Here comes my girl » avec ses couplets parlés rageurs et son refrain explosif pur sucre, est un petit bijou. « Even the losers » est très pop, calibré idéalement pour la bande FM. La troupe sait aussi envoyer le bois, faire hurler les guitares sur le rock de « Shadow of a doubt », et réactualiser le good old rock’n’roll le temps d’un « Century city ». Les Heartbreakers taquinent aussi la power pop avec « What are you doin’ in my life ? », avant de conclure le disque par un country-rock épique (« Louisiana rain »), un peu comme si Gram Parsons jammait avec Springsteen. A noter que pour la première fois de sa carrière, Tom Petty glisse des notes de douze cordes acoustiques, la marque de fabrique de ces Byrds qui l’ont tellement influencé, notamment au début de « Refugee ».
Le succès de ce « Damn the Torpedoes » sera conséquent (aux States), et il peut être considéré comme la première étape de la popularité bientôt immense dont bénéficieront les Heartbreakers. Avec ce disque, Petty commence à devenir grand …

Des mêmes sur ce blog :


ORNETTE COLEMAN - BODY META (1976)

Why not ?
‘tain, ça va mal là … En être réduit à écouter du fuckin’ jazz … Va falloir se ressaisir pour pas finir l’été à Antibes Juan-les-Pins.
En plus, poissard comme pas deux, ça tombe sur Ornette Coleman. Un des derniers grands noms de la funeste musique à être encore en vie, concasseur de routines établies, avant-gardiste allumé notoire, le free-jazz et toute cette sorte de choses,  … Même si pour ce « Body Meta », il serait plutôt à la traîne, ce disque étant aux débuts d’une série dont je ne connais rien de sa période dite électrique. Comme Miles Davis et tant d’autres quelques années plus tôt. Arriver après la bataille peut présenter certains intérêts, notamment ne pas refaire les mêmes bêtises que les prédécesseurs (le jazz-rock issu des formations « électriques » est avec le prog la pire abomination qui soit arrivée à la musique le siècle passé).

Derrière Coleman et son sax, on trouve donc une section rythmique (avec une guitare basse électrique, mais qui sonne le plus souvent comme une contrebasse) et deux guitaristes. Et les quatre sont vraiment derrière le boss, dont le sax est mixé très très en avant. Par la suite, cette formation deviendra (avec moult changements de personnel) Prime Time.
« Body Meta », c’est même pas insupportable, même si … bon, vous m’avez compris. Ça démarre (« Voice poetry ») sur un rythme saccadé et des cocottes funky (il paraît que « Body Meta » est un disque funky … euh faut pas déconner …) à la guitare, le sax de Coleman arrive à 2’30 et dès lors ne quittera plus le devant de l’espace sonore jusqu’à la fin du disque.
Autant dire qu’on en bouffe du sax. Heureusement pour moi pas trop de façon exagérément couinante, dont Coleman est adepte. Techniquement, ça a l’air d’être très fort, mais c’est de toute façon un peu l’axiome de base du jazz. Ça semble joué live, tous ensemble dans le studio, on entend même assez distinctement sur deux morceaux les « 1,2,3,4 » de rigueur au début. Deux titres, « Home grown » et « Macho woman » ( ?? Ornette Coleman et Village People même combat ?) où la section rythmique flirte avec le rouge niveau tempo (du hardcore jazz ?), les deux guitares et le sax partent en loopings d’entrée, on est quand même content quand ça s’arrête.
Les deux derniers titres, « Fou amour » (??) et « European echoes » sont plus classiques (enfin classiques, faut le dire vite), le premier donnant lieu à des solos asynchrones de guitare et de sax qui donnent l’impression de se poursuivre, et le second entamé par un motif  de valse tanguante de fête foraine qui reviendra à la fin, après que ça ait longuement mouliné du free-jazz.
Je suis plutôt preneur, mais avec une liste de réserves longues comme le bras, faut pas déconner non plus, même si c’est barré (dans le bon sens), ça reste évidemment du fuckin’ jazz.

SLY & THE FAMILY STONE - THERE'S A RIOT GOING ON (1971)

