CARLOS SAURA - CRIA CUERVOS (1976)

Porque te vas ? ...
Carlos Saura est un type qui a compté dans le cinéma espagnol. Pour plein de raisons dont je causerai plus bas si j’y repense et si j’ai le temps. Pas mal de films en plus de cinquante ans de carrière (à plus de quatre vingt balais, il sort encore à peu prés un film tous les deux ans), mais un seul qui restera, « Cria cuervos ».
« Cria cuervos » est le début d’un proverbe campagnard espagnol (« cria cuervos y te sacaran los ojos », en gros élève des corbeaux et ils t’arracheront les yeux), que Saura applique ici à une enfant de neuf ans dont on suit les « aventures » durant l’été 1975.
Carlos Saura 1975
« Cria cuervos » s’apparente à du cinéma subjectif. Tout le film est vu à travers les yeux de cette gamine, toutes les scènes qu’elle traverse sont rendues selon l’impression qu’elle en a. Cette gamine, c’est Ana Torrent (Ana aussi dans le film). Choisie parce que Saura l’avait remarquée dans « L’esprit de la ruche » de Victor Erice, autre film marquant de la fin du franquisme. Torrent, même si a elle fait une carrière d’actrice, n’a guère fait parler d’elle devenue adulte, et Saura a dû batailler ferme pour convaincre ses parents de la laisser tourner dans « Cria cuervos ».
« Cria cuervos » est un film difficile à suivre. Plein de flashbacks, de scènes où rêves et réalité se mélangent. Et même plus. Géraldine Chaplin (accessoirement compagne de Saura à l’époque, ils auront un fils ensemble) joue la mère d’Ana et Ana à vingt ans dans un paire de scènes « explicatives » réduits à des plans fixes sur son visage.
Le film commence par la mort du père, militaire franquiste (et pas de circonstance, on apprendra fugacement dans le film qu’il s’est engagé dans le temps dans la division Azul, volontaires espagnols luttant aux côtés des nazis sur le front russe), dont le cœur lâche alors qu’il besogne sa maîtresse Amelia. Une mort qui intervient quelques mois après celle de sa femme. Ana et ses deux sœurs (l’aînée a une douzaine d’années, la cadette cinq ou six ans) se retrouvent orphelines et placées sous la tutelle de leur tante maternelle, la rigide Paulina (Monica Randall). Autant dire, que dès le départ, on n’est pas dans le scénario fleur bleue et dans un film fait par des enfants pour des enfants.
Géraldine Chaplin & Ana Torrent
« Cria cuervos » est un film noir, traversé par la mort (même celle de Roni, le hamster de Ana). Et c’est l’incompréhension de cette mort par les trois sœurs, exprimée surtout à travers Ana, qui est le moteur du film. Ana entretient au-delà de son décès une relation fusionnelle avec sa mère. Toutes les scènes apaisées, familiales, tous les instants d’amour sont les flashbacks de leur relation. Et quand il n’y a pas de flashback, Saura fait jouer aux trois sœurs maquillées comme des camions portugais, une scène de dispute conjugale de leurs parents en version vaudeville – théâtre de boulevard pour ce qui est un des meilleurs passages du film. Ana sanctifie quasiment sa mère, d’une douceur angélique avec ses enfants, alors que son père est un coureur (même la gouvernante de la famille, pourtant pas un canon, est poursuivie par ses avances), macho, facho et patriarcal, qui envoie paître sa femme dès lors qu’elle veut seulement discuter avec lui. La mère d’Ana meurt d’une maladie incurable dans d’atroces souffrances. Et Ana va vouloir la venger. Elle se persuade qu’elle a empoisonné son père puis sa tante acariâtre avec du bicarbonate de soude périmé (si le premier est bien mort, la seconde se réveillera dans une forme resplendissante le matin, au grand étonnement d’Ana). Ana refuse de s’incliner et de prier devant le cercueil de son père au milieu de tous les militaires franquistes venus lui rendre un dernier hommage.
Le rêve et la réalité se mélangent ...
