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HOWARD HAWKS - RIO BRAVO (1959)

 

Wayne's world ...

Trois mois après « Rio Bravo » sortirait « Hiroshima mon amour ». Pile poil un an plus tard, « A bout de souffle ». Et le cinéma n’allait pas seulement changer de décennie, il allait être totalement redéfini … En 1959, on était donc à une période charnière. Les gigantesques péplums, les productions Cecil B. DeMille, remplissaient les salles, trustaient les Oscars, mais une frange du public, de la critique, et des professionnels du cinéma (scénaristes, acteurs, réalisateurs, …), souhaitaient la fin de ce cinéma hollywoodien qui ne se faisait plus qu’à coups de dollars et de bons sentiments. Mais y’avait pas que les grosses machines dans l’œil du cyclone. Même le western, ce genre ô combien typiquement américain et hollywoodien, semblait destiné au déclin. Ses metteurs en scène et ses acteurs stars n’étaient plus de la première jeunesse. Le baroud d’honneur de ce genre à peu près aussi vieux que le cinéma était en route …

Hawks, Martin, Wayne & Dickinson

Sauf que l’art c’est pas une science exacte … rien ne se perd, rien ne se crée. Les novateurs, les révolutionnaires du jour sont les ringards de demain, et tout finit toujours par renaître de ses cendres. The best western ever, c’est (peut-être) « Il était une fois dans l’Ouest », et le plus grand péplum, c’est le « Cléopâtre » du maniaque Mankiewicz. Deux films sortis dans les années 60, alors que ce genre de productions était censé être définitivement ringardisé …

Fin des années cinquante, la légende du western, c’est John Wayne. Aucun autre acteur ne symbolise le genre autant que lui. Et encore plus quand il y a John Ford à la caméra. Mais là, pour « Rio Bravo », il délaisse son vieux complice pour Howard Hawks. Un boulimique de la caméra, passant d’un genre à l’autre, avec derrière lui au moins une douzaine de classiques du cinéma. Hawks et Wayne ont déjà fait un très bon film ensemble, « La rivière rouge ».

« Rio Bravo » sera pour John Wayne un règlement de comptes. Lui, c’est toujours le type droit dans ses bottes, le rustre qui ne fait pas concessions. Et encore moins lorsqu’il a une étoile de shérif sur le gilet. L’honneur et le devoir avant tout. Et on ne fait pas tourner n’importe quoi à John Wayne. Il refuse tout rôle qui ne convient pas à ses valeurs. Et y’a un film qui l’a fait enrager, « Le train sifflera trois fois », parce qu’à la fin, après avoir dégommé les méchants, Gary Cooper balance par terre son étoile et s’en va avec Grace Kelly. Et dans le monde de Wayne, on balance pas son étoile et on quitte pas la ville. Un avis partagé par Hawks, d’où leur collaboration pour « Rio Bravo ».

Nelson, Wayne & Martin

« Rio Bravo » est une sorte de remake « vertueux » du film de Zinnemann, les grandes lignes du scénario sont identiques. Le shérif face des types qui veulent sa peau parce qu’il a fait son job. Ça c’est le prérequis pour avoir Wayne au casting. Les discussions ont paraît-il été serrées pour le scénario et le casting. Hawks, pas exactement le premier venu, avait ses idées. Wayne ses certitudes. « Rio Bravo » fait une large place à la comédie. Et aussi à la romance, avec pour le coup, une femme qui mène la danse. Et deux chanteurs partageront l’affiche avec Wayne. En contrepartie, Wayne sera en terrain connu. Son rôle sera le plus archétypal de son personnage éternel, et ses potes, comme lui plus très jeunes seront de la partie. Wayne aurait imposé à Hawks ses amis Ward Bond et Walter Brennan.

« Rio Bravo » est a priori un western improbable. Amateurs de grands espaces et de cavalcades dans la poussière du désert, vous allez être déçus. « Rio Bravo » est à peu près un huis clos. Quasiment tout se passe dans trois lieux d’un petit bled : le bureau du shérif et la prison attenante, un hôtel-bar, et la rue principale. Le shérif, c’est évidemment John Wayne. Il vient de coffrer un type qui vient d’en buter un autre de sang-froid. Et qui auparavant, chambrait méchamment l’ancien shérif adjoint, défroqué pour cause d’histoire d’amour qui a mal fini, et de bouteilles elles bien finies consciencieusement. Ce poivrot, flingueur redoutable à jeun, c’est Dean Martin. Très à l’aise pour jouer les types bourrés, Rat Pack oblige, je sais pas à quel degré il faut prendre ce choix de casting … Autres choix aventureux (quoique) du casting, c’est des premiers rôles attribués à deux quasi débutants. Ricky Nelson, le rocker (enfin, pour faire simple) pour petites filles sages, beau gosse mais piètre acteur (nombre de ses dialogues seront réduits vu les piteux résultats des essais). Et puis Angie Dickinson, jeune et belle actrice expérimentée, mais jamais vue en haut de l’affiche jusque là …

Dickinson & Wayne

« Le train sifflera trois fois » durait moins d’une heure et demie. « Rio Bravo » fait quasiment une heure de plus. Pour en arriver à la même situation finale : l’affrontement du bon (et de ses rares soutiens) et des nombreux méchants. Alors, il y a du délayage dans « Rio Bravo », les scènes se répètent souvent, sans que l’intrigue avance vraiment. Sauf que, en vieux renard des tournages, Hawks utilise au maximum les possibilités de son casting hétéroclite.

On a un crooner et un rocker, ben tant qu’à faire on leur fera une paire de chansonnettes, et même Walter Brennan les accompagnera à l’harmonica. Mais pas John Wayne. Hawks l’a déjà fait tomber, voire sombrer, lui le shérif solitaire et renfrogné, sous le charme de la sorte d’aventurière en jupons jouée par Angie Dickinson, alors faut pas lui demander en plus de chanter …

Tous les rôles principaux ont droit à de nombreuse scènes (Dean Martin face à ses démons alcoolisés, Walter Brennan en gardien de prison boiteux et sempiternel râleur, Ricky Nelson en as de la gâchette maussade et hésitant, Angie Dickinson et ses numéros de vamp puis de femme amoureuse). Et John Wayne fait évidemment du John Wayne, il dépasse déjà tout le reste du casting d’une tête, et il est le pivot de l’histoire. C’est pas un acteur qu’il viendrait à quiconque l’idée de qualifier de grand acteur, mais dans son registre limité d’honnête redresseur de torts, y’a pas foule de rivaux …

Wayne & Brennan

Alors, même si « Rio Bravo » tourne parfois un peu en rond, on se laisse entraîner par le rythme de ce qui est autant une comédie qu’un western pur et dur. D’ailleurs la baston finale est un peu traitée par-dessus la jambe, la horde de méchants sort assez vite de sa tanière les bras levés. Parce qu’inutile de vous dire que tous les gentils finissent sans une égratignure …

Il n’empêche qu’en mettant l’accent sur la comédie, en faisant de malins choix « commerciaux » pour le casting, tandis que Wayne assure la crédibilité western, « Rio Bravo » remplit son office. Gros succès critique et commercial mérité … Pas mal pour un baroud d’honneur. Qui n’en est pas un, Wayne et Hawks vont continuer de tourner ensemble (des westerns, est-il utile de le préciser) dans les années 60. Sans retrouver cette magie particulière de « Rio Bravo » …


Du même sur ce blog : 

Les Hommes Préfèrent Les Blondes



MEL BROOKS - LE SHERIF EST EN PRISON (1974)

 

Il était une fois à l'Ouest ...

