« Un cœur pris au piège »,
comme souvent quand c’est distribué en France, très mauvaise traduction du
titre original « The Lady Eve », est un des films qui ont marqué leur
temps. Et ces temps n’étaient pas très folichons.
Officiellement, les Etats-Unis
ne sont pas en guerre (il faudra attendre la fin de l’année suivante), mais
toute la population qui a encore en mémoire la terrible crise de 1929 et les
années de misère populaire qui ont suivi, regarde avec de mauvais pressentiments
la boucherie géante qui ensanglante l’Europe.
Alors, évidemment, le cinéma
offre un exutoire, une tranche de divertissement dans un quotidien plutôt
morose.
Fonda, Stanwick & Preston Sturges |
Et quoi de mieux qu’une comédie
pour se changer les idées ? Et à ce jeu-là le dénommé Preston Sturges est
toujours au rendez-vous. Il ne fait certes pas partie de ces manieurs surdoués de
caméra que l’histoire retient. Non, lui son truc, c’est faire rire les gens
pendant une heure et demie. Et ça il sait faire, en tant que scénariste ou
réalisateur (et bientôt, fortune faite, en tant que producteur). Sturges fait
des films populaires au sens premier, c’est-à-dire destinés à être vus par le
plus de monde possible.
Les ficelles sont énormes, la
happy end prévisible au bout de deux plans, mais qu’importe, c’est ce que le
public attend et Sturges lui en donne pour son argent. Tout en respectant les
fondamentaux. « The Lady Eve », c’est pas un nanar filmé avec les
pieds sur un scénario de quatre lignes.
L’histoire est évidemment
totalement invraisemblable dans ses rebondissements, mais les rebondissements
sont justement nombreux, chaque fois prétexte à rajouter une « gueule »
à un casting haut de gamme. En haut de l’affiche, deux noms. Un jeune premier
devenu star grâce à son rôle de Tom Joad (ben oui, vous croyiez que Springsteen
inventait des noms ?) dans l’extraordinaire « Les raisins de la
colère » de John Ford. Son nom : Henry Fonda, père de tous les autres
acteurs du même nom. Trente cinq ans au moment du tournage. A ses côtés, une
star stakhanoviste des plateaux de tournage des années 30, Barbara Stanwick, trente
quatre ans, un des symboles de femme fatale de cette époque, mettant dans les
films tous les hommes à ses pieds (alors qu’elle est lesbienne dans la vraie
vie).
Lui est un grand dadais niais
et très riche, passionné d’ophiologie (et non, je vais pas vous dire ce que c’est
l’ophiologie, na ! mais sachez qu’en anglais il y a une joke plus ou moins
subtile avec le titre du film). Elle, la fille d’un joueur de cartes (et
tricheur) professionnel, dont elle est une élève douée et appliquée. Sur une
croisière, le père veut arnaquer le benêt au poker, la fille est encore plus ambitieuse,
elle veut le vamper pour l’épouser et avoir tout son pognon. Voilà pour le
point de départ, plus prétexte à sketches qu’à une histoire suivie, mais peu
importe. Toutes les scènes classiques du vaudeville amoureux sont de la partie,
en laissant la part belle à des seconds rôles truculents : le garde du
corps imbécile de Fonda (William Demarest), le père de Stanwick (Charles
Coburn), le père de Fonda (Eugene Palette), le faux oncle de Stanwick (Eric
Blore).
Les running gags s’enchaînent
(notamment avec le garde du corps, ou avec un cheval qui vient s’interposer
lors d’une discussion amoureuse), le rythme est rapide, on ne s’ennuie pas. Deux
scènes peuvent marquer les cinéphiles. Dans l’une Barbara Stanwick se fait
passer pour une autre dans un dîner chez la famille friquée (copier-coller d’une
scène identique avec Irene Dunne dans « Cette sacrée vérité » gros
succès comique quelques années plus tôt). L’autre risque de traumatiser à
jamais les fans de Cameron. Tout le monde a en tête le premier baiser échangé
par Winslet et Di Caprio à la proue battue par les vents du Titanic. Et bien
elle est entièrement pompée (même baiser, même cadrage, les effets numériques et
l’infâme rengaine de la Dion en moins) sur une scène de « The Lady Eve ».
Comme quoi, dans le cinéma comme ailleurs, rien ne se perd et rien ne se crée …
Et même si le personnage interprété par un remarquable Fonda, très à l’aise
dans le registre comique, est un stéréotype du genre, il est frappant de voir
comment des décennies plus tard, un Hugh Grant lui ressemblera dans les rôles
qui ont fait son succès …
Il faut quand même bien l’avouer,
malgré d’indéniables qualités comiques, « Un cœur pris au piège » a
du mal à traverser les décennies. Il fait son âge, quoi …
A noter sur la version
remastérisée, une bande son assez … euh, bizarre c’est le moins qu’on puisse
dire en version française, qui offre plusieurs fois des passages entiers en VO
sous-titrée d’une qualité sonore très limite. Même s’il y a quelque part dans
les bonus (faméliques, très) du Dvd, une explication technique à laquelle je n’ai
rien compris, c’est assez pénible pour être souligné …
Pas vu, connais pas. Et je me demandais : ai-je déjà vu Henry Fonda dans une comédie ? Je crois que non. J'ignorais que Stanwick préférait les dames. Cela explique-t-il qu'elle ait croqué et trucidé tant d'hommes sur les écrans ?!
RépondreSupprimerHenry Fonda dans une comédie ? Euh, là, comme ça, je vois pas. Certainement dans les années 30 de ses débuts il a dû en faire quelques unes, mais c'est sûr que c'est pas dasn ce registre qu'il a acquis ses lettres de noblesse ...
SupprimerOuais, Stanwick était apparemment lesbienne, elle se mariait juste de temps en temps pour sauver les apparences, sinon elle se serait fait jeter de tous les studios hollywoodiens où l'heure en ces années-là n'était pas vraiment au mariage pour tous ...