CLINT EASTWOOD - MILLION DOLLAR BABY (2004)

 

Victoire par K.O.

Fondamentalement, Clint Eastwood est un réac (par ses discours, ses prises de position, les personnages qu’il a le plus joués dans ses films qu’il soit metteur en scène ou pas) … Un réac comme il y en a des dizaines de millions aux USA… Mais aussi un réac humaniste, ce qui est quand même moins courant.

Et quand les cinéphiles des prochains siècles (à condition qu’il y ait encore des cinéphiles et des prochains siècles, ce qui n’est pas garanti) se pencheront sur son œuvre, je vous parie que deux films reviendront avec obstination comme faisant partie de ses tout meilleurs, à savoir « Sur la route de Madison » et « Million Dollar Baby ». Pas forcément représentatifs de sa très longue filmographie, mais deux œuvres qui te collent une balle entre les yeux et en plein cœur, beaucoup plus sûrement que si c’était Dirty Harry ou un cowboy taiseux à cigarillo qui tenait le flingue …


Je sais pas ce qu’il avait en tête Eastwood quand il a tourné « Million Dollar … », mais quelque part il voulait certainement faire une œuvre testamentaire sur la vie, l’amour, la passion, la mort, l’humanité, comme « Impitoyable » avait été son western testamentaire. Faire un testament ne veut pas dire qu’on va mourir à l’instant, ça veut juste dire qu’on définit ce qu’on va laisser à ceux qui resteront en vie une fois qu’on sera plus là …

« Million Dollar … » flirte pourtant avec tous les stéréotypes crispants d’Eastwood et du cinéma grand public (américain, pléonasme). On y voit l’accomplissement du rêve dans le pays où tous les rêves sont possibles (en théorie, la pratique est pas aussi simple), on y voit les cœurs de granit se fendre et saigner dans la plus pure tradition des mélos larmoyants, on y voit des tranches et des tronches de vie qui font retomber la pression (ou en rajoutent une couche, au choix). On y voit surtout les déclassés, les tricards, les sans-grades, tutoyer les étoiles, s’approcher du Soleil avec leurs rêves, … et retomber durement sur Terre, leurs rêves caramélisés par la vie, tels des Icare contemporains …

« Million Dollar … » dure quasiment deux heures et quart. Une heure trois quarts sont prévisibles (en gros, la lente ascension vers la success story), la dernière demi-heure est un grand coup de massue sur toutes les certitudes accumulées jusque-là (ben non, il n’y aura pas de happy end, et il n’y a même pas de end pour deux des trois protagonistes principaux, on sait pas ce qu’ils vont vraiment devenir).

Freddie & Maggie : de l'ombre ...

La success story du film, Eastwood la construit sur la boxe. Un bon point, c’est beaucoup mieux que s’il avait choisi le base ball, le foot américain ou le hockey sur glace, sports très populaires aux States mais totalement incompréhensibles pour qui n’a pas passé des centaines d’heures au stade, à la patinoire, ou affalé sur son canapé devant la télé, pack de Bud à portée de main … la boxe, je sais pas si c’est un noble art, mais les règles du jeu sont pas très compliquées, c’est celui qui prend sur la gueule qui a perdu, c’est un concept universel …

Question que l’on peut se poser, « Million Dollar … » est-il (entre autres) une forme de réponse à la série des Rocky, une réponse d’Eastwood à Stallone, et l’image qu’ils ont souvent donnée dans leurs filmographies respectives, celles de castagneurs machos et asociaux invincibles … « Million Dollar … » ne met pas en scène un boxeur, mais une boxeuse.

