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JACQUES DEMY - LES PARAPLUIES DE CHERBOURG (1964)

Chanté sous la pluie ...
Des films musicaux, il a bien dû y en avoir en France avant « Les Parapluies … ». Mais quand on voit que les acteurs-chanteurs de la préhistoire cinématographique par ici c’étaient Maurice Chevalier et l’improbable Fernandel, je préfère ne rien avoir vu de tout çà.
Demy, c’est différent. Il fait en gros partie de la Nouvelle Vague, et son inspiration artistique vient de tous les musicals américains, où là, depuis l’avènement du parlant, il y a quand même eu du lourd. Des chansons chorégraphiées par Busby Berkeley dont une seule vaut l’intégrale des clips de Miley Cyrus et consœurs, en passant par les superstars Astaire et Kelly, jusqu’au récent remake version gangs newyorkais de Roméo et Juliette par le génial touche-à tout Robert Wise, Demy avait de sacrés challenges à relever.
Deneuve, Castelnuovo & Demy
Non content de se lancer dans un genre peu prisé par ici, il va pousser le bouchon encore plus loin en faisant des « Parapluies … » un film dont tous les dialogues seront chantés. Une entreprise un peu folle, surtout qu’il faut faire doubler tous les acteurs par de vrais chanteurs (quiconque a en mémoire les « chansons » interprétées par Deneuve, qu’elles soient de Gainsbourg ou de Malcolm McLaren, mesure l’ampleur de la tâche qui attendait Demy). Résultat logique des courses, alors que comme tout le monde (enfin, ceux de la Nouvelle Vague), il se tourne vers de Beauregard pour le financement, il va se faire rembarrer par ce dernier et ne trouvera son salut que dans les (moins nombreuses) pépettes de la productrice Mag Bodard qui se lance quasiment dans le métier à cette occasion.
« Les Parapluies de Cherbourg » multipliera les paradoxes. Pour commencer celui d’un film totalement désuet lors de sa parution (un mélo provincial chanté avec des personnages qui semblent sortir des romans courtois du Moyen-Age), et qui ne prendra pas une ride, allant même jusqu’à se bonifier avec le temps.
La Reine Deneuve
Paradoxe également d’un film totalement kitsch (‘tain, ces décors font vraiment mal aux yeux, genre maison de poupées) et politiquement contemporain (la guerre d’Algérie et ses conséquences humaines et sociales). Rappelons qu’on était en plein gaullisme triomphant, arrogant et méprisant (les « veaux » de De Gaulle valent bien les « casse-toi pauv’ con » ou les « sans-dents »), maintenant la France sous une chape de plomb, avec un général au pouvoir, un ministère de l’Information (sous-entendu de la censure). Rappelons pour en rester dans le domaine cinématographique que « Les sentiers de la gloire » fut interdit suite à des « pressions diplomatiques » pendant vingt ans, sans parler de « La bataille d’Alger ». Rappelons aussi que c’est de cette époque et des pantins qui nous gouvernaient dont « l’écrivain » Zemmour (philosophe de comptoir, penseur de chiottes, historien de cour de récréation et sociologue de club de vacances), est nostalgique. Tout çà pour dire qu’en 1964, coller à l’actualité est plus que rare, et le traumatisme durera des siècles (alors que les Ricains par exemple sont totalement décomplexés par leur Histoire récente et pas toujours glamour, et n’hésitent pas à la mettre en scène, les Français à de très rares exceptions ne le font pas de la leur, et à plus forte raison si elle a moins de cent ans). Tout ça pour dire que « Les Parapluies … » est aussi un film politique … subtil, raison pour laquelle il a évité les coups de ciseaux …
Paradoxe d’une distribution de quatrièmes couteaux dont sortira Catherine Deneuve, l’une des plus grandes, si ce n’est notre plus grande actrice, qui crève l’écran du haut de ses vingt ans, et qui vieillit quand même nettement mieux que sa quasi contemporaine Bardot. Et qui doit faire face dans « Les Parapluies … » à des comédiens que pour être gentil on qualifiera de très moyens.
Autre paradoxe, ce film qu’aujourd’hui on qualifierait d’indépendant, et qui est par moments de façon un peu trop voyante une publicité pour Esso. Certes les pétroliers ont du mettre quelques biftons dans la prod, mais Castelnuovo (le premier amoureux de Deneuve-Geneviève dans le film), travaille dans un garage de la marque avant l’armée, y revient à son retour, s’installe à son compte sous leur enseigne, et son fils  vers la fin joue du tambour sur un bidon … Esso. Ca fait beaucoup …
Vernon & Deneuve
L’histoire des « Parapluies … » est pour l’époque subversive en bien des points. Une jeune mijaurée se fait mettre en cloque avant de se marier, et une fois la fille de cette union née, épouse un riche bellâtre falot, se désintéressant de son premier amour qui ne l’a pas oubliée. Et celui-ci, soldat plus ou moins valeureux (même si le contenu de ses lettres n’est pas vraiment un modèle de patriotisme), quand il revient d’Algérie, sombre dans la bibine, envoie chier son patron, et fréquente les bars à putes. Tout ça vingt cinq ans avant « Né un 4 Juillet » d’Oliver Stone …
« Les Parapluies … » est un film fauché. Qui ne s’en cache pas, ce qui le rend encore plus sympathique. Les contrastes sont voulus et exacerbés par Demy (comment pourrait-il en être autrement), entre les couleurs vives et criardes des intérieurs et l’aspect pisseux des rares scènes filmées en extérieur (y’a des excuses, on est à Cherbourg, c’est la Bretagne en pire)… Parce que Demy a, sinon du talent, au moins de bonnes idées, et on s’en rend compte dans la première scène qui voit défiler le générique, avec ce plan en plongée sur ce parapluies qui se hâtent sous l’averse.  En plus d’avoir des idées, Demy a aussi de la suite dans celles-ci. « Les Parapluies … » est pour lui le second volet d’une trilogie commencée avec « Lola » (évoquée par le bellâtre Marc Michel comme son premier amour, et par un court plan d’une cour intérieure où ont lieu des scènes déterminantes de ce premier film). Le troisième volet sera l’oublié « Model shop » (et non pas comme beaucoup le croient « Les demoiselles de Rochefort »). Tiens, et tant qu’à vouloir faire mon malin, on a souvent affirmé que « Les parapluies … » se démarquait de toute influence des autres films musicaux déjà parus. Il y a quand même une scène, filmée en plongée, quand Deneuve se fraye un passage parmi les danseurs du Carnaval, qui me semble un copier-coller parfait d’une de « Orfeu Negro » de Marcel Camus …
Deneuve & Michel
Et pour en finir, puisque « Les Parapluies … » est un film musical, deux mots sur la musique. Signée du suffisant Michel Legrand. A force d’entendre dire à droite et à gauche qu’il était génial, il a fini par le croire et c’est devenu une évidence. Bon, moi il m’a toujours gavé avec ses ritournelles molles, et celles des « Parapluies … » risquent pas de me faire changer d’avis. On craint même au début avec le premier morceau de devoir se fader un truc genre big band de jazz. En fait non, le gimmick suprême du film, c’est de répéter ad nauseam le leitmotiv d’une unique phrase musicale, plutôt mignonne, mais assez loin de Mozart ou Chopin … D’un autre côté, les pointures françaises de musiques de film, on les cherche encore (qui a dit Eric Serra ?)…
Curieusement, alors qu’à partir des années soixante le film musical disparaît quasiment des écrans (sauf à Bollywood), Demy va obtenir l’autre succès de sa carrière avec « Les Demoiselles de Rochefort ». Encore un autre paradoxe qui touche à la carrière de ce grand artisan quelquefois oublié du cinéma des 60’s.
Conclusion : « Les Parapluies de Cherbourg » c’est bien, voire plus, mais ça vaut pas « Saturday night fever » …


JOHNNY CASH - AT HIS MIGHTY BEST Vol. 1 (1991)

MIB ...
Johnny Cash … Le Man In Black original… Une carrière longue comme un jour sans amphétamines, et pour celui qui aura passé l’essentiel de sa vie à se comporter comme un redneck pur jus, une reconnaissance sur le final comme un type sommet de coolitude … étrange perception d’un gars qui pourtant n’aura guère perdu de temps à essayer de brouiller les cartes. Cash, c’est (forcément) du direct, sans trop de fioritures.

