TEMPLES - HOT MOTION (2019)

Teenage lobotomy ...

Stade de France : enceinte sportive de la région parisienne, aire de jeu officielle des équipes de France de foot et de rugby. Jeux de ballons dans lesquels les susnommées équipes sont particulièrement mauvaises, celle courant après un ballon rond étant par on ne sait quel hasard, championne du Monde. Ce qui nous vaut d’entendre à tout bout de champ l’insurpassable « Feel the magic in the air, allez, allez, allez, levez les mains en l’air ». Et quand ces jeunes gens à QI tout juste positif ne squattent pas la pelouse, on peut de temps en temps y voir et y entendre d’autres choses.
Les Temples version glam ...
Les dinosaures du jurassique (Rolling Stones) ou du crétacé (Springsteen, AC/DC), les bestioles préhistoriques (Cure, Depeche Mode, U2), les animaux moyenâgeux (Mumuse, Coldplay). Autrement dit des types qui ont sorti leurs premiers disques depuis plus de vingt ans pour les moins vieux d’entre eux … et je ne parle pas des locaux, Indochine, ou (allumer le) feu Johnny, voire … Bigard (putain Bigard …).
Euh, garçon, et les Temples dans tout ça ? Ben, les Temples, ils ont tout pour jouer au Stade de France … un jour peut-être … faut pas rêver, ils sont pas sur une major, y’a que Sony, Universal et la Warner qui y envoient leurs têtes d’affiche … en tout cas, ils ont sorti un disque de pop rock machin de stadium … J’avais, en des temps immémoriaux, donné un avis ferme, définitif, etc… sur leur première rondelle. Celle-ci est leur troisième (pas écouté la seconde). Bon, j’ai pas vu ou entendu avec eux le futur du rock comme disait l’autre, mais ce « Hot Motion », je le trouve moins problématique que leur inaugural « Sun Structures ».
En tout cas, les Temples ont sorti là un disque plaisant, voire pour plaire (au plus grand nombre) … aux jeunes connectés spotifysés, voire à des vieillards de mon âge, qui, intrigués par l’espèce de Marc Bolan qui trône au milieu de la pochette, peuvent aller voir si de revival glam il est question. La réponse est non, pas de glam rock stricto sensu, mais des chansons un peu putes qui veulent ratisser large auprès d’un public point trop exigeant, et forcément potentiellement nombreux … D’où le SDF introductif.
... et version jacquard
« Hot Motion » est un disque bancal, déséquilibré. Si on l’a en vinyle, on peut à peu près zapper la seconde face, ses ballades bruyantes (« The Beam »), ou surchargées (« Monuments ») … ses titres lost in space, comme si les Temples avaient perdu le fil (« It’s all coming out ») … ses gimmicks du pire disco (pléonasme) italien des années 80 (« Step down », pourtant une bonne compo) … son titre à tiroirs, qui débute comme une ânerie folk-bâtons d’encens avant de muer pour finir en instrumental spatial (« Stop down »).
Par contre, les premiers titres, ben ma foi, pas entendu un enchaînement de titres aussi réussis depuis le premier MGMT. Cinq titres, ouais bien sûr un peu honteux tellement ils sont racoleurs, mais d’une évidence rare. Boostés par un son dernier cri, qui ne cède pas pour une fois aux sirènes des vois passées au vocoder ou à l’autotune. Parce que, selon toute vraisemblance, le James Bagshaw (celui qui ressemble à Bolan) sait chanter. Et composer (un tiers des titres, les trois composent, et fait assez rare dans ce cas de figure, les titres s’enchaînent au lieu de s’affronter par des approches différentes, impossible de dire sans lire les notes du livret qui a écrit quoi). Et produire (là le Bagshaw est seul aux manettes).

« Hot Motion » le morceau avec son intro très chaloupée et son refrain à la Chris Rea du « Love & Emotion » (et pas seulement pour des similarités phonétiques), pourrait devenir le « Dance to Joy Division » (Klaxons) des années 2020 (je me rends compte qu’avec des références comme ça, mes millions de lecteurs vont se gratter l’occiput, genre mais putain de quoi et de qui il cause là ?). « You’re either on something » est la ballade parfaite, racoleuse mais ‘achement bien foutue. « Holy Horse » sonne comme un inédit des Beatles … ou de Supergrass, rien à ajouter, c’est somptueux … « The Howl » met en avant un riff de synthés à la Cars (tiens, à propos des Cars, leur leader Ric Ocasek vient de claquer y’a pas longtemps, ça n’a évidemment pas fait les unes des JT), une partie de batterie à la « We will rock you » de Queen ; les Cars, Queen, du joli à l’oreille avec comme point commun des deux le producteur Roy Thomas Baker, pas un hasard si les Temples s’en inspirent dans le même morceau. Et last but not least de ce quintet magique « Context » qui n’est pas sans rappeler le son du premier MGMT, CQFD et la boucle est bouclée …
Curiosité de la pochette : ce logo en haut à droite qui renvoie à la signature de Prince sur certains de ces disques. Pas la moindre idée de ce que ça signifie pour les Temples et si c’est un hommage au nabot de Minneapolis …
Cinq grands morceaux, six de dispensables, soyons positif et décrétons le verre aux trois-quarts plein …


Des mêmes sur ce blog :

WILLIAM SHELLER - ALBION (1994)

Spinal Bion ?