Cette boxeuse, Maggie Fitzgerald, est joué par Hilary Swank, certes oscarisée en 2000 pour « Boys don’t cry », mais relativement peu connue du « grand public ». Sous la direction d’Eastwood, elle trouvera là le rôle de sa vie. Maggie est issue d’une famille de cas sociaux rednecks du Missouri. Elle les a laissé tomber pour accomplir son rêve et son obsession à Los Angeles, devenir boxeuse professionnelle, alors qu’elle a déjà la trentaine. Elle est serveuse dans un boui-boui, cherche un entraîneur. Elle a choisi un vieux de la vieille, Frankie Dunn (Clint Eastwood), propriétaire d’une salle de boxe miteuse, un solitaire asocial et intransigeant, aux méthodes à l’ancienne. La seule personne avec qui Dunn se montre à peu près humain, et qui l’assiste dans sa salle, c’est un vieux boxeur noir amoché (aveugle d’un œil), Eddie (Morgan Freeman). Dunn n’est pas un cador de la profession, ni un homme d’affaires (son meilleur boxeur le quitte pour un manager ambitieux). Par contre, c’est un génie du rafistolage de museau, qui sait entre deux rounds comment on arrête une hémorragie, comment on remet en place un nez pulvérisé, comment on cautérise une plaie ouverte … on apprendra dans le film comment ses talents lui ont fait « adopter » Eddie dans sa salle de boxe.

... à la lumière ...

Evidemment, il fout à dix mètres Maggie quand elle lui demande de devenir son entraîneur. Son définitif et lapidaire « J’entraîne pas les filles » avec le regard hautain et méprisant qui l’accompagne suffit à ce moment-là à camper le personnage. Tout aussi évidemment, comme « Million Dollar Baby » est au début une succes story, la Maggie va venir au club (aidée par Eddie), s’entraîner seule dans son coin, pour finalement retenir l’attention du boss et entamer avec lui une fulgurante ascension vers le Championnat du Monde. Coïncidence certainement voulue, il y a un parallèle sportif entre la Maggie du film et Mike Tyson. Tous deux détruisent leurs adversaires au bout de quelques secondes, ont l’instinct et la mentalité d’un tueur sur un ring. Pour les deux, même si elle ne se produit pas de la même façon, la chute sera encore plus brutale que l’ascension … ça c’est pour le film sur la boxe.

« Million Dollar Baby » ne s’arrête pas là. Les personnages et leurs relations sont fouillées dans ce triangle (enfin, un triangle à deux et demi, Morgan Freeman, bien qu’excellent, n’a qu’un second rôle).

Maggie, c’est la bonne fille de la cambrousse. Capable de réactions exubérantes enfantines (elle ne cache pas sa joie, fait parfois des caprices genre aller à Las Vegas en avion et en revenir en voiture), totalement obnubilée par la boxe (elle travaille son jeu de jambes même quand elle sert au resto), et souhaitant faire le bonheur de sa famille de bras cassés une fois les dollars arrivés. Voir son obèse abrutie de mère lui faire une scène parce que la maison qu’elle vient de lui offrir (la plus belle du quartier) n’est pas meublée. Voir cette galerie de tronches de rednecks dégénérés se pointer avec un avocat à l’hosto pour tenter de récupérer tout le pognon de Maggie au cas où elle ne s’en tirerait pas …

Premier passage à l'hosto ...

Frankie, lui aussi, vit pour la boxe et peu de la boxe. Son club est assez pourri, sale, mal éclairé (à ce sujet, superbe photo, tous les personnages évoluent le plus souvent dans la pénombre, même quand ils sont dans une immense arena de boxe de Las Vegas). C’est un type qui une morale (parfois élastique, il achète des sparring partners pour Maggie, à un moment où plus personne ne veut boxer contre cette killeuse expéditive des rings), et une stratégie sportive simple : laisser longtemps mariner les boxeurs dans leurs rêves de titres, pour en faire des frustrés avec des envies de se surpasser chaque fois qu’ils montent sur le ring. Et puis Frankie n’est pas qu’un entraîneur de boxe. Il a eu une vie à côté. Il a été marié (il me semble que sa femme est morte) et il a une fille à laquelle il écrit chaque semaine avant de voir revenir quelques jours plus tard ses lettres non distribuées. Frankie a aussi de la religion, mais les épreuves de sa vie l’en ont un peu éloigné, il se contente de harceler le jeune pasteur du coin de questions embarrassantes (« et si on parlait de l’Immaculée Conception », ce genre). La religion, il y reviendra, les larmes aux yeux, pour rencontrer son petit pasteur, au moment où il sera question de vie et/ou de mort. Et Frankie a un péché mignon, il adore les tartes au citron. Et c’est (peut-être) dans une petite bicoque qui en fabrique d’excellentes et que lui a enseigné Maggie qu’il finira … Maggie profitera de l’absence de la fille de Frankie pour la remplacer, elle bénéficiera de ce que les psychologues du dimanche appellent un transfert. Transfert ambigu, on sent fugacement le vieux Frankie hésiter entre amour platonique filial et amour tout court. Et ce Frankie bourru et asocial (le prototype du gars qu’Eastwood incarnera de façon exacerbée dans le ridicule « Gran Torino ») va se muer en chien fidèle de Maggie une fois que les choses auront très mal tourné pour elle … Et pas du tout innocemment, Frankie (à ce moment-là, il ne faire guère de doute que l’acteur et son double derrière la caméra se confondent) va se retrouver face à la problématique de l’euthanasie (la mort est une thématique récurrente de la carrière d’Eastwood, parce que ses personnages la donnent ou y sont confrontés), et ne va pas traiter la chose de façon elliptique, tout sera clair …