Mel Brooks a toujours donné dans la comédie. Pas toujours très finaudes, ses comédies. Metteur en scène (entre autres) assez peu prolixe (il y a des décennies qu’il a arrêté de tourner, et c’est pas maintenant, à pas loin de cent ans, qu’il va s’y remettre …), il a quand même réussi à obtenir quelques petits succès critiques et publics avec trois de ses films. Avec son premier « Les producteurs », satire de l’envers du décor des musicals de Broadway, avant son coup de maître « Frankenstein Jr », pastiche du chef-d’œuvre de James Whale. Et sauvé miraculeusement des oubliettes, ce « Blazing saddles » (titre en V.O.).

Parce que le film était sorti début 74, avait été un bide total, et avait été remis à l’affiche à la fin de l’année, profitant du succès des premières séances de « Frankenstein Jr ». L’espace d’un éclair, Mel Brooks allait devenir la figure de proue du sous-genre humour juif newyorkais, avant l’arrivée de Woody Allen qui allait lui rafler son titre sans contestation …

Le Gouverneur Mel Brooks et sa secrétaire

Comme l’indique son titre en français, « Le shérif est en prison » est une parodie de western. Pas vraiment un film, plutôt une suite de sketches loufoques plus ou moins heureux. La trame de départ (vite perdue en route) est la même que dans « Il était une fois dans l’Ouest », des magouilleurs qui veulent exproprier pour faire passer une voie ferrée. Tous les ingrédients du western sont là (les gentils très gentils, les méchants très méchants et très cons, les peureux très peureux, les brutes, les Indiens, les bastons, les grandes rasades de whisky, les pin-ups chanteuses de saloon). Seul point remarquable, dans ce Texas « pour hommes », le shérif du patelin est un nègre (Mel Brooks a dû batailler avec la Warner pour que tous les « niggar(s) » des dialogues soient conservés), semi-esclave travaillant sur le chantier de la voie ferrée, qui s’est rebellé, a été condamné à la pendaison, et grâce (?) à un plan fumeux des méchants, se retrouve avec l’étoile sur le gilet …

Gene Wilder & Cleavon Little

Pour faire triompher la loi, l’ordre et la justice, il sera aidé par un prisonnier repenti, le Waco Kid, ancienne plus rapide gâchette de l’Ouest, devenu alcoolo tremblotant (mais vraiment alcoolo et vraiment tremblotant). N’ayant peur de rien, Mel Brooks proposera le rôle de ce gentil pistolero à rien moins que John Wayne, qui déclinera diplomatiquement (il a une image qui ne correspond pas vraiment au rôle). C’est finalement le complice habituel Gene Wilder qui reprendra le rôle au dernier moment, et qui est le seul du casting à faire bonne figure devant la caméra. Parce que le shérif héros du film est interprété par un certain Cleavon Little, acteur de théâtre de Broadway, assez loin, pour être gentil, de rendre une prestation oscarisable. A noter que Brooks avait suggéré le nom de son pote Richard Pryor, qui avait participé à l’écriture du scénario, rejeté par la Warner parce que pas assez connu à l’époque… Quelques troisièmes couteaux des castings (géniaux, assure Mel Brooks, hum …) complèteront la distribution. Mel Brooks jouera deux courts rôles, le Gouverneur Lepétomane (si, si, …) et un magnanime chef Indien.

Mel Brooks fait ce qu’il peut avec ce qu’il a. Il avoue dans une interview qui accompagne le Dvd, que lui et sa femme (Anne Bancroft) vivaient dans le dénuement lorsqu’il essayait de monter le film. Le manque de moyens est évident, et est parfois utilisé comme base de gags (la baston finale qui déborde du plateau de tournage, se continue sur les plateaux voisins, avant de gagner les rues de Burbank au milieu des voitures et des bus scolaires, le tout s’achevant dans une salle de cinéma qui projette … « Le shérif est en prison ») ...

Un ange (bleu) passe ...

« Le shérif … » pastiche parfois d’autres films, les plus évidents emprunts sont à chercher du côté du récent « L’homme des hautes plaines » de Clint Eastwood (le village-leurre reconstruit qu’on fait exploser), et du beaucoup plus ancien « L’Ange bleu » (la chanteuse de cabaret, la chanson avec la chaise). Mel Brooks ne recule devant rien, c’est aussi le problème, l’humour est une denrée rare et précieuse à manier avec précaution. On peut rester réservé devant la multiplication des blagues racistes, les concours de pets après repas aux fayots, les tabassages de mémés, … Pas de blagues sur les Juifs, mais par contre l’obsession de Brooks pour les nazis avec les Sioux très organisés qui parlent allemand, la présence d’une patrouille de SS dans des mercenaires recrutés (en compagnie de types du Ku Klux Klan et de prémonitoires Touaregs armés de Kalachnikov) tient plus de l’obsessionnel que du comique …

Il faut tout de même reconnaître que certains gags nonsensiques sont bien foutus, et que Mel Brooks, en total control freak touche-à-tout, a participé à l’écriture et la composition de certains titres de la B.O. Petite anecdote : avec son budget de misère, Mel Brooks s’est quand même payé l’orchestre au grand complet (avec pupitres et tenues de gala) de Count Basie qui joue vraiment live en plein désert (pour d’évidentes raisons techniques, c’est la piste son d’un disque du Count qui a été utilisée dans le montage).

La doublette « Le shérif … » et le bien meilleur « Frankenstein Jr » seront les deux jalons de la très courte période sinon de gloire, du moins de reconnaissance populaire de Mel Brooks. Il se prendra ensuite à lui tout seul pour les Monty Python le temps de quelques risibles navets avant de ranger définitivement ses caméras au début des années 80.

Fans de Bigard et Dubosc, « Le shérif est en prison » est pour vous …


Du même sur ce blog :

Les Producteurs

Frankenstein Jr





CLINT EASTWOOD - JOSEY WALES HORS-LA LOI (1976)

L'Odyssée de Josey Wales...

