Avertissement : même si les deux acteurs principaux
reforment le duo / couple DiCaprio / Winslet, « les Noces Rebelles »
n’a rien d’une suite de « Titanic ». Ou alors il faut jouer avec
le sens des mots, car si « Les Noces Rebelles » raconte bien un
naufrage, il a lieu à l’intérieur du couple …
Le film (encore une fois doté d’un titre français
absurde, c’est quoi une noce rebelle ???) est tiré d’un bouquin de la fin
des années 50, « Revolutionary Road », le premier de l’écrivain
Richard Yates, auteur bipolaire et alcoolo, contemporain de la Beat generation
(Kerouac, Burroughs), mais qui finira beaucoup plus « sagement »
comme rédacteur (pour l’alimentaire) des discours de Robert Kennedy (celui qu’aurait
pu succéder au frangin flingué de Dallas s’il avait pas lui aussi pris une
bastos). Ensuite histoire classique, droits du bouquin rachetés par la
Paramount, le scénariste Justin Haythe qui en fait une adaptation pour le
cinéma, qu’il retravaillera avec Sam Mendes lorsque celui-ci se déclarera
intéressé pour en faire un film.
Mendes, Winslet & DiCaprio |
Sam Mendes n’a derrière lui que trois films, dont
deux cartons au box-office, « American beauty » et « Jarhead :
la fin de l’innocence ». Il est marié avec Kate Winslet, à qui il propose
le rôle principal (c’est elle qui la première a lu le bouquin et a mis Mendes sur
le coup), tout en espérant (même si c’est pas vraiment affiché) qu’elle fera
des pieds et des mains pour amener sur le projet son meilleur ami, Leonardo
DiCaprio. Qui est surbooké, hésite, mais finit par donner son accord.
Parenthèse. Un blaireau dont j’ai oublié de noter le
nom dans les bonus du Blu-ray plastronne en disant que c’est grâce à ce film
que le Leo est passé du statut de jeune premier à celui de grand acteur … ah
bon, parce que le type qui venait d’enchaîner en haut de l’affiche trois
Scorsese (« Gangs of New York », « Aviator », « Les
infiltrés ») et un Spielberg (« Arrête-moi si tu peux ») en
donnant entre autres la réplique à Daniel Day-Lewis, Tom Hanks et Nicholson,
avait besoin de tourner avec Mendes pour asseoir sa réputation ?? Y’a des
coups de pied au cul qui se perdent …
Ce qui ne veut pas dire que DiCaprio et la Winslet
soient en roue libre sur ce film. Winslet obtiendra un Golden Globe et « Revolutionary
road » (le titre en VO) 3 statuettes aux Oscars, dont une pour le second
rôle de Michael Shannon (j’en recauserai plus bas de celui-là). Winslet et
DiCaprio sont juste parfaits et crédibles dans ce film d’une noirceur et d’une
tension qui vont crescendo …
L’histoire en deux mots, est celle du couple Frank
et April Wheeler, trentenaires quelconques (lui bosse parce qu’il faut bien
faire quelque chose au siège newyorkais d’une grosse boîte, elle élève leurs
deux enfants) de l’Amérique de la fin des années 50 (en plein milieu des Trente
Glorieuses, croissance, prospérité et possibilité de réaliser les rêves le plus
fous). Et justement, Madame Wheeler (Winslet) s’emmerde. Un premier déménagement
dans la « Revolutionary Road » (rue pavillonnaire d’une bourgade de
banlieue du Connecticut, à quelques encablures donc de New York) lorsque va arriver
le second gosse casse un peu la monotonie de sa vie, elle fait aussi du théâtre
amateur dans une compagnie qui enchaîne les bides …
Au début tout va bien |
Cette présentation des personnages est à mon sens le
seul petit point faible du film, où la scène d’introduction nous montre des
années avant que débute l’histoire la rencontre / coup de foudre de Frank et
April, à laquelle s’enchaîne la fin d’une représentation théâtrale calamiteuse
avec April en tête de distribution ce qui vaut un retour at home avec une
monumentale engueulade du couple en bagnole (où apparaissent immédiatement la
faiblesse de l’homme et la froide détermination de la femme). Et ensuite va arriver
un flashback montrant le couple aménager à Revolutionary Road… on s’y perd un peu,
d’autant que sont entrevus des personnages auxquels on ne prête pas forcément
attention, mais que l’on retrouvera plus tard dans l’histoire …
On s’aperçoit très vite que le couple modèle, le
couple idéal va mal … April ne supporte plus sa morne vie de femme au foyer (un
plan superbe et qui en dit long où elle sort la poubelle, et jette un regard
circulaire sur une Revolutionary Road sans âme qui vive, avec un alignement
impeccable des poubelles des voisins sur le trottoir). Un jour qu’elle fouille dans
une boîte de photos de jeunesse de Frank (il a fait le Débarquement et s’est
fait tirer le portrait avec un pote soldat devant la Tour Eiffel), elle a l’illumination :