« Million Dollar Baby » est adapté d’une nouvelle du même titre, et le scénario est l’œuvre de Paul Haggis, un type qui sait donner de l’épaisseur à ses personnages (voir son très bon « Collision » en tant que réalisateur). Les récompenses vont pleuvoir sur « Million Dollar Baby ». Quatre Oscars (meilleur film, meilleur réalisateur, meilleure actrice, meilleur second rôle pour Morgan Freeman). Et un César (meilleur film étranger) alors que notre institution franchouillarde du cinéma n’est pas réputée briller par son bon goût.

Film évidemment incontournable.


Du même sur ce blog :

Josey Wales Hors-La Loi


SCORPIONS - BEST OF VOL.2 (1984)

 

La rigueur germanique ...

Il fut un temps que les moins de vingt ans …etc … Scorpions fut dans les années 80, un groupe au succès énorme. Voire démesuré. Des marqueurs d’une époque s’étant hissé au top à force de travail. Parce que les Scorpions, c’est pas les plus doués ou les plus flamboyants de l’histoire du rock. Juste des bosseurs, construisant disque après disque, tournée après tournée, les fondations de leur succès. Atteignant leur apogée musicale avec « Blackout » (1982), et leur apogée commerciale avec l’équivoque et centriste « Love at first sting » (1984).


Autres temps … l’épopée commerciale des Scorpions serait inenvisageable aujourd’hui, à cause de trois pochettes de disques, celles de « Lovedrive », « Animal magnetism » et surtout celle de « Virgin killer ». C’était avant les Chiennes de Garde, les tweets forcenés de la Schiappa, les hashtags accusateurs, et les velléités de quelques-unes, parties de bons sentiments égalitaires et auto-transformées en mégères tentant d’instaurer une dictature matriarcale … Bon, ces trois pochettes sont bien machistes, et celle de « Virgin Killer » (un procès – perdu – pour pédopornographie a même été intenté des décennies plus tard), euh … pas pire que - au hasard – celle de Blindfaith … En fait, ces trois pochettes, c’est juste une des preuves d’un goût douteux des Scorpions. Ils mériteraient autant de procès pour les fringues immondes dont ils s’attifaient (des machins léopards, puis à zébrures, et une fois le larfeuille bien garni de dollars, futes moulants en cuir et brushings défiant les lois de l’apesanteur, sauf Meine qui cachait son début de calvitie sous des casquettes de gavroche, en cuir forcément …). Bon, les Scorpions étaient allemands (de Hanovre l’industrielle, ce qui en soi constitue une circonstance atténuante), passaient leur temps à sans cesse remettre sur le métier leur ouvrage, et en bons employés de RCA puis d’EMI, ne s’occupaient que de musique, et pas de tout le reste …

Ce « Best of Volume 2 », pas vraiment grand monde en était demandeur. Sauf que les Scorpions triomphaient avec « Love at first sting », paru chez EMI, et donc RCA chez qui ils avaient passé les seventies, a voulu se faire un peu de brouzouf avec leur fonds de catalogue (un premier Best of des années RCA était sorti à l’époque de « Lovedrive », comme par hasard …). Déjà un best of seventies des Scorpions (qui plus est un Volume 2), c’est soit un contresens, soit un oxymore. Les Scorpions squattaient pas les radios, et encore moins les hit-parades.


