James Marshall (ça s’invente pas, un second prénom comme
ça …) Hendrix, lorsqu’il est apparu sur la scène musicale anglaise, lui le Ricain
expatrié, n’a influencé personne. Il a traumatisé tout le monde. Et pas des
troisièmes couteaux ou des gugusses à l’affût du prochain cataplasme branché.
Non, Hendrix a foutu le moral dans les chaussettes à tous ceux dont le nom
scintillait tout en haut de l’affiche, tous ces dieux de la guitare qui ont vu
débarquer un phénomène hors norme.
Hendrix, pour l’éternité, restera comme le plus grand
guitariste du rock. Ce qui est déjà pas mal, mais terriblement réducteur. Sans
Hendrix, le rock aurait été aussi amusant qu’un blues-rock de Peter Green ou de
Clapton de l’époque, un truc à te tirer une balle tellement c’est triste, fade,
grisâtre … Hendrix a introduit dans le rock l’urgence, la flamboyance, la
frime, l’épate … comme Janis Joplin, et leurs destins seront les mêmes jusqu’au
bout …
Hendrix et sa veste à brandebourgs achetée aux Puces à Paris |
Hendrix, souvent présenté comme la rock star ultime,
comme celui qui a porté à des niveaux jamais vus avant et jamais égalés depuis
la sainte trinité sex, drugs & rock’n’roll et le statut de guitar hero
ultime, n’avait rien d’une grande gueule, d’un type prêt à tout pour faire
parler de lui. Timide et pas sûr de lui, perturbé par un acné qui ne le lâchait
pas, se sous-estimant sans cesse alors qu’il avait le monde du rock à ses
pieds, éternel insatisfait de sa musique, les témoignages sont nombreux d’un
Hendrix dans le doute. Mais il se dégageait de ce type une aura insensée dès
qu’il montait sur scène Stratocaster en bandoulière. Hendrix est un showman,
mais pas un artiste de cirque. Il ne mettait pas tous les soirs le feu à sa
guitare, pas plus qu’il ne jouait tous les soirs avec les dents ou avec sa
gratte dans le dos. Même si ce sont ces aspects là que la petite histoire a
retenu. Et Hendrix n’a pas donné que des concerts tonitruants, la qualité de
certains se voyant plus que perturbée par quelques substances prises en grande
quantité.
Aujourd’hui, la discographie de Hendrix est plus que
pléthorique. Des centaines de disques officiels live ou en studio paraissent
depuis plus de quarante ans, encore plus de compilations. Sans compter les
bootlegs, pirates, enregistrements non officiels qui pullulent. Faut faire
là-dedans un sacré tri, tout n’est pas du même niveau, et pas seulement
question qualité sonore. Un catalogue totalement labyrinthique dans lequel même
le fan le plus motivé se perdra. Autant s’en tenir aux enregistrements
officiels parus de son vivant. Là, le compte est plus vite fait. Trois disques
studio et un live. « Are you experienced » est le premier.
Quand il paraît au printemps 67, le phénomène Hendrix
n’est encore qu’une rumeur du Londres branché. Un Londres où il a atterri par
défaut. Les States ne voulaient pas de lui. Ou plutôt ceux qui l’employaient
aux States ne le gardaient pas longtemps. Hendrix n’était qu’un de ces obscurs
accompagnateurs de noms confirmés de la soul ou du rhythm’n’blues (Wilson
Pickett, Jackie Wilson, Isley Brothers, …). Généralement aussi vite viré
qu’embauché. Little Richard ne supportera pas ce Black flamboyant et séducteur
qui lui fait de l’ombre, Sam & Dave le vireront de scène au bout de trois
titres ( ! ), et Hendrix ne fera guère de vieux os dans le backing band
d’Ike et Tina Turner (le Ike, pourtant pas manchot avec une guitare, avouera
n’avoir rien compris à ce type payé pour jouer rythmique et qui partait en
solos étranges dès les premières mesures …). L’histoire de Hendrix, tout le
monde la connaît (ou devrait). Chas Chandler, ex bassiste des Animals qui le
repère dans un club new-yorkais, en fait l’attraction musicale de l’automne 66
du Swingin’ London, l’emmène en France pour une improbable tournée en première
partie de Johnny Hallyday, les trois premiers 45T à succès (« Hey
Joe », « Purple haze », « The wind cries Mary »), les
deux minots (Mitch Mitchell et Noel Redding) recrutés pour bâtir un power trio
fortement inspiré par celui qui avait le vent en poupe, Clapton et son Cream …
« Are
you experienced » donc. Le premier de ce qui deviendra le Jimi
Hendrix Experience (sur la pochette originale, seul figure le nom de Hendrix).
