MINISTRY - THE LAND OF RAPE AND HONEY (1988)

 

Métal urbain …

J’ai une tendresse toute particulière pour Ministry … parce que je suis bien cinglé ? ouais, certainement …

Situons le machin. Ministry est un faux vrai groupe. Le leader, c’est Al Jourgensen. Un type dont le CV et le way of life sont plutôt croquignolets. En gros, du punk et du métal dans leurs versions les plus radicales, et une addiction à l’héroïne à faire passer tous les déglingos du music business pour des amish … Keith Richards et Lemmy Motörhead, et tous leurs disciples, c’est petit bras à côté … Evidemment, ça peut donner lieu à quelques, comment dire, errements, tant musicaux que mentaux …

Ministry

Al Jourgensen a créé Ministry au début des 80’s. Avec les moyens du bord, c’est-à-dire pas grand-chose. Lui et quelques synthés d’occase. Dans ses débuts (pas écoutés), Ministry se situait dans la mouvance sonore de la pop synthétique anglaise. Petit à petit, des types viendront rejoindre Jourgensen (quelques fois des passages éclair), Ministry ressemblera au moins sur scène à un groupe de rock « classique », et parallèlement le son évoluera. La radicalité à tous les niveaux va s’imposer, et de ritournelles au synthé, on va passer à des choses beaucoup plus excessives, dans une surenchère sonore et comportementale apparemment sans limite. En une demi-décennie, Ministry va devenir la figure de proue (et plus ou moins l’inventeur) de ce que l’on appelle communément le métal industriel. Tout en végétant sur de micro-labels indépendants, et en voyant Jourgensen s’impliquer dans d’autres projets (Revolting Cocks) à peu près similaires et tout autant radicaux. Musique et prestations scéniques apocalyptiques généreront le buzz, les gros labels et les majors pointeront leur nez. Généralement, quand les gros cigares se pointent, la folie s’estompe. Chez Ministry, c’est le contraire. Plus il y a de fric, plus il y a de la coke et de l’héro, et plus il y a de boucan. Radicalisation totale …

« The land of rape and honey » (en voilà un titre qui claque, mais ne me demandez pas le pourquoi du comment, j’en sais rien) est le disque qui a fait passer Jourgensen et Ministry à l’étage supérieur, question notoriété. Il y a le nez creux de Seymour Stein le patron de Sire (filiale de la Warner, ça aide à diffuser de la rondelle argentée) qui vient de les signer, Sire est un label capable de dénicher les grosses ventes de demain (Pretenders, Cure, Madonna, Alanis Morissette, …) tout en gardant une certaine crédibilité artistique.

Al Jourgensen

Bon, classiquement comme tous les toxicos forcenés, Jourgensen a claqué la thune avancée pour le studio en substances chimiques diverses, et il a fallu faire du remplissage. Une paire de titres sont vite expédiés (« I prefer », « Flashback », tempo punk bourrin pour le premier, bouillasse sursaturée pour le second). Les trois premiers (et les trois meilleurs, on y reviendra) proviennent de singles et d’Eps déjà parus. Un fonds de tiroir est rajouté, c’est le dernier titre « Abortive », résultat de sessions antérieures londoniennes, produit sous pseudo par le célèbre remixeur Adrian Sherwood, et très différent du reste de la rondelle (basses slappées funky, sonorités très synthpop, et dialogues samplés de films qui remplacent le chant).

Tiens, j’ai cité le mot chant. J’aurais pas dû. Parce que ce qui tient lieu de ramage à Jourgensen ferait passer le chanteur de Rammstein pour Roberto Alagna. Et qui plus est, le raclement de gosier qui lui tient lieu de voix, est passé soit par un mégaphone, soit par tellement de consoles d’effets qu’on distingue pas un traître mot de ce qu’il gueule … ce qui est peut-être dommage (Jourgensen a passé huit ans à baver en interview sur W. Bush, c’est donc a priori un type intéressant) … ou pas (l’héro, l’alcool à doses monumentales, ça donne pas toujours des propos sensés…).

Pour ce disque, Ministry c’est Jourgensen et Paul Barker (on a longtemps pensé que Ministry était un duo, jusqu’à ce que Barker finisse par mettre les voiles après des années de bons et loyaux services), qui composent et produisent, sous les pseudos de Hypo Luxa (Jourgensen) et Hermes Pan (!) (Barker). Deux musiciens additionnels complètent l’attelage de base.