Et on peut pas vraiment dire que les Scorpions, c’était la révolution de quoi que ce soit en marche. Sauf qu’à force d’obstination, bien aidés par Dieter Dierks qui fut pour eux beaucoup plus qu’un simple producteur, de disques qui s’amélioraient au fur et à mesure des sorties, et de prestations scéniques où le cochon de payant en avait pour son argent (les Scorpions étaient à l’heure, pas bourrés ou défoncés, faisaient du mieux qu’ils pouvaient sur scène, à une époque où des types s’écroulaient au bout de trois titres et où d’autres se ridiculisaient dans des morceaux qui duraient trois quart d’heure …). Et donc pas surprenant que ce soit un disque en public (« Tokyo Tapes ») qui soit de très loin leur meilleur des seventies. Les Scorpions c’était le sérieux Mercedes appliqué au hard rock.

Les Scorpions, leur âme, leur Malcolm Young, c’est Rudolf Schenker. Guitariste rythmique à Flying V, et auteur de quasiment toutes les musiques du groupe. Le Rudolf, même s’il se cache pas sur scène (il prend d’ailleurs quelques solos), il laisse la lumière à Klaus Meine (voix de cristal dans les aigus) et à Uli Jon Roth.

Un cas celui-là. Un des plus doués gratouilleurs de manche dans une décennie peu avare de guitar heroes, et un type définitivement ailleurs. Il fera plus ou moins son Clapton quand le succès arrivera, et déguerpira pour une carrière parallèle que pour être gentil on qualifiera de mésestimée … Le Uli est un de ces guitaristes obnubilés par Hendrix. Qui se divisent en deux catégories, les imitateurs laborieux (Trower, Marino, plus tard SR Vaughan, etc …), et ceux qui ont essayé de saisir l’esprit du Jimi (là il sont moins nombreux, Randy California et Uli Jon Roth, liste close pour les 70’s). Si le reste du groupe a les pieds sur Terre, Roth, lui est ailleurs, dans son univers cosmique, et ne s’adresse à ses semblables que par l’intermédiaire de sa guitare, dont il a inventé son propre modèle, la Sky Guitar (« The sky is crying », titre … d’Hendrix, évidemment). C’est Roth qui transcende « Tokyo tapes », et tirera musicalement durant toute la décennie le groupe vers le haut …


Et ça tombe bien, il y a dans ce « Volume 2 » trois extraits de « Tokyo Tapes », dont le cosmique, forcément cosmique « We’ll burn the sky », qui clôture la rondelle et suit une des rares compos signées Roth « Sun in my hand », hommage sonore évident au « Axis : Bold as love » de … Hendrix, of course …

Pour le reste, on trouve les prémices et la mise en place de tout ce qui a fait la trademark Scorpions, le son clair et mélodique (merci Dieter Dierks sur la plupart des titres), la simplicité classique (des titres plutôt courts, extrapolations sur les bases de rock’n’roll basique), et de temps en temps quelques dérapages (toujours contrôlés, hein, rigueur teutonne oblige) vers des rivages plus heavy … Avec toutes les caractéristiques du hard seventies, les relents du rock lourd psychédélique (« Looking for fire »), l’inspiration (imitation ?) du Zeppelin (l’intro très « Stairway to heaven » de « The need a million » qui fait également la part belle à d’inattendues guitares surf), les essais de ballade musclée (« Crying days », comme un brouillon de « Still loving you ») …

Cas à part dans le rock allemand de l’époque (pas de morceaux de demi-heure farcis de synthés, pas de krautrock, pas de prog qui ont fourni en ces temps-là le gros des troupes sonores prussiennes), les Scorpions ont toujours eu en ligne de mire le rock anglo-saxon et le public international qui va avec. De ce côté-là, mission accomplie …



Des mêmes sur ce blog :


VINCENTE MINNELLI - GIGI (1958)


Tragédie musicale ?