Gros succès en Angleterre (seulement devancé par « Sgt Pepper’s … »
dans les charts) et aux States, pas rancuniers envers leur exilé pour le coup.
Un disque forcément un peu étrange, nous sommes en 67, année psychédélique s’il
en fut. Un de ces debut-albums mythiques dont l’Histoire (et les marchands de
disques) se délectent. Et bizarrement, alors que l’on n’a retenu que les
extravagances en tous genres d’Hendrix, ce premier disque est bien
« sage », bien « classique ». Faut dire aussi que l’époque
était prolixe en individus et disques bariolés (Doors, Airplane, Floyd, Love,
…). En fait, « Are you experienced » est à la croisée des chemins.
Entre les croisés du blues (Clapton, Mayall, Fleetwood Mac, …) et les
disjonctés déjà cités, auxquels il convient de rajouter les Beatles du Sergent
Poivre et les Beach Boys de « Pet sounds ».
Avec « Are you experienced », Hendrix garde les
pieds sur Terre, n’est pas encore le musicien barré de « Axis … », le
génie cosmique de « Electric Ladyland ». Il sacrifie peu à l’air du temps
(alors qu’il est furieusement « à la mode »), propose des titres de
structure assez classique et n’assène pas des solos avec trois milliards de
notes / seconde toutes les deux mesures.
Il a juste un background que n’ont pas les autres. Ses
années de sessionman miteux aux States lui ont confiné un truc que n’auront
jamais les pauvres Clapton ou Beck, Hendrix funke et groove. Et çà, il a su le
transmettre à Mitchell et Redding qui font plus volontiers dans le chaloupé
sautillant (sur l’énorme « Fire »,
on dirait James Brown sous LSD, « Remember » est un bon vieux
rhythm’n’blues des familles) que dans l’artillerie lourde. Même si quant il
faut, tout le monde est capable de plomber le tempo (« Foxy Lady »,
blues-rock et son riff aplatissant en intro). Le plus souvent, Hendrix mélange
un peu tout, en dépit du bon sens et des canons sonores de l’époque. Les titres
peuvent être fantasques, commencer de façon classique et puis partir
« ailleurs » (« Manic depression », « I don’t live
today »). Fort logiquement, certains s’adressent aux amateurs de buvards
parfumés et tiennent plus de la jam que de l’écriture rigoureuse (« Love
or confusion », le quasi instrumental « 3rd stone from the
Sun », le manifeste psyché « Are you experienced » avec ses
guitares carillonnantes, ses effets de scratch, et cette téléportation sonore
cosmique).
Beaucoup plus rarement, Hendrix fait simple, sobre.
« May this be love » est mélodique, pop, doux et suave. « Red
house » est la leçon de blues donnée aux Anglais. Dans un registre
rustique propre au delta-blues, seul morceau du 33T enregistré en mono, Hendrix
se réapproprie et réinvente le genre, le titre deviendra un de ses chevaux de
bataille de scénique (la tellurique version de vingt minutes à l’Île de Wight
est indépassable en matière de blues live).
« Are you experienced » est bien le disque d’un
trio, Hendrix laisse s’exprimer et se déchaîner Mitchell et Redding. Qui ont le
bon goût de ne pas en faire trop, de tomber dans le risible solo de basse ou de
batterie. Et, mais au fait, la guitare d’Hendrix ? Oh certes, il y a bien
quelques effets de manche inaccessibles au commun des mortels, mais le disque
n’est pas un catalogue démonstratif. Hendrix reste relativement
« sérieux », efficace avant tout. Avant de devenir le voyageur de
commerce de tous les bidules joués au pied dont il aura parfois tendance à
abuser, il se cantonne dans ce premier disque à l’essentiel. De la saturation
(pédale fuzz un peu partout, mais à dose raisonnable) et c’est à peu près tout.
Pour l’anecdote, la pédale Vox Crybaby ( pédale wah-wah pour le vulgum pecus)
qui sera son indélébile marque de fabrique par la suite, n’a pas été utilisée,
c’est Clapton le premier qui l’a testée sur disque avec Cream (« Tales of
brave Ulyses » sur « Disraeli gears ») …
« Are you experienced » est produit par Chas
Chandler, bien aidé par celui qui deviendra le superviseur de tous les disques
d’Hendrix (surtout les posthumes officiels), l’ingénieur du son américain Eddie
Kramer. Pour celui, honte à lui, qui ne possèderait pas cette pierre angulaire
du rock des sixties et du rock en général, choisir les rééditions qui ajoutent
aux onze titres originaux les trois indispensables singles et leurs faces B
sorties auparavant …
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