Ministry live

L’essentiel des titres, ou du moins les plus intéressants, balance un punk rock porté par des programmations tachycardiques, des riffs de guitare dévastateurs, et le râle scandé de Jourgensen. Il y a des trucs terrifiants d’efficacité, le single (afin, façon de parler, le titre a pas fini en haut des charts) « Stigmata » qui ouvre le disque, et les extraits de l’EP « Deity » (le morceau du même nom et « The missing »). « Deity » c’est aussi efficace que du Motörhead de la bonne époque, et « The missing », on dirait bien que la mélodie (si, si, y’en a une) est repiquée sur le jeu d’arcade « Space Invaders » (les grabataires sauront de quoi je parle, ceux qui connaissent le 1er Pretenders aussi).

En gros, la première partie du disque repose sur les titres les plus frénétiques, ensuite ça se calme un peu, il y a même quelques mid-tempo, certes énergiques. « Destruction » on dirait de la synthpop jouée par des zombies, « Golden Dawn », lourd, menaçant et atmosphérique (?), parle certainement de la secte du même nom. « Hizbollah » (je préfère pas savoir de quoi ça cause en détail, ce que Jourgensen a à raconter sur les islamistes libanais), c’est le « Kashmir » de Ministry avec son ambiance forcément arabisante. Le morceau-titre est lui un truc très martial, et me semble une référence musicale évidente aux assez équivoques belges de Front 242, influence revendiquée de Ministry (Jourgensen bossera pour un projet parallèle avec l’un des membres du groupe).

Musicalement, outre Front 242, on pense à Métal Urbain ou aux Bérurier Noir (la boîte à rythmes frénétique), ou au hard-rock le plus extrémiste (les riffs monstrueux, la voix glapie). Avec « The land of rape and honey », Ministry se met en route pour la reconnaissance « grand public », un des fers de lance américain de la scène indé américaine (participation au festival Lollapalooza). Leur chef-d’œuvre reste à venir (« Psalm 69 » en 92), et leur « enfants » les plus évidents seront Nine Inch Nails, Marilyn Manson, tout le métal indus …

Pas mal pour un défoncé sans aucun plan de carrière …


RONI SIZE REPRAZENT - NEW FORMS (1997)

 

Petites formes ...

Quasiment deux heures et quart sur deux Cds … ça ferait combien de vinyles ? Trois, quatre, cinq ? Sérieusement, qui peut raisonnablement avoir envie de se fader un truc pareil ? Au moins le jury du Mercury Prize, qui a décerné son glorieux prix millésime 1997 à ce « New Forms », au nez et à la barbe de Radiohead, Primal Scream, Suede, Chemical Brothers (tous avec des rondelles passées à la postérité, genre « OK Computer »), … ou les Spice Girls … Même si on sait que ce genre de récompenses n’engagent que ceux qui les décernent et les reçoivent …

Roni Size

Mais de quoi dont est-ce qu’il retourne avec « New Forms » ? L’on vous dira que c’est la référence en matière de drums & bass, sous-genre de ces musiques électroniques fort en vogue dans la dernière décennie du siècle dernier … Oui, mais encore ? Euh, pas grand-chose, je vais essayer de faire aussi court que ce disque est long …

Derrière tout ça, il y a un vrai type et un plus ou moins faux groupe. Le type c’est Roni Size, DJ electro d’origine jamaïcaine, considéré comme underground mais défricheur de sons. Le « groupe », c’est Reprazent, en gros les types ou nanas présents sur ces rondelles (par intermittence, il peut faire des morceaux tout seul comme un grand), l’accompagnant à la production, à la programmation, au chant, au rap, parfois s’escrimant sur de vrais instruments. Parce qu’il y a quand même quelque chose de drôle d’appeler un genre musical drums & bass, quand il n’y a ni batteur ni bassiste qui joue (pour être tout à fait honnête, il y a un bassiste sur quelques titres, tout le reste de la rythmique c’est de la programmation, des boucles, des samples, …).

