Et c’est pas Jojo H. ou Eddy M. qui me contrediront.
Eux qui ont repris (et adapté) « Somethin’ Else » de Cochran.
Eddie Cochran … Un des mythiques crucifiés du rock.
Mort à vingt deux ans en Angleterre, la faute à un chauffeur de taxi qui se
prenait pour Lewis Hamilton. Gene Vincent, autre passager de ce corbillard
improvisé, s’en sortira vivant, mais c’est pas ce carton qui rétablira sa patte
folle, ni relancera sa carrière … Comme je vois les fans de Calogero perplexes,
et qui se demandent ce que Cochran foutait en Angleterre, je vous explique le
truc.
Aujourd’hui, Cochran fait partie des noms qui reviennent
systématiquement dès qu’on se met à causer pionniers du rock’n’roll. Pas
forcément le premier cité, plutôt après les Elvis Presley, Jerry Lee Lewis,
Little Richard, et autres Chuck Berry. Et ce bien qu’en termes strictement
mercantiles, sa carrière n’ait rien à voir… seulement huit titres classés dans
les charts US (et guère mieux chez les British), et dans le lot, un seul Top 10
(« Summertime Blues »). En clair, Cochran ramait dans son pays. Et
son management l’avait envoyé en Europe malgré sa frousse de l’avion explorer
de nouveaux territoires et se chercher un nouveau public. Cochran était
beaucoup moins connu de son vivant qu’une fois refroidi … Injustice ? Faut
voir …
Ecce Homo ... |
Bon, attention, je vais pas refaire l’Histoire ou
une contorsion révisionniste. Cochran était différent de la plupart de ses
contemporains-concurrents. Il chantait (certes comme tous les autres), jouait
de la guitare (plutôt bien et généralement sur une Gretsch), composait lui-même
nombre de ses titres. Tiens, déjà à ce stade, ne reste plus en course que Chuck
Berry. Et Cochran se mêlait du travail sur le son en studio. Et là, y’a plus
personne en face …
Cochran fut un précurseur, un des premiers, sinon le
premier à vouloir tout gérer de sa production musicale.
Et là on en revient à cette compile. Vingt titres dans
un ordre chronologique, quarante minutes, tous les incontournables, avec son
très correct. Un début de carrière à dix neuf ans dans le duo des Cochran
Brothers (avec un homonyme, Hank Cochran, qui n’avait aucun lien de parenté avec
lui). Un premier single (chez Ekko, le reste de ses productions sortiront en
très grosse majorité chez Liberty), « Tired & sleepy »,
proto-rockabilly assez mal foutu, sans aucun succès. La suite en solo, avec
l’aide de son manager et co-auteur (pour de vrai, pas seulement pour empocher
sans rien faire des royalties) Jerry Capehart, débute par le titre
« Skinny Jim », batterie très en avant pour l’époque, et nouveau
flop. Bifurcation dès lors vers les reprises. « Long tall Sally » de
Petit Richard. Mauvaise idée, on ne se frotte pas impunément à son répertoire
si l’on n’a pas un gosier en acier et Cochran, bien que bon chanteur, n’est pas
au niveau (de toutes façons, il n’y a que trois personnes au monde capables de
reprendre Little Richard sans se couvrir de ridicule, Wanda Jackson, John
Fogerty et Paul McCartney). La reprise suivante « Sittin’ in the
balcony » (J.D. Loudermilk) tourne le dos au rock’n’roll pour s’engager en
territoire doo-wop. Bingo, les charts frémissent comme on dit. Rebelote doo-wop
avec « Drive-in show », pourtant meilleure mais qui se vautre …
Période section de cuivres ... |
Et puis, alors que Cochran semble se diriger vers
les poubelles de l’Histoire, un de ses titres (« Twenty flight
rock ») est choisi pour figurer dans la B.O. de « La blonde et
moi » (« The girl can’t help it » en V.O. »), nanar
désolant mettant en scène ou en musique toute la faune du rock’n’roll de
l’époque, et gros succès cinématographique. Et là, plein de gens qui vont
devenir le futur du rock flashent sur ce titre. Dont McCartney et les Stones
qui le reprendront des lustres plus tard en public … « Twenty flight
rock » est l’arcfhétype du rock rageur, brutal et syncopé. Pas plus con
qu’un autre, Cochran surfe sur ce petit buzz et va exploiter le filon,
engendrant une suite de classiques.
