Grandaddy s’est séparé au milieu des années 2000. Ah bon,
vous saviez pas ? Ben vous devez pas être les seuls.
Comment, vous avez jamais entendu parler de
Grandaddy ? Ben, ça c’est un peu con, vous êtes passés à côté d’un grand
groupe. Qui a fait de grands disques invendus. Voire invendables. Et c’est ça
finalement qui les a conduits à mettre la clé sous la porte, parce que le choix
s’est posé pour les types du groupe : soit continuer de faire de la
musique, soit trouver un job pour faire bouffer Bobonne et les marmots. Le
gâchis habituel quand tu donnes pas dans le mainstream formaté…
Avec un look pareil, c'est pas gagné ...
Bon, les esprits chagrins argueront aussi que quand tu
cultives un goût aberrant pour les chemises à carreaux (qui portées amples cachent
la bedaine), les casquettes floquées au nom de ton équipe de baseball ou de
basket favorite, et les barbes en broussaille, en fait quand tu te trimbales
avec un look de blaireau total, t’as peu de chance de ratisser large auprès du
public, même du Midwest. Bon, y’en a bien un dans le lot qui s’était un peu mis
à l’abri du besoin, le dénommé Jason Lytle. Parce que c’était lui le songwriter
unique du groupe. En fait de groupe, quasi ses accompagnateurs. Mais aussi ses
potes.
Ce qui explique ce « Last place ». Un disque
conçu pour les fans qui arrêtaient pas de pleurnicher sur la disparition du
groupe. Et comme Lytle avait quelques trucs en réserve, et qu’il voulait les
jouer et enregistrer avec ses potes … « Thanks everyone It was good to be gone » est-il écrit dans
un coin du digipack.
Alors pour ce qui doit être promis-juré le dernier tour
de piste de Grandaddy, pas question de changer quoi que ce soit. On est en
terrain connu, on retrouve tout ce qui a fait Grandaddy. En premier lieu, ces
mélodies à la pureté stupéfiante qui chassent sur les terres du meilleur des
Beatles et des Beach Boys. Ce goût pour les synthés vintages du début des 80’s.
Cette nonchalance vocale et instrumentale (laid pop ?). « Last
place » est un bloc homogène. Ecouté distraitement, il peut paraître
monotone. Les variations sont infinitésimales, un peu plus de ci, un peu moins
de çà …
Tirer des plan sur la comète ...
Curieusement, les deux titres censés ressortir du lot en tant que singles (« What’s we won’t » et « Evermore ») sont ceux qui mettent
le plus les sons de synthés antédiluviens en avant. De façon quelque peu
exagérée à mon goût mais bon, c’est l’ADN du groupe. Même si ça finit par sonner
comme les Cars sous Lexomil, ce qui n’est ni une insulte ni un reproche. Mais ce
qui saute surtout aux oreilles, c’est le soin méticuleux, voire maniaque apporté
aux gimmicks et arrangements, jamais lourdingues et hors propos (« The boat
is in the barn », « This is the part » et leurs fabuleux arrangements
de cordes). On se régale de ces madeleines proustiennes que sont « Jed the
4th », titre folk psychédélique avec sa boucle centrale à la « A day in
the life ». Ou de « A lost machine », débuté avec une mélodie qui
évoque Pierre Bachelet ( ?! ) avant de virer comme un inédit du Floyd période
« The wall ».
C’est quand Lytle et ses boys s’éloignent de leur ordinaire
qu’on accroche moins, sur le court instrumental synthétique « Oh she shelter :(
» ou le rock bizarroïde et répétitif « Check Injin ».
Ce disque pour les fans devrait les ravir. Les autres passeront
une fois de plus à côté. Tant pis pour eux …
Deep Purple à ses débuts (MK I comme disent les gens
instruits) est un groupe de balourds crasseux aussi anecdotique que
dispensable, assemblage brinquebalant de sessionmen plus ou moins célèbres
(Blackmore, Lord) et d’inconnus qui ne méritaient a priori pas mieux (les
autres). Pire, sous la conduite du pompeux et immodeste Jon Lord qui se voit
l’égal de J.S. Bach, ils vont commettre l’irréparable, le brouet terminal
« Concerto for group and orchestra » dont le titre à lui seul évite
tout développement superflu. En gros, ils sont encore plus mal barrés que les
Stones après « Their Satanic Majesties Request ». Et surtout beaucoup
moins connus.
Lord, Paice, Gillan, Blackmore, Glover ; Deep Purple MK II
Les trajectoires des deux groupes vont
(hasard ? copie ?) devenir étrangement similaires. Keith Richards
prend le pouvoir chez les Stones, le groupe dégage plus ou moins Brian Jones,
opère un virage musical à 180°, sort en 45T « Jumpin’ Jack Flash » et
dans la foulée l’album « Beggars Banquet ». Chez les Deep Purple,
Blackmore devient leader, deux types sont virés (remplacés par Glover et
Gillan, la MK II), le très remuant single « Black Night » paraît, en
éclaireur du 33T « In Rock », entérinant là aussi un très net
revirement. Avec pour les Stones comme pour Deep Purple, deux pochettes qui
marqueront les esprits. Les gogues délabrées de « Beggars » et le
pastiche du Mont Rushmore pour « In Rock ». Les similitudes
s’arrêtent là pour moi.