The Sly Stone Funk Explosion …
Il y a des disques sur lesquels il n’y a rien à dire. Qu’ils soient bons ou mauvais n’est pas le problème. Il y a derrière eux des personnages falots, discrets, des monsieur Tout-le-monde dont on ne sait rien ou presque, et dont on n’a pas envie d’en savoir plus (Plastikman a t-il des enfants, sort-il en club, mange t-il bio ? on s’en cogne …). Et puis il y en a d’autres qui sortent des disques (bons ou mauvais), mais qui ont une aura, une flamboyance, l’art de ne pas passer inaperçus, et dont le parcours entretient la saga mythique (donc souvent enjolivée) qui donne tout son intérêt, toute sa substance à la musique qu’écoutent les djeunes (ou les vieux djeunes) depuis des décennies. Des gens dont les disques sont indissociables de leur vie, de leur histoire.
Sylvester Stewart alias Sly Stone fait sans conteste partie de la seconde catégorie. « There’s a riot going on’ » est son chef-d’oeuvre. Qui n’est pas là par hasard. Il y a toute une histoire, toute une façon d’aborder la vie derrière. Alors bougez-pas, asseyez-vous, Tonton Lester  va vous raconter tout çà …
Il était une fois …
Sly Stone et ses tenues de scène austères ...
Woodstock, dans la nuit du 16 au 17 Août 1969. Après le Grateful Dead, Creedence, L’Airplane et Janis Joplin (qui viennent tous de se vautrer devant 500 000 hippies), et avant les Who (le pire concert de leur carrière dixit Daltrey), Sly et sa Famille Stone montent sur scène. Cinquante minutes plus tard, le meilleur concert du festival est terminé. Le Cd de l’intégralité du show bouillant, avec un Sly Stone complètement « high » en chef d’orchestre d’une folle sarabande de groove total sortira quarante ans plus tard (« Sly & The Family Stone - The Woodstock Experience »). Par leur prestation mémorable à ce festival, certains vont débuter une carrière de superstar : l’ancien plombier Joe Cocker, le basané Carlos Santana et son groupe du même nom, Ten Years After avec les solos supersoniques d’Alvin Lee. Mais pas Sly & the Family Stone.
Dont le disque qui est sorti avant le festival (le très excellent « Stand ! ») se vendra correctement mais sans plus. Le groupe est atypique, pour Woodstock et l’époque. Construit autour de la famille Stewart (Sly, Freddie, la petite sœur Rosie), il est mixte et multiracial (plutôt rare à l’époque), et n’œuvre pas dans le folk / rock qui était la tendance majoritaire et de Woodstock et du rock. Et puis son leader ne passe pas inaperçu. Ses fringues flamboyantes, sa démesurée coupe afro, sa consommation effrénée de femmes et de drogues en font quelqu’un « dont on parle ».
Sly & The Family Stone
Et « Stand ! » et les concerts de la Family Stone vont peu impressionner le « grand public », mais fortement un certain nombre de musiciens. Hendrix, qui traînera un peu avec Sly, mais surtout Miles Davis. Le peu modeste joueur de trompette (que certains ont qualifié de meilleur musicien du siècle, ce qu’il a fini par croire) s’aperçoit que la musique de Sly groove et swingue mille fois plus que la sienne. Il va dès lors littéralement assiéger le studio transformé en lupanar (ou le contraire, on y trouve people, alcool, drogues, groupies, putes, dealers, le tout en grandes quantités) dans lequel se terre Sly qui tente tant bien que mal (plutôt mal, il ne se nourrit que de cocaïne et de filles consentantes) d’enregistrer le successeur de « Stand ! ». Cette fréquentation de Sly aura pour Davis deux conséquences non anodines, dont les effets sont liés. Il va négliger sa femme, la longiligne et bouillante Betty. Hendrix la réconfortera, c’est du moins ce que prétend la rumeur, avant qu’elle divorce. Musicalement, Miles Davis va prendre une claque dont il ne se remettra pas, l’univers sonore de Sly étant un peu plus coloré et chatoyant que le sien. Davis va laisser tomber ses stricts costards de blaireau new-yorkais, s’habiller flashy (comme Sly), se coiffer afro (comme Sly), se défoncer démesurément (comme Sly), tenter d’inventer un univers sonore en prise directe avec le rock au sens large (comme Sly). Le premier disque de Davis après la fréquentation de Sly Stone s’appelera « Bitches brew », c’est une daube, mais une daube qui a compté à l’époque. De même, Davis va penser pouvoir devenir avec sa bouillasse jazz-rock une superstar du rock’n’roll circus, et il figurera comme tête d’affiche au festival de l’Ile de Wight en 1970, avant que les chevelus de tout bord finissent par se rendre compte de l’imposture. Que pense Sly de tout çà ? Que Miles Davis est juste un putain de nègre qui le gonfle grave, et il ne tardera pas à l’éjecter de son antre. Sly, complètement à l’Ouest, ne respecte rien ni personne.
Un autre, qui ne fréquentera pas Sly (il est totalement straight, enfin pour encore dix ans, il se rattrapera par la suite), mais qui prendra son aura en pleine poire, c’est Jaaaaames Brown. Le Parrain jusque là incontesté, avec ses antiques JB’s, de la black music qui groove se voit très nettement dépassé sur sa gauche par les prestations étincelantes de la Family Stone. Ce que Brown commençait à entrevoir (la pulsation rythmique démesurée au centre de la musique), c’est Sly Stone qui le concrétise. Conséquence : Brown va virer l’essentiel de ses vieux fonctionnaires en costard, et monter un nouveau groupe, autour de deux jeunes frangins flamboyants, Catfish et Bootsy Collins ; premier disque de ce nouveau groupe, « Sex machine », et James Brown relance sa carrière. Enfin, et pour en terminer avec l’influence colossale qu’exercera au tournant des années 70 Sly Stone sur la musique, il convient de citer Prince, qui sera un de ses plus doués suiveurs et qui n’a de cesse depuis le début de sa carrière de mélanger toute les formes de musique répertoriées.
Parce que Sly Stone, très vite calciné par son excessif train de vie, va perdre les pédales. Il se voit en incontesté leader musical de son époque, et pourquoi pas, en gourou-leader de tous les Noirs américains. Le costume est un peu trop large pour ses épaules. Ce qui ne l’empêche pas de s’attaquer dans une incohérence totale à son nouveau disque, qui doit transmettre à son « peuple » LE message politico-mystique que celui-ci est censé attendre, tout en proposant la meilleure musique de la planète. Et en réglant au passage leur compte à tous ces roitelets de la black music qui sont au sommet des hit-parades. Sur bien des points, cette tâche démesurée sera un naufrage.