Et c’est à ce niveau qu’interviennent les divergences d’interprétation de ce film. D’éminents spécialistes (en l’occurrence une universitaire très intéressante) expliquent dans les bonus du Dvd toutes les métaphores historiques et sociales cachées derrière les personnages. Le père mourant, c’est évidemment la fin du franquisme (un an après le tournage du film), la mère bafouée, opprimée, agonisante, c’est la République (elle est artiste, pianiste douée, et a vu sa carrière sacrifiée par la vie de famille imposée par son mari), la vieille grand-mère perdue dans ses souvenirs ridicules de jeunesse, c’est la vieille société espagnole (la grand-mère est paralysée et muette), la gouvernante, c’est le peuple qui subit les caprices des classes supérieures, … Tout ça est fort bien vu, d’autant que Saura n’a jamais caché son mépris du franquisme (enfin, fallait pas le hurler, la censure et la répression étaient bien là). Sauf que Saura en 2007, dans trois quart d’heure d’interview sur « Cria cuervos », ne fait aucune allusion à ces métaphores. Lui dit avoir simplement fait un film sur l’enfance et la mort. La vérité doit se trouver entre les deux. Un des derniers plans du film, alors que les trois sœurs partent pour la rentrée des classes, les voit passer devant un mur taggé d’un « Viva el rey Juan Carlos » peu équivoque. Si on veut pas faire un film « politique », on laisse pas ça au montage. Mais peut-être aussi que comme tous les artistes à un moment touchés par la grâce, Saura a mis en perspective des choses auxquelles il ne songeait pas forcément et qui s’imposent comme une évidence.
 « Cria cuervos » fut un gros succès public dans une Espagne qui dès l’année suivant sa parution, faisait sauter tous les verrous du franquisme et entamait sa « révolution culturelle », la Movida, dans laquelle le cinéma se taillerait une belle place (avec un jeune Pedro Almodovar en figure de proue). Le film sera primé à Cannes, et cité dans tous les festivals et remises de prix un peu partout dans le monde. Et même si de quelque côté qu’on l’aborde, il reste dense, compliqué. Son montage, son procédé narratif, ce monde vu à travers les yeux d’une enfant de neuf ans, ces petits riens ou ces intrigues qui compliquent la situation (témoin cet étrange quadrilatère amoureux, le père d’Anna et Amelia, le mari d’Amelia et la tante Paulina), cette noirceur parfois cruelle (Ana qui propose à sa grand-mère de l’aider à mourir, lui mettant sous le nez son bicarbonate éventé) n’ont rien pour attirer ceux que l’on appelle le « grand public ».
On danse sur "Porque te vas" ...
Bon, à vrai dire, il y a dans « Cria cuervos » ce petit plus qui en fait un film inoubliable. Une bande-son dominée par un morceau (il revient pas moins de quatre fois dans le film) qui deviendra un hit énorme un peu partout en Europe. Ce titre, c’est « Porque te vas », chantée par l’oubliée et oubliable Jeanette (curieusement une anglaise expatriée en Espagne), une de ces scies que quand tu l’as entendue une fois, tu t’en souviens toute ta vie. Une chanson en trompe l’œil qui sur un rythme enjoué, parle d’une rupture sentimentale. Un titre assez connu en Espagne, sorti deux ans avant le film, et dont l’écoute, par un de ces hasards indispensables aux grandes réussites, « montrera » à Saura le film sur lequel il travaillait. Un titre qu’il devra imposer à des producteurs récalcitrants, qui auraient bien préféré quelque larmoyante sonate classique. Un titre qui comme quelques autres surexposés dans un film, deviendront plus connus que le film lui-même (à l’instar de « Mrs Robinson » pour « Le lauréat » ou « Knockin’ on heaven’s door » pour « Pat Garrett & Billy the Kid »).
« Cria cuervos » fut un film qui marqua une époque, et un tournant dans l’histoire culturelle espagnole. Malgré sa « difficulté », malgré cet aspect onirique (hérité d’ailleurs de Buñuel, ami et inspirateur de Saura) perturbant, malgré l’ambivalence film d’auteur – film populaire …