Déjà, le coup de la pochette de « In
Rock » est ambitieux. Clairement destiné à toucher l’imaginaire subliminal
des Ricains, chez qui Deep Purple est à peu près inconnu. Deep Purple n’a
jamais donné dans la modestie. Comme chacun ( ? ) sait, il y a dans le
Mont Rushmore quatre visages taillés dans la pierre. Sur la pochette de
« In Rock », l’intrus est Ian Paice. Ce qui est ballot, le batteur à
binocles étant l’un des plus terrifiants pousse-au-cul que le monde du binaire
ait connu. Je vais vous dire, sans lui, la plupart des titres du groupe
seraient aussi consistants que de la guimauve tiède en studio, et ne parlons du
live où il a fort à faire pour ramener les autres à la raison et accessoirement
au rock.
Les mêmes en couleur ...
En fait, si les trois les plus cités comme leaders
et frontmen de cette formation sont Blackmore, Lord et Gillan, Paice et Glover
(l’architecte sonore, le dépositaire et garant du son Purple en studio, celui
qui s’occupe de toutes les rééditions) en sont le ciment, ceux dont l’assise
rythmique empêche le délitement vers les sombres rivages de l’expérimentation
forcénée et inaudible, ou pire, vers la tentation du gouffre du prog
balbutiant.
« In rock » est donc le disque de la
remise en question. Mais aussi du recentrage. Pas un hasard s’il débute par just
a few roots, replanted, comme ils disent, le monumental « Speed
King ». Hommage transparent et assumé à Little Richard et retour à un
rock’n’roll exubérant et violent. Parce que Gillan va chercher très haut dans
les aigus gueulés, que Blackmore aligne les parties de guitare sauvages, que la
rythmique met une pression infernale, et que Lord n’essaie pas de faire son
solo liturgique. Certains ont vu dans ce titre et plus généralement dans ce
disque la naissance du hard-rock « moderne ». Soit. Ça se tient,
c’est une sorte d’aboutissement entamé par le « You really got me »
des Kinks, beaucoup de choses entendues chez Hendrix, Clapton et Beck dans
leurs groupes respectifs, chez les Américains « lourds » de Vanilla
Fudge, Blue Cheer, Iron Butterfly … Sachant qu’en même temps en Angleterre, un
quatuor nommé Led Zeppelin commençait à très fortement marquer les
esprits.
Mais si le Zep vient clairement du blues, Deep
Purple vient d’ailleurs. On ne trouve chez eux aucune allusion au genre
rustique, et les tentations classiques ou baroques sont (provisoirement)
remisées à l’arrière-plan. Deep Purple joue un rock speedé et violent, et
« In Rock » est le disque le plus énervé de sa pléthorique
discographie. Deep Purple ne fera jamais mieux, et c’est pas faute d’avoir
essayé …Témoin de cet état de grâce qu’ils ne retrouveront que très épisodiquement,
« Child in Time ». Où comment faire un grand titre de plus de dix
minutes avec un texte de huit lignes sans tomber dans la redite, le jam
gonflante où le prog. Tout y est bon, du numéro de hurleur de Gillan, des
cavalcades sur les fûts de Paice, en passant par les solo tueurs de Blackmore.
Même Lord (il n’échappera à personne que pour moi c’est le boulet du groupe,
toutes époques et disques confondus, son obstination à mettre son B3 liturgique
en avant étant soit hors propos soit d’un mauvais goût terrifiant) utilise
intelligemment sont armoire à musique. « Child in Time » montre qu’on
peut s’inspirer de Procol Harum (« Whiter shade of pale ») et King Crimson
(« 21st Century Schizoid Man ») sans ressembler éhontément à l’un ou
l’autre. « Child in Time », passant du bucolique apaisé à
l’ultraviolence en retombant toujours sur ses pattes est le sommet du disque.
Les mêmes en public ...
Les autres titres font beaucoup moins dans la
dentelle (le très sec et méchant « Flight of the rat » en étant
l’exemple type, même si bizarrement ce titre ne fait pas partie des
« classiques » de Purple), fournissant à des myriades de groupes de chevelus
des plans pour faire headbanger les générations futures. Ainsi, le début de « Hard
lovin’ man » est la matrice de toutes les cavalcades débridées de Iron
Maiden. Pas par hasard, quand on sait que l’ingé-son de « In Rock »
(en fait le vrai producteur du disque) Martin Birch auquel ce titre est dédié,
deviendra une dizaine d’années plus tard le metteur en sons de Maiden. De même
« Into the fire », outre des emprunts évidents à King Crimson (le
riff principal) retrouvera plus tard sa mélodie plus ou moins décalquée dans le
« Metropolis » de Motörhead.