Il y a bien sûr le raccourci facile, consistant à dire que dans la vie Clint Eastwood est aussi brutasse que ses personnages de référence (l’Inspecteur Harry, le cow-boy implacable). Evidemment, comme tous les raccourcis à la va-vite, on peut trouver les contre-exemples à la pelle. On peut aussi trouver, et dans la vraie vie et dans ses films, matière à justifier ces raccourcis. Et pour tout dire, les raccourcis ont la vie dure et le Clint n’a rien fait pour les éviter.
Et tout à fait logiquement, lorsque l’on regarde le bilan financier de ses films, on s’aperçoit que le vulgaire « Gran Torino » et ses grosses ficelles ont fait beaucoup plus de fric que tous les autres qu’il a tournés dont notamment l’apaisé « Sur la route de Madison » ou le poignant « Million dollar Baby ». Parce que Eastwood, c’est le taiseux que si tu l’emmerdes il va te le faire fermer pour toujours… Même si derrière ce personnage stéréotypé, il y a de grands films (« Dirty Harry », les westerns de Leone, et ensuite quelques-uns de ceux qu’il mettra lui-même en scène).

Eastwood et western, ça rime. Il a réellement lancé sa carrière avec la série télé « Rawhide » et le colt et le canasson ne l’ont vraiment quitté qu’à un âge respectable (« Impitoyable » en 92, il a plus de soixante balais, et comme il le dit lui-même, le western faut arrêter quand t’arrives plus à monter à cheval). Et même si dans ses jeunes années il rêvait de s’attaquer à de « grands » films, c’est pour faire bouillir la marmite qu’il est parti en Europe tourner avec Sergio Leone, en se disant que ça allait faire un bide mais comme c’était très loin de Hollywood, ça ne pénaliserait pas sa carrière aux States … On connaît la suite … Et Don Siegel n’aura plus qu’à enfoncer le clou pour que le « peuple » américain tienne son héros grande gueule et redresseur de torts. Parce qu’en plus d’avoir une gueule (plus d’un mètre quatre-vingt-dix, le visage émacié, la barbe naissante, le cigarillo au coin du bec, et ce rictus malsain qui montre que putain ça va chier …), Eastwood (ou du moins ses personnages tant qu’il n’est pas derrière la caméra) s’adresse aux « gens d’honneur » partisans de l’ordre … ce qui donnera ses prises de position en faveur des Républicains (même s’il les nuancera) et son soutien du Second Amendement (même s’il n’a jamais soutenu la NRA). En clair, Clint Eastwood n’est pas aussi réac que ses films le laissent croire …
Par contre, Eastwood est un drogué. Au cinéma. On en connaît tellement qui une fois le succès atteint n’ont pas bougé un orteil de peur de le voir disparaître, ce succès. Tandis que Eastwood, touché « tardivement » par les dollars (la trentaine bien sonnée et largement entamée) n’a dès lors eu de cesse de se multiplier devant mais aussi derrière la caméra, et nul doute qu’il finira comme le Portugais Manoel de Oliveira qui a tourné des films jusqu’à sa mort (à bien plus de cent ans …).
Chief Dan George, Sondra Locke & Eastwood
Avec « Josey Wales … », Eastwood s’est challengé. Et surpassé. Alors qu’il avait contribué au renouveau du western avec Leone, il n’était pas au casting du plus grand western de tous les temps (n’en déplaise aux fans de Ford, Hawks, Mann et autres) « Il était une fois dans l’Ouest » (en fait Leone l’avait contacté pour jouer un des trois types qui attendent le train au début, ce qu’il avait refusé, il commençait à être très connu et n’avait pas envie de se faire tuer à la première bobine …). « L’homme des hautes plaines » avait été en quelque sorte le brouillon du Eastwood acteur-réalisateur de westerns. Avec « Josey Wales … », Eastwood livrera son meilleur du genre, et un immense classique.
Avec rien de nouveau sous le soleil quant à la thématique générale, qui est celle de la vengeance et de la justice qu’on fait soi-même. Au début du film, Eastwood – Josey Wales est un brave paysan qui voit sa femme et son fils se faire massacrer gratuitement par des mercenaires Nordistes (le film commence pendant la Guerre de Sécession) sous la direction d’un sadique, Terrill (joué par Bill McKinney), qui le laisse pour mort. Dès lors, Wales n’aura plus qu’une raison de vivre, se venger de ce simili gradé en bottes rouges. Il s’engagera dans une escouade de francs-tireurs Sudistes commandés par Fletcher (John Vernon), et refusera de déposer les armes à la fin « officielle » de la guerre. Dès lors, il sera pourchassé dans tout le Sud des Etats-Unis par Terrill et ses hommes aidés par le plus ou moins traître Fletcher, ainsi que par tous les chasseurs de primes des coins qu’il traverse …
Pacte de sang ...
Une remarque en passant : même si le scénario n’est pas de lui (il est tiré d’un roman d’un certain Forrest Carter), Eastwood fait la guerre du côté des Sudistes (les réacs pro-esclavagistes). Il s’en explique dans les bonus du film, les gens faisaient la guerre pour le pays dans lequel ils habitaient (Wales vit dans le Missouri, il sera donc combattant Sudiste). Et pour info, les temps ont bien changé, puisque les Nordistes étaient Républicains (Lincoln) et les Sudistes Démocrates. Et Wales travaille seul, n’a pas d’esclaves … en résumé, Clint Eastwood joue Josey Wales, il n’est pas Josey Wales … et d’ailleurs, il n’aura de cesse tout au long du film de jouer avec son « image ».
Le justicier solitaire finit (involontairement) à la tête d’une troupe aussi hétéroclite qu’encombrante. Il commence par « récupérer » un vieil Indien (Dan George, vrai Indien dans la vie, déjà en haut de l’affiche dans « Little Big Man »), un chien bâtard, efflanqué et peureux, une Indienne plus ou moins esclave d’un tenancier de relais de poste, une grand-mère et sa petite fille (Sondra Locke), ainsi que deux vieux traîne-savates anciens ouvriers agricoles. Cette étrange colonie finira par exploiter une ferme, ayant eu à faire face à tous les bandits et autres comancheros, « occupants » Nordistes et chasseurs de primes qui vont croiser sa route. Verdict laconique de Wales : « Plus on est de fous … ». Avant évidemment la rencontre finale avec le « capitaine » Terrill et un épilogue avec son ancien chef Fletcher.
Les retrouvailles ...
Au moins deux choses montrent le démarquage d’Eastwood avec son image. Une certaine forme d’humour très pince-sans-rire et somme toute très british (quand Wales glaviote, ses colts ne vont pas tarder à sortir, à une exception près, sa rencontre avec le chef Comanche). Et puis, le traitement réservé aux Indiens. Gentiment moqués, comme les relations dans cet étrange triangle originel (Wales, Dan George et la squaw), mais quand ça devient « sérieux » (la bataille qui s’annonce avec la tribu du Comanche Ten Bears), c’est une affaire « d’hommes » et d’honneur, il y a égalité entre les Blancs et les Indiens. A noter que cette confrontation tribu comanche – « tribu » de Wales donnera lieu à une des plus grande (et belle) scène du film, ce face-à-face entre Wales et Ten Bears (Will Sampson, vrai descendant d’Indiens lui aussi, remarqué dans « Vol au-dessus d’un nid de coucous »). Ce face-à-face plaidoyer humanitaire et quasi liturgique de Wales pour la paix, le respect et la fraternité entre les hommes, sera l’occasion pour Eastwood de débiter ce qui est certainement la plus longue réplique de toute sa carrière cinématographique …
« Josey Wales … » est un film abouti. Même si fidèle à ce qui sera quasiment sa trademark, Eastwood filme vite (deux mois pour tout mettre en boîte dans un périple à travers cinq Etats), avec une première prise qui sera souvent la bonne. Tout en composant avec certains particularismes tout personnels, notamment les scènes avec Dan George, acteur intuitif mais vieillissant, souvent incapable de se souvenir de son texte, et donc avec qui il faudra improviser …
Au rayon grincements de sommier, il faut signaler que Eastwood et Sondra Locke entameront à l’occasion du tournage de « Josey Wales … » une liaison qui durera plusieurs années. Au vu des ragots du Net qui parle d’une séparation en très mauvais termes, on comprend qu’elle ne soit pas présente dans la section bonus du Blu-ray, dans lequel Eastwood et l’essentiel du casting font le job et livrent quelques infos et anecdotes de tournage. Un Blu-ray de bonne qualité, même si comme tous les Blu-ray il n’est guère flatteur pour les scènes tournées en nuit américaine.
« Josey Wales … » nous montre un personnage qui vit une odyssée. A l’envers par rapport à celle d’Homère, où Ulysse perdait au fur et à mesure de ses pérégrinations ses compagnons d’armes et de voyage pour finalement rentrer seul à Ithaque. Ici, Wales, à mesure que le temps passe, devient le leader de suiveurs de plus en plus nombreux. Et même si le final est équivoque, un départ à la Lucky Luke poor lonesome cowboy sur fond de soleil couchant, on peut s’apercevoir qu’il n’a pas chargé son barda sur son canasson …
Western d’anthologie en tout cas …


