Nuits de Chine, nuits câlines ?
Jarre, c’est un peu le Guetta du siècle dernier… le type
qui fait de la musique électronique et que tout le monde connaît. Même s’il y a
une nuance, et pas petite. L’un des deux est un musicien.
Même si perso, ce que je préfère de l’œuvre de Jarre,
c’est les textes qu’il écrivait pour Christophe à l’époque des « Paradis
perdus » et des « Mots bleus ». Et qu’il ait eu du succès avec
sa musique électronique de supermarché n’est pas honteux, il était impliqué
depuis des années tant dans l’avant-garde musicale que dans celle des
technologies électroniques. Il sera en plus assez malin pour se différencier
des autres sur le circuit pop-rock , s’orientant dès ses premiers succès vers
des concerts événementiels devant des foules considérables plutôt que de banales
tournées de promotion dans les salles de spectacle traditionnelles.
Et puis, fin 1981, il franchira encore un pas dans la
célébrité en donnant cinq concerts dans la très rigide et fermée République
Populaire de Chine. Générant une campagne de com assez irréelle, genre
« le premier artiste à donner un concert de rock en Chine ». Bon,
Jarre a autant à voir avec le rock qu’un Burger King avec la gastronomie, et
les Chinois, déjà à l’époque pas plus cons que d’autres lorsqu’il s’agit de
donner dans la dialectique de propagande faisaient preuve
« d’ouverture » à bon marché.
En embauchant Jarre, ils risquaient pas une « yellow
riot » à la Clash, ni le risque pour la population d’être subvertie par
des paroles engagées, puisque Jarre, c’est uniquement instrumental. Ces
concerts avaient été une grosse affaire, tractations diplomatiques
interminables commencées sous Giscard et conclues sous Mitterand, et avaient
tout de l’aventure totale. Les très rares journalistes français autorisés à
couvrir l’événement faisant état de conditions techniques locales très
précaires, d’encadrement militaire de l’équipe de la tournée et de la presse, d’un
public trié sur le volet autour des incontournables dignitaires locaux du PC,
lequel public n’était pas autorisé à se lever pendant le spectacle, et devant
par des applaudissements polis et dosés au décibel près (des rumeurs faisaient
état avant les concerts du public répétant ses applaudissements), destinés à
marquer sa déférence pour l’artiste étranger invité, mais aussi sa distance
pour cette forme de divertissement toute capitaliste et donc quelque part
diabolique.
L’intérêt musical de ces deux Cds, compilation des cinq
concerts donnés à Pékin et Shangaï est assez anecdotique, pour plusieurs
raisons. Les concerts de Ian Missé Iarre (comme l’annonce la speakrine locale)
sont des spectacles son et lumière dont la musique n’est qu’un des aspects, et donc
le format DVD est à privilégier au support Cd (ce concert n’existe pas en DVD,
ne pas le confondre avec ceux donnés en 2004). Les conditions techniques
locales, avec leurs coupures de courant, leurs orages (non, les Chinois n’ont
pas entonné « No rain, no rain » comme à Woodstock alors que des
trombes d’eau tombaient sur Shangaï) ont fait que les pistes son ont été très
largement remaniées en studio, certains titres étant paraît-il même entièrement
refaits.
Reste le témoignage d’un événement pseudo-historique,
très loin des choses pharaoniques que Jarre donnera par la suite (ils ne sont
que quatre sur scène en Chine), passant en revue les titres les plus faciles et
accessibles de son répertoire tirés essentiellement de « Equinoxe »
et des « Chants magnétiques », intégrant des sonorités locales
(« Jonques de pêcheurs au crépuscule »), taquinant des décollages
floydiens (« Ouverture », « Souvenir de Chine »), la jouant
un peu facilement « rétro » (« La dernière rumba »),
singeant le rock à grand renfort de guitare-synthé et batteries Simmons
(« Orient Express », finalement pas plus mauvais que ce que faisait
Genesis à la même époque).
Les Chinois ont particulièrement apprécié, à tel point
que Jarre s’est vu offrir par les autorités de Pékin ... un side-car.