LOU REED - TRANSFORMER (1972)

 

Englishmen in New York

Cela va sans dire, mais ça va pas plus mal en le disant. Le Velvet Underground, groupe crucial s’il en fut, c’est Lou Reed et les autres. Que ces autres s’appellent Andy Warhol, John Cale, Sterling Morrison, Nico, Moe Tucker, Doug Yule ou qui on voudra, ce n’est pas leur faire injure que d’affirmer que c’est Lou Reed qui a fait le plus gros du boulot, et que tous ces titres, devenus mythiques du Velvet, c’est lui qui les a écrits.

Reed & Bowie 1972

Lou Reed a eu beau démontrer qu’il avait du talent – beaucoup – il a aussi prouvé que c’était un mec pas très sympa, voire un sale con. Après son départ du Velvet (trois disques et les compos du quatrième), il a volé de ses propres ailes, signé en solo par RCA. Un premier disque éponyme sera une des pires ventes de la vénérable firme. Faut dire que le Velvet vendait très peu, quelle que soit son influence sur ses contemporains (« le premier Velvet s’est vendu à mille exemplaires, mais tous les types qui l’ont acheté ont monté leur groupe » dixit plus tard Brian Eno), Lou Reed n’était qu’un musicien pour musiciens, selon la formule consacrée.

Parmi ses fans, l’Anglais David Jones, rebaptisé Bowie. Qui dans l’été 72, triomphe (après des années de vaches soit maigres soit faméliques), avec son double extra-terrestre Ziggy Stardust, et porte au sommet des charts le concept musical de glam rock. Et maintenant qu’il a les moyens, il se propose pour donner un coup de main à tous les gens dont il est fan. Premier servi, Ian Hunter et son groupe Mott the Hoople à qui Bowie offre ce qui sera leur seul grand hit, « All the young dudes ». Par l’intermédiaire de sa maison de disques (RCA, ça tombe bien), Bowie propose de travailler avec Lou Reed sur son prochain disque. Va savoir pourquoi, le misanthrope Lou accepte (enfin, il a dû y avoir des pressions « amicales » du management et de RCA), et Bowie s’envole pour New York avec le titre de producteur de « Transformer », le prochain Lou Reed, non sans avoir glissé dans ses bagages son guitariste Mick Ronson (crédité comme coproducteur), et Ken Scott (assistant de George Martin période Beatles, producteur de « Ziggy Stardust », il sera seulement crédité du mixage de « Transformer », mais nul doute qu’il s’est beaucoup plus impliqué que ce que disent les crédits de pochette).


Il y a du boulot. A même pas trente ans, Lou Reed est déjà un has been. Il a certes des chansons en réserve, mais voir des rosbifs débarquer et s’occuper de sa « carrière », ça le fait pas sauter de joie. On imagine l’ambiance en studio et les séances houleuses. D’ailleurs, une fois le succès de « Transformer » certifié, il ne se privera pas pour épancher son fiel sur Bowie et son équipe. La routine …

Il est peut-être sorti pour le cinquantenaire du disque une version en quinze CDs et huit Blu-ray sur les sessions de « Transformer » (quand il s’agit de vendre pour la énième fois aux fans une rondelle mythique, tous les prétextes et arguments foireux sont bons) mais il suffit de la version Cd de 2002 avec juste deux « inédits » (les démos acoustiques de « Hangin’ ‘round » et « Perfect day ») pour voir qu’on était très loin du résultat final. Incontestablement, Bowie, Ronson et Scott ont énormément apporté.

Certains titres sont stricto sensu du glam-rock (« Hangin’ ‘round », calqué sur la reprise du « Round & round » de Papy Chuck Berry par Bowie, « Make up » traité comme les ballades du même Bowie, « Satellite of love » et son crescendo à la « Rock’n’roll suicide », « I’m so free » glam-rock ou plutôt rock-glam avec la guitare de Ronson très en avant). D’autres par contre sont du pur Lou Reed, le boogie monolithique de « Vicious », « Perfect day », réminiscent des balades du 3ème Velvet, la courte rigolade (enfin, rigolade et Lou Reed, vous imaginez le tableau, c’est juste souriant) « New York telephone conversation », et Goodnight ladies », voyage au bout de la nuit newyorkaise, comme une version interlope du « Il est cinq heures Paris s’éveille » de Dutronc. Ce dernier titre comme une sorte de contrepoint à « Walk on the wild side ».

Ah, « Walk … », le genre de titres comme on en écrit pas quatre dans sa vie (quand on s’appelle Lou Reed, pour quasiment tous les autres, ça relève du rêve …). Portraits croquignolets de tous les oiseaux de nuit qui hantent les rues mal famées de New York, les transsexuels (Holly et Candy Darling), les prostitués défoncés (Joe) ou les défoncées tout court (Jackie), une ligne de basse unique de Herbie Flowers (que Bowie recrutera lors de sa carrière américaine de 75-76), les mythiques vers « but she never lost her head, even when she was givin’ head », le tout pour un des plus improbables titres à avoir jamais atteint le haut des charts.


Ronson est très présent (plus même que chez Bowie), lui et le Ziggy font les chœurs, et le grand bonhomme du disque est la révélation Herbie Flowers qui magnifie « Walk … » certes, qui dirige « Andy’s chest » (hommage du bout des lèvres à Warhol), et joue de l’improbable tuba sur « Make up ».

« Transformer » est un disque quasiment parfait (un seul titre faible, « Wagon wheel »), avec sa pochette devenue iconique tant son recto (la photo « ratée » de Mick Rock, égarée parmi toutes celles qu’il présentait pour la pochette, c’est évidemment celle que le Lou a choisie) que son verso du photographe Karl Stocker (la mannequin anglaise Gala Mitchel et le pote de Reed Ernie Thormahlen avec sa banane dans le jean).

« Transformer » boosté par « Walk … », lancera la carrière internationale de Lou Reed, fera reconnaître tardivement le Velvet (le concert français de « reformation » avec Nico et John Cale l’année suivante). En 73 paraîtra l’autre grand classique de Reed, « Berlin », beaucoup plus sombre et glauque qui assiéra définitivement son statut de figure tutélaire du rock. Dès lors à l’abri du besoin, Reed pourra laisser libre cours à sa mauvaise humeur (pour être gentil) légendaire, faire paraître une litanie de disques où le très bon côtoie le sans intérêt, avant un ultime chef d’œuvre (« New York ») à la fin des 80’s …


1 commentaire:

  1. Un grand disque, c'est certain. "Perfect day" est tout de même une des plus belles chansons du monde. J'ai beaucoup écouter le live "R'n'R Animal" aussi sa paire de guitaristes. Parmi les grands albums du Lou (y es-tu ?) qui suivent, tu cites "Berlin" mais "Coney Island baby" est aussi une merveille absolue.

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