Les titres reposent sur un machin tellement simple que beaucoup ont dû bouffer les varices de leur grand-mère et se demander pourquoi ils y avaient pas pensé avant. L’essentiel des morceaux repose sur des rythmes tachycardiques sur lesquels se superposent des lignes de basse très down tempo. Suffit ensuite de rajouter des « ambiances », et là, le trip-hop se taille la part du lion (« New forms » le morceau, « Heroes », « Watching windows », …). Un peu normal, Roni Size est de Bristol et le trip-hop vient d’y cartonner (Massive Attack, Portishead, Tricky, et autres joyeux lurons du même tonneau). Y’a aussi du jazz ou des trucs qui y ressemblent (« Brown paper bag »), parce que le jazz, ça fait musicien sérieux, et que la crédibilité, c’est un peu le problème de toute la scène electro, les types planqués derrière leur Mac et leurs platines. D’où très certainement le « groupe » Reprazent, conçu pour jouer live et si possible dans les festivals « rock », où y’a de la thune à se faire (contrairement aux free partys, où par définition t’es bénévole ou quasi …). A noter que le coup d’éclat des lascars sera à peu près sans suite, deux ou trois disques en vingt-cinq ans, et peut-être que tous ces gens-là se sont retirés du circuit (imprimé) …

Roni Size Reprazent

Le premier disque est le meilleur (et il y a un titre avec les deux Everything But The Girl qui aurait pu être excellent si seulement ils avaient laissé chanter Tracey Thorn au lieu d’un strict instrumental) le second disque me semble être du pur remplissage, un alignement de gimmicks guère travaillés. Au final, si tout ce bazar avait duré juste une heure, ça aurait été assez sympa … Y’a des titres qui font sourire, ou alors le Roni a un humour king size. « Heroes » n’a rien à voir avec Bowie, « Morse code » rien à voir avec « Lust for life » de Bowie-Iggy Pop, « Jazz » rien à voir avec le jazz, « Hot stuff » rien à voir avec les Stones ou Donna Summer … Et puis le truc le plus pénible, c’est une police de caractères microscopique blanche sur fond gris, qui fait que t’arrives pas à lire quoi que soit sur le livret (bon, y’a pas grand-chose à lire non plus …).

Bon, j’avais dit que moi je ferais court. Promesse tenue …


SIDNEY LUMET - 12 HOMMES EN COLERE (1957)

 

Autopsie d'un meurtre ...

Y’a des façons de commencer plus mal derrière une caméra. « 12 hommes en colère » est le premier film de Sidney Lumet. Qui aura sa décennie de gloire dans les roaring seventies, avec Pacino (« Serpico », « Un après-midi de chien »), ou pas (« Network »), et qui, la chose est suffisamment rare pour être soulignée, terminera sa carrière cinquante ans après ses débuts par un autre grand film (« 7h58 ce samedi là »). Lumet, c’est en gros le type qui filme l’envers du décor, les histoires tout sauf glamour, où des héros en papier viennent se fracasser sur les murs des réalités. Les personnages de Lumet, c’est souvent des anti-héros Marvel …

Fonda, Lumet & Cobb

« 12 hommes en colère » est un chef-d’œuvre, un classique … avec plein de défauts, cependant emportés par le souffle épique et la tension du film. Bon, évacuons ce qui peut piquer aux yeux. Des raccords plus qu’approximatifs, ainsi des cendriers pleins avant d’être à moitié, des auréoles de transpiration grandes comme des ballons de foot qui ont disparu la scène suivante, …, c’est assez couillon quand on filme un huis-clos dans la continuité. Et puis, le revirement assez inattendu et plutôt irrationnel des derniers partisans de la culpabilité …

Bon, il aurait peut-être fallu que je sois moins bordélique et commencer par l’histoire. « 12 hommes … », c’est un film de tribunal, et pour être encore plus précis, un film sur la délibération d’un jury. Amené à se prononcer sur la culpabilité ou pas d’un minot basané accusé d’avoir poignardé son père. Il a tout contre lui, l’ado, des menaces publiques envers son vieux, un stiletto qu’il exhibait devant ses potes et qu’on retrouvera dans la poitrine du macchabée, des témoins visuels du meurtre et de sa fuite, pas d’alibi, un casier déjà épais comme un bottin, et j’en passe…

Tout ça, on l’apprend très vite après un plan d’exposition sur un Palais de Justice à New York (on situe), et un laïus du juge qui explique aux jurés comment ça se passe une délibération. Soit unanimité pour la culpabilité (et dans ce cas-ci, c’est chaise électrique), soit unanimité pour la non-culpabilité (on relâche le prévenu). Si les avis sont partagés, délibération du jury nulle et on rejugera avec un nouveau jury … Les jurés se lèvent (tous des hommes, en ce temps-là, aux USA comme ailleurs, les femmes faisaient le ménage et la bouffe et n’avaient pas à s’occuper de « choses sérieuses », pas un Black ni un « coloured » non plus, on est en 1957 dans une Amérique qui n’a pas encore « digéré » l’affaire Rosa Parks), et le regard perdu de l’ado les accompagne quand ils rejoignent la salle de délibérations (c’est la seule fois où on le verra, d’ailleurs il est même pas crédité au générique).