Avec « In Rock » Deep Purple signe contre
toute attente un manifeste, met en place une de ces loupiotes à la lumière
desquelles beaucoup viendront recharger une inspiration défaillante. Bon, s’il
fallait trouver un maillon faible à ce disque, ce serait « Living
wreck », qui est le titre le plus linéaire, le moins fou …
Tout le reste, croyez-moi, ça déménage. Et laisse à
mon sens le reste de leur pléthorique discographique loin derrière …
Maria McKee est une star en Suède. Ou quasiment,
paraît-il … Maria Qui ? Non, McKee, d’abord. Et c’est pas en faisant un
tour sur Wikimachin qu’on en sait plus. Là ou ailleurs, on vous vend Maria
McKee comme la demi-sœur de Bryan McLean ou l’ancienne chanteuse de Lone
Justice. Et pourtant Maria McKee n’est pas morte que je sache. Mais pour son
malheur, elle s’est toujours conjuguée au passé…
Et ça doit lui faire une belle jambe de voir toujours
cité Bryan McLean. A l’attention des fans de Zaz, Bryan McLean fut un temps le
George Harrison (c’est lui qui a composé « Alone Again Or »,
merveille absolue de « Forever changes ») de Love, avant qu’Arthur
Lee, qui en était le Lennon-McCartney, juge qu’il n’avait pas besoin de
s’encombrer d’autres talents que le sien et l’éjecte du groupe phare de la
scène psyché de L.A. Et pour le fan de Renaud assis à côté du radiateur, je
précise que Lone Justice eut son quart d’heure de gloire au début des années 80
où, en compagnie de Rank & File et quelques autres enstetsonnés dont le nom
me revient pas, il fut le chef de file d’un éphémère courant dénommé soit
alternative country soit cow-punk, au gré des humeurs éditoriales de la presse
musicale qui leur consacra quelques entrefilets enthousiastes avant de passer à
autre chose … Bâillements … En fait, les seuls à connaître Maria McKee sont les
fans de Tarantino (enfin de ses B.O.), elle a un titre dans le soundtrack de
« Pulp fiction » …
Bon, Maria McKee donc. Qui se retrouve has been à la dissolution
de Lone Justice et qui n’a même pas alors 25 ans. Qui sort un premier disque
solo sur Geffen (une major ou quasi) avec Mitchell Froom (pas le premier
producteur venu). Ce disque éponyme sera quasi un bide. Il faudra attendre
quatre ans pour que Geffen redonne à Maria McKee les moyens de faire un disque.
Parce que quelqu’un là-dedans à dû se dire qu’une voix pareille, ça méritait
une autre chance. Ah, je vous ai pas dit, Maria McKee est une putain de grande
chanteuse. Qui ne se contente pas de poser ses octaves là où on lui dit, mais
qui est capable d’écrire des chansons et de choisir des reprises qui déchirent
leur race …
Et quand on lit les crédits ce « You gotta
sin … », on se dit de suite que pareilles mouches au casting ne
s’attrapent pas avec le premier vinaigre venu. Aux manettes en studio George
Drakoulias, celui qui façonne le son des Black Crowes (remember, le meilleur
croisement jamais entendu entre Stones et Zeppelin). Anecdote : pour l’assister,
un ingé du son qui fera plus tard beaucoup parler de lui, le dénommé Brendan
O’Brien (celui que tu vas chercher quand tu veux faire un mauvais disque, et
c’est pas N. Young, Pearl Jam, Springsteen, AC/DC et une multitude d’autres qui
me contrediront). De la partie également Don Was, Jim Keltner, Olson et Louris
des Jayhawks, Auer et Stringfellow des Posies, Benmont Tench des Heartbreakers
de Petty, les Memphis Horns (les souffleurs de chez Stax derrière Hayes,
Redding, etc …). Comme qui dirait du beau monde. Sans compter Dennis Hopper
(oui, le vrai, celui de « Easy rider ») pour la photo de pochette.
Tout ce beau monde n’est pas venu que pour cachetonner, on trouve écrit en gras
dans les notes de pochette « This is not a solo album. The
Band is : »). Et quand McKee ne chante pas ses compos, elle
reprend des choses des Jayhawks, de Gerry Goffin & Carole King, ou de Van
Morrison (deux titres). Tiens, vous en connaissez beaucoup, qui se hasardent à
reprendre du Van The Man, tellement il a l’habitude de placer vocalement la
barre haut le bougon barde irlandais ? Ben Maria McKee elle le fait et
plutôt bien.
« You gotta sin … » (dix titres, quarante minutes),
c’est de l’americana de haut niveau. Un savant mélange de folk, soul, rock, rhythm’n’blues,
gospel, … Chantés par une voix qui marque son territoire sans être
démonstrative. Le premier nom qui me
vient à l’esprit s’il faut une comparaison c’est Tammy Wynette (et si vous
savez pas qui est Tammy Wynette, allez écouter « Stand by your man »,
et vous gourez pas, pas la version de Lemmy Motorhead et de la plasmatique
siliconée Wendy O. Williams, non, la vraie, l’originale). « You gotta sin
… » monte en puissance, débute par une sorte d’échauffement, de mise en
bouche (« I gonna soothe you », mid tempo rock soul funky). Avant un
première reprise relax de Van Morrison (l’antique « My lonely sad
eyes », pas une des plus connues des Them, son premier groupe).
Dès le troisième titre (« My girlhood … »),
McKee commence à lâcher les watts vocaux sur cette ballade nerveuse. Juste
avant le premier sommet du disque, « Only once ». Une merveille de
country rock, la voix de cristal du début qui évoque tellement Emmylou Harris,
qu’on s’attend à voir apparaître celle de Gram Parsons au détour d’un couplet.
Ce titre retrouve par moments (pompage ?) la magie mélodique du
« Christian life » des Byrds période Gram Parsons (comme quoi tout
est dans tout, et inversement …). Et tant qu’on est à évoquer des similitudes
vous risquez de trouver par moments des choses qui rappellent « Only love
can break your heart » de Neil Young dans « I forgive you », grosse
perf vocale de la Maria sur cette soulerie de facture classique.
Deux reprises suivent. « I can’t make it alone » de
Goffin-King, c’est le titre le plus rock de l’album, avec Drakoulias à la
batterie qui n’oublie pas de se mettre inconsidérément en avant au mixage.
