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JOHN SAYLES - LONE STAR (1996)

 

Y'a des fois, faut pas chercher à comprendre ...

John Sayles, c’est le réalisateur avec une grosse pancarte « film indépendant américain » dans le dos. Autant dire pas le genre de type multi-nominé et multi-oscarisé, parce que l’industrie, oui, l’industrie est bien le mot, aime bien récompenser ceux qui marchent plus ou moins droit. Tandis que pour les types comme Sayles qui empruntent les chemins de traverse pour faire des films, circulez, y’a rien à voir … Bon remarquez, l’œuvre assez obscure du bonhomme mérite pas non plus qu’on crie systématiquement au génie à tue-tête à son propos …

Chris Cooper & John Sayles

« Lone Star » est certainement son film le plus connu, il l’a réalisé et en a également écrit le scénario. Belle histoire, un peu alambiquée, on y reviendra, beau casting. Même si ceux dont le nom est écrit le plus gros sont pas les premiers rôles (Kris Kristofferson, Matthew McConaughey, … y’a même Frances McDormand qui fait un passage éclair juste dans une scène …)

« Lone Star » fait évidemment référence au Texas (Lone Star State pour ceux qui regardent « Plus belle la vie »), mais aussi à l’étoile que portent les sheriffs. Tout commence dans les années 90 (1990, « Lone Star » n’est pas un western, ou si peu …), quand deux botanistes explorant les collines autour d’une base militaire désaffectée découvrent un squelette avec à côté de lui une étoile de sheriff.

La petite ville où se situe l’action est Del Rio, ville frontière, dans laquelle les « non-blancs » (pour faire simple) représentent 90% de la population (Blacks, Chicanos, Indiens). Le sheriff de Del Rio, Sam Deeds (Chris Cooper), fraîchement élu, l’a été sur son nom de famille, il est le fils d’un sheriff légendaire (et décédé) de la ville, Buddy Deeds (Mathew McConaughey), lui-même successeur du très corrompu et disparu sans laisser de traces durant son mandat Charlie Wade (Kris Kristofferson). Comme on a trouvé à côté du macchabée des collines une étoile de sheriff, il ne fait guère de doute qu’il s’agit des restes du détesté Charlie Wade, d’autant plus que depuis sa disparition, la rumeur publique affirme que c’est le père Deeds qui en a débarrassé la ville. Et le fiston du héros se retrouve donc à enquêter sur la mort de Wade (un labo confirme qu’il s’agit bien de ses restes) à laquelle est mêlée son père …

Renouer avec une ancienne connaissance ...

Sam Deeds est un mec plutôt cool, qui avait quitté Del Rio pendant des années, et qui a très vite l’intuition que remuer ces vieilles histoires de plus de quarante ans risque de faire remonter des trucs pas folichons à la surface… il mène son enquête, en commençant par quelques protagonistes encore en vie de cette lointaine période (le maire, un patron de bar). Et évidemment, les surprises vont fleurir comme chrysanthèmes à la Toussaint.

De nombreux protagonistes vont participer à l’histoire, avec leurs embrouilles présentes ou passées. Parce que si l’essentiel du film se joue au présent, de nombreux flashbacks (souvenirs de Sam Deeds, récits de témoins) dévident petit à petit l’écheveau compliqué de l’affaire principale. La technique filmique des flashbacks est quasiment toujours la même, la caméra passe d’un personnage dans un lieu contemporain pour faire découvrir une scène qui a eu lieu à cet endroit des décennies plus tôt. Et on s’aperçoit que le sheriff actuel n’est pas le seul à vivre avec le poids des fantômes du passé…

Il retrouve (et renoue avec) un ancien amour de jeunesse, maintenant institutrice et divorcée (son gosse bricole avec des autoradios volés, ce qui l’amène évidemment chez le sheriff), dont la mère, ancienne immigrée clandestine et femme d’un passeur abattu par Wade, tient maintenant le restau huppé du bled, menant à la trique ses employés, bien qu’elle soit capable (on comprendra au final pourquoi) d’aider et de soigner des clandestins …

On apprend aussi très vite que le maire a été l’adjoint de Wade, qu’il fermait les yeux sur ses activités illégales, moyennant quelques billets que le corrompu lui glissait … Que le patron de bar est et a toujours été à la limite de plein de hors-jeux, qu’il a un fils colonel de l’armée, qui vient d’être nommé en charge de la caserne de la ville. Le bidasse, dur et rigide, a rompu depuis longtemps tous les liens avec son père, mais il a un fils qui aimerait bien rencontrer Papy. La situation se complique encore plus quand lors d’une embrouille dans le bar, un soldat se fait tirer dessus.