Premier vote du jury ...

Dès lors (et hormis la courte scène finale à la sortie du Palais de Justice, où les deux premiers à avoir mis en doute la culpabilité s’échangent leurs noms), tout le film va se passer dans cette salle de délibérations, quasiment en temps réel. Atmosphère suffocante, en plus de la tension qui très vite s’installera entre les douze, c’est aussi la journée la plus chaude de l’année, et c’est pas le gros orage qui surviendra qui rafraîchira l’ambiance …). Le temps que les débats commencent, les discussions entre jurés montrent clairement la tendance, le gosse est coupable sans aucun doute possible, et les personnalités en présence se dessinent. Pourtant, lors du premier vote, un juré se prononce pour la non-culpabilité. C’est un architecte, qui n’a aucune certitude, mais se pose des questions. Ce juré est interprété par le grand Henry Fonda, habitué des personnages « positifs » (même si son rôle le plus connu sera une décennie plus tard l’inoubliable salopard de « Il était une fois dans l’Ouest »). Son voisin de chaise, un retraité et le plus âgé du groupe, le rejoindra au vote suivant et tous deux devront affronter le mépris, l’incompréhension, voire la haine des plus virulents du groupe.

Le génie du film, en plus d’une analyse psychologique et sociologique des gens présents, sera aussi de refaire l’enquête (le coup du même stiletto acheté par Fonda, la reconstitution du trajet du témoin boiteux dans son appartement), de pointer du doigt les questions légitimes pesant sur les deux témoins oculaires du meurtre, et petit à petit, d’instiller le doute chez les autres jurés. Dès lors les tenants de la non-culpabilité deviennent plus nombreux au fil des votes, certains par leur vécu ou leur expérience, amenant de nouveaux éléments à décharge …

Reconstitution tendue entre Fonda & Cobb

L’issue est prévisible, l’intérêt étant de montrer quel va être l’argument qui fera basculer les votes successifs. Ça se complique scénaristiquement quand ils ne sont plus qu’une poignée (la versatilité du publiciste et du gars qui veut pas rater le match de baseball, ouais, un peu limite quand même). Le coup des lunettes avec l’assureur qui ne transpire jamais est discutable (si la femme témoin est presbyte et pas myope, l’argument de la « défense » ne tient pas), le speech du raciste se tient, sa « capitulation » morale beaucoup moins (quand on est raciste, c’est pour la vie, on devient pas un bisounours sous le simple poids du regard des autres), et l’effondrement du plus véhément partisan de la culpabilité (énorme prestation de Lee J. Cobb) qui transfère sur le basané accusé la haine que lui-même voue à son fils avec lequel il est plus qu’en froid, c’est quand même de la psychanalyse à deux balles …

Ce qui est aussi fabuleux, comme c’est souvent répété, c’est que si de nombreux éléments peuvent permettre de disculper l’accusé et d’installer un « doute raisonnable », rien n’indique cependant que le minot ne puisse pas être coupable … C’est aussi à ma connaissance le premier film « de tribunal » à se concentrer uniquement sur la délibération du juré.

Deux remarques pour finir. Il y a parmi les jurés un horloger qui intervient plusieurs fois sur la thématique de l’Amérique pays de la liberté et de la démocratie. Faut regarder le film en V.O. pour comprendre. Le type parle avec un accent étranger, c’est le plus tatillon pour défendre les valeurs du pays qui l’a accueilli. Dans la version française, il n’a pas d’accent, du coup ses sorties sont pas aussi clairement explicables … Ensuite le publicitaire, assez distant et imbu de sa personne. Il ne m’étonnerait pas que son look (costard-cravate, clope au bec, cheveux gominés et raie impeccable sur le côté) ait servi d’inspiration aux créateurs de la série « Mad Men » (pour les Hommes de Madison Avenue, lieu des agences publicitaires new-yorkaises au début des 60’s) pour leur personnage principal de Don Draper …

« 12 hommes en colère » est aujourd’hui reconnu et célébré comme un immense classique du cinéma. Un peu à l’image de toute l’œuvre de Lumet, la reconnaissance ne sera pas immédiate et malgré les merveilles qu’il a sorties, la « profession » ne le couvrira jamais de louanges, ne le récompensera pas beaucoup (juste un Oscar d’honneur tardif pour l’ensemble de sa carrière) …


Du même sur ce blog : 


DEF LEPPARD - HYSTERIA (1987)

 

Les premiers de la classe ...