Antithèse, la reprise des Jayhawks (« Precious ») est servie unplugged,
avec guitares acoustiques, harmonica et tout le tremblement pour servir d’écrin
à la voix de cristal de la Maria.
Mine de rien, sans rien à jeter, on arrive au dernier
tiers du skeud. Et là, acrochez-vous, surgit une extraordinaire version de « The
way young lovers do », un des vrais grands titres du surestimé chef-d’œuvre
de Van Morrison « Astral weeks ». McKee se lâche complètement sur cette
relecture sauvage, s’offrant même un passage de scat vers la fin. Le spectre d’Aretha
Franklin accompagne la powerful soul ballad « Why wasn’t I more grateful »,
le genre de titre où on ne peut pas être quelconque faute de se vautrer dans le
ridicule. Le morceau-titre (« You gotta sin to get saved » donc) est l’apothéose
finale, c’est une tornade rhythm’n’blues gospelisante, tout le monde est à fond
et semble t-il captured live.
Aujourd’hui, la cinquantaine entamée, Maria McKee est une
sorte de bibelot chantant encombrant. Pas besoin d’être devin pour affirmer que
la confidentialité sera son avenir.
Reste ce « You gotta sin … » intemporel à la beauté
qui n’est pas près de s’estomper …
S’il fallait une preuve (de plus) que comme disait
l’autre, les temps ils changent, il suffit de se poser une seule
question : qui, aujourd’hui, même le plus petit label indépendant après
une campagne de crowdfunding, prendrait le risque de sortir pareille
chose ? « Broken English » est paru en 1979 sur Island, une
major de l’époque.
Aujourd’hui, « Broken English » est
unanimement célébré comme une masterpiece de cette chose qui crève à petit feu
depuis des décennies et qu’on appelle rock. Et pourtant c’est un disque qui ne
ressemble à rien (de ce qui se faisait en ces temps-là).
Le nom sur la pochette, d’abord. Marianne Faithfull.
Que tout le monde croyait morte, enterrée par trop de bibine, de clopes et de
dope. Ben non, elle est toujours vivante, dans l’indifférence générale, sort
des disques que personne n’achète ou n’écoute. Tourne même dans des salles à
peu près vides avec un backing band de troisièmes couteaux qui l’accompagneront
sur « Broken English ». Faithfull a conservé un peu de cette
miraculeuse beauté qui avait mis le Swingin’ London à ses pieds à la fin des
60’s (et accessoirement trois Rolling Stones dans son lit, dont Mick Jagger
avec lequel elle eut la liaison la plus durable). Pétage de plombs, carrière de
chanteuse pop avortée malgré l’aide de ses mentors stoniens (et d’Andrew Loog
Oldham) un gros succès avec une bluette
pas si innocente que ça (« As tears go by »), et chute vertigineuse
dans la solitude (Jagger la largue) et la défonce (de mauvaises langues qui
connaissent bien le dossier assurent que le « Sister Morphine » de
« Sticky Fingers », lui ressemble tellement que c’est elle qui
l’aurait écrit, sans que Jagger et Richards la créditent). En un mot comme en
trente pages, Marianne Faithfull est une légende. En perdition totale, mais une
légende quand même …
Autres problèmes. Elle qui n’a jamais brillé par ses
performances vocales, là, à la fin des 70’s, à cause de dix années de
déglingues diverses ininterrompues, elle n’a carrément plus de voix. Ou alors
une espèce de râle genre canard en phase terminale de grippe aviaire.
D’ailleurs deux ou trois choristes la soutiennent en permanence en studio.
C’est pas tout. Faithfull est totalement tricarde, personne veut écrire pour
elle ou l’accompagner. D’où les titres originaux de ce « Broken
English » co-écrits avec ses musicos. Coup de bol, Steve Winwood, un vieil
ami des 60’s, un des rares à ne pas l’avoir oubliée, vient donner un
appréciable coup de main aux claviers et synthés. Leurs destins sont voisins,
ceci explique le copinage entre la petite fiancée des 60’s et celui qui a
dix-sept ans était en haut des hit-parades avec le Spencer Davis Group et montait
un groupe avec Clapton (Blind Faith). Et dans le genre tableau noir,
circonstances de base désastreuses, on va pas en rester là. « Broken
English » est un disque qui ne ressemble à rien de ce qui marche. Ni à
rien qui de ce qui se fait d’ailleurs. Rempli à la gueule d’ambiances noires,
crépusculaires, sinistres, avec ses synthés lugubres, il se pose plus en
précurseur de tous les corbeaux qui vont se pointer avec leur new-cold-wave
qu’en suiveur de quoi que ce soit. Corollaire obligé (la vie n’est pas un conte
de fées), « Broken English », même s’il remet Marianne Faithfull sous
les feux de la rampe, se vendra peu.
Et pourtant. Dans ces huit titres, on trouve trois
réussites et cinq merveilles absolues.
Chapter One. Les juste réussis.
« Brain drain », sorte de country rock
d’outre tombe, un titre en total décalage avec le « personnage » de
Marianne Faithfull qu’on imagine pas vraiment en stetson et veste à franges.
Un peu dans le même registre totalement inattendu,
« Guilt », introduit par un synthé agonisant, la Marianne le moral
dans les chaussettes. Un blues mutant pour héroïnomanes.
« What’s the hurry » est un titre
crépusculaire, bien dans le ton du reste, avec un synthé sinistre un peu trop
en avant.
