L’autre Elvis, quand il a débuté dans la tornade
punk, il a aligné pendant quelques années des dizaines de titres, au moins un
album par an pendant dix ans. Point culminant : « Imperial
bedroom » en 1982. Et jetés façon rafale de kalachnikov deux follow-ups
« Punch the clock » (de grands titres surproduits) et « Goodbye
cruel world » (de mauvais titres surproduits). Et puis il est passé à
plein d’autres choses, produisant ( après le premier Specials, le premier
Pogues), s’est rêvé en King of America, a fait des rondelles avec plein de gens
(de Sir Paul McCartney à la cantatrice Anne Sofie Von Otter, ça ratisse large),
a épousé la bassiste des Pogues puis Diana Krall, et continué à sortir des
disques à la pelle.
Elvis Costello 2018 |
Dont j’ai acheté quelques-uns, sur la foi de types
qui juraient leurs grands dieux que là, ça y était, le grand Costello était de
retour. Des galettes que j’ai écouté en travers (qui étaient peut-être meilleures que les deux-trois
d’avant) et qui depuis prennent la poussière sur une étagère. Ce coup-ci, avec
« Look now », les exégètes du bonhomme ressortent le baratin habituel
dans lequel le mot chef d’œuvre revient à chaque phrase. Ils ont tort,
évidemment, mais beaucoup moins que d’habitude.
Parce que « Look now » est d’abord une
grosse surprise. Il y a quelques mois, Costello interrompait une tournée pour
se faire opérer selon ses termes « d’un cancer agressif ». Rémission
en vue ou chant du cygne, j’en sais rien, mais le gars Elvis a visiblement jeté
toutes ses forces dans cette rondelle. Entouré de ses vieux briscards de
toujours (Pete Thomas aux fûts, Steve Nieve aux claviers, soit les deux tiers
de ses historiques Attractions, plus son bassiste habituel depuis longtemps
Davey Faragher), il a même décroché sa première collaboration avec une de ses
idoles, Burt Bacharach (90 ans, et toujours bon pied et bonnes mains, puisqu’il
joue du piano sur les trois titres qu’il a co-écrits). Les titres co-écrits avec
Bacharach sont pas une pièce rapportée, ils s’inscrivent parfaitement dans la
logique et dans la tonalité générale de « Look now ».
Costello & The Imposters |
Bacharach, c’est une des institutions du Brill
Building (cet immeuble de Manhattan qui servait de repaire aux auteurs-compositeurs
dans les années 60). Parce qu’à l’époque, au siècle dernier encore vierge de
toutes les saloperies voyeuristes du Net, genre Instagram, Facebook et
consorts, la situation aux States était simple : hormis les blueseux et
les folkeux (et dans une moindre mesure quelques rockers), il y avait ceux qui
chantaient et ceux qui leur écrivaient les chansons. Ce sont les anglais,
Beatles et Stones, qui ont inventé la notion de groupe où très vite, les types
se sont mis à chanter leurs propres morceaux. Les Américains ont suivi, bien
sûr, avec un petit temps de retard, mais la lignée des auteurs-compositeurs a
eu encore de beaux jours, soit qu’il soient mercenaires ou qu’ils soient
salariés par un label (Stax, Motown, …). Bacharach est un des plus illustres (des
hits à la pelle pour plein de gens, dont son interprète fétiche Dionne
Warwick). Toute cette digression pour dire que pour Costello, qui a toujours
tourné autour de la chansonnette, travailler avec Bacharach, c’est atteindre le
Graal …
« Look now » est un disque de chansons,
n’ayant plus rien à voir avec le punk, le rock, le reggae, la pop, autant de
genre déjà abordés il y a des décennies par Costello. Pour situer, faut
envisager cette galette comme celles publiées par les grandes voix, genre
Presley de la fin ou Sinatra de toujours. Le gros problème de Costello, c’est
que s’il est capable d’écrire tout seul des choses d’un classicisme
tarabiscoté, il lui manquait la présence et l’assurance vocales nécessaires à
l’exercice. Et là pour le coup, il chante mieux que jamais, des mélodies parfois
complexes où il faut cumuler technique et feeling.
Burt Bacharach 2018 |
Il y a des choses d’une évidence absolue, la
chanson-titre (Costello et son Band plus juste Bacharach au piano), le dépouillement
de quelques ballades éternelles down-tempo (« Stripping paper »,
« Photographs can lie »). En règle générale, les compos sont
excellentes. Sauf que parfois, manière de rentabiliser tous les musicos
additionnels (une armée de violons et de claviers, des vents, des cuivres, des
choristes), les arrangements sont à limite de l’étalement ostentatoire de
richesse. A comparer avec la production de « Imperial bedroom »
(Costello aidé par rien de moins que Geoff Emerick, l’ingé-son de George Martin
à Abbey Road), qui laissait respirer les chansons. Sur « Look now »,
les mélodies croulent, voire sont étouffées sous les arrangements. Quelquefois,
il aurait fallu que Costello se souvienne que less is more, il suffit de
comparer la finesse incroyable de « I let le sun go down » avec
« He’s given me things » (la moins bonne des trois cosignées avec
Bacharach), où pourtant l’instrumentation pléthorique est la même.
Malgré ces réserves, il reste de grands titres.
Parce que tous sont pas des minots, sont des compositeurs de très haut niveau
(Costello), des instrumentistes de haut vol (Steve Nieve), que tout le monde
est depuis longtemps à l’abri des pressions du music business se plaît à
exercer sur ceux qui débutent. Et tant qu’on en est à causer troisième âge,
signalons la présence à l’écriture sur un titre, l’excellent « Burnt sugar
is so bitter » d’une autre très grande du Brill Building, Carole King.
« Look now » est couplé dans sa version Deluxe
avec un EP quatre titres (« Regarde maintenant ») de facture et de
ton similaires, mais qui donne l’occasion d’entendre Costello chanter en français
(« Adieu Paris »). Enfin on sait qu’il chante en français en lisant
les paroles, parce que c’est encore plus incompréhensible que la VF du « Heroes »
de Bowie, ce qui n’est pas rien …
« Look now » un bon disque de Costello ?
Affirmatif. Du niveau de ses meilleurs ? Euh, faut pas pousser …
Du même sur ce blog :
My Aim Is True