Sly va se mettre à dos l’essentiel de son groupe, surtout la section rythmique. Le batteur Greg Errico (un Blanc) sera jugé incapable d’assurer le groove, Sly le remplacera souvent lui-même à la batterie. Idem pour le bassiste, et là on parle pas de n’importe qui, mais de Larry Graham, l’autre plus grand bassiste du funk avec Bootsy Collins. Seuls échapperont aux colères homériques de Sly Stone son frère le guitariste Freddie, et sa sœur la trompettiste-chanteuse Rosie. A tel point qu’au bout de deux ans de sessions, les intéressés eux-mêmes ne savent plus qui joue et qui joue quoi sur ce disque, les pistes ayant été sans cesse effacées et réenregistrées. Certains prétendent même que Lennon et Clapton (qui ont traîné et jammé un temps avec-chez Sly) seraient présents sans le savoir ni être crédités sur ce disque.
Qui au bout d’un marathon de séances studio de presque deux ans assorti de millions d’anecdotes, s’intitule « There’s a riot going on’ », en forme de réponse cinglante au gentil et insignifiant (du moins jugé comme tel par Sly) « What’s goin’ on » de Marvin Gaye. Enième provocation de Sly, le morceau-titre dure quatre secondes et ne contient que du silence (si le « morceau » figure toujours sur le tracklisting des rééditions, il n’a souvent plus de piste attribuée, son titre est juste accolé au précédent « Africa talk to you … »).
Au vu de sa gestation, on se doute bien que « There’s a riot … » n’est pas un disque « normal ». Il y a des choses absolument géniales et du total n’importe quoi. Bizarrement (l’inverse aurait été logique), c’est le génial qui domine très largement. Il y a des trouvailles rythmiques fabuleuses qui redéfinissent l’essence même de la musique noire qu’il s’agisse de soul, de funk, de jazz, de rhythm’n’blues. Tous les genres sont engloutis, malaxés, triturés dans chaque titre, pour finalement donner naissance à des objets sonores dont la qualité et la cohérence surprennent, eu égard à la santé mentale de leur auteur. « There’s a riot … » réussit l’exploit d’être à la fois dans l’air du temps (on pense à Marvin Gaye, Isaac Hayes, Curtis Mayfield, …) et totalement futuriste pour son époque.
Les deux pièces essentielles du disque se situent à la fin de chaque face de vinyle. Ce sont les deux titres les plus longs. « Africa talks to you (The asphalt jungle) » et « Thank you for talkin to me Africa » se répondent comme les talkin’ drums de la musique traditionnelle africaine. C’est l’appel à la Terre Nourricière d’Afrique, ce sont deux tourneries hypnotiques, la première plus barrée (free soul-funk ?), la seconde reposant sur un groove pachydermique de basse. La basse qui est au cœur de tout « There’s a riot … », lente, lourde, sinueuse, c’est elle qui dirige tout.
Sylvester Stewart aka Sly Stone
Ensuite, l’enrobage, ça dépend de l’humeur hautement versatile de Sly Stone. Tous les genres se mélangent. La couleur jazz peut dominer, comme sur le fabuleux (et ça me coûte de trouver fabuleux un machin de fuckin’ jazz) « Just like a baby ». Ça  peut être beaucoup plus soul que ce soit la soul suave de ce début des seventies (« Family affair »), la soul énergique des sixties (l’introductif « Luv n’ haight », avec un duo vocal de Sly et Rosie), la ballade soul intemporelle (« Time »). Le rhythm’n’blues pointe le bout de son nez  (« Brave & strong », comme si James Brown avait pris du LSD), une ritournelle sunshine pop arrive sans prévenir (« Runnin’ away »), le funk lourd et lent domine « Poet ».
Et puis, de temps en temps, parce qu’il y a chez Sly des fils de la même couleur qui se touchent (ou pas), on a droit à des morceaux totalement explosés et délirants. Mention particulière dans ce registre à « You caught me (Smilin’) » où traînent les carcasses de structures soul, jazz et pop dans un joyeux foutoir. Et médaille d’or du titre le plus barré à « Space cowboy », dans lequel la famille Stone vire country à grand renfort de yodels tyroliens. Niveau trous dans le cerveau, ce titre est parfait, mais comparé aux autres, c’est juste un assez mauvais gag de défoncé …
L’accueil critique de « There’s a riot … » sera bon, celui du public mitigé. Il faut dire que Sly, qui a claqué une fortune en enregistrement (et en substances et « accessoires » divers) commence à voir sa côte baisser auprès de son label. Les gros cigares d’Epic n’apprécient que très modérément ses extravagances de génie auto-proclamé. La façon dont Sly traite son entourage lui sera encore plus préjudiciable. Larry Graham le premier quittera le groupe, un paquet des musiciens de ce conglomérat quasi anonyme qu’est devenu la Family Stone (sur « Stand ! » ils étaient six, tous crédités, ici plus personne sauf Sly, auteur, arrangeur et producteur) feront de même. Seuls lui resteront fidèles encore quelque temps son frère Freddie et sa sœur Rosie. Bon et pour en finir, parce que ça commence à durer, cette chro, signalons que la Rosie en question épousera le manager (enfin, celui qui essaie de gérer cette débandade permanente) Bubba Banks, enlèvera une lettre à son prénom et sous le nom de Rose Banks, sortira au milieu des seventies un disque funky devenu culte et jamais réédité en Cd, l’excellent « Rose ».

Quand au groupe Sly & The Family Stone, malgré d’autres sorties de disques régulières pendant quelques années, il ne retrouvera jamais le niveau de « Stand ! » et « There’s a riot … ». Sly, lui, toxico au dernier degré, louvoiera à partir du milieu des années 70 entre les métiers de dealer et de clochard, tâtera du pénitencier, réapparaissant épisodiquement à l’improviste pour annoncer au monde qu’il va bientôt sortir un disque d’exception. A ce jour, il n’est pas encore paru …

Du même sur ce blog :
The Woodstock Experience 


PAUL McCARTNEY - McCARTNEY (1970)

Passer de l'essentiel à l'accessoire ...
10 Avril 1970. Les fans attendent le prochain disque des Beatles en espérant que toutes ces rumeurs de climat délétère à l’intérieur du groupe ne soient justement que des rumeurs, et que le plus grand groupe pop du siècle va revenir avec une tuerie sous forme de 33T pour encore une fois mettre tout le monde d’accord. Il arrivera ce fameux disque (« Let it be »), mais sous forme de testament. Car ce 10 Avril, un communiqué lapidaire envoyé à la presse annonce que Paul McCartney quitte les Beatles. Lennon était déjà parti mais sans l’ébruiter, Harrison n’est plus vraiment là de toute façon, et Ringo … Ringo, comme d’hab, personne lui a demandé son avis, de toute manière il était au bar... Ce communiqué de Macca précise également qu’une semaine plus tard, paraîtra son premier disque solo.
Paul & Linda McCartney 1970
Un disque sans titre, une moche pochette énigmatique, 13 titres écrits, joués, chantés, arrangés et produits par le seul Paulo. Pour le timing, on est dans les normes « Abbey Road » (au moins aux deux tiers l’œuvre de Paul, dont la plus grande partie de la seconde face, avec ses courtes vignettes musicales), les treize titres dépassent un peu la demi-heure, c’est du succinct …
Et ça commence mal, 43 secondes d’aubade à sa Linda de femme. Ah, les femmes des Beatles, qu’on a accusé de tous les maux (le plus souvent à juste titre) et qui n’ont pas été pour rien dans la … euh, débandade du groupe. On l’entend d’ailleurs un peu (et c’est déjà trop) la Linda pousser quelques vagissements (les fans appellent ça des chœurs, les fans sont très tolérants) sur une paire de titres … bâillements…
McCartney qui joue de tout (guitare, basse, batterie, piano et claviers), ça se remarque. Il a beau être doué le Paulo, on se rend vite compte qu’il a certaines limites vite atteintes, et l’ensemble sonne assez souvent simplet (ces solos de guitare où on a le temps d’aller boire un café entre deux notes, à l’époque d’un Alvin Lee triomphant, ça fait désordre …). Techniquement, ce disque est au niveau d’une maquette, y’a des bribes de morceaux, d’idées, et même trois instrumentaux dont l’intérêt est, pour rester poli, limité …
Les vacances de Monsieur Paulo
Le reste, oh, ça dépayse pas vraiment. Cette voix tellement entendue tout du long de la décennie est toujours là, de même que les titres « sucrés », ces ballades la larme à l’œil dont n’ont pas fini de se gausser ses détracteurs. Mais c’est une partie du personnage, toute en douceur sonore et caresse musicale, et ici ce sont des morceaux comme « Junk », « Every night », « Man we was lonely », « Teddy boy ». Et si tout le monde ( ? ) ne connaissait pas les 224 titres des Beatles, certains de cet album solo pourraient sembler sortis de la discographie des Fab Four, parce que ce premier disque n’a rien de révolutionnaire, tout se situe en terrain connu. Tout au plus peut-on remarquer que Macca se laisse aller à taper quelques blues-rock, exercice auparavant le plus souvent dévolu à Lennon.
Tiens, Lennon, justement, il est gentiment taquiné dans un de ces blues-rock (« Oo you »). Mais voilà, même (surtout ?) si on s’appelle McCartney, c’est pas le moment d’égratigner la Statue du Commandeur. Le binoclard va très mal prendre ce titre et répondre méchamment sur son « Imagine » l’année suivante (« How do you sleep ? »). Il y a des gens qui ont l’ego susceptible, même s’ils se prétendent les plus cools de la Terre …
Ce « McCartney » n’est pas bon, bâclé et approximatif, à mille lieues des fulgurances à tous les niveaux de Beatle Paul. Mais même à la ramasse, le Paulo est capable de se fendre d’une ballade soul (pour Linda, of course), assez proche de ce que faisait Winwood avec Traffic, ça s’appelle « Maybe I’m amazed », ça va très logiquement cartonner dans les charts, et ça dépasse de la tête et des épaules tout le reste du disque.