Et puis, comment ne pas craquer devant les immenses yeux noirs d’Ana Torrent, qui réécrit la vie, l’amour et la mort avec toute l’ingénuité de son enfance …


THEE OH SEES - A WEIRD EXISTS (2016)

San Francisco Nights
Quoi que … « San Francisco Nights » en intitulé de cette notule, ça pourrait faire se retourner Eric Burdon dans sa tombe. Hein, tu dis quoi, toi ? Qu’il est pas mort Burdon ? T’as raison, mais on s’en fout du nabot qui braillait dans les Animals.
Le sujet aujourd’hui, c’est le sieur John Dwyer, leader et homme à tout faire de Thee Oh Sees, mais aussi gourou et figure tutélaire de toute la « nouvelle » scène de Frisco, dont les plus illustres éléments sont Ty Segall et Mikal Cronin, responsables comme Dwyer de multitudes de galettes sous de multiples intitulés et quelques fois sous leur nom propre. Parce que maintenant, dans un monde musical aux modèles économiques pulvérisés par le téléchargement et le streaming, le centre de gravité de la musique américaine qui bouge, qui vit, qui cherche à avancer malgré tout, il n’est plus à New York (trop arty, branchouille, m’as-tu-vu), ni à L.A. (colonisé et lobotomisé par les pitres qui passent en boucle sur MTV et les meufs kardashianesques).
Thee Oh Sees 2016
Comme il y a pile cinquante ans (putain cinquante ans !) ça se passe à Frisco. Bon, il est peu probable que tous ces combos qui aujourd’hui s’agitent dans l’anonymat sinon l’indifférence généraux deviennent un jour aussi célèbres que l’Airplane, le Dead, Creedence, Quicksilver, Big Brother, Country Joe et les autres qui ont fait éclore la vague psychédélique 60’s. Même si de psychédélisme il en est encore question avec les Thee Oh Sees. Comme chez tout le monde de nos jours. Chopez n’importe quel groupe de minots avec guitares, et ils vous citent d’entrée comme un sésame les mots de garage et de psychédélisme. Ça donne sinon le droit de devenir riche et célèbre, mais ça permet de faire savoir qu’on existe, puisque c’est « tendance ».
Sauf que les Thee Oh Sees et Dwyer en particulier, c’est plutôt des quadras qui sont là depuis une éternité, ça leur confère une sorte de légitimité. Mais on s’en cogne de la légitimité me dis-tu ? Que ce qui compte c’est de sortir un disque écoutable, et que c’est pas parce tu moulines sur ta gratte depuis vingt ans que tu vas faire de bons disques, hein, voyez plutôt Status Quo … ou Coldplay. Vous saisissez où je veux en viendre ? Non, bon tant pis, je recommence pas …
Non, ce qui est intéressant voire passionnant dans le cas de Dwyer et de ses Thee Oh Sees, c’est que le type en a plus rien à foutre des chiffres de vente si tant est qu’il en a eu quelque chose à cirer un jour. Sa petite notoriété lui permet de survivre de son art, il est dans la logique du do it yourself (et avec les outils informatiques aujourd’hui, tu sors un disque « fini » pour le budget Kleenex d’une scène de porno), fait en gros ce qu’il veut et vous emmerde … Parce que faut être un peu con pour virer ce que certains considèrent déjà comme la formation « royale » des Thee Oh Sees, celle de l’encensé (du moins dans ce blog) « Floating coffin », et repartir à l’assaut avec un casting tout neuf. Qu’il me soit permis de regretter la mimi Brigid Dawson (même si elle traîne dans les backing vocaux sur un titre), dont les claviers et les chœurs lumineux étaient pour beaucoup dans l’impact du précédent opus.