Je me souviens, je me rappelle … de ce blondinet timide, chantant les mains dans les poches des histoires d’encre bleue et de carnets à spirale. C’était quand la télé commençait à être en couleurs, et on y voyait quelques fois le Sheller pousser la chansonnette chez Drucker ou les Carpentier, entre les tocards habituels, tous ces Charles Bécaud, Gilbert Aznavour, Mireille Lama et Serge Mathieu… Il avait l’air de se demander ce qu’il foutait là, et de s’y emmerder royalement …
Et puis, il a eu son quart d’heure de gloire vers la fin des 80’s, quand tout seul avec son piano, on le voyait quelques fois dans des shows télé (un peu) moins honteux, chanter de mignonnes chansons tristes. Et comme il disait, il devait être un homme heureux …
Pour moi, c’était un de ces sous Polnareff comme la variété française en pond un tous les cinq ans, avant de passer au suivant … ce qui ne l’avait pas empêché de sortir quelques trucs risibles, au premier lieu desquels l’impérissable ( ? ) « Rock n’ dollar » (« Donnez moi Madame s’il vous plaît du ketchup pour mon hamburger … »), fallait y penser … Et surtout pas avoir peur du ridicule, Sheller étant aussi rock’n’roll que, au hasard, Macron … C’était dans ses débuts de carrière, il devait se chercher, et allait retenir la leçon, le rock c’était pas fait pour lui …
Ben non … Voilà t-il pas qu’en pleine vague grunge (retombante), il se paye un séjour aux cossus studios Ridge Farm, dans le cossu Surrey, studios qui ont vu défiler du beau monde (Bad Company, Roxy Music, Queen, Prefab Sprout, Bowie-Tin Machine, …), ou pas (Jethro tull, a-ha, Frankie Goes to Hollywood, OMD, …). Sheller recrute quelques requins anglais (inconnus) et met en chantier un disque de rock … Je sais pas ce qui lui passait par la tête et je m’en fous, mais force est de reconnaître que c’était pas une bonne idée du tout.
Ce « Albion » fruit de ces séances, est atroce. Les compos sont pas mauvaises en soi, Sheller est capable de trousser de belles constructions mélodiques, mais une fois passée par les pattes de cette joyeuse ( ? ) équipe, c’est d’une navritude (inutile d’écrire à Blanquer, je sais que c’est un mot qui existe pas, je suis dans ma période Ségolène – feu Chirac qui étaient coutumiers de ce genre de créations, mais qui eux faisaient pas exprès) absolue.
On retiendra de cette horreur sonore un jeu de batterie herculéen qui recycle les plus mauvais plans du rock FM (la Benatar, Foreigner, Toto, le Van Halen des mauvais jours), et un guitariste imbécile, certainement payé à la note, qui à la moindre éclaircie, se lance dans des solos imbéciles de technique vaine. Sheller, préposé à tout ce qui a des touches blanches et noires, n’est pas en reste, et s’efforce de sonner comme tous ces types qui au début des 80’s jouaient des synthés à un doigt … alors que le William est capable d’utiliser les dix …
Les coupables ...
Qu’il veuille sonner « rock », c’est son problème. Le problème, c’est que le rock, il y connaît rien. Dans les moins mauvais moments, ça sonne comme Jethro Tull ou le Genesis des 80’s, c’est dire l’ampleur des dégâts … on ne s’étendra pas par charité sur sa prestation vocale, c’est pas un hurleur, et pour faire entendre sa voix au milieu de tout ce raffut, il n’a rien trouvé de mieux que de la gonfler en la passant par tout un tas de filtres ou de vocoders …
Sur le podium des horreurs, médaille de bronze pour « Silfax », entre reggae et calypso (faut oser, avec un band qui swingue comme un régiment d’enclumes), titre pendant lequel le guitariste se « surpasse » (no comment). Médaille de bronze pour « Maintenant tout le temps » entre Gold (« Ohééé ohééé capitaine abandonnééééé » ») et une face B de Foreigner. Médaille de chocolat décernée à « Excalibur », titre dont il avait fait une version celtique qui n’arrivait pas à la cheville de Manau (les Alan Stivell des malentendants) et qu’il nous ressert là façon rock (enfin, à sa façon à lui), et « agrémentée » d’un clip très Mylène Farmer (les jolies fesses en moins), heureusement (?) introuvable sur TonTube.
En fait, il faut avoir le courage - « Albion » dure une heure (putain, une heure) – d’arriver au dernier titre le bien nommé ( ? )  « Relâche » pour trouver quelque chose ressemblant à du Sheller « d’avant », c’est-à-dire écoutable quand on a vraiment rien de mieux à faire.
Y’avait longtemps … poubelle direct …



SPIKE LEE - DO THE RIGHT THING (1989)

Fight the power ...

Ce titre de Public Enemy, on l’entend à quinze reprises dans le film (rien qu’une fois en entier, précision pour ceux qui peuvent pas supporter le rap). Pas vraiment par hasard … Public Enemy (ou plutôt leur parolier et principal rappeur Chuck D.) et Spike Lee étaient faits pour travailler ensemble. Pas sûr qu’ils aient anticipé le buzz et le succès qu’ils allaient remporter …
Parce que pour moi, « Do the right thing » est un marqueur, un film condamné à faire date. Dans l’œuvre de Spike Lee d’abord. Parce qu’il n’a jamais fait mieux, ni derrière une caméra, et encore moins devant un micro (voir ses déclarations à l’emporte pièces sur Eastwood et Tarantino ces derniers temps). J’aime pas Spike Lee, le bonhomme, sa façon de souffler le chaud et le froid sur les sujets délicats qui le préoccupent (en gros la situation des Afro-américains aux Etats-Unis), sa façon d’alterner des constats lucides et des discours radicaux … Faut le voir dans les bonus du Blu-ray que j’ai (la réédition dite du vingtième anniversaire) faire un show grotesque lors de la conférence de presse-présentation du film au Festival de Cannes 89, grisé par des applaudissements (mérités) sur ses réparties judicieuses, et se laissant progressivement aller à un gloubi boulga pathétique sur fond de racisme et d’analyse politique et sociale à deux balles … alors qu’avec « Do the right thing », y’a rien à dire, suffit de laisser parler les images …
Dans la pizzeria ...
« Do the right thing » est un projet de Lee qui vient de loin. De sa première trace filmée alors qu’il n’était qu’étudiant à l’Ecole de Cinéma de New York, un court métrage se passant dans le quartier de Bedford-Stuyvesant, à Brooklyn. Un tronçon de rue de ce quartier sera le lieu unique de l’action de « Do the right thing ». Un été de canicule (86 ?) lui inspirera le scénario. Qui se présente comme une tragédie classique, respectant les trois unités, même lieu, une journée, tous les personnages participent à l’action …
C’est à partir de ces postulats que le film et son environnement sont mis en place. L’objectif avoué de Spike Lee est de faire un film sur le racisme, ordinaire, osera-t-on. La démarche est radicale dans tous les sens du terme. L’essentiel du casting est composé de Noirs, au mieux de métèques (les Portoricains) et de quelques Blancs immigrés de fraîche date (l’accent du pays de Dan Aiello). Pareil pour l’équipe technique, Noire en très grande majorité. Avant même le premier tour de manivelle, qu’on le veuille ou pas, l’accent est mis sur le communautarisme. Les visites « de prestige » se succèderont sur le tournage, du gentil Stevie Wonder au vieux coq Melvin Van Peebles (l’ancêtre des films de blaxploitation). Et au niveau du casting, on voit que Lee voue une déférence si ce n’est un culte à deux des acteurs, le couple à la ville Ossie Davis – Ruby Dee, vieux militants de la cause noire à Hollywood …
Premier challenge, filmer en décors naturels dans une rue d’un quartier mal famé. Il faut retaper quelques façades, construire le décor de la pizzeria et de l’épicerie sud-coréenne qui lui fait face à un carrefour (les deux bâtiments n’existent pas et tout un tas de fans du film les recherchent en vain depuis des années). Il faut aussi convaincre les habitants de se plier aux exigences du tournage (beaucoup de billets verts ont circulé, il n’est pas sûr qu’ils aient été comptabilisés dans le budget). Et puis, il faut nettoyer le quartier, repaire de dealers. C’est une « association », émanation de la Nation of Islam du prêcheur radical Farrakhan (dont Spike Lee avoue plus ou moins implicitement être proche intellectuellement) qui se chargera de la besogne. Remercions au passage l’honnêteté de Lee qui a laissé passer dans les très bons et nombreux bonus des avis des locaux très réservés sur les « bienfaits » apportés par son film au quartier et à la « cause » …
Le film se passe par une journée caniculaire, dans un quartier aux façades repeintes de couleurs chaudes (le rouge et l’orangé notamment), et la tragédie se nouera dans la pizzeria de Sal, l’Italo-américain (l’excellent Dan Aiello). Sal est plutôt bonhomme, mais faut pas le faire chier … Il gère son commerce en compagnie de ses deux fils, Pino le raciste terminal (John Turturro), et Vito (Richard Edson) beaucoup plus posé. Mookie est leur livreur de pizzas. Tête à claques, feignasse, toujours en train de rouscailler et de demander sa paye ou une avance à Sal.
Partant certainement du principe que l’on n’est jamais mieux servi que par soi-même (c’est Mookie qui lorsque la situation sera bien explosive, mettra définitivement le feu aux poudres), Spike Lee tient lui-même ce rôle. Et comme on n’est jamais mieux servi également que par ses proches, c’est son père (pianiste de jazz de seconde division) qui fera la musique, sa sœur qui aura un second rôle, et celle qui deviendra sa compagne dans la vraie vie (Rosie Perez) jouera sa femme … Une affaire de famille …
Rosie Perez & Spike Lee
« Do the right thing », c’est avant tout une galerie de portraits et une fresque sociale. Des stéréotypes, souvent, mais c’est voulu et indispensable au scénario (on n’imagine pas des virages politiques ou moraux à 180° dans une journée, fût-elle caniculaire). Il y a le vieux sage pochetron (Ossie Davis), la retraitée gouailleuse (Ruby Dee), le DJ qui derrière sa vitre observe et commente tout ce qui passe dans la rue (Sam Jackson, futur Samuel L Jackson), les trois blacks sous un parasol (retraités ? chômeurs ?) qui se balancent des vannes et font un peu office de chœur de tragédie grecque, le couple d’épiciers coréens que tout le monde jalouse et regarde de travers, les flics du quartier (Blancs bien sûr) qui se la jouent cowboys …
Et puis les protagonistes principaux, Mookie, Sal et ses fils, DJ Raheem (Bill Nunn), jeune Black baraqué qui se balade avec un énorme ghetto blaster crachant du Public Enemy toute la journée, Buggin Out (Giancarlo Esposito), jeune traîne-savates qui se prend pour la conscience politique du peuple Noir. Sans oublier le prédicateur bègue ( ! ) et simplet (Roger Guenveur Smith) qui essaye de refourguer à tout le monde une photo réunissant Matin Luther King et Malcolm X …
Bill Nunn, la nuit du c(h)asseur
Malgré la nonchalance dûe à la canicule, quelques écarts loufoques et drôlatiques, on sent très bien monter la tension et on sait, vu les protagonistes, que ça va forcément finir en sucette … Toute la finesse du scénario étant d’amener le bon prétexte et de faire se confronter les bonnes personnes au bon endroit … Avec un gros boulot d’acteurs derrière. Même s’il demande à tous d’intervenir et de suggérer d’éventuelles modifications au scénario, des lectures préparatoires ont eu lieu, et il très intéressant de voir les acteurs nous décrire comment ils ont appréhendé leur rôle, et Spike Lee leur demander à moment donné à chacun de raconter la vie antérieure de leur personnage, dont il ne sera jamais fait allusion dans le film …
Même si ce qu’il y a entre est excellent, les deux moments du film qui ont le plus marqué les esprits sont les génériques de début et de fin.

