PRESTON STURGES - UN COEUR PRIS AU PIEGE (1941)

Ophiologiste ? Toi-même ...
« Un cœur pris au piège », comme souvent quand c’est distribué en France, très mauvaise traduction du titre original « The Lady Eve », est un des films qui ont marqué leur temps. Et ces temps n’étaient pas très folichons.
Officiellement, les Etats-Unis ne sont pas en guerre (il faudra attendre la fin de l’année suivante), mais toute la population qui a encore en mémoire la terrible crise de 1929 et les années de misère populaire qui ont suivi, regarde avec de mauvais pressentiments la boucherie géante qui ensanglante l’Europe.
Alors, évidemment, le cinéma offre un exutoire, une tranche de divertissement dans un quotidien plutôt morose.
Fonda, Stanwick & Preston Sturges
Et quoi de mieux qu’une comédie pour se changer les idées ? Et à ce jeu-là le dénommé Preston Sturges est toujours au rendez-vous. Il ne fait certes pas partie de ces manieurs surdoués de caméra que l’histoire retient. Non, lui son truc, c’est faire rire les gens pendant une heure et demie. Et ça il sait faire, en tant que scénariste ou réalisateur (et bientôt, fortune faite, en tant que producteur). Sturges fait des films populaires au sens premier, c’est-à-dire destinés à être vus par le plus de monde possible.
Les ficelles sont énormes, la happy end prévisible au bout de deux plans, mais qu’importe, c’est ce que le public attend et Sturges lui en donne pour son argent. Tout en respectant les fondamentaux. « The Lady Eve », c’est pas un nanar filmé avec les pieds sur un scénario de quatre lignes.

L’histoire est évidemment totalement invraisemblable dans ses rebondissements, mais les rebondissements sont justement nombreux, chaque fois prétexte à rajouter une « gueule » à un casting haut de gamme. En haut de l’affiche, deux noms. Un jeune premier devenu star grâce à son rôle de Tom Joad (ben oui, vous croyiez que Springsteen inventait des noms ?) dans l’extraordinaire « Les raisins de la colère » de John Ford. Son nom : Henry Fonda, père de tous les autres acteurs du même nom. Trente cinq ans au moment du tournage. A ses côtés, une star stakhanoviste des plateaux de tournage des années 30, Barbara Stanwick, trente quatre ans, un des symboles de femme fatale de cette époque, mettant dans les films tous les hommes à ses pieds (alors qu’elle est lesbienne dans la vraie vie).
Lui est un grand dadais niais et très riche, passionné d’ophiologie (et non, je vais pas vous dire ce que c’est l’ophiologie, na ! mais sachez qu’en anglais il y a une joke plus ou moins subtile avec le titre du film). Elle, la fille d’un joueur de cartes (et tricheur) professionnel, dont elle est une élève douée et appliquée. Sur une croisière, le père veut arnaquer le benêt au poker, la fille est encore plus ambitieuse, elle veut le vamper pour l’épouser et avoir tout son pognon. Voilà pour le point de départ, plus prétexte à sketches qu’à une histoire suivie, mais peu importe. Toutes les scènes classiques du vaudeville amoureux sont de la partie, en laissant la part belle à des seconds rôles truculents : le garde du corps imbécile de Fonda (William Demarest), le père de Stanwick (Charles Coburn), le père de Fonda (Eugene Palette), le faux oncle de Stanwick (Eric Blore).

Les running gags s’enchaînent (notamment avec le garde du corps, ou avec un cheval qui vient s’interposer lors d’une discussion amoureuse), le rythme est rapide, on ne s’ennuie pas. Deux scènes peuvent marquer les cinéphiles. Dans l’une Barbara Stanwick se fait passer pour une autre dans un dîner chez la famille friquée (copier-coller d’une scène identique avec Irene Dunne dans « Cette sacrée vérité » gros succès comique quelques années plus tôt). L’autre risque de traumatiser à jamais les fans de Cameron. Tout le monde a en tête le premier baiser échangé par Winslet et Di Caprio à la proue battue par les vents du Titanic. Et bien elle est entièrement pompée (même baiser, même cadrage, les effets numériques et l’infâme rengaine de la Dion en moins) sur une scène de « The Lady Eve ». Comme quoi, dans le cinéma comme ailleurs, rien ne se perd et rien ne se crée … Et même si le personnage interprété par un remarquable Fonda, très à l’aise dans le registre comique, est un stéréotype du genre, il est frappant de voir comment des décennies plus tard, un Hugh Grant lui ressemblera dans les rôles qui ont fait son succès …
Il faut quand même bien l’avouer, malgré d’indéniables qualités comiques, « Un cœur pris au piège » a du mal à traverser les décennies. Il fait son âge, quoi …
A noter sur la version remastérisée, une bande son assez … euh, bizarre c’est le moins qu’on puisse dire en version française, qui offre plusieurs fois des passages entiers en VO sous-titrée d’une qualité sonore très limite. Même s’il y a quelque part dans les bonus (faméliques, très) du Dvd, une explication technique à laquelle je n’ai rien compris, c’est assez pénible pour être souligné …



2 commentaires:

  1. Pas vu, connais pas. Et je me demandais : ai-je déjà vu Henry Fonda dans une comédie ? Je crois que non. J'ignorais que Stanwick préférait les dames. Cela explique-t-il qu'elle ait croqué et trucidé tant d'hommes sur les écrans ?!

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    1. Henry Fonda dans une comédie ? Euh, là, comme ça, je vois pas. Certainement dans les années 30 de ses débuts il a dû en faire quelques unes, mais c'est sûr que c'est pas dasn ce registre qu'il a acquis ses lettres de noblesse ...

      Ouais, Stanwick était apparemment lesbienne, elle se mariait juste de temps en temps pour sauver les apparences, sinon elle se serait fait jeter de tous les studios hollywoodiens où l'heure en ces années-là n'était pas vraiment au mariage pour tous ...

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