Un disque malgré tout en équilibre instable au bord de la poubelle, très nettement inférieur aux livraisons des « rivaux » George (« All things must pass ») et John (« Plastic Ono Band »). Et Ringo me demande t-on ? Euh … il était au bar …


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CURTIS MAYFIELD - SUPERFLY (1972)

Un film comme clip ?
« Superfly », c’est un film de l’âge d’or du cinéma dit de blaxploitation, mis en scène par un certain Gordon Parks Jr. avec comme acteur principal le dénommé Ron O’Neal. Artistiquement, entre série B et nanar.
« Superfly », c’est la bande-son dudit film, écrite et produite par Curtis Mayfield. Et là, on n’est pas dans la série B, c’est peut-être bien la meilleure B.O. originale (avant que les B.O. deviennent des compilations de hits) jamais publiée.
Et pourtant, un bon paquet de stars de la black music s’y sont collées, à la B.O. des films de blaxploitation. Une façon pour eux de valider cette négritude artistique revendiquée par des cinéastes au tournant des années 70. Précurseur, Melvin Van Peebles, acteur, réalisateur et responsable de la bande-son de « Sweet Sweetback’s Baadasssss Song ». Dans la foulée, Marvin Gaye, James Brown (pas leurs disques les plus marquants), et deux sérieux clients pour qui l’exercice de la B.O. va constituer le tremplin majeur de leur carrière : Isaac Hayes pour « Shaft » et donc Curtis Mayfield pour « Superfly ».

Curtis Mayfield n’est pas vraiment un débutant en 1972. Une carrière à succès avec le trio vocal The Impressions, des débuts en solo remarqués (notamment « Curtis »), et surtout la co-fondation du label Curtom qui lui donnera une liberté artistique quasi totale. Il faut bien ça pour que paraisse un disque comme « Superfly », qui est un constat sans langue de bois de la situation des Afro-américains, écartelés entre racisme au quotidien et ghettoïsation (avec toute la spirale qui peut aller avec, la délinquance, la dope, …). Et sur le disque « Superfly », Curtis Mayfield va beaucoup plus loin que le film « Superfly », qui se contente à peu près d’avoir un héros Noir.
Bon, le discours politique et social au sens noble du terme (et encore faut-il être bilingue pour l’apprécier) n’aurait pas suffi pour que le disque traverse les décennies en restant une référence. C’est aussi du strict point de vue musical que ça se passe. Et là, il a fait très fort le Isaac Hayes. Tout écrit, tout arrangé, tout produit. « Superfly » est une prouesse assez unique. L’ADN du Isaac Hayes sound, c’est la voix de fausset et la guitare wah-wah. Et puis, viennent s’ajouter aux instruments basiques du rock (ou de la soul, ou du funk, …) des cordes, des cuivres, un grand orchestre, et d’une façon générale tout ce qui peut produire de la musique. N’importe  qui empilant tout ça produit un loukoum insupportable. Isaac Hayes arrive à faire sonner « minimaliste » une multitude d’instruments, alors que selon le modèle déposé par Spector (le Wall of sound), plus il y a d’instruments, plus le son doit être énorme. Généralement Hayes joue sur le mixage, mettant en avant tantôt une ligne de basse, tantôt sa voix, tantôt la guitare, ou les claviers, ou un petit gimmick aguicheur, et reléguant quasiment en sourdine tout le reste.
Curtis Mayfield live dans "Superfly"
Et puis, nerf de la guerre, y’a les titres. Les trois premiers sont fabuleux. « Little child runnin’ wild », avec tous les ingrédients sonores qui s’ajoutent les uns aux autres (les percus, la wah-wah, les riffs de cuivres, la voix de fausset de Mayfield, les phrases de sax, …) montrent où Prince est allé piocher (le nain par la taille de Minneapolis a toujours revendiqué cette influence), « Pusherman » est menée par une énorme ligne de basse magique, « Freddie’s dead » et son minimalisme exubérant (si, si, c’est possible), permet de voir dans une scène du film Isaac Hayes jouer le titre live dans une boîte. Trois titres qui avec le court instrumental jazz-funk « Junkie’s chase » faisaient de la première face vinyle de « Superfly » une des plus cruciales de la black music.
Côté verso, c’était pas mal aussi. « Gimme your love » servait (what else ?) de bande-son à des ébats dans une baignoire entre Ron O’Neal et une beauté black, « No think on me (Cocaine song) » est une ballade soul belle à en faire une overdose, « Think » est un instrumental introduit par une guitare acoustique et une ligne de synthé, avant de partir dans un crescendo ébouriffé, quant au funk-rock de « Superfly » le morceau, c’est le titre qui était sorti le premier en single, c’est dire qu’il a quand même un certain potentiel.