Au début, on voit Rosie Perez faire un grand numéro de danse hip-hop sur (of course) « Fight the power ». C’est pour son sens du rythme (elle n’avait jamais fait de cinéma, elle était go-go danseuse) et son joli cul (dixit Spike Lee, y’a encore du boulot pour toi, garçon, une fois que t’auras réglé le problème racial, faudra réfléchir au machisme et au sexisme …)
Et à la fin, après la dernière image et avant le générique version expended, apparaissent sur l’écran deux citations. La première de Martin Luther King, plaidoyer pour la tolérance, le pardon et la non-violence. La seconde de Malcolm X, justifiant et encourageant la violence lorsqu’elle répond à une oppression raciale manifeste. Le but recherché de cette juxtaposition étant bien évidemment la polémique, Spike Lee a parfaitement réussi son coup …
C’est parce qu’on en parle beaucoup qu’on reconnaît les grands films. Et là, avec « Do the right thing », mission plus que bien accomplie …


Du même sur ce blog :
La bande-annonce et le générique d'ouverture

STEPPENWOLF - STEPPENWOLF (1968)

Un petit tour en Harley ?

Parce que Steppenwolf, ça doit même être écrit dans les livres d’Histoire au collège, c’est le groupe préféré des motards. Et il y en a deux, John Kay (qui sur son seul nom fait perdurer Steppenwolf depuis presque cinquante ans) et Dennis Edmonton (plus connu sous son pseudo de Mars Bonfire et auteur du titre fétiche), qui peuvent remercier Dennis Hopper d’avoir mis sur la bande-son de son film « Easy Rider » deux titres de Steppenwolf, groupe que tout semblait destiner à la troisième division du heavy psychédélisme américain, à l’ombre des Blue Cheer, Iron Butterfly et autres Vanilla Fudge …

Tout le monde le sait, les origines de Steppenwolf sont à chercher du côté de la riante Allemagne de l’Est où naquit John Kay, avant que sa famille n’émigre au Canada à la fin des années quarante. Contrairement à certaines légendes urbaines, si John Kay est bien un exilé, son exil n’a rien de politique, sa famille s’étant retrouvée plus ou moins par hasard en R.F.A. au gré de déménagements incessants dans une Allemagne en total chaos après la fin de la guerre … John Kay est un pur produit de la culture nord-américaine, les seuls liens le rattachant à ses origines teutonnes seront le nom de son groupe (d’après le bouquin de l’Allemand Hermann Hesse « Le loup des steppes ») et quelques allusions fugaces à ses origines dans une paire de chansons …
Comme beaucoup d’ados nord-américains, John Kay joue dans un college band, qui au gré de changements de personnel, finit par s’appeler The Sparrows. Le succès n’étant pas exactement au rendez-vous au Canada, Kay et quelques-uns des membres du groupe décident d’aller en 67 à San Francisco, là où les choses se passent… Et Steppenwolf est très vite signé par Dunhill, label qui a du pognon à investir grâce aux succès de son groupe phare, les Mamas & Papas …

Bizarrement, pour un groupe sans grande expérience, qui a des origines bluesy et vient de prendre flower power et psychédélisme en pleine poire, le premier disque mis en chantier (le « Steppenwolf » dont il est censé être question ici) est plutôt cohérent. Le groupe joue un rock psychédélique dur, tirant ses influences du rock’n’roll des origines, du blues et de la soul. Comme tous ceux de son époque, il part parfois dans des directions « étranges », (même le plus cohérent de tous au niveau sonore de cette époque, le Zeppelin, glissera un morceau à base de tablas indiennes sur son premier disque) avec son premier single « A girl I knew » pop psyché très flower power. Avec le succès que l’on devine … Le second single sera une reprise musclée du « Sookie, Sookie », petit classique soul de Don Covay, traité avec force guitares électriques saturées en avant, dans l’esprit Vanilla Fudge.
Le troisième essai sera le bon. « Born to be wild », composé par Edmonton / Bonfire du temps des Sparrows (il ne suivra pas ses potes et son frangin batteur dans la migration californienne) atteint le haut des charts. Là, ça rigole plus, on rentre dans le tas, riff mémorable, montée vers des sonorités orientales du refrain, et ladies and gentlemen, pour la première fois dans les paroles, l’expression « heavy metal ». De populaire, le titre deviendra mythique et symbolique lorsque l’année suivante il servira d’accompagnement musical à Peter Fonda et Dennis Hopper roulant sur leurs Harley customisées dans le film référence de la contre-culture hippie, « Easy Rider » … Hopper aura le nez creux (et les oreilles fines) en ajoutant dans la B.O. un second titre issu de ce « Steppenwolf », la chanson anti-drogue (enfin, anti-dealers) « The Pusher » …
On peut toujours trouver que les Steppenwolf sont plutôt chanceux. Sauf que si évidemment ils seront réduits pour l’éternité aux interprètes de « Born to be wild » (à preuve le sticker mentionnant « including the hit Born to be wild » vite rajouté sur la pochette du disque et qu’on retrouve des décennies plus tard à l’identique sur quasi toutes les pochettes des rééditions), l’engouement et le succès qu’ils auront au tournant des seventies reposeront sur des éléments musicaux concrets, tous déjà présents dans ce premier disque considéré par beaucoup comme leur meilleur, avec le « Steppenwolf live ». Parce que ce Loup-là sera une redoutable bête de scène, porté par la voix, la présence et le charisme de John Kay. Derrière, il n’y a peut-être rien d’extraordinaire, mais ça assure sans faire dans la dentelle …

De ce « Steppenwolf », la postérité retiendra trois classiques du groupe, « Born … », « The Pusher », « Sookie, Sookie ». Le reste n’est pas forcément à oublier, témoins le correct rock stonien « Everybody’s next one », l’hommage-plagiat-décalque de Chuck Berry (« Berry rides again »). Une reprise d’un des classiques de Muddy Waters (« Hoochie Coochie Man »), épaisse, saignante et traversée de solos de guitare est tout à fait caractéristique de la façon dont est envisagé le blues en cette fin 60’s (on rallonge la durée initiale, on alourdit le tempo, et on fait admirer sa virtuosité). D’autres titres sont plus quelconques, (les rhythm’n’blues « Your wall’s too high » et « Take what you need »), la ballade virile « Desperation », ou l’ultime « The Ostrich », le plus expérimental de la rondelle, avec son tempo hypnotique et semble-t-il l’influence des Doors …
Mais bon, comment envisager une discothèque digne de ce nom sans « Born to be wild » ?