Cette compile light, premier volet d’un triptyque consacré à ses années Sun Records (58 à 64), est loin d’être cruciale, même si elle recouvre une de ses périodes (avec la dernière sous l’égide de Rick Rubin) où pas grand-chose n’est à jeter. Les compilateurs se sont pas foulés, vingt titres pour un peu plus de quarante minutes, loin de toute considération chronologique, livret squelettique … Parue au début des années 90, quand L’Homme en Noir (et le reste de l’écurie Sun), étaient totalement out, ringards ultimes. On en était aux types en pantacourts qui faisaient du grunge (Nirvana et ses suiveurs), une bouillasse affublée du terme de fusion (les Red Hot Machin, les Rage Against Bidule), ou à l’opposé avec des zozos en survêt orange à capuche qui poussaient des disques accompagnés de montagnes d’ordinateurs … Sun Records était un label ayant cessé toute activité depuis plus de vingt ans, élément d’un puzzle qui à coups de rachats, de reventes, de fusions d’entreprises, allait contribuer à mettre en place le monde merveilleux de la World Company musicale que l’on connaît. La FNAC, qui en plus de vendre des Cds en fabriquait, distribuait sous licence des choses dont pas grand monde voulait, le fonds de catalogue Sun entre autres … A l’époque et hormis Presley (la grosse machine RCA sortait du disque du King à la pelle) quasiment le seul moyen d’avoir sur une rondelle argentée des titres des « pionniers ».
Johnny Cash aux débuts donc. Musicalement, le plus blanc de tous (même Carl Perkins se laissait parfois tenter par des arrangements jazzy ou bluesy). Aussi le moins « and roll » du lot. Cash venait de la country roots et ne perdait pas une occasion de revenir vers son idiome d’origine. Un peu à part au milieu des gloires de Sun. A côté des bigleux (Perkins, Orbison), du grassouillet (Presley), du cinglé (Jerry Lee Lewis), Cash, lui, c’était le Dur. Austère (très vite tout fringué de noir), toujours la mine renfrognée, sa voix traînante de baryton, et son immuable rythme country ralenti et feignasse …

Il a suffi d’un seul titre (« I walk the line ») pour faire de Cash un type qui comptait, et d’un seul autre (« Folsom prison blues ») pour asseoir sa légende. Les deux sont présents ici (ce premier volet de la compile est d’assez loin le meilleur des trois). « I walk … » tout le monde connaît, le morceau qui a défini pour l’éternité le Johnny Cash style. « Folsom prison blues » a fait de Cash le gourou chantant de tous les rednecks qui jouent au dur. A cause d’une phrase : « I shot a man in Reno just for watch him die » (écoutez les acclamations qui la ponctuent sur ses live carcéraux des 60’s). Une phrase prise pour argent comptant, alors que même si Cash n’a jamais eu la réputation d’un type qui se laissait marcher sur les pieds, il semble à peu prés acquis que c’est de la pure fiction.
Cette réputation de type à la redresse, Cash saura l’entretenir et elle ne le quittera plus (son public le plus fidèle, ses « frères », ce sont les taulards Blancs).
Même s’il saura plus tard en jouer, ses débuts ne peuvent pas vraiment être affublés du sticker « explicit lyrics ». Cash fait comme tous les autres, essaye de trouver sa voie originale, son style. Il se cherche. Avant de tourner la page du rock’n’roll lorsqu’il signera chez Columbia, il s’y laisse parfois aller dans ses débuts (« Rock Island line » est un pur et strict rockabilly, « Get rhythm » un bon petit rock’n’roll. Mais on le sent plus naturellement à son aise dans la country. Et là que ce soit ses propres compos (assez rares, Cash n’est pas vraiment un auteur prolixe) ou sur ses nombreuses reprises, sa touche personnelle se remarque assez vite. Tiens, un exemple, allez écouter la scie « I forgot to remember to forget » et comparez sa version à celle du King, Cash tient la route … Il revisite même assez bien les « classiques » du répertoire, notamment ceux de Hank Williams, le premier chanteur de country « moderne » si tant est que les deux mots puissent être accolés. « You win again » ou « Cold cold heart » par Cash valent le détour …

Une compile quand même un peu beaucoup surannée, assez loin d’un vrai Best of, jamais rééditée. On trouve facilement beaucoup plus exhaustif, mieux documenté, avec un meilleur son dans la multitude qui sont dédiées à cette période-là du bonhomme …


Du même sur ce blog :


JEAN-LUC GODARD - A BOUT DE SOUFFLE (1960)