Dans l’industrie du divertissement américaine, le nom de Minnelli est un de ceux qui comptent. Le Vincente Minnelli donc, réalisateur multi-oscarisé, ancêtre de toute une lignée d’Italo-américains versés dans le septième art (les Scorsese, De Palma, Cimino, Coppola, …), mais aussi père de la Liza du même nom, reine des cabarets et revues de Broadway, et mari de l’alcoolo dépressive, l’ex-enfant star Judy Garland.

Vincente Minnelli, c’est une filmographie assez conséquente, placée pour la majorité de ses œuvres les plus connues sous le sceau de la comédie musicale (« Le chant du Missouri », « Tous en scène », et son meilleur, « Un Américain à Paris »). Plus quelques films plutôt noirs, dont les excellents « Les ensorcelés » et « Comme un torrent ».

Vincente Minnelli

« Gigi » est une comédie musicale et son plus gros succès (huit statuettes, dont meilleur film et meilleur réalisateur), et comme d’autres films avant lui (dont une « version française » une dizaine d’années plus tôt), inspirée d’un bouquin de Colette. Le film de Minnelli respecte globalement les grandes lignes du livre, tout en y rajoutant quelques touches personnelles, la plus notable étant l’ajout d’un personnage, vieux bourgeois grivois, et oncle du principal protagoniste masculin.

Colette a situé l’action de « Gigi » à Paris vers 1900, au milieu d’une faune de riches et de « demi-mondaines » (gentille expression d’époque pour désigner des femmes dont l’outil de travail était situé un peu au-dessous du nombril) annonciatrice de la Belle-Epoque. Minnelli a donc fait un film parisien tourné à Paris. Un Paris qu’il connaissait peut-être, mais qu’il rend totalement fantasmatique, vision grotesque de carte postale, de la ville de La Tour Eiffel, la ville des allées du Bois de Boulogne (alors lieu de promenade et d’exposition de la haute bourgeoisie), la ville des soirées chez Maxim’s, la ville des amours romantiques…


Là où ça se complique, c’est que Minnelli a décidé d’en faire une comédie musicale et confié les trois rôles principaux à des Français. Deux plus ou moins expatriés, Louis Jourdan et Leslie Caron (c’est elle qui serait l’instigatrice principale du projet qui a fini en film), plus l’inénarrable Maurice Chevalier. Tous les trois jouent comme des savates, en faisant des brouettes. Même si ce jeu outré est un peu récurrent avec les comédies musicales, là c’est vraiment too much. D’autant plus que la Caron et le Jourdan sont à la ramasse sur leurs parties chantées, heureusement peu nombreuses. Minnelli aussi est en roue libre. Certes il sait tenir une caméra, le cadrage est précis, le montage fluide, les costumes censés être d’époque sophistiqués, malgré un traitement des couleurs bien pétaradant … Ce qui ne masque pas la vacuité simplette de l’histoire (il me semble que le bouquin lu il y a des décennies est moins neuneu). Tout ça fait un peu « Un Américain à Paris » bis.

Minnelli a toujours eu le chic pour surexposer des ringards improbables. Dans « Un Américain … » c’était Georges Guétary dans un second rôle (et la première apparition de Leslie Caron qui allait en faire une vedette grâce au succès du film). Ici, on peut s’interroger sur la pertinence du choix Louis Jourdan, totalement inexpressif et transparent. Plus encore sur celui de Leslie Caron qui à 27 ans joue une gamine (15 ans dans le bouquin, 17 dans le film). Certes elle est toute petite, mais elle se force à minauder et à grimacer au-delà du raisonnable. Le pompon est attribué à Maurice Chevalier. Rarement vu dans un film un rôle principal aussi mauvais, figure cireuse rigide (à force de maquillage), perpétuel sourire benêt toutes dents blanches (refaites) en avant, … si on voulait être méchant (pas mon genre, hein, vous le savez), on dirait que pousser la chansonnette pour les officiers nazis pendant l’Occupation n’en a pas fait un grand acteur …