SAM MENDES - LES NOCES REBELLES (2009)

Je t'aime ... moi non plus ...

Avertissement : même si les deux acteurs principaux reforment le duo / couple DiCaprio / Winslet, « les Noces Rebelles » n’a rien d’une suite de « Titanic ». Ou alors il faut jouer avec le sens des mots, car si « Les Noces Rebelles » raconte bien un naufrage, il a lieu à l’intérieur du couple …
Le film (encore une fois doté d’un titre français absurde, c’est quoi une noce rebelle ???) est tiré d’un bouquin de la fin des années 50, « Revolutionary Road », le premier de l’écrivain Richard Yates, auteur bipolaire et alcoolo, contemporain de la Beat generation (Kerouac, Burroughs), mais qui finira beaucoup plus « sagement » comme rédacteur (pour l’alimentaire) des discours de Robert Kennedy (celui qu’aurait pu succéder au frangin flingué de Dallas s’il avait pas lui aussi pris une bastos). Ensuite histoire classique, droits du bouquin rachetés par la Paramount, le scénariste Justin Haythe qui en fait une adaptation pour le cinéma, qu’il retravaillera avec Sam Mendes lorsque celui-ci se déclarera intéressé pour en faire un film.
Mendes, Winslet & DiCaprio
Sam Mendes n’a derrière lui que trois films, dont deux cartons au box-office, « American beauty » et « Jarhead : la fin de l’innocence ». Il est marié avec Kate Winslet, à qui il propose le rôle principal (c’est elle qui la première a lu le bouquin et a mis Mendes sur le coup), tout en espérant (même si c’est pas vraiment affiché) qu’elle fera des pieds et des mains pour amener sur le projet son meilleur ami, Leonardo DiCaprio. Qui est surbooké, hésite, mais finit par donner son accord.
Parenthèse. Un blaireau dont j’ai oublié de noter le nom dans les bonus du Blu-ray plastronne en disant que c’est grâce à ce film que le Leo est passé du statut de jeune premier à celui de grand acteur … ah bon, parce que le type qui venait d’enchaîner en haut de l’affiche trois Scorsese (« Gangs of New York », « Aviator », « Les infiltrés ») et un Spielberg (« Arrête-moi si tu peux ») en donnant entre autres la réplique à Daniel Day-Lewis, Tom Hanks et Nicholson, avait besoin de tourner avec Mendes pour asseoir sa réputation ?? Y’a des coups de pied au cul qui se perdent …
Ce qui ne veut pas dire que DiCaprio et la Winslet soient en roue libre sur ce film. Winslet obtiendra un Golden Globe et « Revolutionary road » (le titre en VO) 3 statuettes aux Oscars, dont une pour le second rôle de Michael Shannon (j’en recauserai plus bas de celui-là). Winslet et DiCaprio sont juste parfaits et crédibles dans ce film d’une noirceur et d’une tension qui vont crescendo …
L’histoire en deux mots, est celle du couple Frank et April Wheeler, trentenaires quelconques (lui bosse parce qu’il faut bien faire quelque chose au siège newyorkais d’une grosse boîte, elle élève leurs deux enfants) de l’Amérique de la fin des années 50 (en plein milieu des Trente Glorieuses, croissance, prospérité et possibilité de réaliser les rêves le plus fous). Et justement, Madame Wheeler (Winslet) s’emmerde. Un premier déménagement dans la « Revolutionary Road » (rue pavillonnaire d’une bourgade de banlieue du Connecticut, à quelques encablures donc de New York) lorsque va arriver le second gosse casse un peu la monotonie de sa vie, elle fait aussi du théâtre amateur dans une compagnie qui enchaîne les bides …
Au début tout va bien
Cette présentation des personnages est à mon sens le seul petit point faible du film, où la scène d’introduction nous montre des années avant que débute l’histoire la rencontre / coup de foudre de Frank et April, à laquelle s’enchaîne la fin d’une représentation théâtrale calamiteuse avec April en tête de distribution ce qui vaut un retour at home avec une monumentale engueulade du couple en bagnole (où apparaissent immédiatement la faiblesse de l’homme et la froide détermination de la femme). Et ensuite va arriver un flashback montrant le couple aménager à Revolutionary Road… on s’y perd un peu, d’autant que sont entrevus des personnages auxquels on ne prête pas forcément attention, mais que l’on retrouvera plus tard dans l’histoire …
On s’aperçoit très vite que le couple modèle, le couple idéal va mal … April ne supporte plus sa morne vie de femme au foyer (un plan superbe et qui en dit long où elle sort la poubelle, et jette un regard circulaire sur une Revolutionary Road sans âme qui vive, avec un alignement impeccable des poubelles des voisins sur le trottoir). Un jour qu’elle fouille dans une boîte de photos de jeunesse de Frank (il a fait le Débarquement et s’est fait tirer le portrait avec un pote soldat devant la Tour Eiffel), elle a l’illumination : elle sait parler français, toute la famille va déménager en France, c’est elle qui va travailler et Frank à qui elle trouve un joli coup de crayon, y deviendra peintre. On sent vite qu’April est une rêveuse borderline, on sait qu’elle est coutumière de pétages de plomb monumentaux, et donc Frank n’ose pas lui dire non, joue sans conviction à préparer leur départ vers cette Terre Promise, en se disant qu’April finira par passer à autre chose … Il continue son morne train-train de scribouillard, saute à temps perdu (et toujours sans conviction) une jeune secrétaire niaise de la boîte. Mais c’est aussi un impulsif, capable lui aussi de monter dans les tours lors des disputes du couple qui ont tendance à se multiplier. Et là, ceux qui savent qu’il y a des gens qui ont fait des bons films avant ceux de Frank Dubosc, trouveront de nombreux parallèles avec le génial « Qui a peur de Virginia Woolf » dans lequel le couple Burton- Taylor rejouait devant la caméra de Mike Nichols les colossales scènes de ménage avinées qui étaient leur quotidien à la ville …