Un homme et une femme ... et Godard ...
« A bout de souffle », c’est un peu les Sun Sessions du cinéma. Tout à coup, il se passe un truc de nouveau, un truc qui fait avancer le schmilblick. Derrière la caméra, un débutant, Jean-Luc Godard. En fait, non, celui qui tient la caméra, c’est le chef opérateur Raoul Coutard. Godard, lui, il donne des consignes plus ou moins hermétiques à ses acteurs, des trucs qu’il a écrits dans la nuit. Parce que « A bout de souffle » n’est pas exactement un film « écrit ».
A l’origine de tout, une bande de potes, critiques dans les Cahiers du Cinéma, qui n’hésitent pas à dézinguer les pensums avachis des vieilles gloires du 7ème art, ou à s’extasier démesurément sur le talent méconnu de nouveaux metteurs en scène. Deux de cette bande, Truffaut et Chabrol sont déjà passés de « l’autre côté » avec un certain succès, et ils font le siège d’un producteur réputé aventureux, Georges de Beauregard, afin qu’il mette quelques biftons pour que celui qu’ils estiment le plus doué de la petite équipe, Godard donc, puisse faire son premier film. Beauregard, qui n’apprécie guère la grande gueule et les manières désinvoltes de Godard (la réciproque est vraie, et des rumeurs font même état d’une bagarre entre les deux sur le tournage), n’accepte qu’à une condition : Truffaut écrira le scénario, et Chabrol « supervisera » le tournage. Même si les deux sont crédités, leur participation a été en réalité quasi inexistante, Truffaut s’étant contenté de trouver le fait divers à l’origine de l’histoire (le petit truand marseillais qui tue un flic, s’en va retrouver sa fiancée à Paris, avant de finir sous les balles des poulets, ce qui donnera cette dernière scène de légende d’un Belmondo blessé à mort, courant en titubant au milieu d’une rue sous les regards ébahis des vrais passants), et Chabrol, de son propre aveu, n’est passé en coup de vent qu’une paire de fois sur le tournage.
Petit truand et vendeuse du New York Herald Tribune
Un tournage qui commence sous les plus mauvais auspices. Toute l’équipe est réquisitionnée le 17 Août 1959, et au bout de deux heures, tout le monde est renvoyé, Godard n’ayant écrit que quelques lignes de dialogue. Dès lors, systématiquement, se mettra en place sa méthode toute particulière de travail, il tournera le lendemain ce qu’il aura écrit dans la nuit. Heureusement, il a des potes ou du moins des gens avec lesquels il s’entend bien chez les technicos (pas très nombreux, cinq-six personnes maxi, on n’est pas exactement chez Cecil B DeMille). Par contre, de Beauregard et les acteurs se grattent la tête. Surtout les deux acteurs principaux. Le jeune premier Belmondo y va à fond, même s’il pense que le film ne s’achèvera pas ou ne sortira pas en salles. Pour l’Américaine Jean Seberg, c’est la soupe à la grimace. Elle vient de s’extirper des pattes de Preminger (pas vraiment un tendre avec ses acteurs) auquel elle était liée par un contrat léonin, pour se retrouver sous la direction d’un type en totale roue libre. Les relations Seberg-Godard seront pour le moins tendues.
Parce que Godard apporte une approche unique dans le cinéma. « A bout de souffle » n’atteint pas l’heure et demie minimale de rigueur. Et pourtant Godard réussit à livrer des pistes pour des générations de cinéastes. Godard fait passer les personnages avant l’histoire. Plutôt que ce qu’ils vivent, c’est ce qu’ils pensent qui est au cœur du film, tout en évitant les sinistres films psychologiques plombants. Les personnages de Godard ne sont pas des intellos, non, juste des vivants qu’il nous montre dans l’action ou la réflexion. Godard, grâce, ou plutôt à cause de son manque de moyens, fait du cinéma-vérité. Caméra souvent sur l’épaule, qui suit les acteurs et ne les dirige pas. Pas le temps ou les moyens pour installer des rails nécessaires aux travellings sophistiqués ? Qu’importe, un fauteuil roulant de handicapé fera l’affaire … Pas le temps ou les moyens de vider les Champs-Elysées de ses passants pour mettre des figurants à la place ? Qu’à cela ne tienne, la caméra sera planquée dans un tricycle de livraison de la Poste lors de la première scène mythique entre Seberg et Belmondo … Encore moins de temps et de moyens ? On filme depuis le fauteuil roulant sur un trottoir de rue et on voit à l’écran tous les (vrais) passants se retourner et fixer le cameraman … On passe des jours dans une minuscule chambre d’hôtel pour tourner ce qui est le cœur du film, ce ping-pong verbal entre Seberg et Belmondo, avec des répliques et un jeu quelquefois improvisés ? On prie la scripte de dégager les lieux et on a droit à tous ces plans de quelques secondes avec des raccords plus qu’approximatifs … Il faut donner une impression de foule ? On mélange les acteurs à la foule qui se presse sur les boulevards pour voir passer le cortège d’Eisenhower en visite officielle …
Godard, Coutard, Seberg et Belmondo dans un travelling "maison"
Godard, avant d’être un cinéaste, est un fan de cinéma. « A bout de souffle », polar parisien (enfin, quoi que, on y reviendra) est d’abord un hommage aux films noirs américains. Les plans, les attitudes, les personnages, leurs répliques sont des décalques idéalisés de scènes ou de films mythiques. Les bagnoles que fauche Poiccard – Belmondo sont des voitures américaines, qui couraient pas vraiment les rues de Paris à la fin des années 50. Poiccard à l’arrêt devant une affiche de Bogart (celle de « Plus dure sera la chute ») et qui imite son tic le plus célèbre (l’index qui fait le tour de la bouche), c’est pas gratuit, c’est une déclaration d’amour à une certaine forme de cinéma. Dans le même registre, la participation de Melville, maître du polar à la française, dans le rôle d’un écrivain mégalo et hautain n’est pas un hasard. Car contrairement à Chabrol, Truffaut, Resnais, Rohmer, Rivette et les autres de la Nouvelle Vague, Godard ne tombe pas dans le symbolique, le détachement. Les personnages et le film de Godard sont organiques, rejettent les codes et les bonnes manières, montrent des hommes et des femmes pleins de vie, et non pas des automates qui s’agitent devant une caméra.
Chambre 12, Hôtel de Suede
« A bout de souffle » est aussi une déclaration d’amour à Paris, ce Paris que le monde entier nous envie. Les acteurs de Godard évoluent, certes chichement, mais dans un décor de carte postale ou d’Office du Tourisme, même si le Paris de Godard est plus vivant encore la nuit que le jour. Et puis, moi, il y a un truc qui m’impressionne chez Godard. Ce punk avant l’heure derrière une caméra est un maître dès lors qu’il s’agit de filmer une femme. Il y a chez lui quelque chose de magique lorsqu’il s’agit d’en mettre une en valeur. On peut à la limite comprendre quand il s’agissait d’Anna Karina qui partageait sa vie, mais qui mieux que lui a filmé Bardot dans « Le mépris » ? Et Jean Seberg ? Suffit de voir ses photos américaines … pas vraiment une apparence de laideron, certes, mais lookée et coiffée très girl next door. Godard va faire de cette actrice américaine de seconde zone l’une des images idéales et fantasmées de la jeune femme libre des sixties … C’est pas Godard, c’est sa caméra qui est amoureuse des actrices, à des lieux des vicieux plans de vieux pervers d’un Hitchcock par exemple …
Parce que la liberté, Godard y tient, mine de rien. Les dialogues et les situations mis en scène s’ils ne choquent personne aujourd’hui, ont valu au film lors de sa sortie une interdiction aux moins de dix-huit ans, ce qui par un joli coup de boomerang, fera beaucoup pour la réputation « sulfureuse » de Godard. Et ce débutant, cet inconnu, ne lâche rien, fait avec le cachet substantiel de Seberg, mais quand il n’a plus les moyens de la fringuer chicos, fait balancer à Belmondo une réplique devenue culte sur les avantages du Prisunic du coin par rapport à la boutique Dior. Et les dialogues, monologues et discussions du Godard des débuts, avant qu’il devienne une caricature de vieux con asocial et misanthrope, amènent dans chaque film, y compris dans ce tout premier, leur lot de phrases-chocs, maximes bizarres et aphorismes en tout genre. Une signature encore plus remarquable qu’un cadrage et un raccord approximatifs. Des grosses ficelles populaires voire populacières, ces « Je fonce, Alphonse », « Tu parles, Charles » avant le gimmick définitif de « Pierrot le Fou », l’insurpassable « Allons-y Alonzo », à ces interrogations qui reviendront les années suivantes comme un mantra (la fille qui demande à Belmondo s’il n’a rien contre la jeunesse, lui répondant qu’il préfère les vieux, comme un raccourci d’entrée de cette incompréhension chronique entre Godard et les « jeunes », voir la bande-son, jazz centriste de Martial Solal, Godard ne comprendra jamais rien à la musique des « jeunes »), jusqu’aux définitives sentences godardiennes (« Mieux vaut rouiller que dérouiller »). Même dans la précipitation, le cinéma de Godard reste écrit, rien n’est vraiment là par hasard.
On filme au milieu des passants la scène finale ...
A ce titre, la très longue scène dans la chambre d’hôtel (une vraie chambre, la 12 de l’Hôtel de Suede), dans un vaste fourre-tout qui semble totalement space, n’en pose pas moins des questions essentielles de « société » et aborde des sujets tabous à l’époque, la sexualité et en filigrane l’avortement par exemple.
Et puis, mine de rien, Godard met beaucoup de lui dans ses films. Et notamment dans celui-là. Il a trente ans, rumine et rêve depuis des années de passer derrière la caméra, et rien n’est là par hasard. D’après les spécialistes, « A bout de souffle » est le film ou Godard a mis le plus de lui. Mais faut pas espérer que le bonhomme décrypte. Faut voir dans les bonus la façon dont il envoie bouler, même trente cinq ans après les faits, ceux qui veulent savoir, veulent la confirmation qu’ils ont « compris ». Mettre des vrais noms sur tous les personnages secondaires par exemple. Derrière eux se cachent le plus souvent des potes d’enfance suisse à Lausanne, et certaines situations, certains patronymes ne seraient que des private jokes …

Et le résultat de tout çà ? Certes, il y a eu un avant et un après « A bout de souffle ». Qui est, et ce n’est pas rien, comme le « Citizen Kane » d’une génération. Un film qui porte en lui tout le génie visionnaire et révolutionnaire de Godard. Mais aussi ses défauts, cet aspect roue libre perpétuelle. Durant les années soixante qui seront ses meilleures, Godard, en imposteur dilettante (y’a du boulot, de la réflexion, et quoiqu’on puisse en penser, une logique dans sa démarche), fera mieux, au moins à deux reprises (« Le mépris » et « Pierrot le Fou »). Mais il me semble qu’il ne retrouvera plus l’innocence et l’ingénuité provocante de « A bout de souffle ».


