Putain cette pochette … qui peut raisonnablement avoir
envie d’écouter une galette avec pareil visuel, foireux mélange d’un du Floyd
(« A saucerful of secrets »), d’un des Pixies (« Trompe le
Monde »), et d’un d’Animal Collective (« Strawberry Jam ») … et
qu’on vienne pas me dire que les gens consomment du mp3 en téléchargement
légal, personne va les télécharger les titres de ce skeud.
Parce que les Thee Oh Sees (et ne me demandez pas
pourquoi ce blaze improbable, même les journaleux ayant pignon sur rue et
salaire à la fin du mois ils en savent rien), c’est une niche musicale, comme
diraient les commerciaux. Du garage-rock-psyché-psycho-punk et autres
balivernes. D’aujourd’hui et de San Francisco. Dont la figure de proue, le
dénommé John Dwyer, est un peu le pape-gourou-leader-référence d’une scène
locale paraît-il foisonnante et pleine d’avenir (en langage clair, des groupes
qui s’ils sortent un chef-d’œuvre, en écouleront 2000 copies/monde).
D’ailleurs le dénommé Dwyer, même ses fans arrivent
pas à le suivre, il publie deux-trois disques par an, sous autant de noms, et
dans autant de genres différents (paraît-il du folk au heavy metal, le genre de
gonzo qui n’a peur de rien ni de personne …), produit les siens et ceux des
autres, et a son propre label … Thee Oh Sees serait la formation-phare du
bonhomme, celle des « grands disques ». On me la fait pas, j’y crois
pas une seconde à ce genre de plan marketing … Sauf que ce « Floating
coffin », c’est tout simplement un grand disque, et que ça m’étonnerait
qu’il en sorte des wagons comme ça cette année.
D’abord les Thee Oh Sees sont un groupe à guitares.
Et moi les guitares, c’est comme l’odeur du napalm le soir au fond de la jungle
vietnamienne, j’aime bien ça. Et puis, les Thee Oh Sees ont un super son de
basse qui devrait rendre jaloux Flea des laborieux Red Hot Machin. Et aussi un
son de batterie agréable, aux antipodes des kicks de quadruples doubles grosses
caisses mixées en avant. Et aussi une claviériste mimi, Brigid Dawson, qui fait
plein de chœurs mais est aussi capable de chanter lead. Et surtout, un truc
tout con, mais que peu qui sortent des disques savent faire, ils ont mis des
chansons sur leur disque. Dix. Avec pas grand-chose à jeter. Pourtant, Dwyer et
sa troupe sont partis dans un délire très seventies, genre disque sous
substance, plein d’échos, d’effets spatiaux tournoyants. Y’a bien un truc qui me
vient, je dépose la dénomination, c’est du krautrock garage. Autrement dit
plutôt le versant Neu !, Faust et Can que le Tangerine Dream lorgnant vers
le new age…
« Floating coffin » est plein de riffs
bien sales, bien distordus, jouant toute la gamme des tempos. On peut passer de
la méchanceté de l’inaugural « I came from the mountain », flirter
avec le hardcore sur le titre éponyme, la bastonnade limite punk de
« Tunnel time ». Et puis des trucs, la majorité, lourds,
aplatissants, mid-tempo tournoyants. Y’a un nom qui clignote, Hawkwind, du
temps du bassiste à verrues Lemmy Kilmister. Ce côté obstiné et répétitif, ce
space-rock velu et mélodique à la fois. Quand c’est vraiment
« apaisé », comme sur « No spell », on pense aux nouveaux
minots psyché comme Tame Impala ou Jacco Gardner.
Les Thee Oh Sees, ce qui fait leur intérêt avec ce
disque, c’est qu’ils ont trouvé une formule, et qu’ils ne s’y tiennent pas.
Grâce aux synthés et à la voix de la miss Dawson, ça leur offre une palette
sonore mouvante. On peut passer sur « Strawberries 1 + 2 » d’un début
à la Hüsker Dü époque « Warehouse … » à un final adossé sur un mur de
feedback et là c’est le Neil Young de « Weld » qui vient à l’esprit.
Sur le bizarroïde single sorti en éclaireur (« Minotaur »), on hésite
entre pop sixties endormie ou Pixies au ralenti (les chœurs, les accords de
guitare). « Floating coffin », c’est un disque qu’on croirait
primaire et qui dévoile à chaque écoute de plus en plus de subtilités, de
digressions sonores, des bribes de guitares orientalisantes très
« Kashmir » (« Sweets Helicopter », « Maze
Fancier »), des mélodies
compliquées à la Randy Newman (« Toe Cutter / Thumb Buster »), des
synthés lugubres comme ceux d’Orange Goblin sur les BO des films d’Argento
(« Night crawler », ce titre finissant carrément dans une ambiance
gothique).
Un disque un peu fou, faits par des types qui
doivent être bien barrés. Un peu à l’Ouest aussi. Mais sûrement pas aux fraises
…
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