Et on assiste à ce spectacle du couple qui s’enfonce dans l’incompréhension mutuelle, chaque événement qui survient ne faisant qu’en rajouter une couche. Un troisième enfant est mis en route lors d’un tendre moment de réconciliation. Problème, April veut avorter, Frank aimerait bien qu’elle le garde. Parce qu’un boulot bâclé fait dans sa boîte lui a valu à sa grande surprise d’attirer l’attention sur lui du PDG qui propose un gros avancement qu’il accepte sans rien dire à son April toujours en partance pour Paris … Les amis et les voisins ne font qu’envenimer la situation. Le voisin (joué par David Harbour) est dans la troupe de théâtre avec April, en est amoureux, et finit par la sauter vite fait mal fait sur le siège d’une bagnole (faut dire qu’elle l’a bien allumée dans un dancing …), tandis que sa femme est totalement effacée au milieu de sa ribambelle de gosses mais semble avoir des yeux de Chimène pour les beaux April et Frank et semble amoureuse des deux en même temps.
Une autre famille grouillote dans la troupe de théâtre. Le couple commence à être dans l’âge, elle est agent immobilier (c’est elle qui a mené April et Frank à Revolutionary Road), lui n’est relié au monde extérieur que par son sonotone qu’il débranche quand il veut avoir la paix. Ils ont un fils (excellent Michael Shannon), mathématicien de génie bien cinglé qui vient de passer des années en hôpital psy. Ce dernier, chaque fois qu’il est invité avec ses parents à manger chez les Wheeler, avec ses intuitions d’idiot savant, devient le miroir de leurs consciences et les met crûment face à leurs réalités. Les repas tournent dès lors court …
Rien ne va plus ...
Il faut reconnaître que le film est mené de main de maître par Mendes. Qui ne focalise pas la caméra uniquement sur sa bien-aimée (on en connaît qui ne s’en sont pas privés, Godard étant le premier qui me vient à l’esprit), mais tient son histoire en mettant un point d’honneur à tout filmer en extérieurs (on vit vraiment les disputes de l’intérieur dans de vraies pièces nécessairement confinées pour une équipe technique), la fin des années cinquante est minutieusement reconstituée (beaucoup de bagnoles d’époque, des scènes de foule en costumes vintage,… ) de la belle ouvrage …
Et le final est d’une tension et d’une noirceur totales, sans qu’il soit besoin pour Mendes d’agiter de grosses ficelles. On ne voit pas tout, mais le jeu des acteurs nous fait bien comprendre ce que l’on n’a pas vu … Quitte à passer pour un pourfendeur de vérités indiscutables, le couple DiCaprio / Winslet y est bien meilleur que dans « Titanic » (grand et beau film cependant), puisque le fantôme du foutu bateau les poursuivra chaque fois qu’ils seront ensemble devant une caméra …
On peut trouver de nombreux parallèles avec quantité d’autres films (l’histoire d’amour qui finit mal n’a rien d’un thème immensément original), mais plus particulièrement avec ceux de Bergman et Cassavettes (les disputes en vase clos avec montée hystérique dans les tours). Sauf que Mendes se démarque de ces films intimistes aux face-à-face hurlants des acteurs par une histoire élaborée, un portrait d’une époque et d’une société soignées, une distribution remarquable avec d’excellents seconds et deux têtes d’affiche qui ne cabotinent pas, et jouent juste …
« Les noces rebelles » est à déconseiller aux amateurs des super héros Marvel. Par contre ceux qui aiment les bons films y trouveront plus que leur compte …


Du même sur ce blog :



EZRA FURMAN - TWELVE NUDES (2019)

Say it loud ?

Comme une sorte d’effet Trump dans le rock américain … Il sort tous les jours des rondelles de types qui montent au front pour dénoncer l’aggravation de la misère sociale, morale, intellectuelle, etc…, etc…, au pays de Donald …Comme si ce crétin avait à lui tout seul inventé le foutu système … comme si tout ça n’existait pas depuis des décennies, voire des siècles … comme si un disque pouvait changer le monde, ou quoi que ce soit … C’est pas le discours d’un vieux con désabusé que je tiens (enfin, pourquoi pas, si ça peut vous faire plaisir), juste un constat … Et j’ai écouté les disques, lu les bouquins, vu les films, tous ces machins « engagés », censés éveiller ou réveiller les consciences. Et j’ai vu les modèles politiques, russes, chinois, yougoslaves, cubains, nord-coréens, dans leur quête du monde idéal socialiste … j’ai aussi vu ce qu’ils sont devenus … Alors aujourd’hui quand je vois la rébellion et les bons sentiments affichés comme une posture, juste comme une posture, désolé, je marche plus …  

J’ai rien contre Ezra Furman, y’a quelques jours je savais même pas qu’il existait … par contre, ce qu’il dit et la façon dont il le dit, je l’ai entendu des centaines de fois. Bien souvent en mieux, d’autres fois en pire …
Ezra Furman se balade en robes imprimées, comme avant lui Bowie (sur la pochette de « The man who sold the world »), Brian Molko de Placebo ou Martin Gore de Depeche Mode (pour faire comme Bowie), Robert Smith (pour emmerder Michel Drucker), Kurt Cobain (pour emmerder les organisateurs de festivals). Ezra Furman revendique sa bisexualité, comme Lou Reed (dont il est paraît-il fan), Bowie, Molko, Gore, et des centaines d’autres dans le music-business (qui en font pas forcément un point voyant de ralliement). Ezra Furman a décidé de faire un disque de punk-rock … faut-il vraiment détruire des hectares de forêt amazonienne pour imprimer les noms de types qui ont déjà fait ça avant lui ?
Conclusion : un discours et un format musical entendus jusqu’à l’écœurement.
Je pourrai dégommer cette rondelle sans rémission, appuyer là où ça fait pas du bien … le pompage éhonté des chœurs de « Sympathy for the devil » sur « Calm down » (pour te mettre de mauvaise humeur d’entrée, c’est le premier titre) … le coup de la voix dédoublée (comme sur « Ziggy Stardust » le morceau, ici sur « Evening prayer » sauf que Furman est pas synchro, incapable de chanter deux fois exactement la même chose) … tous ces gimmicks pompés sur Black Flag, ou pire, Green Day, Offspring et FIDLAR … cette calamiteuse chute en forme d’aveu d’impuissance (le dernier titre s’appelle « What can you do but rock’n’roll ») … ces mauvais décalques de Frank Black – déjà dans ses meilleurs moments en retrait de ce qu’il faisait avec les Pixies – (« Transition from nowhere to nowhere »), du Cobain « In Utero » (les cinquante-cinq secondes chrono, larsen final compris de « Blown »)…

Ça fait déjà une bonne moitié de la rondelle problématique. Le reste (et il en reste pas beaucoup, les onze titres de « Twelve Nudes » n’atteignent même pas la demi-heure), ma foi, pourquoi pas, en le jouant bien fort (y’a une autre façon d’écouter de la musique ?) … Et je me rends compte que « Calm down » et « Evening prayer » dont j’ai déjà causé sont supportables, de même que « In America » (plus posé et construit que le reste, même si un peu trop linéaire), ou l’excellente (la seule à ce niveau) « I wanna be your girlfriend », qui avec un peu de chance pourrait devenir un hymne queer avec ses gimmicks accrocheurs (le titre référence aux Ramones, le rythme de valse doo-wop, et la mélodie qui emprunte par moments au « Rock’n’roll suicide » de  – who else – Bowie).
De toutes façons, dans notre monde de mormons bien-pensants (et très mal-agissants), dire du mal de ce disque, c’est se retrouver avec une fatwa signée par quarante ministres, soixante secrétaires d’Etat, et six cents douzaines d’associations …
Ceci étant, maintenant que Freddie Mercury et Elton John sont morts (on a fait des biopics révisionnistes sur eux, c’est dire s’ils sont morts … qu’est-ce que tu dis toi, pas tous … ah bon …), y’a une place à prendre … Votez Furman … Ou Villani, tellement « étrange » qu’il doit être un genre à lui tout seul, improbable croisement entre Bozo le Clown et Tryphon Tournesol … 
Mais que vient faire Villani là-dedans, dans une notule sur un disque de punk-rock large d’idées et bas du front ? Bof, au point où on en est …



DUNCAN BROWNE - GIVE ME TAKE YOU (1968)

L'histoire d'une faillite ...