La première scène résume tout ce qu’il y a de mauvais dans ce film. Alors que des équipages de calèches luxueuses traversent au second plan les allées du Bois de Boulogne, Maurice Chevalier dont le personnage se définit comme un libertin forcené, reluque des fillettes qui jouent au cerceau (dont Leslie Caron, grotesque de puérilité) en entonnant une des chansons à succès du film « Thanks heaven for little girls ». Dont les paroles sont encore pires que ce que laisse présager le titre, ça donne en français des choses à haute allusion pédophile comme « c’est une veine qu’il y ait des fillettes ». A l’heure où pour beaucoup moins que ça, certains ont généré contre eux des hashtags incendiaires associés à des campagnes d’opprobre et de destruction massives pour de très vieilles histoires, il est étonnant que ce film n’ait pas été montré du doigt …

Remarquez, qui peut bien se fader des niaiseries pareilles ?


THE DARKNESS - PERMISSION TO LAND (2004)

 

... On the edge of hard ...

The Darkness, c’est l’histoire de quatre fans de hard un peu bourrins qui ramassent le jackpot … contre toute attente, et peut-être surtout la leur …

A la base du groupe, deux frangins. The Darkness, c’est la chose de Justin et Dan Hawkins, originaire du Suffolk (cambrousse au Nord-Est de Londres), deux guitaristes dont un chante lead (Justin), et qui s’entoureront au gré d’une carrière en pointillés de comparses occasionnels à la rythmique. Ils commencent à monter leur affaire au début des années zéro, alors que tous les compteurs et courants musicaux ont été remis à zéro. Les nouveaux héros, sauveurs, revivalistes, … du rock se comptent sur les doigts de la main de Django Reinhart, et officient dans des groupes qui commencent par The (Strokes, Libertines, White Stripes et leurs suiveurs, imitateurs et disciples). Les Hawkins seront donc The Darkness.

The Darkness, plein d'Awards pour eux ...

Et vont œuvrer dans un genre lui aussi sinistré où ne subsistent que quelques vieilles idoles, pas toujours au mieux de leur forme. Avec un coup d’avance (enfin, quelques mois) sur Airbourne, ils vont se lancer dans un hard rock à la AC/DC. Intention louable, mais éminemment casse-gueule. Autant la machine de guerre des Young Brothers semble jouer un truc tout simple et tout con, autant c’est compliqué à reproduire. Pour pas être accusés de pâle copie, The Darkness s’en va brouter également dans des pâturages autrefois visités par Thin Lizzy (dont ils se disent grands fans, mais j’en vois pas trop l’influence), Aerosmith (la concision), Van Halen (le côté exubérance mélodique), ou à l’inverse Black Sabbath (la lenteur plombée) … Bon, ils peuvent citer qui ils veulent, les Darkness font juste ce qu’ils peuvent …

Leur succès sera pourtant considérable (surtout chez eux en Angleterre, un peu moins ailleurs). J’ai la méchanceté de penser que sans le soutien d’une vénérable maison de disques qui a de gros moyens (Atlantic, la même qui distribue dans une grande partie du monde … AC/DC), le succès des Darkness aurait été moindre. Au passage, une petite remarque. « Permission to land » est doté (enfin, si on veut) d’une des pochettes les plus vulgos du rock (copié-collé de celle de « The pros and cons of hitch-hiking » de Roger Waters après son départ-éviction de Pink Floyd). Pas sûr que du temps du brave Ahmet Ertegün ce genre de mauvais goût ne serait pas resté dans les archives du graphiste …

Le morceau « de bravoure » (enfin, celui qui a cartonné sur les radios) de The Darkness c’est « I believe in a thing called love », qui deviendra la locomotive (poussive pour moi) du disque. Rien compris à ce titre que je qualifierai au mieux de très quelconque, mais bon, les goûts et les couleurs du hardos de base du début du siècle, c’est pas un truc que je maîtrise vraiment … A tout prendre, je préfère nettement l’introductif « Black shuck » qui recycle dans son début tous les plans de AC/DC, le dénommé Justin Hawkins réussissant un improbable mix vocal entre Bon Scott et le Brian à casquette qui lui a succédé … Sauf que le Justin sombre souvent dans l’énervant piaillement aigu de tous les machos à voix de castrat du genre, n’est pas Robert Plant qui veut. Et tant qu’à parler de clichés machos, The Darkness s’y vautre dans des choses aussi élégantes (?) que « Get your hands off my woman (motherfucker) ».