Du même sur ce blog :



ANTHONY MANN - L'HOMME DE L'OUEST (1958)

Et Gary Cooper s'éloigna dans le désert ...

« L’Homme de l’Ouest » fut encensé par un article fleuve de Godard dans « Les cahiers du Cinéma », article dans lequel au milieu d’allégories fumeuses énigmatiques, il laissait clairement entendre que ce film était le meilleur d’Anthony Mann et le meilleur western jamais réalisé. En parallèle, Bertrand Tavernier, qui s’y connaît quand même un peu en matière de cinéma américain, juge que le film n’est sauvé que par une prestation extraordinaire de Gary Cooper… (on trouve tout ça, ainsi qu’une belle bio de Mann dans les excellents bonus du Dvd). Comme je suis un peu con et que les cons ça ose tout comme disait Audiard, je ne suis d’accord ni avec l’un ni avec l’autre …
Anthony Mann & Gary Cooper
Il y a quand même dans la filmo de Mann des westerns autrement mieux torchés que « L’Homme de l’Ouest », et notamment la tripotée tournée avec James Stewart (de « Winchester 73 » à « L’Homme de la plaine », faites votre choix). Et puisque le nom de l’immense Stewart est lâché, je vois pas comment on peut juger transcendante la prestation de Gary Cooper, acteur au jeu tout en économie finalement assez crispant (à tel point que je me demande toujours si on le prenait pour jouer un personnage ou pour faire son Gary Cooper devant la caméra …).
Godard et Tavernier n’ont pas tout faux. « L’Homme de l’Ouest » est bel et bien l’adieu de Mann au genre du western (il finira sa carrière en tournant des péplums dispensables), et synthétise d’une certaine façon sa perception du genre réduit à sa plus simple expression (la thématique de la vengeance portée par des héros ambigus). Godard a raison sur ce point-là. Tavernier aussi quand il exprime ses réserves sur le scénario, avec ses personnages monolithiques et son final cousu de fil blanc.
London, O'Connell & Cooper
Le scénario c’est du réchauffé. Un cow-boy vieillissant (Cooper) est missionné par les habitants de son petit village pour aller en « ville » et en ramener un instituteur. Lors d’un voyage en train, il rencontre son maître d’école (en fait une maîtresse, Julie London, chanteuse ratée de cabaret mais qui a fait soi-disant des études). Le train est attaqué, Cooper, London et un parasite trouillard (interprété par Arthur O’Connell) se retrouvent en pleine cambrousse avant d’arriver dans une ferme abandonnée qui sert de refuge aux bandits qui ont attaqué le train. Dont Cooper a fait partie dans le temps et dont le chef despotique (Lee J. Cobb) est son vieil oncle (en fait dans la vraie vie, Cobb a dix ans de moins que Cooper, merci aux maquilleuses…) à moitié fou, entouré d’une troupe hétéroclite de débiles plus ou moins légers, tous plus sauvages les uns que les autres … Une galerie de portraits entre les consanguins de « Délivrance », ceux de « La colline a des yeux » ou « Massacre à la tronçonneuse » … le seul suspense étant de savoir comment Cooper sans armes, avec une femme que tous veulent violer et un trouillard comme boulets attachés à ses pas, va faire pour dégommer toute cette bande de dégénérés… et accessoirement s’il va finir ses jours avec Julie London, alors qu’on a appris qu’il est marié et père de famille… un indice, dans les années 50, on rigole pas avec l’adultère, même au cinéma …
Lee J. Cobb
Alors oui, « L’Homme de l’Ouest » est pour moi plus raté que réussi. Beaucoup plus sur le fond que sur la forme. Parce que Mann, même s’il a touché à plein de genres, il est resté dans les livres d’histoire comme un maître du western. Parce que Mann, c’est le genre de type (comme John Ford) que si tu lui donnes une caméra pour filmer en Scope, t’en prends plein les yeux. Il sait trouver les endroits et surtout les transposer sur l’écran, même si on n’a vraiment que du « grand spectacle » dans le dernier tiers du film, le premier tiers se passant essentiellement dans un train et le second dans la pénombre de la ferme des bandits … c’est bien sûr ce contraste lumineux aveuglant qui rehausse le final … tiens, en passant, un détail aveuglant : pendant la majeure partie du film, Cooper est plus ou moins prisonnier / otage des bandits. Alors qu’eux sont totalement dépenaillés et hirsutes, lui semble toujours propre sur lui et toujours rasé de frais … Et la meilleure scène, elle est jouée par Cobb et London, quand le vieux libidineux caresse les cheveux de la chanteuse / instit et que Cooper est hors champ …
Heureusement, « L’Homme de l’Ouest » ne s’éternise pas, un peu plus de l’heure et demie syndicale, et perso il me donne l’impression d’être plutôt bâclé, témoin le duel final entre Cooper et Cobb dans une falaise désertique, qui dure même pas une minute, sans la moindre montée de tension. On est loin du final de « L’appât » au bord du torrent en furie.
Aujourd’hui, il semble bien que « L’Homme de l’Ouest » soit quelque peu oublié, ce qui n’est pas forcément très injuste …


Du même sur ce blog :
Winchester 73



JIM JARMUSCH - DEAD MAN (1995)

Western poétique ...