Wade (K Kristofferson)

Etonnamment, et c’est tout à l’honneur de Sayles, le récit reste remarquablement fluide (on n’est pas dans « Tenet » ou « Inception »), on suit toutes les intrigues qui se croisent et s’entrecroisent, et petit à petit, on découvre la zone d’ombre de tous les personnages. Les statues de Commandeur tombent une à une (on en a même érigé une pour le père Deeds), et le dénouement qui est superbe, se joue à deux niveaux. On croit que c’est fini quand l’assassinat de Wade est élucidé, sauf que le couillon de sheriff est allé fouiller dans les recoins de la vie privée de son père, ce qui vaut un ultime et inattendu twist final …

Un point fort du film : une scène fabuleuse qui voit Sam Deeds aller chercher les archives paternelles dans la maison familiale qu’il a laissée à son ex-femme (jouée par Frances McDormand), poivrote allumée, fan et supportrice ultime de foot américain. C’est la seule séquence drôle du film, mais elle vaut le détour, croyez-moi …

Un point faible : hormis Cooper, les têtes d’affiche du casting (Kristofferson, McConaughey, McDormand) sont sous-employées et on les voit juste quelques minutes à l’écran …

Au final, « Lone Star » est un film à tiroirs qui navigue entre plusieurs genres, le polar of course, mais aussi le film social (beaucoup de références à l’immigration clandestine, à la politique et aux élections locales), voire le drame familial (on essaye au maximum de laver son linge sale en famille) …

Cette histoire aux ramifications tentaculaires a valu à John Sayles une nomination à l’Oscar du meilleur scénario. Méritée. On aurait cependant aimé un peu plus d’imagination au niveau de la réalisation. « Lone Star » est un bon film, mais très académique au niveau sonore et visuel. Un peu plus de folie de ce côté-là, et ça aurait été parfait …


ALFRED HITCHCOCK - L'HOMME QUI EN SAVAIT TROP (1956)

 

Sauvé par le gong ?

Ou plus exactement par les cymbales (celles du London Symphony Orchestra), lors d’une scène à l’interminable tension … et comme (trop ?) souvent, je vais aller à contre-courant des affirmations données comme définitives.

L’on vous dira que « L’homme qui en savait trop » est un des classiques absolus d’Hitchcock. Parce qu’il est à peu près pile au milieu de sa décennie fabuleuse (les années 50), et que c’est sa énième collaboration avec cet immense acteur qu’est James Stewart. Jusque-là, rien à dire … c’est une fois « The End » écrit sur l’écran qu’on peut tirer le bilan de ce que l’on vu, entendu et ressenti pendant près de deux heures.

Moi, « L’homme qui en savait trop » me laisse une impression mitigée. Celle d’être un peu en roue libre. « L’homme … » n’est pas une création originale, c’est un remake d’un film du même nom que Hitchcock avait tourné dans les années 30, et qui n’avait guère imprimé auprès du public. C’est aussi contractuellement le dernier film que Hitchcock devait à la Paramount, ceci expliquant peut-être cela …

Image rare : Hitchcock en chemisette sur le tournage ...

Avant même les premiers tours de manivelle, beaucoup de choses sont déjà établies. Les grandes lignes de la première version seront conservées (on voit dans les bonus un peu foutraques du Dvd des scènes, des plans, refaits à l’identique), la musique (qui prend une place déterminante vers la fin) sera remaniée par le complice sonore habituel Bernard Herrmann qui jouera même son propre rôle de chef d’orchestre, et le rôle principal sera tenu par James Stewart.

Partant de là, il faut compléter le casting, et organiser un tournage sur deux pays, le Maroc et l’Angleterre (l’action s’y déroulant à peu près à parts égales). Le rôle féminin principal est confié à Doris Day, chanteuse américaine de variété assez populaire (parce qu’un morceau chanté s’avèrera essentiel lors du dénouement, tant vaut-il avoir une actrice qu’il n’y a pas besoin de doubler au chant, et qui plus est, Doris Day est naturellement et forcément blonde, critère déterminant pour un premier rôle féminin chez Hitchcock). Le reste du casting est tout simple, les moches sont les méchants et les plutôt mignons les gentils, et ça finit par devenir un procédé prévisible (le tueur, joué par Reggie Nalder, habitué des seconds rôles de « mauvais », a une bobine qui ne s’oublie pas) …