« Superfly » dépasse bien évidemment par l’influence qu’il aura sur la musique noire des 70’s (sans même parler de tous ceux du rap qui le sampleront par la suite) le strict cadre de la simple B.O. Il est curieux de voir qu’après sa mort (en 1999, après une dizaine d’années d’hémiplégie suite à la chute d’une rampe d’éclairage sur scène qui lui a brisé les reins), si tout ce que le music-business compte de grands noms centristes (Franklin, Springsteen, Stewart, Clapton, Marsalis, …), s’est réuni autour de ses chansons pour un album tribute, personne dans la liste n’a osé s’attaquer à un titre de « Superfly » …

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KATE BUSH - THE KICK INSIDE (1978)

Seule au monde ...
Kate Bush, c’est impossible à ne pas reconnaître. Ne serait-ce qu’à cause de la voix (quatre octaves, tout en haut des aigus). A cause de la musique aussi, un peu, parce qu’elle œuvre dans un domaine assez original. Et ce dès son premier disque, « The kick inside ».
Kate Bush, c’est un peu l’anti-star du rock’n’roll circus. La fille de bonne famille, des années de danse classique, des cours de piano.  Et elle écrit des chansons. A dix-sept ans, elle en aurait écrit plus de cinquante. Certaines sont mises sur des cassettes que ses parents font circuler auprès d’amis musiciens. L’une de ces cassettes échouera chez David Gilmour, obscur guitariste d’un groupe pas très connu, Pink Floyd … On peut tomber plus mal d’entrée. Et donc Gilmour a les moyens dès 1975 d’envoyer la gamine en studio enregistrer trois titres, dont deux (« The man with the child … » et « Strange phenomena ») se retrouveront sur « The kick inside ». Gilmour fait signer Kate Bush chez EMI (ça n’a pas dû être trop difficile, ce sont eux qui vendent les disques du Floyd), délègue un de ses amis, Andrew Powell, aux fins de recruter des musiciens, et produire le premier disque de sa protégée.

Ce premier disque n’est pas là juste parce que c’est une tocade de milliardaire du rock à qui sa maison de disques ne peut pas refuser un petit service. Le Kate Bush Group se rode sur scène pendant deux ans avant d’entrer en studio (où là ce seraient des requins de studio qui les remplaceraient, prétend la rumeur). C’est à peu près la seule période de la carrière de Kate Bush qui va ressembler au parcours de n’importe qui dans le music-business. Après la sortie de ce disque, elle  va à peu près jouer « le jeu » une paire d’années (un peu de promo, quelques interviews, un disque par an, une tournée). Et puis basta … Finies les interviews, les tournées, et en tout et pour tout neuf « vrais » disques en trente cinq ans de carrière (un peu comme Manset, elle retravaille à l’occasion ses titres pour des compilations).
« The kick inside ». Le premier donc. Mais pas le meilleur. Même si on y trouve déjà tout ce qui fera le Kate Bush style. La voix et le piano, les éléments de base chez elle. Qui n’ont besoin de rien ni personne d’autre sur trois titres (« The man with the child in his eyes », « Feel it », « The kick inside »). Ensuite, pour le reste, un univers sonore original et unique pour l’époque. Pour lequel on a souvent vu citer l’adjectif de « féerique ». Où se mêlent des rythmes de comptine, de la musique classique ou baroque, mais produits par une instrumentation « rock » de base (guitare, basse, batterie, claviers), sur laquelle ne se greffent que très rarement d’autres instruments. Allez savoir pourquoi (enfin, si, je sais, à cause de quelques strates de musique classique ou planante, et la connexion Gilmour-Floyd), les vilains progueux ont été nombreux à s’enticher de la Kate. Ils ne furent pas les seuls, heureusement. Son premier 45T, l’a priori totalement improbable « Wuthering heights » (d’après le bouquin du même titre d’Emily Brontë) resta plusieurs semaines en haut des charts anglais (et aussi d’ailleurs), alors qu’il échappe totalement à tous les standards et formats de l’époque. Il écrase quand même un peu tout le restant de ce premier disque. Beaucoup de titres sont construits de la même façon, et passé l’effet de surprise, donnent un peu l’impression d’une formule trop systématiquement appliquée (ces mélodies très cinétiques, témoin du passé dans la danse de la Bush, cette ambiance elfique et pastorale, …) Les textes sont parfois assez cryptiques (certains fins analystes ayant même décelé en « The saxophone song » une ode à la masturbation et dans « Strange phenomena » une allusion aux cycles menstruels), souvent des mots choisis plus par leur musicalité que pour leur sens.
La pochette refusée par Kate Bush
On sent tout de même dans « The kick inside » une volonté (certainement la pression d’EMI, ils veulent bien faire plaisir à Gilmour, mais surtout vendre du vinyle) de coller à l’air du temps. Deux titres vaguement reggae (« Them heavy people » et « Kite ») font un peu beaucoup aguicheurs pour coller à l’air du temps, seront sans suite dans l’œuvre de Kate Bush et lui vont à peu près aussi bien qu’un jean slim à Beth Ditto … Mais bon, bien que jeune et débutante, Kate Bush ne s’en laissait pas toujours conter, elle a refusé la pochette initialement prévue pour une très « orientalisante »  (certainement un clin d’œil à son frère, karateka de haut niveau et fan de culture asiatique, un frère dont elle était très proche)

Toutes ces menues réserves ne sont valables que parce qu’aujourd’hui on connaît la suite et les disques qui vont en permanence s’améliorer jusqu’à son chef-d’œuvre « Hounds of love » en 1985. On aimerait que toutes celles qui l’ont copié sans vergogne (je balance pas, tout le monde le sait, la liste est même sur Wikipédia) aient pondu beaucoup de choses du niveau de ce « The kick inside » …


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IGGY & THE STOOGES - RAW POWER (1973)

