1968. Elvis est cuit, fini … Tourne trois films par an
qui n’intéressent plus personne. Faut dire que si Elvis est pour toujours le
King, c’est certainement plus du rock’n’roll. Le rock’n’roll n’a pas attendu
son fondateur pour évoluer, et Elvis a dans les sixties raté … tout en fait,
tous les courants et les modes qui se sont succédés.
Un miracle a cependant lieu. Elvis retrouve ses premiers
accompagnateurs (Scotty Moore et D.J. Fontana) lors d’un show télé, l’énergie
et le répertoire de ses débuts, et le disque en partie issu de ces
retrouvailles (« NBC TV Special ») va réconcilier et reconquérir et
critique et public. Et là, peut-être pour la première et dernière fois de sa
vie, Elvis va ruer dans les brancards de l’escroc qui lui sert de manager,
l’inamovible Colonel Parker. En gros, Elvis en a marre de chanter des
niaiseries qu’il déteste, et il compte bien reprendre les choses en main
et chanter des choses qu’il aime. Une seule solution : retourner là où
pour lui tout a commencé, à Nashville, Tennessee. Et Elvis, contre tous les
avis de son entourage, part enregistrer à Memphis.
Presley & Chips Moman |
Petit problème : Sam Philips n’est plus là, et
Nashville depuis le milieu des années 60 est devenu un haut lieu de la soul,
siège d’un des plus importants labels du genre, Stax (Otis Redding, Booker T. & The MG's, Eddie Floyd, Sam & Dave, Isaac Hayes, ...) et d'un autre dont la réputation commence à grandir (Hi Records , avec à son
catalogue notamment Al Green et Ann Peebles). La country et le blues des années
50 ont quasiment disparu, balayés par le rock au sens le plus large. Mais bon,
quand Elvis est en ville, tout ce que celle-ci compte de musiciens de studio
répond présent. Le producteur Chips Moman, plutôt spécialisé dans la soul
réunit une équipe pléthorique comprenant force cuivres et choristes. Dans ce
même genre de configuration orchestrale, Elvis sombrera quelques années plus
tard sur les scènes de Las Vegas. Là, à Memphis, grâce au travail remarquable
de Moman et un choix judicieux de morceaux, ça fonctionne. Bien. Très bien
même.
Parce que le King a envie d’en découdre, est concerné. Et
chante des choses qu’il aime, parfois de vieux standards qu’il rêvait
d’interpréter depuis des années. Et puis aussi, parce qu’à la base, Presley est
un grand chanteur, et là, il se concentre quasi exclusivement sur des ballades,
des tempos lents ou médians, et c’est là qu’il est le meilleur. De toute sa
carrière, il me semble qu’il n’a jamais aussi bien chanté. Et fait des
merveilles avec un répertoire sur lequel on ne l’attendait pas forcément. Il y
a dans ce « From Elvis in Memphis » (à rapprocher, évidemment d’un
disque très similaire dans l’esprit, le fabuleux « Dusty in Memphis »
de l’anglaise Dusty Springfield), de la soul (« Only the strong survive »,
géant), du rhythm’n’blues (« Wearin’ that loved on look »), une
grosse part de country (« It keeps right … », « I’ll hold you in
my heart » enregistrée en une seule prise, ça s’entend, y’a du flottement
instrumental, compensé par du feeling à la tonne), des ballades terminales
(« Long black limousine »), même du blues (« Power of my
love ») et de la pop très orchestrée mais très digeste (« Gentle of
my mind », la fauleuse « Any day now » signée Burt Bacharach).
Elvis Presley 1969 |
Certains titres me convainquent moins, la roucoulade un
peu trop lyrique de « After loving you », et le traitement quasi
pompier de « True love travels … », mais sur cette dernière,
j’aimerais bien entendre la seule piste vocale de l’Elvis qui doit valoir son
pesant de beurre de cacahuète. Une relative faiblesse sur ces deux titres
largement compensée par le final, le magique « In the ghetto ». Un
des titres les plus atypiques du King, qui par définition, n’a jamais vraiment
fait dans le social. Là, il chante la misère des quartiers pauvres, ce morceau
fait de l’ombre à tous les autres, et tant sur le fond que la forme, n’est pas
très éloigné du « Inner City blues » de Marvin Gaye.
La réédition Cd de 2000 a la bonne idée d’ajouter aux
douze titres originaux six bonus-tracks issus des mêmes sessions dont deux
singles faramineux, « Kentucky rain » et « Suspicious
minds », un des derniers numéro un de Presley …
Cette reprise en main de sa carrière et de son destin
sera sans suite. Qui sera une longue descente dans les enfers de la guimauve,
des amphétamines, et des strass de Vegas. Ne restera plus qu’une voix, à peu
près intacte jusqu’à la fin, qui aura du mal à retrouver un répertoire digne de
ses possiblités …
Du même sur ce blog :
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