La nouvelle formation des Oh Sees (parce que tant qu’à virer tout le monde, autant faire dans l’inédit) se compose ladies and gentlemen, de deux (oui deux, un + un) batteurs. Comme dans l’Allman Brothers Machin, s’écrie le pervers fan de rock sudiste ? Pff, non, t’as rien compris, plutôt comme chez les Black Angels, si tu veux citer quelque chose d’à peu près comparable. Mais à quoi ça sert deux putains de batteurs, quand t’as un plug-in sur ton Mac qui peut te faire pareil que si t’avais les Tambours du Bronx à la rythmique ? ben à foutre la pression sur les autres et à pouvoir se balader dans des structures compliquées comme les affectionnaient les groupes de kraut (eh, oh le fan des Allman, pourquoi tu pars en courant ?). Car les Oh Sees ne cèdent à la facilité de ne contentent pas du minimum binaire de base comme leur petite notoriété pourrait les y autoriser, avec douze titres descendus dans les quarante foutues minutes ;
D’abord, des morceaux, dans « A weird exists » il n’y en a que huit. Autrement dit, on n’a pas chez le sieur Dwyer peur de s’installer dans la durée, de tirer toute la substantifique moelle d’une composition. Et à ce jeu, les quasi huit minutes de « Crawl out from the fall out » entamées par un cliquetis de cymbales, se terminent en une sorte de boléro lysergique que n’aurait pas renié Jason Pierce et ses Spiritualized. « Plastic plant » montre à quoi ça peut servir deux batteries qui dévalent le titre genre avalanche de fûts, essaient de se tailler une place au milieu de guitares hurlantes, et preuve que ce titre est également excellent, tout ce raffut n’arrive pas à masquer une mélodie de derrière les fagots.
John Dwyer se prend pour Angus Young (ou Chuck Berry)
Dans « A weird exists », on cause  et on fait de la musique. Et si y’a pas besoin de paroles, et ben on s’en passe, ce qui arrive dans la moitié des cas, sans que ça sonne une  seule seconde comme un revival electro ou un tentative de faire de l’ambient avec des guitares. On est bien au-dessus de ces viles comparaisons. Et on se retrouve avec les deux aspects extrêmes de ce genre de musique. D’un côté le ratatinage sonore obstiné à la Hawkwind (« Ticklish warrior »), et à l’autre aspect du spectre sonore une lente mélodie belle à pleurer (« The axis »), inspirée paraît-il par un baba entendu dans une rue qui avec un Clavier tout pourri joué à la Charlie Oleg reprenait pour les passants des titres de Hendrix. Un Voodoo Chile évidemment méconnaissable, en dehors du titre de la rengaine.
« A weird exists » est le genre de disques comme on n’hésitait pas à en faire au tournant des années 60-70, à une époque où l’on n’avait rien à foutre de notions de chapelle et de normalité. On mettait sur un disque une litanie de bons morceaux, et tant pis (ou tant mieux) s’ils ne se ressemblaient pas tous. Allez, s’il fallait un maillon faible à cette rondelle, je dirais que c’est « Jammed entrance » qui comme son nom le laisse supposer est un peu trop en roue libre tendance free jazz pénible (pléonasme).

« A weird exists » est le genre de disque dont Nagui risque pas de faire la promotion. Donc excellent.


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PRESTON STURGES - UN COEUR PRIS AU PIEGE (1941)