Chapter Two. Les merveilles. Par ordre d’arrivée à
l’oreille.
« Broken English » le titre, installe
l’ambiance générale. Lourde, triste, entre ce qu’on appellera new wave et cold
wave, batterie mate, synthés et claviers (Winwood) lugubres. Et la voix
surprenante, choquante, étrange, irréelle (cochez les mentions inutiles),
chargée de tristesse, de fêlure, de brisures. Totalement inouïe.
« Witche’s song » c’est un peu
l’épopée familiale (Marianne et sa mère, descendantes du fameux libertin
autrichien Sacher-Masoch), et la mise au ban de la société (la mère pour
filiation « diabolique », Marianne pour tous ses excès).
Remarque : si Bittan et Federici ont pas écouté ce titre pour sortir la
mélodie au synthé de « Dancing in the dark », je suis prêt à aller
consulter un ORL dans le New Jersey.
« The
ballad of Lucy Jordan ». On parierait sa chemise que c’est le marqueur, le signe distinctif de
Marianne Faithfull tant Lucy Jordan c’est elle. Ben non, c’est une reprise (de
Dr Hook ??? putain c’est qui ?) écrite par le compositeur Shel
Silverstein. Il n’empêche, c’est le sommet de ce disque, cette interprétation à
fleur de peau des meilleures années de la vie gâchées. Pas un hasard si on la
retrouvera dans la B.O. de « Thelma et Louise ». et même si depuis
« Broken English » Faithfull a sorti quarante douzaines de disques,
« … Lucy Jordan » sera à jamais le titre qui restera d’elle.
« Working
class hero » est un hommage. Avec ses origines aristocratiques et sa vie,
Marianne Faithfull n’a rien d’un col bleu. C’est une reprise choisie un peu au
hasard (elle n’en voulait pas une des Stones), pour déclarer son amour à tous
les géniaux rockers qu’elle admire (Beatles, Iggy Pop, Bowie, …). Le résultat
est encore plus triste (et aussi beau) que la version originale de Lennon,
pourtant pas un titre guilleret à la base (sur le plutôt funèbre « Plastic
Ono Band »).
Last
but not least, la scandaleuse « Why d’ya do it ». Titre écrit par le poète
Heathcote Williams, narration crue (on y cause fellations, bite, chatte), des
ruminations d’une femme trompée et délaissée par son mec. A l’origine écrite
pour être proposée à Tina Turner (bon, quand on voit que le retour de la
tapineuse à Ike a été orchestré par le centriste Knopfler avec un profil
allumeuse sexy mais chaste, on imagine qu’elle aurait pas chanté ce truc), elle
va comme un gant à celle qui avait défrayé la chronique quand la brigade des
stups londonienne en intervention chez Mick Jagger avait vu descendre d’un escalier
Marianne Faithfull nue sous un manteau de fourrure. (Tant qu’on est dans le
trivial, c’est cette anecdote qui avait fait proposer au pervers Russ Meyer un
rôle à Faithfull dans le film « Who killed Bambi » pour une scène où
le taré Sid Vicious devait lui lécher une barre chocolatée sur son sexe …).
Quoi qu’il en soit, le puritain gouvernement australien fera supprimer la
chanson du pressage destiné à son pays. Assez cocasse, quand on sait ce que
chantait à la même époque Bon Scott sur les skeuds d’AC/DC …
Pour en finir avec l’exhaustivité, il convient de
signaler que le disque est produit par un
rat de studio de chez Island (Mark Miller Mundy), et que la sublime
photo de pochette est signée Dennis Morris (photographe quasi officiel de
Marley, avant de devenir celui des punks anglais en général et du Clash en particulier).
« Broken English » aura deux follow up,
l’honnête « Dangerous acquaintances » et le minable « A child’s
adventure ». Malgré (ou à cause de) son petit succès, « Broken
English » n’aura aucune incidence sur le train de vie toxique de Lady
Marianne. Tout juste aura-t-elle plus d’argent à claquer en dope…
Ce n’est qu’après une énième rehab finalement
réussie, qu’elle se réinventera dans les nineties en diva mainstream, sorte de
version boursouflée de Marlene Dietrich avec répertoire qui va avec …
N’empêche, quel putain de grand disque que « Broken
English » …
« Out
of time » est paru en 1991. Pour cette chose qu’on appelait albums (avant que le
concept se perde au profit des morceaux qu’on piocherait en streaming, sur You
Tube, qu’on téléchargerait à l’unité, …), certainement la dernière des grandes
années du rock. Sont parues cette année-là des galettes entrées depuis dans
toutes les listes récapitulatives, idéales, à écouter avant de mourir, etc …
« Nevermind » de Nirvana, « Ten » de Pearl Jam (le grunge),
le dyptique « Use our illusion » des Guns (alors le groupe de rock
sur le toit du monde), « Black Album » de Metallica (les prochains
Guns), le dernier excellent U2 (« Achtung baby »), les références en
matière de trip-hop (« Blue lines » de Massive Attack), de shoegazing
(« Loveless » de My Bloody Valentine), de fusion (« Blood Sugar
Sex Magik » des Red Hot, « Screamadelica » des Primal Scream).
Tous écoulés par millions d’unités. Comme le « Out of time » de
R.E.M.
Buck, Mills, Stipe, Berry : R.EM.