Jim Jarmusch est bien le dernier type qu’on aurait vu tourner un western … il était plutôt une figure de proue du cinéma indépendant américain dont les œuvres se retrouvaient systématiquement cataloguées dans la rubrique des films d’auteur. Soyons clair, « Dead Man » n’est pas un western qui revendique l’influence de John Ford. D’ailleurs « Dead Man » n’est pas vraiment ou pas seulement un western. C’est … autre chose.
Jim Jarmusch comme Calegero, face à la mer ...
« Dead Man », c’est l’histoire d’un jeune gars bien sous tous rapports de Cleveland qui après un éprouvant voyage en train arrive bans un bled minier du trou du cul de l’Ouest sauvage pour y trouver un job de comptable. La trame du film « classique » tient dix minutes (même si dans le train on a eu droit à une galerie de portraits assez bizarre). « Dead Man » part dans une autre dimension quand le jeune gars rencontre le patron de l’usine censé l’embaucher. Le boss tout-puissant et qui terrifie tout le monde, c’est Robert Mitchum pour son dernier rôle au cinéma, dans une composition d’un type totalement frappadingue, dont la folie suinte par tous les pores. A côté on peut penser que son personnage dans « La nuit du Chasseur » est un Bisounours. En face, le petit gars de Cleveland sapé comme un citadin pour qui il n’y a plus de boulot, c’est  Johnny Depp. Ou plutôt William Blake, le nom de son personnage. Rappelons pour ceux qui avaient pris console Nintendo au lieu de littérature au lycée que William Blake est un poète anglais du XIXème siècle … Parenthèse, c’est pas le seul nom « réel », William Blake va croiser la route de deux sheriffs Lee et Marvin ( !! ) et tuer un dénommé George Drakoulias (le producteur des Black Crowes, alors au sommet de leur popularité …).
Jusque là, tout allait bien ...
L’apparition de Mitchum (et ses conséquences sur l’avenir de Blake) offre déjà une bifurcation étrange au scénario. Rien cependant à côté de ce qui va suivre. Du western ne va subsister qu’une galerie de portraits faisant se succéder des personnages hauts en couleurs (bien que le film soit dans un superbe et strict noir et blanc), et tous plus barrés les uns que les autres.
L’autre personnage central du film est un Indien solitaire (grosse performance de Gary Farmer) qui se nomme Personne (plutôt qu’une référence au western italien, je pense qu’il s’agit d’une allusion à Homère, Personne étant le nom qu’Ulysse donne au cyclope avant de lui crever l’œil) qui prend en charge Blake, retrouvé touché d’une balle près du cœur sur un chemin. Dès lors va se mettre en place un étrange attelage, un Indien philosophe et cultivé, et un minot tendance efféminé lâchés dans le wild wild West. Personne est le seul du casting à penser que son compagnon est la réincarnation du poète anglais, parce que c’est le seul du casting à connaître le poète anglais. Ou quasiment. Le seul autre qui a entendu parler de William Blake est une sorte de vagabond travesti aimant citer poètes et philosophes (Iggy Pop dans un rôle lui aussi plutôt inattendu), qui, comme la plupart de ceux qui vont croiser l’improbable duo y laissera la peau.
Mitchum
On garde tout de même une trame de western, avec la fuite du duo ayant à ses basques tout ce que le coin compte de chasseurs de prime (Blake a tué par hasard et en état de légitime défense comme on dirait au tribunal un des fils de Mitchum qui lance à ses trousses un trio de tueurs à gages). En fait, Blake, grièvement blessé, ne fuit pas, il est en route pour un autre monde, guidé par son compagnon de fortune. « Dead Man » est un film mystique, dans lequel les considérations plus ou moins ésotériques prennent le pas sur l’instinct de survie (Personne qui prend du peyotl, et qui conduit Blake dans un village bizarre ou des chamans prépareront Blake pour son dernier voyage en canoë).
Mais, tour de force de Jarmusch, « Dead Man » n’est pas un film prise de tête. Il règne toujours un humour noir féroce, voire sordide, avec des scènes totalement loufoques (Mitchum qui au lieu de s’adresser à ses interlocuteurs parle à un ours empaillé, Blake qui  à mesure que son état de santé empire devient un manieur de flingue redoutable, l’improbable trio de chasseurs de primes dont l’un dort avec son nounours mais qui finissent évidemment par s’entretuer et se bouffer réellement - on parle là de cannibalisme - entre eux, …)
Sans oublier les aphorismes, sentences et maximes diverses de Personne, qui valent bien celles que Godard distillait dans ses films des sixties. Au hasard (Balthazar), « On n’arrête pas les nuages en construisant un bateau », « Tu as tué l’Homme Blanc qui t’a tué ? » « Quel nom t’a-t-on donné quand tu es né, pauvre con de Blanc ? », chaque répartie de Personne est quasiment de l’Audiard dans le texte.
Personne & William Blake
On n’oubliera pas une grosse prestation de Johnny Depp, qui en plus de sa belle gueule est un grand acteur, faisant passer tous les sentiments et émotions possibles par d’infimes mouvements du visage (il est très souvent cadré en gros plan), et jouant l’ébahi blessé (sa dégaine à cheval !) engoncé dans un ridicule costard à gros carreaux avec un naturel bluffant. A moment donné il finit la frimousse barrée d’éclairs comme Bowie sur la pochette d’« Alladin Sane ». Transition facile avec la musique, parce que « Dead Man » bénéficie d’une bande-son extraordinaire due à Neil Young. Jarmusch a collé le Loner devant les rushes du film et lui a demandé d’improviser sur sa vieille pelle en fonction de ce qu’il voyait à l’écran. Cette prestation économe de notes mais toute en saturation et larsens divers contribue à accentuer l’aspect irréel et fantomatique du film … Et ces notes égrenées lentement sont tout à fait raccord avec le rythme très lent du film, parce que quand il est question de mourir, pas besoin d’y aller au sprint … Jarmusch a dû apprécier la prestation du Canadien, puisque l’année suivante il le suivra en tournée et en sortira le documentaire « Year of the Horse » (comme il est aussi fan d’Iggy Pop, il travaillera plusieurs années sur le « Gimme danger » censé être définitif sur la carrière des Stooges).
« Dead Man »  recevra un accueil mitigé, genre film incompris mais appelé à devenir culte. Pour moi, ç’est le chef-d’œuvre de Jarmusch, loin devant le très surestimé « Broken flowers » ou ses premiers essais pourtant magnifiques comme « Stranger than Paradise » et « Down by law » …



ALEJANDRO JODOROWSKY - EL TOPO (1970)

Western à l'Ouest ...