Justin Hawkins

Dans leur hard-rock qui se veut « classique », il manque quand même du solo de guitare, les deux frangins se contentant d’épaissir le son par des synthés au lieu des sarabandes de notes qu’on est en droit d’attendre au cœur des titres. Ces synthés (bon point, ils sont pas envahissants) prennent malgré tout le dessus lorsque le groupe s’essaye à la ballade musclée (« Love is only a feeling », le début de « Holding my own ») elles aussi pas franchement convaincantes. Perso, le titre que je trouve le plus réussi, c’est le hard mélodique de « Growing on me », entraînant et décontracté comme le Van Halen de la période David Lee Roth …

The Darkness ont eu la chance d’être au bon endroit au bon moment. Ça suffit pour réaliser un bon score commercial. Par contre, les amateurs du genre qui avaient mis quelques billes sur leur nom ont dû déchanter, le groupe a connu une existence erratique encombrée de come-backs qui n’ont même pas réussi à convaincre le noyau dur des fans de la première heure …

Faut dire que tous les anciens dont ils s’inspiraient, sans être pour autant géniaux à cette époque-là, assuraient quand même davantage …


BERNARDO BERTOLUCCI - PRIMA DELLA RIVOLUZIONE (1964)

 

Stendhal au pays des Soviets ?

Tout le monde connaît Bertolucci. Enfin « Le dernier tango à Paris », un des films les plus sulfureux de l’histoire du cinéma. Parce que le reste de sa filmographie n’est vraiment ni successful ni « grand public » …

Quand il tourne « Prima … » Bertolucci n’a que 23 ans. Il a commencé comme assistant de Pasolini (autre réalisateur italien « difficile ») dont la façon d’aborder le cinéma sous un aspect très politisé fut sa première grande source d’inspiration. Mais c’est en voyant les films de Godard qu’il trouvera sa voie « visuelle ».

Bertolucci

« Prima della Rivoluzionze » (« Avant la Révolution ») d’après une citation de Talleyrand placée en exergue (« celui qui n’a pas vécu au XVIII ème siècle avant la Révolution ne connaît pas la douceur de vivre et ne peut imaginer ce qu’il y a de bonheur dans la vie ») est un des rares films italiens inspiré par la Nouvelle Vague française en général et Godard en particulier. Nouvelle Vague par le choix d’acteurs débutants au jeu souvent inexpressif et désincarné, par des disgressions du scénario ou des dialogues. Godard pour cet art des raccords volontairement mal foutus (ici, quelques fractions de seconde genre rewind sur des plans saccadés), et cette attirance pour le communisme et la Révolution qu’il doit engendrer. Et surtout Godard est présent à travers une discussion après que Fabrizio, Gina et Cesare sortent d’un cinéma où était projeté « Une femme est une femme ».

« Prima … » part dans trois directions.

Un remake squelettique de « La Chartreuse de Parme ». L’action se situe à Parme, les personnages principaux s’appellent Fabrizio, Gina et accessoirement (elle apparaît fugacement au début, et pour une paire de scènes à la fin) Clélia. Pour autant que je me souvienne du bouquin, la similitude ente le livre et le film s’arrête là.

Fabrizio tourne le dos à la Révolution ...

On y cause bourgeois et communistes. Les bourgeois, c’est le milieu de Fabrizio (joué par l’inconnu, et qui le restera, Francesco Barilli), de sa famille, de son pote Agostino, et de la famille de Clélia. Aussi un peu de Gina, même si cette origine sociale n’a aucune importance pour son personnage. Le communisme, c’est Cesare, le prof d’histoire et maître à penser de Fabrizio. Souvent évoqué au début du film, il n’apparaît que dans sa seconde moitié. Le communisme, c’est aussi cette fête, où au milieu des drapeaux rouges, les militant(e)s commentent le suicide de Marylin Monroe qui fait la une des journaux, ce qui permet de situer le film en 1962.