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JACQUES BECKER - LE TROU (1960)

Un certain doigté ...
Bon, promis, j’en referais plus des comme celle-là. Parce que « Le Trou » n’est pas exactement le genre de film pour fans de Bigard… « Le Trou » est plus austère qu’exubérant, mais aussi beaucoup plus euh… profond qu’un simple visionnage en travers laisserait supposer.
A l’origine du « Trou », deux hommes. Jacques Becker et José Giovanni.
Jacques Becker 
Le premier, patriarche d’une lignée qui fera carrière dans le septième art (son fils, Jean, également réalisateur, mais aussi sa fille et son gendre, l’accompagnent ou l’assistent sur ce film) n’a quand il débute le tournage, plus rien à prouver. Trois films à gros succès derrière lui (« Goupi Mains-Rouges », « Touchez pas au grisbi » et le navrant « Ali Baba et les quarante voleurs »), un qui a fait un bide public mais qui sera plus tard reconnu comme un des classiques du cinéma français (« Casque d’or »). « Le Trou » sera son testament cinématographique. Becker est malade, se sait condamné, achèvera tout juste le montage, mais sera mort lorsque le film sortira en salle. Sans qu’on puisse pour autant parler de film crépusculaire …
Le second, José Giovanni, est un petit mafieux, qui entre coups tordus, séjours en cabane et cavales plus ou moins réussies, décide de se ranger et écrit un bouquin très largement autobiographique. L’adaptation de Becker sera assez fidèle. Dès lors, Giovanni va entamer une carrière à succès sous le double signe de l’écriture de polars et de la réalisation de polars.
Becker et Giovanni collaborent étroitement à l’écriture du scénario. Point de départ, « Le Trou », le bouquin, est une histoire d’hommes, de vrais, de types à la redresse. Le film sera tourné avec des hommes, des vrais, des types à la redresse, pas des acteurs … ou du moins pas tous. Seuls deux « vrais » acteurs ont des rôles majeurs, le très oublié André Bervil (le directeur de la prison) et le jeune premier à tronche de Gérard Philippe (le Brad Pitt de l’époque) Marc Michel, qui disparaîtra plus ou moins de la circulation après avoir été le héros des « Parapluies de Cherbourg ». Un mot sur Michel. Becker a voulu un pro pour le rôle, qui est celui d’un Judas de pénitencier. Michel est pour moi celui du casting qui s’en sort le plus mal, s’entêtant dans des postures détachées et cette diction lente et prétentieuse caractéristique de la Nouvelle Vague. A tel point que Michel Constantin, pas exactement le De Niro de sa génération, qui a enchaîné par la suite avec une constance de métronome mauvaises prestations dans de mauvais films, est beaucoup plus convaincant en dur désabusé et sentimental (il choisit de ne pas s’évader pour ne pas faire de peine à sa mère). Celui qui crève l’écran, c’est Jean Kéraudy (Roland dans le film) qui joue le rôle de Giovanni, et qui a un sacré background dans les prisons (de multiples incarcérations, dix tentatives d’évasion, dont six réussies), tête pensante et véritable McGyver de la cavale …
Le Club des Cinq en prison ...
L’intrigue du « Trou » est on ne peut plus simple : quatre types en attente de jugement (et même s’ils se montrent peu loquaces, certainement pas pour des bricoles) se voient adjoindre dans leur cellule un jeunot embastillé après une dispute amoureuse qui a fini par une blessure au fusil de chasse. Les quatre ont déjà le projet de s’évader, ils mettent rapidement le nouveau venu dans le coup, et dès lors, solidairement, vont chacun accomplir leur part de travail pour s’évader ensemble. En creusant des  trous, d’abord dans le plancher de leur cellule, ensuite dans les égouts de la prison.
Autrement dit, on est pas dans les effets spéciaux à la James Cameron. L’essentiel du film nous montre des types cogner avec des outils de fortune sur des murs de béton. Du « vrai » béton, même s’il semble beaucoup plus friable (les accessoiristes ont fait de nombreux essais de dosage pour que le film reste crédible pour les maçons du dimanche). Par contre, pour le reste, y’a du vrai et du faux. La cellule et la prison de la Santé ont été reconstituées en studio, les souterrains sont vrais (ceux du fort d’Ivry, mais pas ceux de la Santé) et le système d’égouts a été lui aussi reconstitué en studio.
Tout est bien qui finit mal ...
Mais là où « Le Trou » dépasse le cadre étriqué du simple film de cavale, c’est qu’entre les coups de barre à mine « faites maison », les dialogues (pas trop, le genre de personnages mis en scène est à ranger dans le camp des taiseux), et plus encore les attitudes et le non-dit dépeignent un monde (le milieu carcéral, ses « arrangements », ses codes, ses combines) dans lequel l’instinctif ou à l’inverse, le rapport de force psychologique comptent plus que le simple rapport de force physique…
La version initiale de Becker faisait 2 heures 20, soit un quart d’heure de plus que la version exploitée en salles et la seule connue à ce jour. Sorti dans les premières semaines de 1960, ce film est parfois rattaché à l’œuvre de la Nouvelle Vague. Même s’il admirait ces nouveaux réalisateurs (« ils font de bons films sans argent » disait-il en substance), Becker n’a par son passé que peu à voir avec eux. Un peu beaucoup à part dans sa filmographie, « Le Trou » est ce qui dans son œuvre se rapproche le plus de la Nouvelle Vague (même si Becker l’envisage lui comme une sorte de remake de « La Grande Illusion » en version dépouillée).
Un contemporain de Becker, Melville, lui aussi plus ou moins en marge de la Nouvelle Vague, décrètera que « Le trou » est le plus beau film français …

« Le Trou », c’est de la balle …



JIMI HENDRIX - ARE YOU EXPERIENCED (1967)

E.T.
James Marshall (ça s’invente pas, un second prénom comme ça …) Hendrix, lorsqu’il est apparu sur la scène musicale anglaise, lui le Ricain expatrié, n’a influencé personne. Il a traumatisé tout le monde. Et pas des troisièmes couteaux ou des gugusses à l’affût du prochain cataplasme branché. Non, Hendrix a foutu le moral dans les chaussettes à tous ceux dont le nom scintillait tout en haut de l’affiche, tous ces dieux de la guitare qui ont vu débarquer un phénomène hors norme.
Hendrix, pour l’éternité, restera comme le plus grand guitariste du rock. Ce qui est déjà pas mal, mais terriblement réducteur. Sans Hendrix, le rock aurait été aussi amusant qu’un blues-rock de Peter Green ou de Clapton de l’époque, un truc à te tirer une balle tellement c’est triste, fade, grisâtre … Hendrix a introduit dans le rock l’urgence, la flamboyance, la frime, l’épate … comme Janis Joplin, et leurs destins seront les mêmes jusqu’au bout …
Hendrix et sa veste à brandebourgs achetée aux Puces à Paris
Hendrix, souvent présenté comme la rock star ultime, comme celui qui a porté à des niveaux jamais vus avant et jamais égalés depuis la sainte trinité sex, drugs & rock’n’roll et le statut de guitar hero ultime, n’avait rien d’une grande gueule, d’un type prêt à tout pour faire parler de lui. Timide et pas sûr de lui, perturbé par un acné qui ne le lâchait pas, se sous-estimant sans cesse alors qu’il avait le monde du rock à ses pieds, éternel insatisfait de sa musique, les témoignages sont nombreux d’un Hendrix dans le doute. Mais il se dégageait de ce type une aura insensée dès qu’il montait sur scène Stratocaster en bandoulière. Hendrix est un showman, mais pas un artiste de cirque. Il ne mettait pas tous les soirs le feu à sa guitare, pas plus qu’il ne jouait tous les soirs avec les dents ou avec sa gratte dans le dos. Même si ce sont ces aspects là que la petite histoire a retenu. Et Hendrix n’a pas donné que des concerts tonitruants, la qualité de certains se voyant plus que perturbée par quelques substances prises en grande quantité.
Aujourd’hui, la discographie de Hendrix est plus que pléthorique. Des centaines de disques officiels live ou en studio paraissent depuis plus de quarante ans, encore plus de compilations. Sans compter les bootlegs, pirates, enregistrements non officiels qui pullulent. Faut faire là-dedans un sacré tri, tout n’est pas du même niveau, et pas seulement question qualité sonore. Un catalogue totalement labyrinthique dans lequel même le fan le plus motivé se perdra. Autant s’en tenir aux enregistrements officiels parus de son vivant. Là, le compte est plus vite fait. Trois disques studio et un live. « Are you experienced » est le premier.
Quand il paraît au printemps 67, le phénomène Hendrix n’est encore qu’une rumeur du Londres branché. Un Londres où il a atterri par défaut. Les States ne voulaient pas de lui. Ou plutôt ceux qui l’employaient aux States ne le gardaient pas longtemps. Hendrix n’était qu’un de ces obscurs accompagnateurs de noms confirmés de la soul ou du rhythm’n’blues (Wilson Pickett, Jackie Wilson, Isley Brothers, …). Généralement aussi vite viré qu’embauché. Little Richard ne supportera pas ce Black flamboyant et séducteur qui lui fait de l’ombre, Sam & Dave le vireront de scène au bout de trois titres ( ! ), et Hendrix ne fera guère de vieux os dans le backing band d’Ike et Tina Turner (le Ike, pourtant pas manchot avec une guitare, avouera n’avoir rien compris à ce type payé pour jouer rythmique et qui partait en solos étranges dès les premières mesures …). L’histoire de Hendrix, tout le monde la connaît (ou devrait). Chas Chandler, ex bassiste des Animals qui le repère dans un club new-yorkais, en fait l’attraction musicale de l’automne 66 du Swingin’ London, l’emmène en France pour une improbable tournée en première partie de Johnny Hallyday, les trois premiers 45T à succès (« Hey Joe », « Purple haze », « The wind cries Mary »), les deux minots (Mitch Mitchell et Noel Redding) recrutés pour bâtir un power trio fortement inspiré par celui qui avait le vent en poupe, Clapton et son Cream …