Anecdote révélatrice, ce film a pu être diffusé en salles grâce à l’intervention d’Allen Klein, manager véreux, forcément véreux, ayant frayé avec les Stones et les Beatles, et mis sur le coup « El Topo » par Lennon et Yoko Ono, qui honorèrent la première new-yorkaise du film de leur présence et ne tarirent pas d’éloges à son sujet… Pour clore l’anecdote, signalons que Jodorowsky ne manque pas une occasion de dire du mal, beaucoup de mal, de Klein …
Jodorowsky - El Topo
« El Topo » (la taupe dans la langue de Gérard Collomb) est un western. Mais pour que ça plaise à Jojo et Yoyo, autant dire qu’on n’est pas vraiment dans la lignée Ford – Wayne. Plutôt dans celle du Peckinpah de « La horde sauvage » (dont au passage le décor du village où a lieu la baston finale est utilisé par Jodorowsky pour figurer sa cité minière). Même si « El Topo » ne se contente pas, et c’est un peu beaucoup son problème, de geysers d’hémoglobine à chaque impact de balles, et Dieu sait s’il y en a dans « El Topo » des gunfights … Tiens, puisque j’ai cité Dieu, signalons aussi que « El Topo » est un western sinon religieux, du moins mystique, voire chamanique, et qui suit la quête morale et spirituelle de son héros … Sans qu’on comprenne d’ailleurs à première vue ce qu’il cherche … et plusieurs visionnages laissent à peu près toujours autant de points d’interrogation … mais enfin, si ça a plu à Lennon …
« El Topo » est le film d’un homme. Et d’une époque.
L’homme, c’est Jodorowsky, exilé chilien et citoyen du monde libre (c’est-à-dire le monde où on trouve du LSD et des pilules de toutes les couleurs en vente libre). Acteur, réalisateur, mime, adepte des tarots (il paraît que Mitterrand, entre autres politiques, le consultait), le prototype de l’artiste total très éloigné des basses contingences matérielles de notre pauvre monde à nous (d’ailleurs, il estime même encore qu’aujourd’hui, le cinéma comme la musique et l’art en général devraient être mis gratuitement à la disposition de tous, et n’a pas de mots assez durs contre les producteurs et les distributeurs du septième art).
If you want blood ...
L’époque, c’est la fin des sixties, et de toutes les utopies et révoltes que cette décennie a engendrées. Fini l’universalisme baba, retour vers la « vraie vie » et l’individualisme qui va avec. « El Topo » s’adresse à tous ceux qui ont choisi de vivre à côté ou en marge du système. Pas un hasard si le film deviendra culte dans ce qu’on appellera les « midnight movies », ces films « différents » projetés uniquement dans les (très) grandes villes lors de séances nocturnes dans parfois une seule salle où ils restent à l’affiche des mois voire des années.
Parenthèse. Dans l’édition Dvd de « El Topo » parue chez Wild Side (qui propose autre chose en terme de « produit » que les éditions minables de TF1 Vidéo ou Studio Canal qui remplissent les bacs), il y a sur un second Dvd un documentaire d’une heure et demie sur ces fameux « midnight movies » dont les six prétendus principaux sont mis à l’honneur, avec nombreux extraits et interviews des réalisateurs et de tout un tas de protagonistes impliqués dans ces œuvres. Les winners de ce genre très particulier sont donc « El Topo », « Pink Flamingos » de John Waters, « La nuit des morts-vivants » de Romero, « The harder they come » de Perry Henzel, « The Rocky horror picture show » de Jim Sharman et le « Eraserhead » de David Lynch… des films bien allumés sans autre point commun que d’être devenus cultes en passant seulement à minuit dans des salles confidentielles. Fin de la parenthèse …
No comment ...
« El Topo » est un film totalement improbable. Jodorowsky a un scénario, et ne réussit à trouver qu’une poignée de dollars pour son film. Pas vraiment prévu au départ, il passera derrière la caméra. Et aussi devant, parce qu’il se donne le rôle principal (normal, c’est un film quand même très personnel) toujours par la force des choses financières. Il tournera au Mexique (où la vie, les figurants et les acteurs ne sont pas chers), assemblant un casting totalement improbable. Deux exemples, l’actrice principale, même des années après, il ne connaît pas son nom. Créditée au générique Mara Lorenzo, c’est une anglophone (tout ce dont est sûr Jodorowsky) sous acide qui errait totalement défoncée dans les rues de Monterey et dont ce sera apparemment la seule prestation filmée. Un des autres personnages féminins majeurs est une hôtesse de l’air en plein trip de LSD au boulot, et sur la seule foi de cet état second immédiatement recrutée par le Jodo. Elle aussi disparaîtra des radars du milieu cinématographique. Pas sûr d’ailleurs que des « professionnelles » soient allées aussi loin dans la provoc en images (d’après Jodorowsky, ce sont elles deux en très gros plan et toute langue dehors qui se donnent le premier baiser lesbien de toute l’histoire du cinéma …). Et puis pour une scène de « groupe », ou de partouze pour faire simple, ce sont les résidentes des bordels mexicains qui viennent faire de la figuration … Sans parler de la galerie de « monstres », cette communauté incestueuse et difforme maintenue en esclavage dans une mine, avec des personnages venus en droite ligne du « Freaks » de Tod Browning (bizarrement, alors que Jodorowsky s’étend longuement dans les bonus sur le pourquoi de ces personnages amochés par la vie dans son film, jamais il ne fait référence à celui de Browning …)
« El Topo », on début, on arrive à suivre. Un justicier tout de cuir noir vêtu (cherchez pas plus loin où Lemmy et ses Motörhead sont allés chercher leur look de pistoleros chevelus sur la pochette de « Ace of Spades »), accompagné de son bambin tout nu (le vrai fils de Jodorowsky, qui évolue au milieu de mares de sang et achève les types d’un coup de révolver dans la nuque, bonjour les souvenirs d’enfance…), dégomme sauvagement une troupe de bandits (homosexuels, ils sont habillés comme s’ils sortaient de chez Michou) qui ont zigouillé sadiquement la population d’un petit patelin. Fort de ce succès, et se sentant une mission et un destin divins, El Topo parcourt le désert à la recherche de quatre maîtres prétendument invincibles qu’il tue un par un. Avant d’être canardé par ses deux femmes-complices-compagnes, d’être récupéré blessé par les freaks de la mine, de devenir une sorte de gourou zen, de les libérer, avant un final sanglant où à peu près tout le casting laisse la peau, El Topo finissant par s’immoler …
Une cavalière surgit au-delà de la nuit ...
Evidemment, quand on connaît Jodorowsky, tout cela se passe dans un fouillis d’allusions, de symboles, d’allégories, de visions mystiques assez hermétiques au commun des mortels … Et comme l’homme est de culture hispanique, la religion est au centre de pas mal de séquences. D’une façon totalement iconoclaste pour ne pas dire mécréante. Les moines otages des tueurs se vengent de ceux qu’à laissé en vie El Topo en les dégommant à la mitraillette, les « maîtres » qu’affronte Jodorowsky représentent plus ou moins des courants de pensée philosophico-religieux, et dans la cité minière le curé officiel assure sa suprématie morale en organisant des séances de roulette russe pendant les offices. Figure aussi en bonne place dans les étranges drapeaux religieux de cette étrange paroisse, le symbole du psychédélisme (un œil dans un triangle, cf. la pochette du 1er 13th Floor Elevators). Quand El Topo se fait canarder par ses maîtresses, elles lui infligent les mêmes blessures que celles du Christ sur la croix … El Topo soigné par les monstres dans la mine se voit réellement renaître et trouve son destin après une rencontre avec une vieille femme chaman (une vraie chaman venue tourner cette scène selon Jodorowsky …)
Rajoutez quelques séquences totalement absurdes (volontairement), témoin ce rodéo avec des Noirs à la place des taureaux, Noirs capturés au lasso, marqués au fer rouge et qui finissent esclaves sexuels de mémères bourgeoises dans la cité minière. On pense bien évidemment à Fellini, autre spécialiste de l’image choquante et dérangeante, et qui selon la rumeur (la légende ?) a tourné ses masterpieces des sixties parfois sous acide …
En conclusion, « El Topo » est un film qui se regarde en ayant soin de laisser toute forme de logique et de rationaliste au vestiaire…
Un film à voir, qui ne laisse pas indifférent …



