Peut-on dire du mal du Zep ? Evidemment. Mais
je laisse ça à d’autres …
Parce que, faut pas déconner, Led Zep, c’est quand
même quelque chose (au moins jusqu’en 75, après ça se discute, … mais pas
aujourd’hui, voir ci-dessus …). On peut ergoter jusqu’à plus soif sur le
pourquoi du comment de la chose qui fit que ce groupe devint le plus grand des
seventies et un des plus mythiques, voire le plus mythique de l’épopée du
binaire. Matez les tréfonds du Net musical, ce qui noircit le plus les posts
depuis des lustres, c’est pas le come back du Floyd, la prochaine tournée
mondiale des Stones ou le retour des Smashing Pumpkins (cherchez l’erreur),
c’est l’hypothétique renaissance du Zep. Qui selon toute vraisemblance n’aura
jamais lieu et qui explique les scènes d’hystérie à la moindre déclaration de
Plant et plus encore de Page. Qui lui voudrait bien, mais c’est le vieux blond
qu’est pas chaud du tout pour réactiver tout le foutu barnum … et de toutes
façons, que voulez-vous qu’ils fassent ? Un truc en studio encore plus
mauvais que le « No quarter unledded » d’il y a vingt ans ? Une
tournée mondiale sold out où tu casquerais trois mille euros pour voir des
types de 70 balais massacrer les titres qui ont fait leur légende et un peu
aussi celle du rock ? Déjà qu’à leur apogée ils étaient plutôt chiants sur
scène, alors maintenant …
Parce que dès qu’il a été question du Zep, les superlatifs
ont toujours été de sortie. Surenchère à tous les étages, ceux de la musique,
et ceux annexes. Le Zep a toujours su faire parler de lui. Peut-être grâce à
Peter Grant, manager dès le premier jour et qui a su mieux que n’importe qui
grouillotant dans la périphérie d’un band pousser tous les curseurs de
l’extramusical dans le rouge … Peut-être aussi surtout à cause du sieur Jimmy
Page qui a construit de toutes pièces son monstre de métal fondu …
Avant le Zep, Jimmy Page n’était rien. Juste un nom
pour spécialistes, un forcené des sessions d’enregistrement. T’avais besoin
d’une partie de guitare acoustique, électrique, d’un simple gimmick mélodique,
tu l’appelais, il se pointait en studio un quart d’heure, faisait le truc,
repartait avec son chèque. Le requin de studio le plus connu du Swingin’
London, faisait n’importe quoi pour n’importe qui, des légendes en devenir
(Kinks, Who, …) aux plus obscurs neuneus de la variète … Ah si, il jouait aussi
dans les Yardbirds. Mais là, son nom clignotait nettement moins que celui de
ses prédécesseurs, Clapton et Beck. D’ailleurs quand le caractériel au fort
tarin s’est barré, les Yardbirds ont pris l’eau de toutes parts … Page aurait
bien voulu être le leader, mais personne voulait le suivre. Et comme y’avait
des contrats de tournée signés, fallait bien assurer … L’histoire est connue.
D’abord la vieille connaissance croisée de multiples fois en studio John Paul
Jones, ensuite un minot gueulant derrière son micro, qui emmène avec lui un
pote batteur totalement allumé, l’intermède New Yardbirds, le nabab d’Atlantic
Ahmet Ertegun qui lâche une fortune pour ce groupe qui n’a même pas de nom, une
vanne de Keith Moon qui le baptise Lead Zeppelin, Page et Grant qui font sauter
une voyelle, deux jours en studio pour accoucher du premier 33 T …
« Led Zeppelin », premier du nom, est par
force un disque foutraque et bâclé. Coincé chronologiquement entre les deux
premiers (et les seuls) du Jeff Beck Group, il souffre de la comparaison. Mais là
où le moyennement ami et vrai rival Beck livre (et ceux qui l’accompagnent
aussi, dont sur « Truth » un certain John Paul Jones, … world is very
small), une performance de folie furieuse technique tous potards sur onze, Page
va recentrer son propos. Parce que d’entrée, c’est lui et lui seul qui va tenir
la barre du dirigeable. Choisir la, ou plutôt les directions musicales, et
surtout la façon de retranscrire ça sur le plastoc noir. Pour moi, plus qu’un
guitar hero, Page est un sorcier des studios (et les milliards de rééditions
remastérisées des skeuds n’y changent rien, d’entrée Page a trouvé le son, et
celui des disques du Zep est totalement hors du temps et des modes).