Et puis « Prima … » laisse entrevoir des sujets tabous, le genre de thématiques sur lesquelles on fait rarement des films à l’époque. L’homosexualité est latente dans les relations entre Fabrizio et Agostino, lors des discussions avec Cesare, avec un jeune gars auprès de la rivière … La « décadence » des mœurs, qui fera la « fortune » du cinéma italien des 60’s (Fellini, Pasolini en tête) est évoquée dans le personnage secondaire de Puck, une ancienne « connaissance » de Gina. Quant à Gina, elle est ce que du point de vue freudien on appellerait une hystérique. C’est l’amante mais aussi la tante de Fabrizio, elle ne rechigne pas à se taper le premier type qui passe à portée (celui qu’elle croise dans une librairie), est capable de passer de dominatrice à soumise, et de laisser tomber ses amants comme de vieilles chaussettes.

Gina / Adriana Asti

C’est d’ailleurs Gina, beaucoup plus que le transparent Fabrizio, qui est l’élément moteur du film. Ce personnage troublant et troublé est interprété par Adriana Asti (quelques apparitions fugitives comme dans « Rocco et ses frères »), qui disparaîtra quasiment des radars ensuite, avant de revenir dans les 70’s pour quelques nanars grivois et/ou déshabillés (genre le « Caligula » de Tinto Brass). Elle vampe son neveu, le dépucèle, en fait un soumis qui renonce même à ses utopies communistes (jusque-là l’essence de sa vie). Et elle le largue, non y laisser au passage le peu de santé mentale qui lui reste. C’est cette histoire d’amour qui est la partie du film à laquelle il est le plus facile de se raccrocher. Parce que beaucoup du reste est typique de le nouvelle vague, ces personnages que l’on croit cruciaux et qui ne font qu’apparaître (Agostino le copain à Fabrizio, Puck l’ancienne « relation » de Gina, Clélia la fiancée délaissée puis épousée), ces dissertations souvent absconses sur l’homme et la société. Fabrizio et son mentor Cesare (joué par Morando Morandini, célèbre essayiste et critique du cinéma italien de l’époque), ont ainsi plusieurs face-à-face, où il est question de Proust, Oscar Wilde, et évolution des idéaux communistes (ce dernier échange étant filmé en un superbe champ contre-champ à grande vitesse).

« Prima … » est une œuvre de jeunesse, dans laquelle Bertolucci a voulu mettre beaucoup de choses. Trop peut-être, et c’est le reproche que l’on peut faire au film. Il veut tellement en dire et en montrer que l’on sort de « Prima … » sans réellement saisir quelle est la finalité du film, chose cependant guère répréhensible dans le mouvement (la Nouvelle Vague) auquel il se rattache (dites-moi ce que voulait dire Godard dans les années soixante, lui seul le sait … peut-être). Il n’empêche que « Prima … » s’il part dans tous les sens n’est pas un film bâclé pour autant. Il y a un parti-pris esthétique certain et la technique qui va avec (les cadrages sont parfaits). Et puis, un leitmotiv musical autour d’une mélodie simple et désuète revient sans cesse. Ce thème musical est signé par un quasi débutant, Ennio Morricone. Lorsque « Prima … » sort (au festival de Cannes 1964), Morricone travaille sur la musique d’un western, tourné par un autre quasi-débutant, Sergio Leone, qui a donné le rôle principal à un acteur américain de seconde zone expatrié pour l’occasion, un certain Clint Eastwood …

C’est avec cette génération-là (Pasolini, Fellini, Bertolucci, Antonioni, Scola, Leone, …) que le cinéma italien, jusque-là quelque peu tétanisé par l’ombre des grands anciens déclinants du néo-réalisme (Rossellini, De Sica) va vivre une nouvelle période faste, la transition entre les deux générations étant assurée par l’immense Visconti …