Dans le monde très concurrentiel du rock, comme dans une finale olympique de 100 m, c’est jamais bon de prendre un mauvais départ. C’est pourtant ce qu’avaient fait les Def Leppard, groupe de minots de Sheffied (ville industrielle sinistrée du milieu de l’Angleterre, patrie de Joe Cocker, puis plus tard de Pulp et des Arctic Monkeys entre autres) lorsqu’ils avaient débuté au début des années 80, dans ce que l’on a imaginativement appelé la New Wave of British Heavy Metal. Les grands gagnants furent très vite Iron Maiden, Saxon et Judas Priest récoltèrent les accessits, et seuls les complétistes forcenés s’intéressèrent au cas Def Leppard.


Un groupe de potes, boys next door, moulinant gentiment un hard-rock de série B. Ils auraient pu devenir les Budgie ou les Wicked Lady de leur génération, jusqu’à ce qu’une bonne fée Clochette (en l’occurrence celle de « Hells Bell ») se penche sur leur berceau. Robert John « Mutt » Lange fut le catalyseur et l’accélérateur de la carrière de Def Leppard. Un producteur très radio friendly (il venait de « domestiquer » le son d’AC/DC en produisant « Highway to hell » et « Back in Black », et en faisant passer les Australopithèques au niveau supérieur question ventes), mais aussi un producteur « intrusif » (capable de participer à l’écriture et de « réorienter » le son du groupe).

Dès « High & dry » en 1981, Lange s’était occupé de la production de Def Leppard. Changement de braquet et d’implication avec le suivant, « Pyromania » (1983). Le succès du groupe devient exponentiel (plus de dix millions de copies/monde dépotées), tournées incessantes all around the world, Def Leppard devient une grosse machine qui compte dans le music business. Et puis l’accident industriel. Rick Allen, grand amateur de vitesse au volant de voitures de sports, se plante grave et y laisse un bras. Assez gênant quand on est batteur. Qu’à cela ne tienne, les autres musicos, dans un réflexe plus Spinal Tap que nature, le conservent, il aménage son kit, et après les moins connus garagistes sixties américains Moulty & The Barbarians, Def Leppard devient un groupe avec un batteur manchot …


« Hysteria » sera dès lors mis en chantier avec le difficile challenge de succéder au multi platiné « Hysteria ». Pour cela, Lange et Def Leppard vont pousser un peu plus loin le bouchon du son mainstream. Globalement, on s’écarte du hard rock stricto sensu. Aucun risque de confusion avec les grands anciens (le Zep, Purple, Le Sab, Aerosmith, …), pas plus qu’avec les contemporains dans une surenchère de bruit et de fureur (Maiden, les nouveaux arrivants Metallica, avec tout le speed-trash-machin dans leur sillage). S’il fallait trouver quelque chose d’approchant, ce serait les Scorpions de « Love at first sting », et tout le hard FM américain (Foreigner, la Bénatar, …, ce genre de choses). Intéressant (?) de constater que sur douze titres (pour plus d’une heure), pas la moindre trace d’un solo de guitare (quand on veut en foutre plein les oreilles et qu’on a pas de virtuoses des six-cordes dans le groupe, on a pas vraiment le choix). Rien que ce détail suffit à montrer que l’on quitte subrepticement le monde du hard … et qu’on lorgne effrontément vers celui des passages radio.

« Hysteria » en fout plein les oreilles. Trop à mon avis, mais bon comme personne en a rien à secouer de mon avis … L’intro accrocheuse, une marque de fabrique de Lange, est minutieusement travaillée. On n’oublie pas de mettre dans le tracklisting une paire de balades viriles (l’énorme succès « Still loving you » est passé par là). Et même si on communique pas là-dessus (quoi que …) en ce milieu des 80’s où les synthés sont rois, on n’en met pas un seul dans le disque. Tous ces arrangements tarabiscotés, ces enjolivures sonores sont faites en poussant dans ses derniers retranchements technologiques le traitement des guitares.