« Are you experienced » donc. Le premier de ce qui deviendra le Jimi Hendrix Experience (sur la pochette originale, seul figure le nom de Hendrix). Gros succès en Angleterre (seulement devancé par « Sgt Pepper’s … » dans les charts) et aux States, pas rancuniers envers leur exilé pour le coup. Un disque forcément un peu étrange, nous sommes en 67, année psychédélique s’il en fut. Un de ces debut-albums mythiques dont l’Histoire (et les marchands de disques) se délectent. Et bizarrement, alors que l’on n’a retenu que les extravagances en tous genres d’Hendrix, ce premier disque est bien « sage », bien « classique ». Faut dire aussi que l’époque était prolixe en individus et disques bariolés (Doors, Airplane, Floyd, Love, …). En fait, « Are you experienced » est à la croisée des chemins. Entre les croisés du blues (Clapton, Mayall, Fleetwood Mac, …) et les disjonctés déjà cités, auxquels il convient de rajouter les Beatles du Sergent Poivre et les Beach Boys de « Pet sounds ».
Avec « Are you experienced », Hendrix garde les pieds sur Terre, n’est pas encore le musicien barré de « Axis … », le génie cosmique de « Electric Ladyland ». Il sacrifie peu à l’air du temps (alors qu’il est furieusement « à la mode »), propose des titres de structure assez classique et n’assène pas des solos avec trois milliards de notes / seconde toutes les deux mesures.
Il a juste un background que n’ont pas les autres. Ses années de sessionman miteux aux States lui ont confiné un truc que n’auront jamais les pauvres Clapton ou Beck, Hendrix funke et groove. Et çà, il a su le transmettre à Mitchell et Redding qui font plus volontiers dans le chaloupé sautillant  (sur l’énorme « Fire », on dirait James Brown sous LSD, « Remember » est un bon vieux rhythm’n’blues des familles) que dans l’artillerie lourde. Même si quant il faut, tout le monde est capable de plomber le tempo (« Foxy Lady », blues-rock et son riff aplatissant en intro). Le plus souvent, Hendrix mélange un peu tout, en dépit du bon sens et des canons sonores de l’époque. Les titres peuvent être fantasques, commencer de façon classique et puis partir « ailleurs » (« Manic depression », « I don’t live today »). Fort logiquement, certains s’adressent aux amateurs de buvards parfumés et tiennent plus de la jam que de l’écriture rigoureuse (« Love or confusion », le quasi instrumental « 3rd stone from the Sun », le manifeste psyché « Are you experienced » avec ses guitares carillonnantes, ses effets de scratch, et cette téléportation sonore cosmique).

Beaucoup plus rarement, Hendrix fait simple, sobre. « May this be love » est mélodique, pop, doux et suave. « Red house » est la leçon de blues donnée aux Anglais. Dans un registre rustique propre au delta-blues, seul morceau du 33T enregistré en mono, Hendrix se réapproprie et réinvente le genre, le titre deviendra un de ses chevaux de bataille de scénique (la tellurique version de vingt minutes à l’Île de Wight est indépassable en matière de blues live).
« Are you experienced » est bien le disque d’un trio, Hendrix laisse s’exprimer et se déchaîner Mitchell et Redding. Qui ont le bon goût de ne pas en faire trop, de tomber dans le risible solo de basse ou de batterie. Et, mais au fait, la guitare d’Hendrix ? Oh certes, il y a bien quelques effets de manche inaccessibles au commun des mortels, mais le disque n’est pas un catalogue démonstratif. Hendrix reste relativement « sérieux », efficace avant tout. Avant de devenir le voyageur de commerce de tous les bidules joués au pied dont il aura parfois tendance à abuser, il se cantonne dans ce premier disque à l’essentiel. De la saturation (pédale fuzz un peu partout, mais à dose raisonnable) et c’est à peu près tout. Pour l’anecdote, la pédale Vox Crybaby ( pédale wah-wah pour le vulgum pecus) qui sera son indélébile marque de fabrique par la suite, n’a pas été utilisée, c’est Clapton le premier qui l’a testée sur disque avec Cream (« Tales of brave Ulyses » sur « Disraeli gears ») …

« Are you experienced » est produit par Chas Chandler, bien aidé par celui qui deviendra le superviseur de tous les disques d’Hendrix (surtout les posthumes officiels), l’ingénieur du son américain Eddie Kramer. Pour celui, honte à lui, qui ne possèderait pas cette pierre angulaire du rock des sixties et du rock en général, choisir les rééditions qui ajoutent aux onze titres originaux les trois indispensables singles et leurs faces B sorties auparavant …


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FRANÇOIS TRUFFAUT - TIREZ SUR LE PIANISTE (1960)

Oldies & Goodis ...
Truffaut, c’est la Nouvelle Vague. Enfin, pour moi, c’est la Nouvelle Vague pour ceux qui aiment pas la Nouvelle Vague. En gros, le cinéaste le plus classique de tous ceux qui ont été les plus virulents dans « Les Cahiers du Cinéma » à définir une nouvelle forme de cinéma. Excellent pour la théorie, Truffaut, mais avec ses films il m’a plus souvent gavé ou laissé indifférent que ravi …
Truffaut, Aznavour & Dubois
« Tirez sur le pianiste » est son second long métrage, et vient après le succès des « Quatre cent coups ». D’ailleurs, parenthèse, si « Les quatre cent coups » a été un succès populaire dans la France de la fin des années 50, c’est qu’il était pas si avant-gardiste que ça … Pour « Tirez … », Truffaut, se lance dans un hommage-pastiche aux films noirs américains en adaptant (il est parmi les premiers à le faire, faut pas lui enlever ce mérite) un roman du « difficile » auteur américain David Goodis.
Mais Truffaut donne l’impression de s’être fait totalement déborder par son scénario, et au final, on se demande ce qu’il a voulu faire. Un film noir ? Ouais, en partie, mais très vite ça embraye sur du mélo, ça se focalise sur une histoire d’amour, ça envoie devant la caméra des personnages stéréotypés dont on se demande ce qu’ils viennent apporter à l’intrigue. Enfin, intrigue, il faut le dire vite, la trame du film est quand même bien légère. Et à la fin on se demande même ce que Truffaut a voulu faire passer au premier plan.
Est-ce la carambouille des frères Saroyan avec les deux truands ? Est-ce l’histoire et l’esquisse psychologique d’Edouard Saroyan ? Est-ce la vision de Truffaut sur les femmes et l’amour ? Va savoir, on a des petits bouts de films sans liens, visons fugaces de tranches de vie qui n’ont rien à voir entre elles. Rien n’est développé, tout est assez bâclé, et l’affaire conclue en même pas une heure vingt…