Ophiologiste ? Toi-même ...
« Un cœur pris au piège », comme souvent quand c’est distribué en France, très mauvaise traduction du titre original « The Lady Eve », est un des films qui ont marqué leur temps. Et ces temps n’étaient pas très folichons.
Officiellement, les Etats-Unis ne sont pas en guerre (il faudra attendre la fin de l’année suivante), mais toute la population qui a encore en mémoire la terrible crise de 1929 et les années de misère populaire qui ont suivi, regarde avec de mauvais pressentiments la boucherie géante qui ensanglante l’Europe.
Alors, évidemment, le cinéma offre un exutoire, une tranche de divertissement dans un quotidien plutôt morose.
Fonda, Stanwick & Preston Sturges
Et quoi de mieux qu’une comédie pour se changer les idées ? Et à ce jeu-là le dénommé Preston Sturges est toujours au rendez-vous. Il ne fait certes pas partie de ces manieurs surdoués de caméra que l’histoire retient. Non, lui son truc, c’est faire rire les gens pendant une heure et demie. Et ça il sait faire, en tant que scénariste ou réalisateur (et bientôt, fortune faite, en tant que producteur). Sturges fait des films populaires au sens premier, c’est-à-dire destinés à être vus par le plus de monde possible.
Les ficelles sont énormes, la happy end prévisible au bout de deux plans, mais qu’importe, c’est ce que le public attend et Sturges lui en donne pour son argent. Tout en respectant les fondamentaux. « The Lady Eve », c’est pas un nanar filmé avec les pieds sur un scénario de quatre lignes.

L’histoire est évidemment totalement invraisemblable dans ses rebondissements, mais les rebondissements sont justement nombreux, chaque fois prétexte à rajouter une « gueule » à un casting haut de gamme. En haut de l’affiche, deux noms. Un jeune premier devenu star grâce à son rôle de Tom Joad (ben oui, vous croyiez que Springsteen inventait des noms ?) dans l’extraordinaire « Les raisins de la colère » de John Ford. Son nom : Henry Fonda, père de tous les autres acteurs du même nom. Trente cinq ans au moment du tournage. A ses côtés, une star stakhanoviste des plateaux de tournage des années 30, Barbara Stanwick, trente quatre ans, un des symboles de femme fatale de cette époque, mettant dans les films tous les hommes à ses pieds (alors qu’elle est lesbienne dans la vraie vie).
Lui est un grand dadais niais et très riche, passionné d’ophiologie (et non, je vais pas vous dire ce que c’est l’ophiologie, na ! mais sachez qu’en anglais il y a une joke plus ou moins subtile avec le titre du film). Elle, la fille d’un joueur de cartes (et tricheur) professionnel, dont elle est une élève douée et appliquée. Sur une croisière, le père veut arnaquer le benêt au poker, la fille est encore plus ambitieuse, elle veut le vamper pour l’épouser et avoir tout son pognon. Voilà pour le point de départ, plus prétexte à sketches qu’à une histoire suivie, mais peu importe. Toutes les scènes classiques du vaudeville amoureux sont de la partie, en laissant la part belle à des seconds rôles truculents : le garde du corps imbécile de Fonda (William Demarest), le père de Stanwick (Charles Coburn), le père de Fonda (Eugene Palette), le faux oncle de Stanwick (Eric Blore).

Les running gags s’enchaînent (notamment avec le garde du corps, ou avec un cheval qui vient s’interposer lors d’une discussion amoureuse), le rythme est rapide, on ne s’ennuie pas. Deux scènes peuvent marquer les cinéphiles. Dans l’une Barbara Stanwick se fait passer pour une autre dans un dîner chez la famille friquée (copier-coller d’une scène identique avec Irene Dunne dans « Cette sacrée vérité » gros succès comique quelques années plus tôt). L’autre risque de traumatiser à jamais les fans de Cameron. Tout le monde a en tête le premier baiser échangé par Winslet et Di Caprio à la proue battue par les vents du Titanic. Et bien elle est entièrement pompée (même baiser, même cadrage, les effets numériques et l’infâme rengaine de la Dion en moins) sur une scène de « The Lady Eve ». Comme quoi, dans le cinéma comme ailleurs, rien ne se perd et rien ne se crée … Et même si le personnage interprété par un remarquable Fonda, très à l’aise dans le registre comique, est un stéréotype du genre, il est frappant de voir comment des décennies plus tard, un Hugh Grant lui ressemblera dans les rôles qui ont fait son succès …
Il faut quand même bien l’avouer, malgré d’indéniables qualités comiques, « Un cœur pris au piège » a du mal à traverser les décennies. Il fait son âge, quoi …
A noter sur la version remastérisée, une bande son assez … euh, bizarre c’est le moins qu’on puisse dire en version française, qui offre plusieurs fois des passages entiers en VO sous-titrée d’une qualité sonore très limite. Même s’il y a quelque part dans les bonus (faméliques, très) du Dvd, une explication technique à laquelle je n’ai rien compris, c’est assez pénible pour être souligné …