« Jeanie Jeanie Jeanie » rockab énervé
figurera en bonne place vingt ans plus tard sur le premier Stray Cats. Le duo
de singles successifs « Summertime blues » et « C’mon
everybody » font aujourd’hui partie du patrimoine mondial du binaire. Le
premier est l’antithèse de ce qui fera le fonds de commerce des Beach Boys,
l’histoire de ce mec qui malgré le soleil, les plages et les filles qui rodent,
finira la journée seul. Son thème et sa violence rythmique ne laisseront pas
les Who live at Leeds indifférents, et Pete Townsend se souviendra pour
« Who’s next » qu’à l’instar de « C’mon everybody », on
peut sortir des riffs qui déchirent leur race à la guitare acoustique …
Avec ces deux titres, Eddie Cochran se fait un
(petit) nom. Il ne résistera pas à la tentation d’exploiter le filon.
« Nervous breakdown » est un pâle ersatz de « Summertime
blues », mais Cochran voit plus loin, plus ambitieux, plus élaboré. Il
rêve en studio d’orchestrations plus fouillées, plus travaillées. Les cuivres
arrivent dès « My way » (rien à voir avec the Cloclo song), sont
encore plus présents avec un solo de sax sur le doo-wop énervé mais dispensable
« Teenage heaven ». Les choristes féminines sont réquisitionnées pour
« Weekend » (bof …), avant le « recentrage » et retour au
rock de ce qui sera le dernier classique de Cochran de son vivant,
l’imputrescible « Somethin’ else ». Un titre qui végète dans les
charts et qui signe le début de la fin pour Cochran. Suivront une reprise façon
big band du « Hallelujah I love her so » de Ray Charles, un instrumental
surf tout aussi quelconque (« Guybo ») malgré un travail sur le son
peu commun à l’époque, une sorte de marche militaire ( ?! )
(« Cherished memories ») d’un mauvais goût étonnant. Avant l’équipée
anglaise et la D.A.O. qui suivra.
Rock star, un métier de tout repos ... |
Le posthume « Three steps to heaven » assez
subtil mélange de doo-wop et de Fats Domino style et sa belle mélodie viendront
rappeler à ses fans éplorés que Cochran pouvait à l’occasion rivaliser avec les
plus grands. Et il semble qu’il ne comptait pas s’arrêter là en matière
« d’innovation », témoin l’autre titre posthume qui clôture la
compilation (« Cut across Shorty »), mélange détonnant de country
(les couplets) et de rockabilly (le refrain), assez proche du « I gotta
know » de Wanda Jackson.
Cette notoriété qui lui avait à peu près échappé de
son vivant, Cochran allait l’atteindre une fois refroidi. Aujourd’hui, Cochran
symbolise le jeune rebelle (les fans de rockab, les plus exigeants des rockies
le vénèrent à l’égal du Johnny Burnette Trio, tous les plus grands noms des
60’s l’ont repris), celui qui a « durci » le ton et le son du rock’n’roll originel. Le traitement
sonore de ces chansons (la mise en place de la batterie, l’utilisation jamais
répétitive de la guitare) avait bien cinq ans d’avance, ce qui était énorme en
ces temps-là très « codifiés ». Et puis, même si cet aspect-là était
pudiquement passé sous silence, Cochran était un furieux allumé. La tournée anglaise
avec Gene Vincent (autre déglingo notoire) voyait les deux hommes gavés d’amphétamines
faire une bringue totale, le visage tartiné de fond de teint, parce qu’ils ne trouvaient
pas le temps de se laver, et encore moins de dormir.
Rock’n’roll
Eddie Cochran ? Ah que oui …