Celui qui apparaît le plus souvent à l’image c’est Charles Aznavour. Qui me fait à peu près autant d’effet comme chanteur que comme acteur (oui, je sais, la Nouvelle Vague redéfinissait aussi le rôle et la « performance » de l’acteur dans le film, mais là où de grands acteurs « déjouaient » volontairement, Aznavour me donne l’impression de s’employer à fond pour être finalement transparent …). Donc Aznavour est Charlie Kohler, pianiste de balloche dans un troquet minable. En fait, c’est l’ancien virtuose Edouard Saroyan, échoué dans ce rade parce qu’il a raté autrefois son mariage. Ce qui donne lieu à un grand flashback avec analyse psychologique à deux balles des relations du couple Saroyan. Dans le présent, Truffaut va nous montrer parallèlement les déboires de Saroyan avec ses frères, truands à la petite semaine coursés par d’autres branquignols, et les relations de Saroyan avec deux femmes (sa voisine de palier prostituée, et la serveuse du troquet).
Peu de choses sont crédibles. On s’en fout un peu des situations crédibles, c’est pas un reportage ou un docu, c’est un film. Mais bon, y’a des limites, voir à la fin un gunfight où des gusses se canardent en étant à dix mètres les uns des autres et en se manquant, c’est pas tragique ou haletant, c’est involontairement ballot. Et finalement la seule qui ramasse une bastos, c’est Marie Dubois, planquée derrière des buissons … Nous montrer un Aznavour qui est debout depuis deux jours et deux nuits lors de cet assaut, rasé de frais comme un jeune marié, c’est aussi assez curieux … Ne parlons pas du corps à corps qui le voit tuer accidentellement (quoique on se demande si c’est un accident) le patron du bar qui l’emploie …

C’est un peu filmé avec les pieds aussi, le plus souvent en lumière naturelle, ce qui vaut plein de reflets sur l’objectif de la caméra. D’un autre côté, ça renforce le style amateur et dilettante caractéristique de la Nouvelle Vague, on est pas chez Max Ophuls …
Il y a aussi des choses à sauver, « Tirez … » n’est pas un ratage total. Les dialogues, signés Truffaut, sont vifs, alertes, pleins de gouaille parisienne, bien qu’assez éloignés des merveilles rhétoriques d’un Audiard ou d’un Prévert. On évite le contemplatif, les réparties absconses, le rythme est soutenu. Et puis, il y a un quasi inconnu, Bobby Lapointe, qui crève l’écran au début avec deux chansons (dont « Avanie et Framboise » sous-titrée à la demande des producteurs qui n’arrivaient pas à suivre les jeux de mots mutants !), dans une interprétation live très physique (pour l’époque s’entend). Beaucoup plus anecdotique, un full topless frontal de Michèle Mercier, pas encore Angélique marquise des Anges, l’occasion pour Truffaut de jongler avec les codes de la bienséance et de la censure de l’époque.
Pour la Nouvelle Vague, le polar et le film noir n’ont pas été les genres de prédilection, le truc de base étant plutôt l’observation de la société à travers le prisme d’une jeunesse souvent déphasée dans un monde adulte grisâtre. La comparaison qui me vient à l’esprit pour « Tirez … », c’est le « Alphaville » de Godard. Même si cette relecture par Godard des aventures du privé Lemmy Caution ne restera pas comme son chef-d’œuvre (c’est grave barré dans un trip mystico-philosophique), c’est à mon sens assez nettement supérieur au film de Truffaut.

Lequel Truffaut ne fera pour moi rien de mieux que son quasi chant du cygne, l’ultra classique dans tous les sens du terme « Le dernier métro »…


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THE WHO - TOMMY (1969)

Game over ...
« Tommy » est le premier très gros succès populaire (en termes de ventes de disques, à l’époque c’est ça qui comptait) des Who, jusque-là plutôt catalogués comme groupe à singles. Cette réputation « légère » tracassait le groupe et son entourage (le manager et producteur Kit Lambert, la maison de disques, …). Au centre des préoccupations et attentions générales, Pete Townshend. Compositeur quasi exclusif du groupe, et compositeur exclusif tout court de ses meilleurs titres.

Townshend est un type bizarre, ou pas formaté, selon le côté dont on prend les choses. En tout cas un bosseur ambitieux. Et c’est ça, le travail et l’ambition qui sont au cœur de l’affaire « Tommy ». Ah ouais, les Who ne sont qu’un groupe mineur, des artistes pas très crédibles ? Eh bien, je te me vais concocter une œuvre musicale majeure, un projet comme personne n’a jamais osé en mettre en chantier… Le concept de « Tommy » sera inédit. C’est écrit après le tracklisting : « Opera by Pete Townshend ». Bon c’est pas le genre d’œuvre qui sera à l’affiche du Royal Opera House, mais ça inaugure la mortelle série des « opéra-rock », qui comme leur nom ne l’indique pas, n’ont rien à voir ni avec l’opéra ni avec le rock d’ailleurs. En fait pour rétablir la vérité historique, ce sont les Pretty Things avec « SF Sorrow » qui ont été les premiers à se commettre dans ce genre de péripéties, mais des aléas de contrat et de maisons de disques ont fait que « Tommy » est paru avant le disque de la bande à Phil May.
A l’époque de l’écriture de « Tommy », Townshend est comme il le sera souvent en état de délabrement nerveux (quand on se pose beaucoup de questions et qu’on compte trouver la réponse avec des cures d’amphets et d’alcool forts, ça arrive souvent), et en chantier mental (c’est l’époque où il fréquente et suit les préceptes du gourou illuminé - pléonasme - Meher Baba). La trame narrative de « Tommy », le cœur de l’affaire, c’est l’histoire de Tommy, né aveugle, sourd et muet, pédophilisé par la suite, qui ne réagit que de façon intuitive et sensorielle, devient un champion de flipper puis un gourou … Pitch totalement crétin, et détail des paroles à l’avenant.
Musicalement, « Tommy » c’est tout et n’importe quoi. Avec le n’importe quoi qui l’emporte largement. Le thème musical récurent a déjà été ébauché dans un des « mouvements » de la funeste suite qui clôturait « A quick one », le disque précédent. Les prétentions « musicales » de « Tommy » nous valent à plusieurs reprises un Entwistle (bassiste sous-mixé alors qu’il peut déclencher des tremblements de terre avec ses quatre cordes) jouant un thème neuneu au cor anglais. Pire elles nous gratifient d’une « Overture » aussi terrible que les pires machins du prog à venir et d’une « Underture », monstrueux pensum instrumental de dix minutes. Mais surtout, les Who tournent la plupart du temps le dos au rock au sens large, sont méconnaissables. Keith Moon a dû s’emmerder ferme en studio, on ne sent aucune conviction dans ses roulements de toms, Daltrey d’évidence ne sait comment transformer et placer sa voix en fonction des « personnages » qu’il interprète.
Les Who de "Tommy" : fatigués ou fatigants ?
En dehors d’intermèdes de quelques secondes listés, « Tommy » se compose d’une vingtaine de titres (double vinyle et aussi double Cd, alors que ça contiendrait sur un seule rondelle argentée, business is business). Les trois quarts sont mauvais ou sans intérêt, reprise méconnaissable d’un blues de Sonny Boy Williamson (« Eyesight to the blind »), orgues de Barbarie de fête foraine « Tommy’s holiday camp », country-hillbilly à la sauce Townshend (« Sally Simpson », pas le plus moche du lot), … Faut quasiment attendre la fin du premier Cd pour dresser l’oreille avec « Acid queen », et encore, parce qu’on a fatalement la vision d’une exubérante Tina Turner dans le film qui a été tiré du skeud.  En comparaison avec ces quarante indigentes premières minutes, le second Cd est bon. C’est en tout cas celui des trois meilleurs titres.
Avec par ordre d’apparition « Pinball wizard », ses arpèges acoustiques à droite et le gargantuesque riff de Gibson SG qui vient déchirer le haut-parleur gauche. Un grand titre, un grand classique des Who. « Go to the mirror » est peut-être le seul morceau de « Tommy » où l’on sent les quatre concernés, se donnant sans retenue. Il n’aurait pas démérité s’il s’était retrouvé sur « Who’s next ». « I’m free », c’est de la pop de très haut niveau, pour rappeler que les Who, c’est pas seulement du cabossage de batterie et des moulinets sur la guitare, il y a aussi des mélodies tuantes (« The kids are alright », « Pictures of Lily », …).