Il y a trois façons de croiser le nom de Duncan Browne.
Soit on est un liquidateur judiciaire et on a bossé sur la faillite du label Immediate en 1969. Et pour essayer de récupérer un peu de pognon, on a pris la liste des derniers types qui avaient enregistré pour le label et on leur a présenté l’addition. Ainsi un huissier s’est pointé un matin chez Duncan Browne pour lui présenter la facture de « Give me take you » soit 2000 livres …
Soit on est un maniaque des sixties anglaises et des types de l’ombre qui ont compté à l’époque et on est tombé un beau jour sur une déclaration de Andrew Loog Odham, disant en substance que de tous les gens dont il s’était à un moment ou un autre occupé de la carrière, ses deux plus beaux succès avaient été les Rolling Stones (l’accroche mémorable « laisseriez-vous votre fille sortir avec un Rolling Stone », c’est de lui), les Small Faces (fleurons de son label Immediate), et Duncan Browne (« il était incroyable, tellement talentueux » dixit Oldham) …
Soit on est un fan ultime de David Bowie et on est allé voir qui étaient ces types qui avaient écrit « Criminal world » (mauvais titre de « Let’s dance »). Ces types faisaient partie d’un groupe déjà à l’époque oublié et disparu du nom de Metro. Et parmi le trio signataire de « Criminal world » il y avait Duncan Browne …
Autrement dit Duncan Browne c’est l’inconnu qui n’a jamais eu son quart d’heure de gloire …
Sauf que ses disques au Browne (y compris le single de son premier groupe Lorel) coûtaient (avant la naissance des eBay, Discogs, et autres magasins de disques virtuels…) une blinde (plusieurs centaines de livres) chez les disquaires spécialisés … Maintenant que tout est disponible en trois clics, a été réédité, remastérisé et tout et tout, ça vaut quoi le disque de Duncan Browne chez Immediate, ce « Give me take you » ?
Surement pas les centaines de livres d’avant, mais largement les quelques euros de la réédition chez Grapefruit / Cherry Red, techniquement irréprochable et gavée de bonus, alternate takes, versions mono des singles, dont le très recherché en son temps de Lorel … et qu’entend-on sur cette rondelle argentée ?

En gros un folk psychédélique de haut niveau, assez proche de ce que faisaient en ces temps reculés des gens comme Nick Drake (la ressemblance la plus évidente), Donovan (en activité et pleine gloire) ou Cat Stevens (aux balbutiements de sa carrière). Mais également une version acoustique des Zombies ou des Kinks. Comme par hasard deux groupes totalement décalés à l’époque, ressassant des mélodies élisabéthaines sur fond de nostalgia (déjà à la fin des sixties) galopante. Il y a dans ce « Give me take you » des faux airs de « Odessey and Oracle », « Village green » ou « Arthur ». Trois chefs-d’œuvre absolus qui se sont commercialement vautrés lors de leur sortie et que de multiples tentatives de réhabilitation dithyrambiques depuis 50 ans n’ont pas réussi à sauver (il me semble avoir lu quelque part récemment que « Village green » n’en était pas encore à 100 000 copies/monde écoulées ce qui en dit long sur l’état auditif de notre planète).
Duncan Browne est un type qui s’est cherché, qui a voulu être aviateur militaire comme papa, puis comédien. Et qui aura finalement l’illumination en entendant Bob Dylan. Il sera dès lors chanteur folk. Un premier groupe, duo à la Simon et Garfunkel, signé par Oldham qui vient de laisser tomber le management des Stones et de créer Immediate. Le copain qui se barre, Oldham qui continue d’y croire et signe Browne en solo, les retrouvailles avec un type (David Bretton), croisé des années auparavant et qui se pique d’être poète (Duncan est un autodidacte de la musique, est capable de jouer plus que bien de la guitare, d’écrire des musiques, mais dès qu’il s’agit de mettre des textes sur le papier, y’a plus personne). Le vrai faux duo (ils cosignent tous les titres, mais seul Browne a son nom sur le recto de la pochette) passe quelques jours en studio pour ce « Give me take you », reçoit (ou pas, il y a doute) le renfort sur quelques titres de Nicky Hopkins (un des cinquièmes Beatles et sixièmes Rolling Stones). Browne impressionne même le clavier du groupe psyché-garage The Nice qui occupe le studio voisin, le martyriseur de Hammond (au sens propre, il en joue en plantant des couteaux entre les touches pour faire durer les distorsions) Keith Emerson. Lequel Emerson, lors de la débandade d’Immediate, proposera à Browne de monter un groupe ensemble, et devant son refus, ira draguer Lake et Palmer qui malheureusement ne diront pas non … Après quelques années de silence radio total, Browne reviendra dans un trio, Metro, qui restera totalement anonyme quelques années avant de disparaître définitivement des radars vers la fin des seventies. Browne décèdera d’un cancer au début des années 90 sans jamais avoir fait reparler de lui …

Le gars aurait mérité mieux, ne dépareillait pas dans une époque pourtant riche en types qui savaient trousser la mélodie et pousser la chansonnette. Des douze titres de la version d’origine de ce « Give me take you », il n’y a finalement que « Gabilan » (guitare acoustique en roue libre et voix geignarde) de franchement dispensable. Tout le reste est plaisant, voire plus. Le morceau titre ravira les fans de Donovan et ceux du « Lady Jane » des Stones, ce qui dans un monde idéal pourrait faire pas mal de monde. « Dwarf in a tree » un des plus « rock » (attention on est quand même pas dans le style Gibson – Marshall sur onze), évoque les splendeurs mélodiques des Zombies et des Kinks de « Village green », le Nick Drake des ballades tristes est présent bien souvent (notamment sur « The ghost walks »), les hippies avec les fleurs dans les cheveux auraient pu faire de « Chloe in the garden » un hymne campagnard des années peace & love, et les fans d’Yves Duteil trouveront lui trouveront moins de génie quand ils auront écouté « I was, you weren’t » que le barde franchouillard a décalqué jusqu’à plus soif toute sa vie … Et puis il y a le titre qui aurait pu être le « Ruby Tuesday » des sixties si les Stones en avaient pas eu l’idée, il s’appelle « On the bombsite », et là, franchement, on comprend pas pourquoi ça n’a pas un hit international (enfin si, la faillite d’Immediate, tout çà …). Et ce titre-là, on va pas se plaindre d’en trouver trois versions supplémentaires dans les bonus (démo, répète en studio, et single en mono).
« Give me take you » est le disque qu’il faut avoir pour (accessoirement) épater ses connaissances, et passer un bon moment peinard à profiter des derniers beaux jours de l’été …



ROBERT JOHNSON - THE COMPLETE RECORDINGS (1990)

From Genesis to Revelation ...

A la fin de l’été 1938 John Hammond (le père du bluesman laborieux du même nom) est dans le Mississippi pour faire signer chez la Columbia un certain Robert Johnson, dont quelques singles chez Vocalion qu’il a entendus lui ont fait forte impression. Hammond apprend que le type qu’il cherche vient de mourir. Il n’aura cependant pas fait le voyage de New York pour rien, il rentrera avec dans ses bagages Big Bill Broonzy. Et plus tard il signera pour la Columbia Billie Holiday, Bob Dylan, Aretha Franklin, Leonard Cohen, Bruce Springsteen, … entre autres. Conclusion : Hammond avait des oreilles et savait s’en servir …
Début des années 60, dans sa chambre, Brian Jones, leader de Rolling Stones qui se cherchent (et cherchent encore le succès) fait écouter au minot Keith Richards un disque importé des States. Question du Keith : « C’est qui ? ». Réponse : « Robert Johnson ». Keith : « Ouais, ok, mais l’autre guitariste ? ». Brian : « Personne, il joue tout seul Johnson … ».