ANTHONY MANN - WINCHESTER 73 (1950)

Deux frères ...
Si un quidam vient à vous causer western, pour montrer que vous savez de quoi de quoi il retourne, c’est simple, faut balancer au débotté, avec une docte nonchalance, les deux noms accouplés de John Ford et John Wayne. Et affirmer d’un ton péremptoire, que personne n’a jamais fait mieux, mis à part peut-être, James Huth et Jean Dujardin dans « Lucky Luke » …
James Stewart et Anthony Mann sur le tournage
Quoique, à la place de Ford-Wayne, vous pouvez aussi citer la doublette Mann-Stewart. Parce que là aussi, y’a du répondant. Une collaboration qui donnera huit films, dont quelques merveilles comme « The naked spur » (« L’appât ») et « The man from Laramie » (« L’Homme de la Plaine »). Et pour commencer la série, peut-être le plus fameux de tous, « Winchester 73 ».
Qui fait entrer Anthony Mann et James Stewart dans une autre dimension. Le premier est un yesman des studios américains, tâcheron salarié qui tourne à grosses cadences des séries B plus ou moins anecdotiques. Et qui vient juste de terminer son premier western, « La porte du Diable ». Le second n’a plus grand-chose à prouver, star et acteur polyvalent, mais à qui beaucoup commencent à reprocher son jeu stéréotypé et ses rôles sans prise de risque. Dans ses films, James Stewart est toujours un mec bien, un héros hyper positif (« La vie est belle » de Capra, « La tempête qui tue » de Borzage). Sous la houlette d’Anthony Mann, il va commencer à développer des traits de caractère plus ambigus, jouer des personnages qui ont un côté sombre, voire malsain (avec une forme d’aboutissement dans « Fenêtre sur cour » d’Hitchcock quelques années plus tard).
« Winchester 73 » est d’abord un film sur l’Amérique et son histoire. Vue dans le petit prisme de la lorgnette d’une haine fratricide qui nous est révélée à la fin. « Winchester 73 », c’est le règlement de comptes biblique à la Abel-Cain. Stewart (Lin McAdam) parcourt le Kansas, accompagné d’un ami fidèle (Frankie / Millar Mitchell) à la recherche d’un certain Dutch Henry Brown (Stephen McNally). Les deux hommes vont se retrouver dès le début du film dans des circonstances assez particulières, lors d’un concours de tir à Dodge City, dont le premier prix est une Winchester (modèle) 73.
Le concours de tir à Dodge City
Et d’emblée, le film entre dans une autre dimension, colle à l’Histoire, la vraie. L’action débute le 4 Juillet 1876 (jour anniversaire du centenaire de la naissance des Etats-Unis), le shériff de Dodge City est le mythique Wyatt Earp (Wyatt Earp, Doc Holliday, le règlement de comptes à OK Coral, ça en fait de trame à westerns tout ça…). Et la Winchester 73 à gagner est la carabine qui a fait l’histoire des Etas-Unis. Première arme à répétition fiable, c’est elle qui va permettre aux Blancs la colonisation du pays (avec son corollaire, l’extermination des peuplades indiennes autochtones). Fabriquée en série depuis 1873, avec un soin particulier accordé à quelques exemplaires qui deviennent des objets-œuvres d’art à l’aura magique qui font rêver et fantasmer la population. Il n’est qu’à voir les yeux brillants des enfants qui la contemplent et la convoitise dans le regard des participants au concours. On comprend dès lors (le film a presque 70 ans) que cette fascination des américains pour les armes ne date pas d’aujourd’hui et que  les sinistres connards de la NRA ont encore de beaux jours armés jusqu’aux dents devant eux.
Mitchell, Stewart & Winters
Les deux tireurs diaboliques Lin et Dutch se retrouvent en finale du concours et la carabine revient à Lin. Pour quelques minutes seulement, il est agressé par Dutch et ses amis patibulaires qui la lui dérobent. S’ensuit dès lors ce qui donne le cœur du film, cette double quête de l’arme d’exception et de son possesseur.
Le flingue va changer plusieurs fois de mains, se retrouver dans celles d’un trafiquant d’armes et accessoirement joueur de cartes professionnel, dans celles d’un chef de tribu Sioux (Rock Hudson dans un de ses premiers rôles), dans celles de l’amoureux couard d’une entraîneuse de bar (la remarquable Shelley Winters, quasiment la seule femme d’un casting macho), dans celles d’un truand prompt à dégainer (Dan Duryea), avant de terminer à nouveau dans celles de Dutch. Pas pour longtemps, Lin est sur ses traces (on a appris entre-temps qu’ils sont frères, et que Dutch a abattu leur père) et finit par récupérer son « bien » au cours d’un duel à mort fratricide dans une colline rocheuse. Un scénario cousu de fil blanc.
Le duel final
Mais l’essentiel n’est pas là. C’est le portrait des personnages et notamment celui de Lin / Stewart qui est fascinant. Ce type  dans la tradition des lonesome cowboys (même s’il est toujours accompagné de son pote), est prêt à tout (y compris des trucs pas très réglos) pour mener à bien sa quête-mission-vengeance. Tout juste se laisse t-il quelque peu distraire et séduire par Shelley Winters, mais le film ne laisse pas entrevoir que Lin puisse se « ranger » à ses côtés. Tous les personnages traversent et nous exposent des pans de l’Histoire des USA (non, pas exactement à la façon de Forrest Gump), Mann nous raconte à travers ses personnages la fin de Custer à Little Big Horn, comment la Winchester 73 servira à l’extermination des Indiens (l’attaque du campement des soldats, avec parmi eux un autre débutant à l’écran, Tony Curtis), et comment les stigmates de la Guerre de Sécession sont encore bien présents (Lin et les soldats ont participé à la même bataille, mais Lin et son pote étaient du côté des Sudistes). On voit aussi se mettre en place toute la dichotomie de cette époque-là, soit l’on se positionne du côté de la loi et de l’ordre (Wyatt Earp qui confisque les armes de tout type pénétrant dans Dodge City), soit on bascule du côté obscur de la force (tous les « méchants » du casting).
Il ne faut cependant pas s’imaginer que « Winchester 73 » est seulement un film instructif, pédagogique, un truc d’intello qui te file mal au casque si t’es fâché avec l’Histoire. C’est aussi et surtout un western d’exception, un des meilleurs de cette période qui constitue l’apogée du genre.