D’entrée, en 2’43, les bases de ce qu’on appellera
par la suite le hard-rock sont posées avec « Good times, bad times »,
titre traversé par un solo de la mort qui tue de Page. Y’a des façons de
commencer une carrière que l’on a connues plus laborieuses. Frère quasi jumeau
en version ultra sauvage sur l’autre face de la rondelle, « Communication
breakdown », poignarde aussi sûrement les sixties qu’un cran d’arrêt des
Hells à Altamont. Led Zeppelin se pose d’emblée comme le maître incontestable
de la furia électrique des années septante.
Et le reste, me direz-vous ? Des extrapolations
à partir de thèmes bluesy. Cependant il convient de zapper le putain de truc
hindouisant (« Black mountain side ») à la Ravi Shankar, et le très
neuneu « Your time is gonna come » qui ne peut ravir que ceux qui
prennent Queen au premier degré ou apprécient les grandes orgues pompières de
Deep Purple ou Procol Harum. Les machins bluesy, donc. Plus de la moitié du
disque. Piqués, pompés, plagiés (rayer la mention inutile, on peut toutes les
garder) pour l’essentiel sur Willie Dixon ou Muddy Waters, ce qui revient un
peu au même. Le classic blues de Chicago, quoi. Mais beaucoup plus que Clapton
et les Bluesbreakers ou Fleetwood Mac qui commence à faire parler de lui, Led Zeppelin
va bousculer le vieil idiome. Page se sert tantôt de l’approche hendrixienne de
la chose (flagrant sur la wahwah de « You shook me », titre matrice
de tous les Gary Moore et Stevie Ray Vaughan à venir), bouscule les douze
mesures par des changements de tempos insensés (« Dazed & confused »,
bien mieux en studio que les interminables versions live qu’il suscitera avec
sa guitare jouée à l’archet et toutes les trouvailles égotiques de Page), jamme
sur des thèmes archi-rebattus (« How many more times »), s’auto-cite
parce que le temps manque (« I can’t quit you » reprend des pans
entiers de « You shook me »), cherche à marquer son territoire de
guitariste (sur « Baby, I’m gonna leave you » il se multiplie, tantôt
électrique, tantôt acoustique).
Reste qu’un groupe réduit à son seul guitariste, c’est
plutôt (très) chiant (qui peut supporter une heure du Vaughan déjà cité quelque
part plus haut ?). Si Page est le leader maximo du Zep, on ne peut pas
réduire les trois autres au rang de faire valoir. Un peu effacés sur ce premier
disque pensé conçu et produit par le seul Page, ils s’affirmeront davantage sur
les suivants sans toutefois jamais contester le leadership du ténébreux
gratteux. Plant pose les jalons de tous les braillards du hard (syndrome des
roubignolles coincées dans la fermeture-éclair sur « Baby, I’m gonna leave
you »), Jones montre par sa dextérité sur les touches d’ivoire ( le
Wurlitzer ( ? ) de « You shook me ») que le groupe pourra aller
visiter des territoires sonores multiples et variés innaccessibles au commun de
groupes bruyants et bas du front qui pullulent depuis des décennies, Bonham
démontre qu’il peut enclumer sévère mais aussi se révéler comme un des batteurs
les plus subtils et singuliers qui soient.
Ce « Led Zeppelin », pour moi, c’est une
déclaration d’intention, une carte de visite. Des crans en dessous de
quelques-uns qui suivront, mais suffisamment intéressant pour enterrer quelques
concurrents potentiels des deux côtés de l’Atlantique.
Récemment réédité avec campagnes de pub insensées
dignes d’une saloperie de chez Apple, et packagings aux prix délirants (cent
vingt euros pour deux vinyles et deux Cds, comme si tous les fans du Zep
étaient des qataris, faut pas déconner, venez pas chialer après parce que les
gens téléchargent gratos, bande de nazes …). En bonus de cette réédition, un
concert entier donné en 69 à l’Olympia. Performance bête comme chou et nulle à
pleurer, même pas sauvée par des extraits du « Led Zeppelin II » en
gestation, titres d’au moins dix minutes, auto-complaisance à tous les étages,
et un Page qui s’écoute jouer sur des solos imbéciles dont même Bonamassa ne
voudrait pas …
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