Ce même disque (« King of the Delta blues ») paru en 1961 (un volume 2 sortira une dizaine d’années plus tard), traumatisera à jamais un certain Eric Clapton qui va bientôt se faire un nom comme guitariste des Yardbirds … Et qui reprendra Johnson un nombre incalculable de fois, de « Cross road blues » du temps de Cream, jusqu’à un album entier de reprises (« Me and Mr Johnson », 2004) …
1969, les Stones enregistrent « Let it bleed ». Keith fait écouter à Mick un titre inédit pirate de Johnson. Emballé, Mick est OK pour intégrer ce titre, « Love in vain » sur leur nouvel album … La version originale de Johnson sortira pour la première fois sur ce « Complete Recordings » trente ans plus tard.
Extrapolation … Avril 1930. Mme Virginia Johnson meurt en mettant au monde son enfant, qui ne survivra pas non plus. Le père, Robert Johnson, s’en remettra. Qu’en serait-il advenu de ce gamin s’il avait vécu ? Et s’il avait pris de bons avocats, il aurait aujourd’hui plein de thunes (venues des droits d’auteur de papa) et titillerait dans le classement Forbes les Bezos, Gates ou Zuckerberg, tant les chansons du paternel ont été reprises …
16 Août 1938. Après une nuit d’agonie et de souffrance, Robert Johnson est déclaré bon pour le cimetière. La veille au soir, il donnait un concert dans un rade d’un trou perdu du Mississippi (Greenwood), où il avait l’habitude de se produire. Il partageait l’affiche avec Sonny Boy Williamson. Un péquenot du coin dont Johnson serrait la femme de près, lui tend une bouteille entamée de whisky. Williamson lui dit de ne pas boire, Johnson le repousse et tête la fiole. Le cocktail strychnine-whisky fera rapidement effet… Telle est la version la plus « officielle » de la mort de Robert Johnson …

Quand Robert Johnson était sur scène et qu’un type dans le public ne le quittait pas des yeux, aussi sec Johnson arrêtait de jouer et quittait les planches. Il avait peur que le quidam comprenne et lui pique ses plans de guitare. Variante Chuck Berry qui déclarait que s’il bougeait autant sur scène et se livrait à des chorégraphies étranges (le duck walk entre autres), c’était pour masquer sa façon de jouer…
A l’inverse, ceux qui l’ont connu affirment que Robert Johnson, même pris dans une discussion, était capable de reproduire à la note et au mot près une chanson entendue une seule fois. Robert Johnson était-il un vulgaire détrousseur des morceaux écrits par d’autres ?
Sur deux des trois seules photos certifiées de Robert Johnson (dont la pochette de ce Cd), on voit bien ses mains. Des doigts aux phalanges démesurément longs, à la E.T. Peu ou prou les mêmes paluches aux doigts immenses que Hendrix ou Jeff Beck, les deux autres extra-terrestres de la six cordes … Johnson était capable de tenir les notes basses sur trois cordes et de jouer des accords ouverts sur les trois autres, d’où la méprise de Keith Richards. Un son et un jeu uniques (et sans sustain, échoplex et pédales d’effets …).
Robert Johnson aurait rencontré le Diable à un carrefour, lui aurait fait cadeau de sa vie en échange d’un cours particulier de guitare. Un autre Johnson raconte la même histoire, et aucune des chansons de Robert, malgré des titres évocateurs (« Cross road blues », « Preaching blues », « Me and the devil blues ») n’y fait précisément allusion … cheap thrills …
Robert Johnson est doté d’une des voix les plus particulières du blues, très aigue (certains partisans de la théorie du complot version douze mesures affirment que ses enregistrements ont été accélérés pour obtenir ce timbre vocal, et que le talent de Robert Johnson ne serait que bidouillage de studio … assez improbable cependant). Johnson multiplie aussi dans ses parties chantées les yodels venus du hillbilly et de la country, allant parfois faire un  tour du côté du phrasé du rag (« They’re red hot ») …

En cinq jours (23,26 et 27 Novembre 1936, 19 et 20 Juin 1937), Robert Johnson a enregistré 63 prises (la plupart des titres en deux versions). Seules 41 prises représentant 29 titres sont répertoriées à ce jour. On suppose les autres prises détruites. Cinq jours, c’est à peu près le temps qu’il faut depuis quarante ans pour régler en studio le son de la batterie …
Robert Johnson était pote avec Sonny Boy Williamson (le premier), aurait traîné avec Son House, aurait connu Charley Patton. Son idole et inspirateur était un certain Ike Zinnerman.
Robert Johnson était un musicien professionnel. Son terrain de prédilection était le Mississippi (Delta blues). Contrairement à tous ses successeurs, il semble qu’il n’ait jamais fait ni envisagé de faire un tour à Chicago.
Robert Johnson avait la réputation d’un tombeur et d’un serial niqueur. Ça aussi, ça fera partie du CV de tout bluesman qui se respecte.
Bien avant les junkies des sixties (Morrison, Hendrix, Joplin) et les suivants (Cobain, Winehouse), Robert Johnson a aussi inventé le club des 27 …
A part Muddy Waters, mais dont la carrière a duré plusieurs décennies (et bien aidée par Willie Dixon), je ne vois pas qui peut lutter par la quantité (et la qualité) des standards publiés. Et si Mme Sony (propriétaire de la Columbia) avait la bonne idée de nettoyer le son de ce qu’elle met sur le marché de Robert Johnson (vraisemblablement repiqué sur les shellacs Vocalion, souffle et crachotements à la pelle, dynamique inexistante), ce serait parfait …
Merci à la dernière génération de verres progressifs qui m’ont enfin permis de lire les caractères microscopiques du copieux et instructif livret de ce « Complete Recordings » …


Du même sur ce blog : 

CLINT EASTWOOD - JOSEY WALES HORS-LA LOI (1976)

L'Odyssée de Josey Wales...

Il y a bien sûr le raccourci facile, consistant à dire que dans la vie Clint Eastwood est aussi brutasse que ses personnages de référence (l’Inspecteur Harry, le cow-boy implacable). Evidemment, comme tous les raccourcis à la va-vite, on peut trouver les contre-exemples à la pelle. On peut aussi trouver, et dans la vraie vie et dans ses films, matière à justifier ces raccourcis. Et pour tout dire, les raccourcis ont la vie dure et le Clint n’a rien fait pour les éviter.
Et tout à fait logiquement, lorsque l’on regarde le bilan financier de ses films, on s’aperçoit que le vulgaire « Gran Torino » et ses grosses ficelles ont fait beaucoup plus de fric que tous les autres qu’il a tournés dont notamment l’apaisé « Sur la route de Madison » ou le poignant « Million dollar Baby ». Parce que Eastwood, c’est le taiseux que si tu l’emmerdes il va te le faire fermer pour toujours… Même si derrière ce personnage stéréotypé, il y a de grands films (« Dirty Harry », les westerns de Leone, et ensuite quelques-uns de ceux qu’il mettra lui-même en scène).