Et évidemment, à l’époque comme rétrospectivement,
ça a fait hurler les puristes ou prétendus tels. Quoi, comment, le
porte-drapeau du rock indie, le groupe roi des campus américains, qui signe sur
une major et décuple ses ventes. Trahison, je vous dis. Qu’on les pende !!
Perso, du R.E.M. des années 80, j’ai vraiment usé
qu’une galette. « Reckoning » leur second, et leur hommage le plus
évident à ce Velvet Underground qu’ils citaient toujours. Les autres ?
Ouais, bof … Sans plus. Cette musique cafardeuse et sautillante empêtrée dans
un bourdon sonore et chanté à la longue assez pénible, ça me faisait guère plus
d’effet que la plupart des disques des Talking Heads. De la musique typée
intello (d’où le succès sur les campus, avant que les campus deviennent le fief
des Kanye West de tout poil), en gros …
En fait qu’est-ce qu’on leur reproche aux
R.E.M. ? D’avoir fait un bon disque qui s’est vendu par camions. Tu parles
d’un crime. Comme si c’était pas le but de tous les types qui rentrent en
studio, qu’ils l’avouent ou pas. Et qu’on vienne pas me parler de visées
mercantiles. Il y a dans « Out of time » des suicides commerciaux.
Aller chercher une mandoline pour la base sonore de « Losing my
religion », c’est pas gagné d’avance. Vous en connaissez beaucoup de hits
avec une mandoline en avant ? Ouais, « Mandolin wind » de Rod
Stewart (en 1971, quand même). Vous voulez faire de la thune en 1991, vous
allez chercher un rappeur. Oui, mais pas KRS-1 (sur « Radio song »),
c’est un type catalogué « dangereux activiste », pas vraiment gage de
heavy rotation sur MTV … Vous voulez faire du duo aguicheur pour les hit-parades?
OK, mais pensez vous que Kate Pierson des totalement has been B-52’s soit le
bon choix (même si Iggy Pop était allé la chercher l’année d’avant pour un de
ses rares très bons disques solo « Brick by brick ») ? Kate Pierson
elle est là, à cause de la Athens connection (R.E.M. et les B-52’s sont issus
de la même ville de Géorgie et les seconds ont servi de modèle
« spirituel » aux premiers). Vous voulez de la guitare saturée (ça
marche à fond en 1991) ? C’est raté (et pourtant Peter Buck sait faire
s’il veut), pire, les R.E.M. s’adjoignent sur la plupart des titres une section
de cordes drivée par Mark Bingham …
Alors, Warner ou pas, « Out of time » est
d’abord un disque où les types sont à leur zénith. Créatif, d’abord. Une
décennie à créer une osmose entre quatre types (euh, six en fait, il faut
rajouter sur ce disque l’omniprésent Peter Holsapple des excellents mais feu
dB’s, et celui qui est de fait le cinquième R.E.M., leur producteur attitré
Scott Litt), à mettre en place un son immédiatement reconnaissable
(« Belong » aurait pu figurer tel quel sur n’importe quel disque de
R.E.M. des 80’s) mais qui tend à se « démocratiser » (le chant de
Stipe devient à peu près compréhensible, l’instrumentation tend vers la
« ligne claire », s’éloignant quasi imperceptiblement à chaque disque
du magma sonore de leurs disques précédents). Aussi un zénith populaire. Parce
que c’est pas la Warner fraîchement apparue dans leur carrière qui les fait
jouer depuis des années devant un public de plus en plus nombreux dans des
salles de plus en plus grandes. Avant « Out of time », R.E.M. est
considéré comme le plus grand groupe indie américain, une dénomination
totalement stupide mais qui traduit un certain potentiel de séduction et une
ascension populaire régulière.
R.E.M. sur le toit (du monde)
Les R.E.M. franchissent avec « Out of time» un
palier, placent la barre à une hauteur que personne (peut-être même pas eux)
n’envisageait. Un hit intergalactique (« Losing my religion »), deux
autre pas loin (« Radio song » et « Shiny happy people »).
Des démarquages intelligents de « Losing … » (« Near wild
heaven » et surtout « Half a word away »), l’incontournable
hommage au Velvet (« Me in honey » l’intro, la guitare inexpressive,
la structure lancinante, tout ramène à la band à Lou Reed et John Cale), un
clin d’œil – pompage de Dylan (« Country feedback », me semble t-il
bien inspiré par « Knockin’ on heaven’s door »), un titre pour les
ploucs country du Midwest (le rustique « Texakarna » avec pedal steel
guitar et tout le tremblement). Et pour finir le tour du propriétaire, deux
titres que tout oppose, le tout en fréquences basses et bien nommé
« Low », et à l’autre extrémité du spectre sonore le totally baroque
(arrangements de cordes omniprésents) « Endgame » (qui me fait penser
à « Lady Jane » (et si vous connaissez pas « Lady Jane »,
misère, je vous plains…).
En fait, il n’y a pas grand-chose à reprocher à
« Out of time » (tiens, un autre titre des Stones
« chansons » de « Aftermath »). Si, en cherchant un peu, sa
pochette aussi moche que celle de la plupart de leurs précédents skeuds, mais
qui par son aspect flashy et coruscant (« Shiny happy
people » ?), donne le ton plutôt enjoué du disque. A mettre en
parallèle avec la toute grise (parce que d’une tonalité plus grave, plus
triste) de l’autre chef-d’œuvre qui allait suivre « Automatic for the
people ».