Le succès de « Hysteria » sera équivalent, voire meilleur que celui de « Pyromania » et Def Leppard entrera dans le club très très fermé des gens ayant vendu plus de dix millions de copies de deux albums consécutifs (on parle là de gens comme Michael Jackson, les Eagles, les Spice Girls, Madonna, autrement dit du très beaucoup mainstream). On est avec ce genre de disques dans l’irrationnel le plus complet, ainsi sept (oui, quatre et trois) singles en seront extraits (comme sur « Thriller » de Michou J.), chose inimaginable pour une rondelle sortie sous l’étiquette « hard ». Les boys next door, même s’ils ont pas grand-chose de sexy, vont faire la une des journaux et magazines (spécialisés ou pas), et on verra beaucoup leurs trombines, coiffures chiadées, fringues de bad boys milliardaires, brillants comme une Dacia neuve (ils ont rien de Ferrari du rock, les pauvres gosses).

Bling-bling attitude sur scène ...

Bon, trente cinq ans plus tard, il faut en retenir quoi, de cette histoire ? Un son peaufiné à l’extrême, un truc bien propre, bien joli, et, comment dire, bien ringard aujourd’hui. Tout ce déluge d’effets sonores, ces montées chromatiques hyper-prévisibles étaient bien là pour ratisser large, et tant pis pour l’art (l’hard ?).

De la litanie de singles, on peu retenir, par ordre d’apparition, « Rocket » (hymne, comme la plupart d’ailleurs, de stade), « Animal » (le plus effrontément FM ?), « Pour some sugar on me » (très bêtement et méchamment efficace, mix entre « We will rock you » de Queen et « I love rock’n’roll » de Joan Jett), et la ballade mid-tempo « Hysteria ». De toutes façons, tout se ressemble, la recherche de l’hymne à stades semblant être le plus grand dénominateur commun de tout le tracklisting, mais sur la longueur, tout ce formatage finit par être quelque peu épuisant …

« Hysteria », c’est le sommet et aussi un peu le chant du cygne des Def Leppard. Condamnés, comme Sisyphe, à pousser pour l’éternité leur gros caillou sonore ripoliné. De toute façon, ils étaient cuits. Les Metallica allaient enclencher la vitesse supérieure, et l’espèce de glam metal des Leppard, allait se voir copier (Motley Crue et une ribambelle d’autres), avant de se faire déborder par cinq toxicos teigneux traînant dans tous les endroits chelous de Sunset Boulevard … On ne remerciera jamais assez les Guns’N’Roses et leur premier disque d’avoir fait le ménage dans le genre …



LEO McCAREY - ELLE ET LUI (1957)

 

Remix ...

Leo McCarey est connu surtout pour ses comédies, dont quelques unes de premier plan, « La soupe au canard » avec les Marx Brothers (un de leurs meilleurs), et « Cette sacrée vérité » (déjà avec Cary Grant). Mais le bon Leo (enfin, le type est pas parfait, anticommuniste radical et fervent supporter du maccarthysme) a tendance à trop tourner, à visiter d’autres genres que la comédie, avec des fortunes diverses (quatre Oscars tout de même, dont trois pour l’oublié et oubliable « La route semée d’étoiles »). De plus, compositeur raté (c’était sa vocation initiale), il inclut souvent des scènes chantées dans ses films …

Leo McCarey

Mais là, au milieu des années cinquante, c’est un peu le trou noir pour McCarey. Cinq ans sans un film. Les aléas

de la vie (il est depuis longtemps en fauteuil roulant suite à un grave accident de voiture), et surtout il n’a plus confiance en lui (il est lucide et sait qu’il a tourné quelques furieux navets). Il va pas trop se fouler pour faire son nouveau film, il va tourner une nouvelle version d’un de ses anciens films de 1939, qu’il estimait raté, « Elle et lui » (pas vu, mais je veux bien croire que c’était pas un chef-d’œuvre, si McCarey lui-même le dit).