Eastwood et western, ça rime. Il a réellement lancé sa carrière avec la série télé « Rawhide » et le colt et le canasson ne l’ont vraiment quitté qu’à un âge respectable (« Impitoyable » en 92, il a plus de soixante balais, et comme il le dit lui-même, le western faut arrêter quand t’arrives plus à monter à cheval). Et même si dans ses jeunes années il rêvait de s’attaquer à de « grands » films, c’est pour faire bouillir la marmite qu’il est parti en Europe tourner avec Sergio Leone, en se disant que ça allait faire un bide mais comme c’était très loin de Hollywood, ça ne pénaliserait pas sa carrière aux States … On connaît la suite … Et Don Siegel n’aura plus qu’à enfoncer le clou pour que le « peuple » américain tienne son héros grande gueule et redresseur de torts. Parce qu’en plus d’avoir une gueule (plus d’un mètre quatre-vingt-dix, le visage émacié, la barbe naissante, le cigarillo au coin du bec, et ce rictus malsain qui montre que putain ça va chier …), Eastwood (ou du moins ses personnages tant qu’il n’est pas derrière la caméra) s’adresse aux « gens d’honneur » partisans de l’ordre … ce qui donnera ses prises de position en faveur des Républicains (même s’il les nuancera) et son soutien du Second Amendement (même s’il n’a jamais soutenu la NRA). En clair, Clint Eastwood n’est pas aussi réac que ses films le laissent croire …
Par contre, Eastwood est un drogué. Au cinéma. On en connaît tellement qui une fois le succès atteint n’ont pas bougé un orteil de peur de le voir disparaître, ce succès. Tandis que Eastwood, touché « tardivement » par les dollars (la trentaine bien sonnée et largement entamée) n’a dès lors eu de cesse de se multiplier devant mais aussi derrière la caméra, et nul doute qu’il finira comme le Portugais Manoel de Oliveira qui a tourné des films jusqu’à sa mort (à bien plus de cent ans …).
Chief Dan George, Sondra Locke & Eastwood
Avec « Josey Wales … », Eastwood s’est challengé. Et surpassé. Alors qu’il avait contribué au renouveau du western avec Leone, il n’était pas au casting du plus grand western de tous les temps (n’en déplaise aux fans de Ford, Hawks, Mann et autres) « Il était une fois dans l’Ouest » (en fait Leone l’avait contacté pour jouer un des trois types qui attendent le train au début, ce qu’il avait refusé, il commençait à être très connu et n’avait pas envie de se faire tuer à la première bobine …). « L’homme des hautes plaines » avait été en quelque sorte le brouillon du Eastwood acteur-réalisateur de westerns. Avec « Josey Wales … », Eastwood livrera son meilleur du genre, et un immense classique.
Avec rien de nouveau sous le soleil quant à la thématique générale, qui est celle de la vengeance et de la justice qu’on fait soi-même. Au début du film, Eastwood – Josey Wales est un brave paysan qui voit sa femme et son fils se faire massacrer gratuitement par des mercenaires Nordistes (le film commence pendant la Guerre de Sécession) sous la direction d’un sadique, Terrill (joué par Bill McKinney), qui le laisse pour mort. Dès lors, Wales n’aura plus qu’une raison de vivre, se venger de ce simili gradé en bottes rouges. Il s’engagera dans une escouade de francs-tireurs Sudistes commandés par Fletcher (John Vernon), et refusera de déposer les armes à la fin « officielle » de la guerre. Dès lors, il sera pourchassé dans tout le Sud des Etats-Unis par Terrill et ses hommes aidés par le plus ou moins traître Fletcher, ainsi que par tous les chasseurs de primes des coins qu’il traverse …
Pacte de sang ...
Une remarque en passant : même si le scénario n’est pas de lui (il est tiré d’un roman d’un certain Forrest Carter), Eastwood fait la guerre du côté des Sudistes (les réacs pro-esclavagistes). Il s’en explique dans les bonus du film, les gens faisaient la guerre pour le pays dans lequel ils habitaient (Wales vit dans le Missouri, il sera donc combattant Sudiste). Et pour info, les temps ont bien changé, puisque les Nordistes étaient Républicains (Lincoln) et les Sudistes Démocrates. Et Wales travaille seul, n’a pas d’esclaves … en résumé, Clint Eastwood joue Josey Wales, il n’est pas Josey Wales … et d’ailleurs, il n’aura de cesse tout au long du film de jouer avec son « image ».
Le justicier solitaire finit (involontairement) à la tête d’une troupe aussi hétéroclite qu’encombrante. Il commence par « récupérer » un vieil Indien (Dan George, vrai Indien dans la vie, déjà en haut de l’affiche dans « Little Big Man »), un chien bâtard, efflanqué et peureux, une Indienne plus ou moins esclave d’un tenancier de relais de poste, une grand-mère et sa petite fille (Sondra Locke), ainsi que deux vieux traîne-savates anciens ouvriers agricoles. Cette étrange colonie finira par exploiter une ferme, ayant eu à faire face à tous les bandits et autres comancheros, « occupants » Nordistes et chasseurs de primes qui vont croiser sa route. Verdict laconique de Wales : « Plus on est de fous … ». Avant évidemment la rencontre finale avec le « capitaine » Terrill et un épilogue avec son ancien chef Fletcher.
Les retrouvailles ...
Au moins deux choses montrent le démarquage d’Eastwood avec son image. Une certaine forme d’humour très pince-sans-rire et somme toute très british (quand Wales glaviote, ses colts ne vont pas tarder à sortir, à une exception près, sa rencontre avec le chef Comanche). Et puis, le traitement réservé aux Indiens. Gentiment moqués, comme les relations dans cet étrange triangle originel (Wales, Dan George et la squaw), mais quand ça devient « sérieux » (la bataille qui s’annonce avec la tribu du Comanche Ten Bears), c’est une affaire « d’hommes » et d’honneur, il y a égalité entre les Blancs et les Indiens. A noter que cette confrontation tribu comanche – « tribu » de Wales donnera lieu à une des plus grande (et belle) scène du film, ce face-à-face entre Wales et Ten Bears (Will Sampson, vrai descendant d’Indiens lui aussi, remarqué dans « Vol au-dessus d’un nid de coucous »). Ce face-à-face plaidoyer humanitaire et quasi liturgique de Wales pour la paix, le respect et la fraternité entre les hommes, sera l’occasion pour Eastwood de débiter ce qui est certainement la plus longue réplique de toute sa carrière cinématographique …
« Josey Wales … » est un film abouti. Même si fidèle à ce qui sera quasiment sa trademark, Eastwood filme vite (deux mois pour tout mettre en boîte dans un périple à travers cinq Etats), avec une première prise qui sera souvent la bonne. Tout en composant avec certains particularismes tout personnels, notamment les scènes avec Dan George, acteur intuitif mais vieillissant, souvent incapable de se souvenir de son texte, et donc avec qui il faudra improviser …
Au rayon grincements de sommier, il faut signaler que Eastwood et Sondra Locke entameront à l’occasion du tournage de « Josey Wales … » une liaison qui durera plusieurs années. Au vu des ragots du Net qui parle d’une séparation en très mauvais termes, on comprend qu’elle ne soit pas présente dans la section bonus du Blu-ray, dans lequel Eastwood et l’essentiel du casting font le job et livrent quelques infos et anecdotes de tournage. Un Blu-ray de bonne qualité, même si comme tous les Blu-ray il n’est guère flatteur pour les scènes tournées en nuit américaine.
« Josey Wales … » nous montre un personnage qui vit une odyssée. A l’envers par rapport à celle d’Homère, où Ulysse perdait au fur et à mesure de ses pérégrinations ses compagnons d’armes et de voyage pour finalement rentrer seul à Ithaque. Ici, Wales, à mesure que le temps passe, devient le leader de suiveurs de plus en plus nombreux. Et même si le final est équivoque, un départ à la Lucky Luke poor lonesome cowboy sur fond de soleil couchant, on peut s’apercevoir qu’il n’a pas chargé son barda sur son canasson …
Western d’anthologie en tout cas …


Du même sur ce blog :