« Out of time » est un disque non pas
centriste, mais totalement fédérateur. Incontournable et indispensable … Des mêmes sur ce blog :
A la vue des bonus du film,
paru en 1972, dans lesquels on voit un Hitchcock (plus de 70 ans au compteur,
strict costard noir, bedaine proéminente), se mettre en scène dans Londres, je
ne peux m’empêcher de penser qu’à la même époque la ville dansait sur les
rythmes glam (avec l’accoutrement qui allait avec) de T. Rex et Bowie.
Raccourci facile, quand paraît « Frenzy », Hitchcock a tout du has
been … Non pas musicalement, il a jamais été très rock’n’roll, mais has been
tout court.
Le coupable idéal et sa copine
L’apogée de Hitchcock, c’est
les années 50 (avec quelques chefs-d’œuvre qui débordent avant ou après). Là,
au début des années 70, c’est juste un dinosaure, un vestige d’un autre temps,
quasiment d’un autre monde. Non pas que « Frenzy » soit une daube, loin
de là, mais c’est juste un film un peu perdu dans son contexte. « Frenzy »
se veut parfumé au soufre. Pour la première fois plein cadre, une scène de viol
suivie d’un meurtre, quelques fesses, poils pubiens et tétons en gros plans
(pas ceux des actrices, ceux de doublures « mannequins »), un ton
humoristique très noir au service d’une intrigue sophistiquée (le scénario est
dérivé d’un bouquin à succès adapté au théâtre).
« Frenzy » sera un
des plus gros succès populaires d’Hitchcock. Soit. Avec deux scènes (seulement
deux, on l’a connu plus prolifique de ce côté-là) d’anthologie. Celle qui introduit
le film, la Tamise à hauteur du pont de Tower Bridge survolée en hélicoptère,
et puis un travelling arrière phénoménal dans une cage d’escalier, un couloir
et pour finir la rue.
L'ex qui cherche l'oxygène
Et le reste ? Ben un film
à suspense sans suspense (on sait dès le premier tiers du film qui est l’assassin,
et qui va ramasser à sa place) qui ne vaut que par ses à-côtés. Offrant une
galerie de seconds rôles (casting fait au feeling, Hitchcock « embauchant »
la plupart des acteurs sans les avoir mis en situation, juste après une
discussion) jubilatoires (la femme du flic et ses recettes de cuisine « branchées »,
la secrétaire de l’agence matrimoniale). En fait, « Frenzy » est bien
mieux si on se désintéresse de l’intrigue.
Hitchcock, après exil et gloire
américains, revient à Londres. Et y fait un film so british. « Frenzy »
n’est pas transposable. La plupart des scènes ont lieu dans et autour du marché
de Covent Garden (retour aux sources à forts relents freudiens, le père d’Hitchcock
y tenait un étal de fruits et légumes), et il n’y a pas une scène, pas un plan,
qui nous fasse sentir ailleurs qu’à Londres (où ailleurs qu’à Londres,
verrait-on un tueur dont l’arme du crime est une cravate ?). Mais en même temps
qu’une sorte de déclaration d’amour « patriotique », la vision d’Hitchcock
est également caustique. Témoin la première scène parlée du film, dans laquelle
on voit un ministre promettre devant une Tamise saumâtre que bientôt on pourra
s’y baigner (gag, Chirac fraîchement élu maire de Paris avait dit la même chose
de la Seine), avant que l’attention de la foule ne se porte sur un cadavre
dénudé y flottant (c’est cette scène qui donne lieu à l’incontournable caméo d’Hitchcock,
fugacement à l’image sur deux plans). Il y a dans « Frenzy » tous les
clichés d’un Londres très très britannique (le « héros » malchanceux
est au départ serveur dans un pub au patron fort en gueule, il renoue avec son
ex dans un club cosy, tous les personnages sont guindés juste ce qu’il faut).
Le tueur
« Frenzy », il serait
pas d’Hitchcock, on dirait que c’est un film qui se cherche. Hésitant entre
romance (le triangle du « héros », son ex, la serveuse), sadisme et
voyeurisme bon marché (les crimes de Rusk), humour plus ou moins décalé (le
cadavre dans le sac de patates et les contorsions et postures qu’il entraîne,
le flic et les petits plats de sa femme). D’ailleurs Hitchcock n’a pas touché à
une caméra. Il a porté une attention minutieuse au scénario, a choisi ses
acteurs (aucun grand nom au casting, et la plupart avouent dans les bonus du
Dvd qu’ils ont été tout surpris de se trouver là) et a supervisé le tournage. Enfin,
supervisé, façon de parler. Perpétuellement assis hors champ (avec sa femme toute
proche, qui a fait un infarctus ou un truc du genre, mais qui une fois
rétablie, est revenue aux côtés de son Alfred), donnant l’impression d’un faux
détachement, mais doté d’un sens de la prise de vue stupéfiant, n’hésitant pas
à passer des jours sur une scène (celle du viol et du meurtre a pris trois
jours, c’est une succession de plans de quelques secondes), ou au contraire
laissant ses acteurs improviser attitudes ou dialogues. Chef d’orchestre plutôt
que soliste démonstratif …
« Frenzy » est
quasiment le dernier tour de piste d’Hitchcock (seul le très dispensable « Complot
de famille » suivra). Qui n’a plus rien à prouver et ne prouve plus rien.