Ce nouveau « Elle et lui » (« An affair to remember » en V.O.) se divise en deux parties distinctes. Moitié comédie (romantique) au début, et mélodrame ensuite. Le début est très réussi, la suite beaucoup moins, et la scène la plus poussive est la dernière, ce qui n’est jamais idéal … 

Elle et Lui

« Elle et lui », c’est l’histoire de deux célibataires sur la même croisière dont la destination est New York, où leurs futures moitiés les attendent. Lui, c’est la star de la croisière. Les premières scènes nous montrent des journalistes radio ou télé annoncer le futur mariage de Nick Ferrante, playboy de renommée mondiale avec une très riche héritière américaine. Elle, c’est Terry McKay, chanteuse de cabaret, qui doit épouser un riche industriel newyorkais. Evidemment, ils vont se rencontrer sur le bateau, lui va forcément la draguer, elle va résister tant bien que mal, avant de lui céder. Ils se donnent six mois pour éventuellement expédier leurs fiancés respectifs, et si c’est le cas, se retrouver à une date et une heure bien précises au dernier étage de l’Empire State Building (celui de King Kong). Il y sera, attendant bien après l’heure prévue jusqu’au dernier ascenseur, mais elle ne viendra pas (on sait pourquoi, même si ça se passe hors champ).

Un petit champagne rosé ?

Dès lors, on va les suivre, lui obligé de travailler dans la peinture (sur toile ou en bâtiment), répondant là à sa vocation enfantine, elle donnant des cours de chant pour des gosses dans une paroisse. Tous les deux ne sont pas mariés avec leurs fiancés respectifs, ne se sont pas revus. Ils ne se retrouveront qu’à la dernière scène …

Lui, c’est Cary Grant. L’immense Cary Grant. Capable de tout jouer à la perfection, mais jamais aussi excellent que dans la comédie. Un jeu très british (il est anglais de naissance avant de s’être fait naturaliser américain vers la quarantaine), très économe de gestes, tout passe par un plissement de front, de sourcils, une esquisse de sourire, un regard, un petit mouvement de tête, …).

Elle, c’est aussi une citoyenne britannique, Deborah Kerr, grande actrice à la filmographie longue comme un jour sans pain, avec une bonne dizaine de grands films à son actif. Généralement pas dans le registre comique. Dans « Elle et lui », elle fait ce qu’elle peut, mais est quelque peu écrasée dans ce domaine par Cary Grant. Elle rétablit l’équilibre dans la seconde partie, malheureusement pas très captivante …

McCarey, pour ce que j’en ai vu, ne transcende rien. C’est juste un technicien sans imagination, qui pose une caméra et met ses acteurs devant. Même s’il arrive quand même à trouver un angle intéressant pour magnifier le superbe paysage en contre-bas à Villefranche-sur-Mer, lors d’une escale de la croisière et d’une visite de Ferrante et McKay chez la grand-mère de Ferrante, lors de la seule pause émotion d’une première partie très alerte … Par contre, la manie de McCarey des parties chantées est ici loin d’être une bonne idée. Cary Grant n’a que quelques vers, et on le sent très mal à l’aise, Deborah Kerr s’en sort mieux bien qu’étant doublée. On a droit à un chant par une chorale de gosses plutôt longuet et pathétique et qui finit par mettre mal à l’aise quand les deux seuls gosses Blacks de la chorale se livrent à quelques pas d’une danse censée être africaine mais qui fait évoque lourdement les piteuses « revues nègres » …

Scène finale

Le film est porté tout entier par Grant et Kerr, les seconds rôles sont tout juste des figurants améliorés, seule une autre anglaise, Catleen Nesbitt, dans le rôle de la grand-mère de Grant (pourquoi la grand-mère, elle n’a dans la vraie vie que seize ans de plus que lui, et on ne parle jamais des parents de Ferrante), a droit à une paire de jolies scènes. On a parfois comparé « Elle et lui » aux meilleurs films de Douglas Sirk (manque quand même les scènes épiques tire-larmes), voire à « Love Story » (??) … Bah non, « Elle et lui » est le cul entre deux chaises entre comédie et mélo, et finalement « n’imprime » pas vraiment.

McCarey a tourné pour les grands studios (longtemps sous contrat avec la Columbia, celui-ci est chez la Fox) et fait partie de ces réalisateurs aujourd’hui oubliés, une bonne partie de son œuvre n’a jamais été rééditée sur support physique. Et quand c’est fait, c’est un travail bâclé. La version Dvd du film que j’ai (pourtant de la Fox) parue en 2001 a une qualité d’image pire qu’une VHS, on passe pendant la lecture d’une version française à des scènes en V.O. sous-titrées … c’est pas avec des supports comme ça qu'on va le réhabiliter le Leo …



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