THE MYSTERY LIGHTS - THE MYSTERY LIGHTS (2016)

Children of Nuggets ...
Et la lumière fut avec les Mystery Lights … Ouais, je sais, c’est pas rien de commencer une chroniquette en paraphrasant Dieu, mais pour une fois y’a de quoi sortir la brouette à superlatifs.
Et d’abord, c’est qui, les Mystery Machins, se demandent mes armées de lecteurs. Euh, à vrai dire, j’en sais rien, et là, à brûle-pourpoint, sans copier sur le livret, je suis bien incapable de vous dire comment ils s’appellent ces gugusses et de quel bled des Zétazunis ils viennent.
Ce que je sais, c’est qu’ils sont tout jeunes, que cette rondelle est leur première et qu’ils l’ont enregistrée au studio Daptone, du label du même nom. Bon, pour ceux qui ont tout juste le niveau maternelle supérieure en classic soul, Tonton Lester vous explique, et ouvrez grand vos orifices (mais non, pas tous, rien que les oreilles, z’êtes pénibles, les filles …), y’aura interro là-dessus un de ces quatre. Daptone, c’est une bande d’azimutés revivalistes qui entendent balancer aujourd’hui des disques de soul comme on faisait chez, au hasard, Stax, y’a cinquante ans. Entendre par là, qu’il y a des chanteurs ou chanteuses dignes de ce nom au micro, des vrais types qui les accompagnent en jouant de vrais instruments, le tout enregistré avec un soin maniaque sur des consoles analogiques d’époque. Autrement dit, les artistes Daptone (figure de proue Sharon Jones, bien 70 balais), ils ont le putain de son qui te fait frissonner, on n’est pas exactement dans le registre de la pétasse ondulant du croupion, avec Cubase, Bandcamp, ProTools et AutoTune qui moulinent les octets derrière…

Ceci posé, les Mystery Lights sont une erreur de casting totale, une aberration au pays des revivalistes soul maison. Ces cinq corniauds, ils sont à peu près aussi soul que Bruno Lemaire (vous savez, le mec à tronche de bedeau premier de la classe, qui pense avoir des idées jeunes parce qu’il fait du Sarko light ou du Juppé version ado, et qui s’imagine être le Obama ou le Kennedy normand que nous attendons tous, si tu savais la gamelle que tu vas prendre face au vieux briscards, tu retournerais sous les jupes de ta cousine pour avoir une idée de l’origine du monde, mais bon, je pars en vrille là, on va se calmer …). J’en étais où là ? Ah ouais, la soul et les Mystery Truc.
Ben hormis par moments la voix du chanteur (ils ont pas dû le laisser partir comme çà, deux prises et c’est bon c’est dans la boîte, ils ont du le torturer longtemps) qui fait « passer des choses » dans son gosier, même s’il se cantonne au registre du shouter un peu limité, les Mystery Chose, ils sont pas soul pour deux sous.
Je vous parie la vertu d’une congrégation de bénédictines que leur disque de chevet, c’est la compile Nuggets assemblée par Lenny Kaye en … 1972, et qui repiquait tous ses morceaux entre 65 et 67, dans un genre devenu plus tard dans les livres le rock garage. Entendez par là tous ces boutonneux américains, traumatisés par tout ce qui venait d’Angleterre (les Beatles d’abord, ensuite tous les Stones, Who, Kinks, Pretty Things, Them and so on …) et qui s’escrimaient à les imiter, le plus souvent assez gauchement (suffit de fouiller un peu dans les multiples compilations parues depuis pour s’apercevoir qu’il n’y avait pas que des cadors du binaire énervé) tous ces crazy rhythms britons. Quelques-uns avaient des hits locaux (les Seeds avec « Pushin’ too hard », d’autres ont écrit un de ces titres devenus mythiques des lustres plus tard (le « Psychotic reaction » du Count Five), d’autres n’ont été célébrés que plus tard (les meilleurs de tous, les Sonics, ne sont pas sur le double vinyle original), et constante pour tous, aucun de ces groupes n’est devenu riche et célèbre.