L'alpha et l'omega ...
« Raw power » est le genre de disque qui trône au milieu d’un no-man’s land où bien peu ont osé s’aventurer, et qu’encore moins ont essayé de dépasser. Une borne, une référence, une limite aussi …
« Raw power » n’a pas une histoire banale. Ce n’est pas un disque enregistré par un groupe établi, qui a sorti dix disques avant et en sortira trois douzaines ensuite. « Raw power » a été enregistré par un groupe qui n’existe pas. Ou qui n’existait plus pour être précis. Les Stooges ont sorti au tournant des années 60 deux disques cruciaux, mais aux ventes misérables. L’insuccès et une sérieuse propension à la défonce entérinent de fait la dissolution du groupe de Detroit.
Mr Jones, Mr Pop & Mr Reed, 1972
De son côté, Bowie commence en Angleterre à toucher le jackpot avec « Ziggy Stardust » après des années de vaches maigres et d’essais plus ou moins infructueux de réussir dans la musique. Bowie est un malin, et ce succès « tardif » lui a permis de bien connaître le milieu trouble du show-biz. Dès les premières liasses de livres sterling amassées, il monte sa propre maison d’édition, Main Man Production, et met à sa tête un manager filou (pléonasme) Tony DeFries. Et Bowie qui a toujours renvoyé l’ascenseur vers les gens qu’il appréciait, décide de jouer les ambulanciers pour ses idoles quelque peu en perdition. Bénéficieront de ses services en 72-73 Mott The Hoople, Lou Reed et Iggy Pop, ce dernier chanteur admiré par Bowie (Ziggy-Iggy, y’a un petit quelque chose) de ces Stooges débandés. DeFries, tout en renâclant à cause de la réputation d’ingérable d’Iggy mais sous la pression de Bowie, le signe malgré tout pour un album solo. Iggy s’envole pour Londres, cherche vaguement des musiciens de séance pour son disque, et surtout envisage de claquer tout le fric avancé pour le studio en coke et héro. Pas chien, Iggy entend partager la dope avec ses anciens potes et fait venir en Angleterre les frères Asheton (oubliant le bassiste Dave Alexander, lequel lui en voudra jusqu’à sa mort en 1975). Joyeuses séances de défonce entrecoupées d’essai d’écriture et de jams chaotiques en studio. Petit problème, Iggy seul n’a jamais été foutu d’écrire une chanson audible. Il appelle à la rescousse James Williamson, rencontré pendant la débandade des Stooges. Williamson, en plus d’être d’être un toxico de première bourre est aussi un guitariste killer qui sait écrire des morceaux, Iggy rajoute les paroles, Ron Asheton est prié de passer de la guitare à la basse. Malgré tout, peu de choses concluantes. DeFries s’impatiente, menace, et finalement Iggy lui amène les bandes qu’il a arrangées et produites de ce qu’ils ont enregistré. A l’écoute, DeFries frise l’apoplexie, contacte Bowie en tournée américaine, et lui intime l’ordre de s’occuper de ses « protégés ». Bowie se fait livrer les bandes aux USA, et en une paire de jours entre deux concerts, remixe le disque. Qui sort avec Bowie crédité au mix et Iggy Pop à la production. Et n’a aucun succès.
Les Stooges vont continuer quelques temps, livrés à eux-mêmes, enregistreront un nouveau disque semi-officiel, « Kill City », avant de disparaître de la circulation. Les aventures d’Iggy avec Bowie ou d’Iggy & the Stooges verront d’autres épisodes s’ajouter à la saga, mais c’est une autre histoire …
Iggy & The Stooges 1973
« Raw power » continuera sa carrière de disque culte pendant des lustres sous sa version initiale. Jusqu’à ce qu’Iggy Pop, devenu riche et quelque peu amnésique, se répande en arguties diverses sur « Raw power », selon lui saccagé au mixage par Bowie. Des rééditions suivront (le mix d’Iggy Pop, un coffret des « Complete sessions ») qui ne changeront guère la donne. « Raw power » sous quelque version que ce soit est surtout une tuerie totale. Magma sonore, vomi musical … testeurs de chaîne hi-fi s’abstenir …
Il faut à peine quelques secondes de l’inaugural « Search and destroy » pour mesurer l’impact de la déflagration qui s’annonce. En fait jusqu’à ce que la guitare de Williamson parte en looping incontrôlé et qu’Iggy se mette à chanter … Chanter ? Oui, ou aboyer, glapir, rugir, feuler, râler, … comme on veut, tant sa performance tient plus de l'animalité que de l’humanité. Tout « Raw power » est un orage sonique d’une intensité jamais entendue auparavant. Sans être pour autant un mur de feedback. Il y a trois titres qui ressemblent peu ou prou à des ballades (« Gimme danger », « Penetration », et « I need somebody »). Des ballades passées à la moulinette Stooges, glauques, noirâtres, atomisées, pleines de rage larvée. Des occasions d’entendre Iggy Pop version crooner, comme un Sinatra punk et déglingué (quoi que le Sinatra, côté déglingue, il était pas mal aussi …). Les cinq autres titres, des rocks furieux, déjantés, borderline (« Raw power » le titre, épitomé du rock dur, crasseux, dangereux et agressif, « Shake appeal », ou comment les Stooges envisagent le rockabilly, l’ultime « Death trip », la fin du voyage sur la highway to hell, free-rock dans l’esprit de « Funhouse », voilà c’est fini, démerdez-vous avec çà, Armaggedon times are coming, bruit de bidet final sur le rock à papa, à bobos et à babs des seventies …).
Points communs à tous les titres, un son de poubelle rock’n’roll, avec au premier plan un Iggy qui s’arrache les boyaux pour chanter (plus ou moins juste, mais c’est pas le problème), et des overdubs de guitare folle de Williamson, en perpétuelle sortie de route, toute en larsens et feedback. Au second plan, la basse de Ron Asheton jouée façon Lemmy de Motorhead (c’est-à-dire comme une guitare) et la partie de guitare rythmique ou acoustique de Williamson. Au fond, perdue dans ce brouhaha d’apocalypse, la batterie de Scott Asheton … C’est pas punk, c’est pas metal ou tout ce que vous voudrez, ça ressemble à rien de ce qui ait été fait avant ou après, c’est les Stooges de 73. Point barre.
Si vous n’aimez pas ce Cd, allez en enfer. S’il vous plaît, c’est que vous y êtes déjà.