On en a la preuve dès le premier plan, d’une beauté hallucinante, qui nous montre les deux silhouettes à cheval de Stewart et Mitchell en contre-jour au sommet d’une colline. Le genre de plan à rendre jaloux John Wayne et John Ford …

Du même sur ce blog :
L'Appât / The Naked Spur
L'Homme de l'Ouest / Man Of The West



ANTHONY MANN - L'APPÂT (1953)

Et à la fin coule une rivière ...
« L’Appât » en VO il s’appelle « The Naked Spur ». Pour deux raisons. C’est le (vrai) nom du lieu, un piton rocheux au bord d’une rivière en crue sur lequel a lieu le règlement de comptes final. C’est aussi une allusion à l’éperon de James Stewart, filmé en gros plan lors de la première scène du film et qui aura son importance dans la bagarre finale. Mais « L’Appât » n’est pas vraiment un film axé sur un accessoire d’équitation.
James Stewart & Anthony Mann
C’est avant tout un western, une des références du genre. Tout en étant un western atypique. Quasi un huis clos à cinq personnages, mai un huis clos qui a pour cadre les somptueux décors naturels des Rocheuses du Colorado. « L’Appât » est la troisième collaboration (cinq autres suivront) entre deux monstres sacrés du cinéma hollywoodien, le réalisateur Anthony Mann et l’acteur James Stewart. Et l’association de ces deux vaut bien celle de John Ford et John Wayne.
Parce que Mann sait assurer et pas qu’un peu le minimum syndical en matière de western hollywoodien. Il y a dans « L’Appât » des bons (quoique), un méchant, des cavalcades, des coups de flingue, de la baston, des rebondissements de l’intrigue. Et même une attaque de Cheyennes. Et puis, avec James Stewart, Mann peut compter sur un des plus fantastiques acteurs qu’on puisse souhaiter devant l’objectif. Stewart sait tout jouer, son jeu est quand même un peu plus subtil et moins carré que celui d’un Wayne par exemple. Ce qui permet de donner à ses personnages une profondeur, une complexité qui rajoutent une dimension psychologique à l’intrigue.
Millard Mitchell,  Robert Ryan, Janet Leigh & Ralph Meeker
Psychologique, le mot qui fait fuir les fans de Vin Diesel et de Frank Dubosc est lâché. La trame de base est vite connue. Un homme se faisant d’abord passer pour un shériff (James Stewart / Howard Kemp) capture un assassin recherché (Robert Ryan / Ben Vandergroat) accompagné de sa jeune maîtresse (Janet Leigh / Lina Patch). Un concours de circonstances a fait que cette capture n’a été possible qu’avec l’aide d’un vieux chercheur d’or malchanceux (Millard Mitchell / Jesse Tate) et d’un ancien sous-officier (Ralph Meeker / Roy Anderson) tout juste viré de l’armée. Un long périple commence pour ramener l’assassin. Dès lors, dans cette cohabitation forcée des cinq personnes, les vérités et les secrets de chacun vont peu à peu se dévoiler. Kemp a besoin de l’argent de la prime pour racheter son ranch, Mitchell veut sa part, Anderson voudrait bien toute la récompense pour lui, Lina veut refaire sa vie, et Ryan cherche à sauver la sienne. C’est ce dernier qui petit à petit, va avancer les pions de cette partie d’échecs dont il est l’enjeu. En se servant de Lina, et surtout d’un autre moteur lui aussi vieux comme le monde, la cupidité. Par cet aspect-là, « L’Appât » s’apparente beaucoup à un autre fameux western de John Huston avec Humphrey Bogart, « Le trésor de la Sierra Madre ».
Ce jeu du chat et de la souris autour des 5000 dollars de prime va révéler toute la part sombre qui est dans chacun des protagonistes. Personne n’en sort grandi, personne n’a le beau rôle de Chevalier Blanc. Les deux personnages « forts », ceux qui par leurs actes font le plus évoluer la situation sont James Stewart et Robert Ryan. Entre eux, le rôle de l’appât est tenu tant par l’argent que par Janet Leigh, que Ryan pousse dans les pattes, sinon dans les bras des trois autres.
James Stewart
Le grand mérite du film, c’est de ne pas sombrer  dans l’étude de caractère avec interminables dialogues autour du feu de camp. L’action est toujours présente, chaque coup porté au moral ou à l’intégrité physique des adversaires est conçu comme décisif. Il y a du suspens, une happy end pas si prévisible que ça (surtout par la façon dont se prépare le dénouement), l’essentiel est filmé en extérieurs dans de grandioses décors naturels en couleurs et en Technicolor, et le rythme est soutenu (pas de redondances du scénario, l’affaire est bâclée en une heure et demie).
Mann et Stewart ont tourné cinq westerns ensemble. Celui-ci est le troisième, et leur second chef-d’œuvre, entre les deux autres classiques que sont « Winchester 73 » et « The man from Laramie » (« L’homme de la plaine » en VF). « L’appât » est aussi un des premiers rôles majeurs de Janet Leigh, (c’est elle qui sera l’inoubliable Marion Crane poignardée dans la douche  dans « Psychose »), la future femme de Tony Curtis et donc la mère de la Jamie Lee du même nom …

« L’Appât », pourtant unanimement salué comme un classique de premier ordre, n’est semble t-il disponible que dans une version Dvd tout juste passable, sans aucun bonus.


Du même sur ce blog :