Vous l’avez compris, mes très chers, pour moi « Tommy » c’est limite poubelle direct, le pire disque de leur première décennie. Bizarrement ? Logiquement ? il a fait un triomphe dès sa sortie, et est de très loin le disque des Who qui s’est le mieux vendu … Le monde doit être plein de Tommy …


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THE VELVET UNDERGROUND - THE VELVET UNDERGROUND & NICO (1967)

Walk on the wild side ...
Le premier Velvet, c’est un des disques les plus mythiques de la maintenant interminable saga du wock’n’woll … un disque qui ne laisse pas indifférent. Soit on le porte au pinacle, soit on ne comprend pas très bien ou pas du tout pourquoi tant de barouf autour de cette rondelle. « Velvet Underground & Nico », c’est le disque qui passe de l’autre côté, qui explore toutes les dark sides de la vie, de la musique … toutes ces choses et ces sons pas très jojos qu’on évacuait jusque là un peu hypocritement.
Nico, Warhol, Tucker, Reed, Morrison, Cale
Du pop-rock qui attaque l’oreille, alors que la mode, la référence ultime, c’était les Beatles, les Beach Boys, les girl-groups, la sunshine pop, tout ce qui était joli, bien fait, bien propre, bien mignon … Alors tu parles quand tu prends le son du Velvet … quasiment l’antithèse. La rythmique du Velvet ? Une batterie (jouée par une meuf, et circonstance aggravante dans un monde de paraître, toute moche) réduite à un kit dans sa portion la plus congrue et jouée debout (hérésie ? non, beaucoup des batteurs des pionniers du rock’n’roll jouaient de la sorte, celui des Forbans aussi d’ailleurs...). La basse ? jouée par celui (Cale ou Morrison) qui avait pas autre chose à foutre. Alors que le règne des sections rythmiques musclées et techniques (les fondations, la base, bla-bla-bla, …) arrivaient, le Velvet faisait quasiment l’impasse sur cet aspect. La guitare ? un type qui moulinait mécaniquement le structure rythmique (Sterling Morrison), un autre qui cherchait pendant ce temps la note qui produise le même effet que les ongles griffant un tableau noir (Lou Reed)… tout çà à l’époque des tags « Clapton is God » sur les murs de Londres, annonçant le culte (stupide) du guitar-hero technique et flamboyant … Un violon ? quoi, un putain de crin-crin dans un groupe de rock ? Le symbole absolu de toute la musique qu’il était de bon ton de mépriser : la classique pour les bobos, la country pour les ploucs … en plus un violon alto (le plus grinçant), entre les pattes d’un type (Cale) qui s’efforçait de le rendre le plus désagréable possible à l’oreille. Et au chant ? alors là, c’est la cerise sur le gâteau … ils étaient deux, le Lou Reed qui parlait, marmonnait, et une femelle blonde (Nico) avec une voix caverneuse, les deux à peu près incapables de chanter juste sur des mélodies pourtant pas très élaborées …
Et ils causaient de quoi, au fait ? Oh, Jésus Marie Joseph, jamais on n’avait entendu çà … pas des pluie dures de bombes (Dylan), et pas de vouloir hold la hand de la pretty little girl (tous les autres). Non, le type, là, qui écrivait quasi tous les textes (en plus de la musique), ce Lou Reed, c’était juste un sale pédé accro à l’héro, qui balançait sur des boogies préhistoriques ou des mélodies macabres ses histoires de putes, de dealers qu’on attend au coin de la rue, de sado-masochisme et de fix à l’héro … la naissance du glauque’n’roll, cherchez pas ailleurs, c’est le 1er Velvet … Petite parenthèse, la vraie vie de Lou Reed n’était pas aussi caricaturale que ce que le prétend l’histoire « officielle », il a été plus longtemps hétéro qu’homo, et ses rapports avec les drogues très dures terminés depuis le début des années 60 (les shoots avec des seringues usagées, l’hépatite C contractée alors, même si Lou Reed a été bien destroy quelques temps, en gros jusqu’à la fin des 70’s, il a également pris quelques sages précautions pour rester en vie, et la légende du junkie agonisant et se fixant sur scène n’est justement que légende et mise en scène …). 
 
Le Velvet, au départ et à la base, c’est pas un groupe de rock comme on l’entendait à l’époque et l’entend aujourd’hui. C’est juste la partie sonore du concept artistique qui se voulait total et global monté par Andy Warhol à New York, The Factory. C’est là, dans cet immense loft que celui qui était en train de devenir le pape du pop art, avait réuni une faune hétéroclite, voire interlope, censée travailler à l’élaboration de nouvelles formes d’expression artistique. De fait, c’était à peu près une party ininterrompue, avec comme figures de proue Paul Morrissey (photographe, futur cinéaste), Joe Dallessandro et Edie Sedgwick (acteurs), Ultra Violet (peintre et plasticienne), Gerard Malanga et Mary Woronow (danseurs), plus quelques figures locales « pittoresques » comme Candy Darling … Le Velvet Underground était avant tout un assemblage hétéroclite ( Reed, Cale, Morrison, Tucker) et cosmopolite (trois Américains et un Gallois, John Cale). Il deviendra encore plus hétéroclite et cosmopolite quand Warhol lui adjoindra (ou plutôt lui imposera) une mannequin et actrice allemande, répondant au surnom de Nico, et remarquée par son Pygmalion pour son apparition (le plus souvent en armure !) dans « La dolce vita » de Fellini. Warhol entend faire de cette sculpturale blonde troublante son égérie et la chanteuse de cette bande de va-nu-pieds qu’est le Velvet Underground. Un spectacle est monté, l’Exploding Plactic Inevitable, le Velvet accompagne Nico, Lou Reed chante quelques titres, Woronow et Malanga dansent (lui met en scène une choquante chorégraphie à base de tenues de cuir et de fouet), Morrissey balance sur un écran des photos et animations psyché-barrées … Les « concerts » sont donnés dans des galeries d’art ou de petites salles à travers les Etats-Unis, divisent la presse très spécialisée, mais n’ont aucun impact réellement populaire.