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Live, Carcassonne, 27 Juillet 2011

TANGERINE DREAM - PHAEDRA (1974)

Un classique ...
Pas seulement de la littérature française. Aussi de la musique … Et là ça se complique, pour coller une étiquette. Musique planante ? Oui, mais pas que … Musique électronique ? Oui, certes, mais réducteur … Krautrock ? Why not, mais le terme regroupe tellement de choses …
Et pourtant, quand ce disque est sorti au milieu des seventies, ceux qui écoutaient de la musique se posaient moins de questions. Il n’était pas incongru de sortir du disquaire avec un vinyle des Stones et un du Floyd, ou bien un Led Zep et un Tangerine Dream… En ce temps-là, les minarets n’étaient pas encore construits et les ayatollahs du bon goût (enfin, du leur) prompts à trier le bon grain de l’ivraie étaient encore rares …
Tangerine Dream, qui tirent leur nom d’une chanson des Beatles fleurant bon le buvard d’acide, se sont rapidement orientés vers une musique toute électronique. Quelques tonnes de matériel, des kilomètres de câbles, du bricolage maison, le tout pour un résultat sonore quelquefois imprévisible, ouvrage qu’il fallait sans cesse remettre sur le métier …

Contrairement aux pompiers progressifs anglais, eux n’ont pas cherché leur salut dans les œuvres de Bach, ou pire, Wagner … Froese, le leader du groupe, faisait souvent état de Stockhausen, donc la musique expérimentale et avant-gardiste. La construction des morceaux de Tangerine Dream est totalement labyrinthique, rien qui ne ressemble à intro-couplet-refrain-pont …Des séquences souvent à base de Moog (leur synthé de prédilection) s’enchaînent, des thèmes sont développés, évoluent, disparaissent pour ne jamais revenir, puis on passe à un autre …
Musique planante, des grands espaces disait-on, et Tangerine Dream fut un des groupes fétiches de la queue de comète hippie, tous ces baba-cool écroulés, très en « avance » dans leur tête et qui partaient réinventer le Moyen-Age dans leur communauté ardéchoise … Fraîchement signés par Branson chez Virgin grâce à l’argent du « Tubular bells » d’Oldfield, les Tangerine Dream allaient devenir le groupe phare de la musique électronique « cérébrale » des 70’s, et leur influence sur l’ambient et le new age dont ils allaient finir par tartiner leurs disques dans les 80’s est considérable.
Avec leurs disques dont « Phaedra » est un des tout meilleurs, Tangerine Dream réussissent à créer une atmosphère musicale légère et sophistiquée, idéale pour conserver la zen attitude … ou pour aider à faire passer une gueule de bois carabinée …
Mais je vais quand même reprendre une aspirine …
Et le rapport avec Phèdre ? Aucune idée …

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Atem

MOTT THE HOOPLE - ROCK'N'ROLL QUEEN (1972)

Echec et Mott ...
Qu’en serait-il advenu des Mott The Hoople si Bowie ne s’était pas entiché d’eux et ne leur avait offert « All the young dudes » qui les a fait passer à la postérité et relancé leur carrière ?
Parce que là, quand paraît ce « Rock’n’roll Queen » début 72, ça sent le sapin, la fin de contrat. Une compilation de sept titres, dont un morceau live de dix minutes, le tout n’atteignant même pas les quarante de rigueur des temps vinyliques. Autant dire que la matière à Best of est assez rare chez Mott.
Derrière l’affaire Mott, il y a deux hommes. Ian Hunter, fan de Dylan. Pas exactement la meilleure idée à la fin des sixties, Dylan pour un tas de raisons (le retrait dû au prétendu accident de moto, les disques parus ensuite assez moyens, le son général du rock qui s’est considérablement durci, …) est à peu près oublié. La « chance » de Hunter sera de croiser la route de Guy Stevens, un des agitateurs les plus en vue du swingin’ London finissant. C’est lui qui a trouvé le nom des successful Procol Harum, qui enregistre dans son studio tout un tas de revivalistes et nostalgiques mod, … Et qui décide de prendre en main la carrière de Hunter. Stevens aide Hunter à monter un groupe (autre figure forte de Mott, le guitariste Mick Ralphs, héros de seconde zone de la six-cordes, qui fondera plus tard Bad Company), et lui conseille le look qui ne le quittera plus : cheveux mi-longs frisés, et inamovibles lunettes noires (plus un accessoire médical qu’autre chose au départ, Hunter est très myope).
Mott The Hoople 1970
Stevens produit les premiers pas discographiques. Accueil glacial. Le groupe s’entête sans lui. Même résultat. Il est prévu que le groupe assure la promotion de cette compilation (si tant est que quelqu’un soit demandeur), et se sépare, chacun s’en ira vaquer vers d’autres aventures.
Evidemment, cette compile sera un bide supplémentaire pour Mott. Et quoi qu’il se soit passé après « All the young dudes », et les disques intéressants qui ont suivi, la première partie de la carrière de Mott The Hoople ne peut être réhabilitée.
C’est indigent, voire limite grotesque. Le groupe anglais laborieux de seconde zone qui mouline sans imagination des trucs dans l’air du temps. Rien qui ressemble au Dylan chéri par Hunter (ça viendra en solo des années plus tard), mais plutôt tout qui navigue dans le sillage des Stones – Faces. Sans le talent des uns ou des autres.
Les boogie stoniens sont de la revue. « Rock’n’roll Queen » le titre, « Death may be your Santa Claus » ( ??), « Walkin’ with a mountain ». Plutôt tendance boogie bien gras et lourds que tendance stonienne d’ailleurs, sans imagination. A tel point l’anecdote fameuse concernant « Walkin’ … ». Mott enregistrait dans la cabine de studio voisine de celle des Stones, et leur parvenait le son de « Jumpin’ Jack flash ». Ces lourdauds n’ont rien trouvé de mieux que de plagier le titre qui allait devenir mythique, y compris dans les paroles, le « Jumpin’ Jack flash it’s a gas » répété ad lib par Ian Hunter …
Mais si Mott a plagié les autres, certains de ses titres n’ont pas été perdus pour tout le monde. Leur version instrumentale (mais pourquoi instrumentale ?) plutôt heavy du classique des Kinks « You really got me » a été littéralement photocopiée par Van Halen quand ils reprendront ce même titre sur leur premier disque.
Un morceau (« Midnight lady ») lorgne vers le glam lorsque T.Rex commence à squatter les ondes. Plus original est « Thunderbuck ram », qui après avoir frôlé le pire avec son intro classico-prog évolue en tournerie sauvage proche du space rock énervé que feront le Blue Oyster Cult, les Pink Fairies ou Hawkwind. Quand au titre live, un exercice dans lequel Mott a toujours eu bonne réputation, il ne la sert pas vraiment leur réputation, basé sur un medley laborieux («  Whole lotta shakin’ goin’ on » de Jerry Lee Lewis, « What I’d say » de Ray Charles) construit autour du « Keep a knockin’ » de Little Richard. Et faut faire très attention quand on touche au répertoire de Petit Richard, il a placé la barre tellement haut qu’on est souvent voire toujours ridicule, et Mott n’échappe évidemment pas à la règle.
Belle pochette … Qui évite de justesse à ce « Rock’n’roll Queen » la poubelle …

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All The Young Dudes

ROMAN POLANSKI - CHINATOWN (1974)