C’est un peu ce qui pend au nez des Mystery Lights. Parce que parmi tous ceux qui donnent dans le « Nuggets style », j’ai rarement entendu un truc aussi cohérent, méticuleux, maniaque. Du travail d’orfèvre, à mon avis nettement mieux que tout ce que les groupes originaux ont sorti en vinyle. Un peu comme ces moines copistes du début du Moyen-âge qui retranscrivaient des bouquins religieux en les enjolivant, faisant de récits plan plan des œuvres d’art. Les Mystery Lights livrent quelque chose d’entendu trois milliards de fois et pourtant avec ce petit plus qui fait la différence, les fait sortir du troupeau (merci Daptone …). En à peine plus de demi-heure et onze titres, la messe sixties est dite. De la courte intro instrumentale fuzzy en accélération permanente à la rave-up finale de « What happens … », y’a pour moi rien à jeter. Avec même peut-être bien un futur classique des compiles garage des années (20)50. Ça s’appelle « Melt », ça dure deux minutes et trente neuf secondes, c’est un dragster sonore surpuissant, basé sur un riff copié-décalqué sur celui de « The witch » des Sonics, ça s’achève avec des faux grésillements de vinyle en bout de piste et ça sonne instantanément comme un classique … que vous entendrez certainement jamais sur les ondes de radio, trop occupées à passer en boucle les derniers remugles sonores de … pff, y’en a tellement de ces tocards insupportables qu’on entend partout …
Les Mystery Lights revisitent avec un talent, une grâce et une énergie peu communs tout le catéchisme des sixties underground. Pas de baisse de régime, même pas un titre juste quelconque. Ils ont décidé d’être excellents, et ma foi, pourvu que ça dure. Du « classique » « Follow me home » et sa pédale fuzz sur onze, à la pop (très rock) de « Whitout me », à l’hymne pour les stades dans lesquels ils ne joueront très certainement jamais (« 21 and counting »), au Iron Butterfly style (le côté crétin balourd ravi en moins) « Too tough to bear », on se surprend à taper du pied pour battre la mesure et avoir envie après chaque titre d’appuyer sur « replay »…

Bon, allez, je vous laisse, je vais me le remettre ce Mystery Lights …


RADIOHEAD - A MOON SHAPED POOL (2016)