En fait le meilleur truc de « Frenzy »,
c’est sa bande-annonce dans laquelle Hitchcock se met en scène. Oserait-on dire
qu’elle est mieux que le film ? Moi j’ose …
Il paraît que Donald Glover (qui est Childish
Gambino à lui à peu près seul, enfin pas tout à fait, voir plus bas) est un
touche-à-tout (de génie, disent ses deux fans et demi en France). Là-bas, au
pays de l’autre Donald, il fait des films, l’acteur, de la musique, du rap, …
Une sorte de Will Smith underground. Ce qui n’est pas vraiment un compliment,
mais bon, … Quoique, la black music US est tellement au fond du trou (quand on
voit leurs « stars », les Kanye West, Jay-Z, Rihanna, Beyoncé, ça
fout quand même un peu les jetons) depuis des lustres, que réussir à faire
parler de soi en dehors de frasques people est un bon point.
Donc le Childish – Glover donnait jusque-là dans le
rap. Et là, il nous sort un disque de musique noire 70’s, clamant haut et fort
son admiration pour Clinton. Non, pas Hillary ou Bill, mais George, le
gourou-leader de Parliament et Funkadelic, un des types les plus innovants et
samplés de la Terre depuis presque quarante ans, le master es P-Funk himself.
Ecce Homo ...
Et bizarrement, ce « Awaken, my love ! » me
fait beaucoup plus penser à Prince (enfin, celui-là aussi devait beaucoup à
Clinton), et plus précisément (tant le nabot est parti dans tous les sens), au
Prince de la fin des années 80 – début des années 90. La voix (souvent forcée,
on dirait bien) de fausset de Glover étant le marqueur de similitude sonore le
plus flagrant.
Arrivé à ce stade-là, on pourrait mettre un point
final et tourner la page, genre « ouais, encore un zozo sans imagination,
qui ne fait qu’imiter ce que d’autres ont fait mieux que lui, avant, etc
… ». Sauf que la musique dans le collimateur de Childish Gambino est un
peu plus élaborée que du punk ou du rock garage. Et qu’on cause là de soul,
funk, p-funk, … des seventies, c’est-à-dire d’une époque et de genres musicaux
qui ont atteint une créativité, une complexité et une sophistication inégalés
depuis. En gros, si t’es pas bon et que tu touches à ça, tu te vautres
lamentablement. Et il faut reconnaître que Childish - Glover s’en tire pas trop
mal.
D’abord parce qu’il peut s’appuyer sur un alter ego
de l’ombre, le dénommé Ludwig Goransson, qui co-écrit, co-produit, joue d’une
multitude d’instruments, et plutôt bien de la guitare. Ah, parce que je vous ai
pas dit, y’a pas un orchestre d’ordinateurs derrière tout ça, mais des types
qui jouent sur des instruments, y compris sur des synthés ou des claviers
vintage, ou en tout cas qui sonnent vintage.
Il y a dans ce « Awaken … » une bonne
petite moitié des titres qui sont bien, voire plus. Le premier titre (« Me
& your Mama »), où on change de ton et de son toutes les deux minutes
(intro cristalline, chœurs gospel, funk lourd, accalmie jazzy) donne envie
d’écouter la suite. Même s’il ne trouvera son équivalent que sur le dernier
titre (« Stand tall »), lui aussi morceau à tiroirs, et pour sa part
très fortement réminiscent du Wonder de l’extraordinaire « Songs in the
key of life ».
Entre ces deux sommets, à boire (un peu de soupe) et
à manger (du consistant). Principal reproche, noyer sous les arrangements
(parfois judicieux, c’est pas le propos) ce qui a fait l’essence du p-funk,
hérité d’ailleurs de James Brown, le groove hypnotique. Tu chopes une assise
rythmique en béton, répétée ad lib, et tu fais tricoter les autres instruments
par-dessus. Plus facile à dire qu’à faire, évidemment, la preuve ici, où des
titres comme « Boogieman » et « Zombies » (avec ses étonnantes
parties de guitares que ne renierait pas un Robert Fripp) sont les seuls qui
répondent à ces règles-là.
Childish Gambino live : Iggy Pop syndrome ?
Parce qu’ailleurs, même si on reste bien dans la
black music des 70’s, ce sont plutôt d’autres noms qui viennent à l’esprit
(plus par la suggestion que par la copie conforme, faut être honnête).
« Redbone » avec sa voix passée au vocoder fait penser à du Al Green
en accéléré sous hélium, et ça me laisse tout de même perplexe, la ballade
soul-funk « Baby boy », on dirait du Marvin Gaye de la fin des
seventies, la géniale osmose voix-musique en moins. Et on trouve à mon sens
résumé sur ce titre tout le problème du disque, c’est de l’hommage bien fait,
mais ça n’arrive pas au niveau du talent, voire du génie de Clinton, Gaye,
Green, Wonder, ou de leur cousin commun, le perturbé Sly Stone.
Il n’y a vraiment qu’un titre à part, l’incongru dans
le contexte « California », dancehall tendance raggamuffin, un genre
que l’on croyait porté disparu depuis qu’on est sans nouvelles depuis bien
vingt cinq ans de Shabba Ranks, Buju Banton, et de tout ce qui vient de
Jamaïque en général. C’est pas mal foutu, mais un sous-genre de reggae au
milieu de ce disque, ça fait un peu ballot et hors sujet …
Conclusion : y’en a pas. Comme dans ce disque
qui s’achève sans prévenir en plein milieu d’un morceau comme si on venait de
te débrancher l’ampli.