Le Velvet et Nico se doivent de laisser une trace. Avant de disparaître, car l’atmosphère est détestable entre Nico, prétendue star parachutée peu diplomatiquement par Warhol dans le groupe et Lou Reed, a priori à cette époque-là le seul capable d’écrire quelque chose qui ressemble plus ou moins à des chansons. Lou Reed, qui commence là sa carrière de joyeux luron et philanthrope rebaptisera d’ailleurs Nico « l’emmerdeuse ». Ce disque sobrement baptisé « The Velvet Underground & Nico », sort dans les bacs début 67, juste avant le fameux Eté de l’Amour. Autant dire que question timing, il est pas vraiment dans l’air du temps. Warhol a conçu une pochette toute blanche, avec une banane au milieu, même pas le nom du groupe mais le sien. Cette banane peut se peler (« Peel slowly and see »), dévoilant une partie comestible … rose. Une symbolique phallique que même les fans de la Comtesse de Ségur pouvaient percevoir. Sur les premiers exemplaires, légende ou anecdote, une fois cette chair rose dévoilée, il fallait passer à l’acte, la gomme adhésive étant parfumée au LSD …
En comptant large, ce disque se vendra à mille exemplaires. Et peu après sa parution, Nico quittera le Velvet. Scénario classique, la galère habituelle du groupe de rock anonyme … L’histoire aurait pu, aurait dû s’arrêter là. En dépit de mésententes de plus en plus grandes chez les « rescapés » (à chaque disque suivant, le Velvet perdra encore un membre essentiel, Cale, puis Lou Reed), trois autres disques officiels estampillés Velvet Underground paraîtront entre 67 et 70, avant la débandade définitive. Deux Anglais, d’abord Brian Eno de Roxy Music et David Bowie de la Ziggy Stardust Incorporated ne vont pas tarir de louanges sur le Velvet. Le premier aura une phrase restée célèbre (« Velvet & Nico s’est vendu à 1000 exemplaires, mais tous ceux qui en ont acheté un ont monté immédiatement leur propre groupe »), l’autre reprendra très fréquemment sur scène le « White light / White heat » de leur second album, avant de décider de faire de Lou Reed une superstar glam …
Edie Sedgwick, Gerard Malanga & The Velvet Underground live
La légende du Velvet, sa réhabilitation et sa sacralisation sont dès lors en route. Même si … le Velvet c’est trop dérangeant, pas assez « confortable ». Il suffisait d’entendre dans les JT officiels et sérieux il y a quelques jours lorsque le vieux Lou  (maintenant archi-reconnu, célébré et décoré) a cassé sa pipe le fonds sonore : toujours « Walk on the wild side », certes pourtant pas bluette inoffesive au niveau du texte, et jamais « Heroin » ou « Venus in furs ».
Car au final, qu’est-ce qu’on y trouve, sur ce « Velvet & Nico » ? La Révolution, tout simplement, la première vraie mutation monstrueuse du rock, qui qu’on le veuille ou pas était jusque là affaire de bisounours, tant ceux qui en faisaient que ceux qui l’écoutaient. Les choses étaient simples : le rock, ça venait de chez les ploucs le bluegrass, la country, le hillbilly (rien que les noms déjà …), le blues (en plus d’être des paysans, ils étaient noirs …), le folk, le rock’n’roll, rien que des campagnards tout çà … La ville, c’était le domaine de la pop, moins sauvage, plus conviviale ? Les Beatles à Liverpool, la Tamla à Detroit, le Brill Building à New York, Spector et Beach Boys à L.A, c’était parfaitement « cadré »… Les hippies qui commençaient à se multiplier, c’était pire, ils partaient de San Francisco pour aller se perdre à Woodstock, Monterey, ou dans le Larzac … en fait ils retournaient chez les ploucs …
Avec le Velvet, le rock, tendance ‘n’roll devient un élément culturel du décor urbain. La rupture est encore plus consommée dès lors qu’il s’agit des textes. Absolument tous (Dylan et quelques autres folkeux de moindre acabit étant l’exception qui confirme la règle) ne parlaient que de meufs (avec plus ou moins d’élégance), de saine amitié virile, de bagnoles et de motos … Lou Reed causait de putes, de travestis, d’homos, de drogués (tous les autres se défonçaient, mais étaient au mieux vaguement allusifs), de dealers, de sado-masochisme, de petits matins blêmes … ça jouait pas dans la même cour de récréation que « Yellow submarine », c’est clair…
Quatre titres sont chantés (ouais, si on veut) par Nico. La ballade mortifère des lendemains qui déchantent (« Sunday morning »), pop perverse, voix grave hautaine qui comme si ça ne suffisait pas est gavée d’écho. La voix de Nico dégage une impression de dominance, un aspect hiératique, solennel, totalement flippant. Même dans le registre girl-group dévoyé (« Femme fatale »), ou la comptine dépravée (« I’ll be your mirror », tout le 3ème disque du Velvet est en gestation dans ce titre). La solennité inaccessible et funèbre de la dame trouvant son apogée dans « All tomorrow’s parties ».
Warhol & Nico
Lou Reed trouve son meilleur rendement dans les lents boogie monolithiques de la première face vinyle (« I’m waiting for my man », le « man » étant le dealer), ou « Run run run », ce dernier se colorant de relents psyché, une des rares concessions à l’air du temps. « Venus in furs » est le titre le plus dérangeant de cette face, par son thème-hommage à Sacher-Masoch, mais aussi parce qu’il fait se confronter dans les discordances et les dissonances l’alto de Cale et la guitare de Reed, sur fond des percussions tribales de Mo Tucker. On entend, on ressent la douleur, la souffrance et la mort que véhiculent ce titre.
Car « Velvet & Nico » c’est aussi un disque organique, qui parle aux sens, tout le contraire d’un boucan arty obtus. On s’en rend compte à l’entame de la seconde face vinyle quand on doit affronter « Heroin », le titre qui a le plus fait pour la réputation malsaine  de Lou Reed. « Heroin » est une description par la parole et la musique d’un fix, cette relation-dépendance entre amour et haine que le junkie porte à sa came. Description portée par un tempo qui s’accélère (le sang qui cogne dans les tempes) et striée par le violon de Cale (la raison qui zigzague). A ma connaissance, personne n’avait encore abordé la drogue et sa dépendance de façon aussi frontale, aussi crue, dans une chanson. Le contraste est saisissant avec la suivante, la plus « légère » du disque, l’enjouée (par le tempo) « There she goes again ». Après le court intermède chanté par Nico (« I’ll be your mirror »), on pourrait penser à un final moins éprouvant. C’est justement là que le Velvet choisit de pousser le bouchon le plus loin. Peut-être lassé de l’hégémonie d’écriture de Reed, Cale fomente un coup d’état et s’arroge la co-écriture pour « The black angel’s death song ». C’est le violon  strident du Gallois qui mène cette danse forcément macabre, et ces trois minutes d’agression préfigurent les 17 de « Sister Ray » sur le disque suivant, « White light / White heat ». Le final du disque « European son » est une longue litanie stridente, résultant de jams bruyantes du temps de la tournée Exploding Plactic Inevitable, signée collectivement. Elle présente dans l’esprit beaucoup de similitudes avec « The end » des Doors sortie quelques semaines plus tôt. Les paroles sont un hommage à Delmore Schwarz, père spirituel de Lou Reed, écrivain « maudit » américain récemment mort dans l’oubli.
« The Velvet Underground & Nico » mettra à peu près cinq ans avant de commencer à être reconnu et cité comme un disque majeur. Son aura n’a depuis fait que croître, des pans entiers du rock (le krautrock, le punk new-yorkais, Sonic Youth et tous ses descendants, tous les frangins Bruitos de la planète, série en cours, …) le citent comme influence majeure. Les autres disques du Velvet en découlent d’évidence. Même si dès le suivant Nico ne sera plus là … On l’a oublié, mais le Velvet n’était à l’origine censé être que son backing-band …
Parmi la multitude de rééditions en version plus ou moins DeLuxe ou Expended parues, celle de 2010 fait la part belle à l’Allemande. Outre les versions mono et stéréo du disque, on y trouve en version single (inutile de dire qu’ils n’ont pas visité le haut des charts) les quatre morceaux qu’elle chante et une bonne part de son premier disque solo « Chelsea girl », écrit par Lou Reed et produit par John Cale, ce qui permet de signaler que malgré le peu de succès rencontré par ses disques en solo, c’est vraiment elle la première « héritière » du Velvet, celle qui est restée toute sa carrière dans « l’esprit » du groupe, responsable d’une discographie assez abrupte, où l’on retrouve toujours cette atmosphère hiératique et glaciale des « All tomorrow’s parties » et autres « Femme fatale ».

« Velvet Underground & Nico » est pour moi un des deux ou trois meilleurs disques du siècle passé, de l’actuel, et de ceux à venir. Depuis sa parution, pillé, imité, plagié … mais jamais égalé …


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P.S. Sur la vidéo de "Wating for my man", l'enfant assis à côté de Nico est Ari, le fils qu'elle a eu avec Alain Delon