elle sait parler français, toute la famille va déménager en France, c’est elle
qui va travailler et Frank à qui elle trouve un joli coup de crayon, y
deviendra peintre. On sent vite qu’April est une rêveuse borderline, on sait qu’elle
est coutumière de pétages de plomb monumentaux, et donc Frank n’ose pas lui dire
non, joue sans conviction à préparer leur départ vers cette Terre Promise, en
se disant qu’April finira par passer à autre chose … Il continue son morne
train-train de scribouillard, saute à temps perdu (et toujours sans conviction)
une jeune secrétaire niaise de la boîte. Mais c’est aussi un impulsif, capable
lui aussi de monter dans les tours lors des disputes du couple qui ont tendance
à se multiplier. Et là, ceux qui savent qu’il y a des gens qui ont fait des
bons films avant ceux de Frank Dubosc, trouveront de nombreux parallèles avec le
génial « Qui a peur de Virginia Woolf » dans lequel le couple Burton-
Taylor rejouait devant la caméra de Mike Nichols les colossales scènes de
ménage avinées qui étaient leur quotidien à la ville …
Et on assiste à ce spectacle du couple qui s’enfonce
dans l’incompréhension mutuelle, chaque événement qui survient ne faisant qu’en
rajouter une couche. Un troisième enfant est mis en route lors d’un tendre
moment de réconciliation. Problème, April veut avorter, Frank aimerait bien qu’elle
le garde. Parce qu’un boulot bâclé fait dans sa boîte lui a valu à sa grande
surprise d’attirer l’attention sur lui du PDG qui propose un gros avancement qu’il
accepte sans rien dire à son April toujours en partance pour Paris … Les amis
et les voisins ne font qu’envenimer la situation. Le voisin (joué par David
Harbour) est dans la troupe de théâtre avec April, en est amoureux, et finit
par la sauter vite fait mal fait sur le siège d’une bagnole (faut dire qu’elle
l’a bien allumée dans un dancing …), tandis que sa femme est totalement effacée
au milieu de sa ribambelle de gosses mais semble avoir des yeux de Chimène pour
les beaux April et Frank et semble amoureuse des deux en même temps.
Une autre famille grouillote dans la troupe de
théâtre. Le couple commence à être dans l’âge, elle est agent immobilier (c’est
elle qui a mené April et Frank à Revolutionary Road), lui n’est relié au monde
extérieur que par son sonotone qu’il débranche quand il veut avoir la paix. Ils
ont un fils (excellent Michael Shannon), mathématicien de génie bien cinglé qui
vient de passer des années en hôpital psy. Ce dernier, chaque fois qu’il est
invité avec ses parents à manger chez les Wheeler, avec ses intuitions d’idiot
savant, devient le miroir de leurs consciences et les met crûment face à leurs
réalités. Les repas tournent dès lors court …
Rien ne va plus ... |
Il faut reconnaître que le film est mené de main de
maître par Mendes. Qui ne focalise pas la caméra uniquement sur sa bien-aimée
(on en connaît qui ne s’en sont pas privés, Godard étant le premier qui me vient
à l’esprit), mais tient son histoire en mettant un point d’honneur à tout
filmer en extérieurs (on vit vraiment les disputes de l’intérieur dans de
vraies pièces nécessairement confinées pour une équipe technique), la fin des
années cinquante est minutieusement reconstituée (beaucoup de bagnoles d’époque,
des scènes de foule en costumes vintage,… ) de la belle ouvrage …
Et le final est d’une tension et d’une noirceur totales,
sans qu’il soit besoin pour Mendes d’agiter de grosses ficelles. On ne voit pas
tout, mais le jeu des acteurs nous fait bien comprendre ce que l’on n’a pas vu …
Quitte à passer pour un pourfendeur de vérités indiscutables, le couple DiCaprio
/ Winslet y est bien meilleur que dans « Titanic » (grand et beau
film cependant), puisque le fantôme du foutu bateau les poursuivra chaque fois
qu’ils seront ensemble devant une caméra …
On peut trouver de nombreux parallèles avec quantité
d’autres films (l’histoire d’amour qui finit mal n’a rien d’un thème
immensément original), mais plus particulièrement avec ceux de Bergman et
Cassavettes (les disputes en vase clos avec montée hystérique dans les tours).
Sauf que Mendes se démarque de ces films intimistes aux face-à-face hurlants
des acteurs par une histoire élaborée, un portrait d’une époque et d’une
société soignées, une distribution remarquable avec d’excellents seconds et
deux têtes d’affiche qui ne cabotinent pas, et jouent juste …
« Les noces rebelles » est à déconseiller
aux amateurs des super héros Marvel. Par contre ceux qui aiment les bons films
y trouveront plus que leur compte …
Du même sur ce blog :