Génération Prozac ...
L’ordonnance est simple : t’écoutes un disque de Radiohead et tu bouffes une boîte de Prozac pour pas aller te pendre. Et ça marche depuis…pff, bien vingt ans.
Faut dire que la famille Tristos du rock se pose là et pas qu’un peu dès qu’il s’agit d’actionner la pompe à chialer et le fumigène à grisaille. Leurs rondelles sont quelquefois écoutables (disques de la décennie disent leurs fans), le plus souvent d’un ennui mortifère (le groupe se cherche, se reconstruit, disent les mêmes fans), mais ces cinq types (six si on compte leur producteur de toujours Nigel Godrich) réussissent on ne sait trop pourquoi à toujours créer l’événement chaque fois qu’ils sortent une rondelle. Le talent, diront leur fans … Eh oh, vous fermez votre gueule les fans, vous commencez à me gonfler grave …
Usual suspects ...
Plus prosaïquement, les Radiohead sont comme tous les types ou les groupes qui durent trop longtemps (un quart de siècle cette année), ils n’ont strictement plus rien à dire. Ni à prouver. Peuvent faire n’importe quoi, il se trouvera toujours des gogos pour les admirer et s’extasier devant leur dernière parution. Sauf que les Radiohead, auxquels on ne peut pas enlever un certain sens des affaires et de la stratégie commerciale, dès lors qu’ils ont compris qu’artistiquement ils n’avaient plus rien à dire (depuis « Kid A » en 2000) sont devenus des cadors en terme de marketing, de positionnement produit comme ils disent dans les écoles de commerce. Des épiciers du Cd à l’échelon planétaire en somme, mettant de leur côté le téléchargement pirate (« In rainbows »), sortant du numérique avant du physique (« King of limbs »), s’amusant aux jeux de pistes via les réseaux sociaux (cette dernière rondelle) … En gros en appliquant à la musique le pitch de « Matrix » (les « terroristes » qui infiltrent la virtualité pour mieux vivre dans le réel). Et ça marche, leurs banquiers sont contents, et leurs fans aussi d’ailleurs.
Le retour des guitares ...
« A moon shaped pool » empeste les fonds de tiroir. Cinq ans se sont écoulés depuis « King of limbs », ça sent le réchauffé, le laborieux. Le dernier titre (« True love waits »), ils le jouent en concert depuis vingt ans. Et peu de choses surprennent, et donc on en tartine des tonnes sur le moindre indice « d’évolution ». Le retour des guitares ? Ouais, mais on n’est pas non plus chez Lynyrd Skynyrd, si vous voyez ce que je veux dire … L’aspect « accessible », ouais, c’est un peu moins lugubre que depuis quinze ans, mais ça risque pas non plus d’intéresser les fans de Patrick Sébastien.
En gros, on retourne vers les ambiances floydiennes qui ont fait leur triomphe à l’époque de « OK Computer ». Le Floyd triste (c’est bien le moins) et évanescent de la seconde moitié des 70’s (« Wish you were here », « Animals »). Avec des attrape-nigauds qui vont faire s’extasier les ravis d’avance. Comme le coup des titres dévidés par ordre alphabétique (comme certains concerts des Pixies d’après la reformation). Comme le premier titre et premier single « Burn the witch ». C’est bien simple, à l’intro, on jurerait un truc de Coldplay (c’est dire si la pompe à fric demeure au cœur du machin) période « Viva la vida », avant que le Yorke s’élève au refrain dans les suraigus (et là, moi je pense direct à Sommerville, le mec à tronche de patate des Communards, et si vous vous rappelez plus ou avez honte de vous rappeler qui sont les Communards, allez vous faire foutre ou les mater sur YouTube). Et tiens, puisque j’ai lancé le nom de Yorke, autant souligner que ce type est capable d’être un très grand chanteur, habitant monstrueusement quelques titres. Dommage qu’il s’entête la plupart du temps à imiter le chanteur du Radiohead « classique », celui qui donne l’aubade pour les enterrements …
Certains Radiohead ont le melon ...
C’est là tout le problème de ce disque. Même pas mauvais, voire un de leurs deux ou trois meilleurs. On a l’impression de banquiers qui sortent un nouveau produit d’épargne. C’est de prime abord attirant, et puis tu t’aperçois qu’en fait, c’est juste pour qu’ils se gavent un peu plus. Ça sent la formule mûrement réfléchie (« faut pas dérouter les clients, faut les surprendre et les intriguer juste un peu  , et l’an prochain on va leur faire les poches lors de la tournée des festivals d’été »), la prise de risque ultra calculée, le retour des vieux qui sont en haut de l’affiche et sont prêts à tout pour pas lâcher la rampe, céder leur place … Comme tant d’autres, d’ailleurs.
Le rock (quoi que Radiohead et le rock pour moi ça n’a pas grand-chose à voir), cette musique de révolte de la jeunesse contre leurs parents, est maintenant faite par des grands-pères cupides à l’inspiration sèche …
Putain, ça y est, ils m’ont foutu le cafard, ces cons …      


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In Rainbows