Noir et brillant ...
« Laisse tomber Jake, c’est Chinatown ici … ». La dernière phrase du film, prononcée par un des associés de Gittes, alors qu’il l’amène loin du carnage final…
Chinatown, c’est le quartier de Los Angeles où Gittes a commencé sa carrière de flic. Et puis dans des circonstances qui resteront mystérieuses mais qui l’ont traumatisé, il a monté un cabinet de détective privé assez florissant, qui le conduira à nouveau vers Chinatown pour l’épilogue tragique d’une enquête.
« Chinatown » le film, est sorti au mauvais moment. En 1974. Année qui a vu « Le Parrain II » rafler toutes les récompenses. Bon, moi je suis client des deux, mais s’il fallait vraiment choisir, je crois que je prendrais le film de Polanski.
John Huston & Jack Nicholson
« Chinatown » c’est une synthèse. Et une déclaration d’amour d’un des cinéastes les plus controversés (déjà à l’époque, quelque temps avant sa mise en accusation pour viol, et des années avant que cette histoires de coucherie avec une mineure plus ou moins consentante soit remise récemment d’actualité). Dont les films les plus marquants jusque-là (« Repulsion », « Rosemary’s baby », « Le bal des vampires ») ont choqué, voire traumatisé les spectateurs du monde entier, et plus encore les Américains chez lesquels il réside. « Chinatown » est totalement différent, c’est l’hommage de Polanski à une certaine forme de cinéma typiquement américain au départ, le film noir. Qui a connu son apogée dans les années 30 et 40, et généré un nombre conséquent de chefs-d’œuvre. Avec en tête de gondole son sous-genre policier, qui a vu portées à l’écran de longues lignées de (détectives) privés, englués jusqu’au trognon dans des intrigues - sacs de nœuds, et sous le charme de créatures aussi affriolantes que dangereuses, dans des ambiances alcoolisées et enfumées rythmées par du jazz cool … La quintessence du genre c’est « Le faucon maltais », adapté d’un bouquin de Dashiell Hammett, avec Humphrey Bogart - Sam Spade, et derrière la caméra John Huston.
Et pour que les choses soient bien claires, c’est le vétéran John Huston, ayant à son actif une lignée de chef-d’œuvres plus que bien fournie, qui va jouer dans « Chinatown ». Et pas une fugace apparition en guise d’hommage. C’est l’un des trois personnages centraux du film, le vieux patriarche richissime Noah Cross vers lequel vont converger toutes les intrigues du scénario. Mais les deux têtes d’affiche sont le « couple » (en fait, ils ne passent qu’une partie d’une nuit ensemble) JJ « Jake » Gittes (Jack Nicholson) et Evelyn Mulwray (Faye Dunaway). Dunaway en veuve noire (dans tous les sens du terme), allumeuse, manipulatrice, et qui cache un bien pesant secret. Nicholson en détective malin, perspicace et débrouillard, jamais armé, et n’utilisant que rarement ses poings. Un net démarquage par rapport aux Marlowe-Spade dont il est le descendant.
Jake Gittes & Evelyn Mulwray
Descendant, même pas, car dans le scénario, il est leur contemporain puisque le film se déroule dans la seconde moitié des années 30. Au départ, Gittes est contacté par une femme (Diane Ladd qui dit être Evelyn Mulwray), pour enquêter sur son mari, ingénieur directeur du Service des Eaux de Los Angeles. Lequel Mulwray ne tarde pas à être retrouvé noyé, l’occasion pour Gittes de s’apercevoir que ce n’est pas la veuve de l’ingénieur qui l’avait contactée. Malgré les pressions diverses qu’il va subir, Gittes va continuer son enquête, au milieu d’imbroglios économiques sur fond d’été caniculaire, de spéculation foncière sur l’irrigation, et d’intrigues familiales chez les Mulwray. Bien dans la tradition du film noir, faut s’accrocher pour tout suivre, mais ça reste quand même plus évident que les rebondissements en cascade du « Faucon maltais » par exemple.
L’occasion de signaler qu’il vaut mieux avoir un bon scénario pour faire un bon film. Celui de « Chinatown » est signé Rober Towne, c’est lui qui récoltera le seul Oscar du film, et en plus d’une intrigue complexe et machiavélique à souhait, un gros travail a été effectué sur le caractère et la psychologie des personnages.
Nicholson écrase la distribution, dans un jeu tout en finesse et en retenue, beaucoup plus dans la suggestion que dans la démonstration. Un jeu d’acteur quasi à l’opposé de celui très typique, tout en performance exubérante, de l’Actor’s Studio qui lui vaudra les pluies de louanges (méritées, d’ailleurs) pour « Shining », « Vol au-dessus d’un nid de coucou », « Broadcast News », … C’est Nicholson qui le premier se saisira du scénario de Towne, et réussira à convaincre Polanski de revenir à Los Angeles pour tourner le film. Polanski hésitera beaucoup avant de se lancer.
Roman Polanski & Jack Nicholson sur le tournage
Faut dire qu’il a de plus que mauvais souvenirs à L.A., où fut sauvagement assassinée au cours d’un meurtre rituel sa femme Sharon Tate, meurtre commandité par le cinglé Charles Manson et commis par sa secte de demeurés The Family. Il y a certainement comme une forme d’exorcisme pour Polanski de se mettre en scène dans « Chinatown » sous les traits d’un homme de main de Noah Cross, prompt à sortir le stilleto (Sharon Tate, enceinte, avait été éventrée à l’arme blanche). Dans le film, c’est le nez de Nicholson qui tâtera de la lame … Mais surtout Polanski signe une merveille de réalisation, avec une reconstitution crédible (j’ai beau être vieux, j’ai pas connu cette époque) du Los Angeles des années 30, avec un foisonnement de détail vintage dans les costumes, les voitures, les demeures de la haute bourgeoisie. Une mise en scène hyper classique, avec un soin que l’on devine maniaque apporté à la lumière, au cadrage, et une place de choix accordée aux accessoires de vision (on voit beaucoup de choses à travers des jumelles, dans les miroirs ou les rétroviseurs, et une paire de lunettes brisées à double foyer mènera à la résolution de l’énigme).

Le Blu-ray disponible en France a une image d’une netteté fabuleuse, avec cependant une très légère tendance à se figer ou à tressauter. Par contre seule la VO bénéficie d’un son « moderne » (VF en mono !), et les bonus sont inexistants. La meilleure édition du support serait la version américaine All-zone pas facile à dénicher semble t-il. 



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