Doris Day & James Stewart : les époux McKenna

On suit donc les pérégrinations d’une famille américaine, les McKenna, le père, médecin (Stewart), la mère, chanteuse classique « retraitée » depuis son mariage (Day), et leur gosse d’une dizaine d’années. Ils sont en vacances au Maroc et les premières minutes nous les montrent en complets bisounours, c’en est même assez gênant tant tous les clichés et les tics d’acteurs de sitcom semblent de la partie (à noter qu’au Maroc, Hitchcock avait interdiction de tourner pendant le ramadan, ce fut un perpétuel contre-la-montre, et ça fait parfois un peu trop carte postale)… se met ensuite en place l’intrigue, la rencontre avec un espion français (Daniel Gélin) qui finira poignardé mais aura le temps de révéler au toubib une tentative d’assassinat de haut dirigeant étranger à Londres. Et ceux qui sont derrière le complot kidnappent le gosse pour que le père ne s’occupe pas de ce qui ne le regarde pas … Et voilà donc notre toubib du Midwest (Indianapolis) et sa moitié qui vont se transformer en James Bond du dimanche, et partir à Londres pour retrouver leur mioche et accessoirement déjouer l’attentat … Et la partie anglaise du film relève techniquement le niveau, Hitchcock est dans son élément, c’est beaucoup plus chiadé niveau visuel.

Mais c’est aussi là que le maître du suspense passe un peu à travers. Parce qu’on connaît au fur et à mesure du film tous les protagonistes et leurs enjeux et qu’il n’y a guère de surprises dans le déroulement du scénario. Ainsi, dans la fameuse (et très longue scène) au Royal Albert Hall lorsque l’attentat doit être commis au moment d’un grand coup de cymbale dans l’orchestre, la seule question qui se pose est de savoir lequel du toubib ou de sa femme va empêcher le crime … et l’épilogue, cousu de fil blanc, de la libération du gosse, nous montre des revirements d’attitude (la kidnappeuse) et une naïveté (son pasteur de mari) assez peu raccord avec l’image dure et impitoyable qu’ils avaient jusque-là …

Ce qui laisse aussi une impression mitigée, c’est le parti-pris de Hitchcock de donner des respirations humoristiques voire franchement comiques. Témoin le quiproquo sur le jeu de mots (ça marche moins bien en français) Ambrose Chapell et Chapelle Ambrose, qui voit Stewart s’embrouiller avec un taxidermiste jusqu’à une bagarre-mêlée au ralenti. Témoin aussi la très réussie scène au restaurant marocain qui voit le même Stewart desservi par sa grande taille (plus d’un mètre quatre-vingts dix) et s’emmêler les jambes (pour s’assoir) et les doigts (pour manger). Perso, ce qui m’a fait le plus sourire c’est dans la première scène quand toute la famille McKenna s’extasie en apercevant du car un chameau. Euh … il aurait fallu dire au scénariste qu’un chameau à une bosse ça s’appelle un dromadaire … Ce mix de dramaturgie et de comédie se fera sa place dans la dernière partie de la filmographie du Maître, mais là c’est pas encore au point, les scènes comiques font un peu pièce rapportée, elles se situent totalement en dehors de l’intrigue …

Entre les cymbales : Bernard Herrmann

D’autres choix seront plus judicieux. Doris Day, sur laquelle beaucoup avaient des doutes (c’était une quasi débutante au cinéma, elle y prendra goût) tire plutôt bien son épingle du jeu, et n’est pas ridicule loin de là dans les scènes « difficiles » comme celle où Stewart lui apprend l’enlèvement de leur fils. Et puis elle a fait d’une pierre deux coups, se positionnant comme une actrice crédible et obtenant un de ses plus gros succès de chanteuse avec l’interprétation de « Que sera sera » créée pour l’occasion. Ritournelle évidente (mais fallait l’écrire) très « mélodie du bonheur » devenue depuis un classique. Pour l’anecdote, même le Keith Richards punk Johnny Thunders en livrera une version (calamiteuse) au milieu des années 80 …

Pour finir un film d’Hitchcock se doit de nous le montrer lors d’une fugace apparition. Ici, on le voit juste de dos sur le marché de Marrakech en train de regarder une troupe de saltimbanques …

Conclusion, « L’homme qui en savait trop » est pour moi un film plaisant, mais pas une masterpiece d’Hitchcock …


Du même sur ce blog :

Fenêtre Sur Cour

Frenzy


ERICK ZONCA - JULIA (2008)


 From L.A. to Tijuana ...

Erick Zonca est un réalisateur peu prolixe. Quatre films en plus de vingt ans, on n’a pas affaire à un stakhanoviste des plateaux … et encore un de ses films, son second (« Le petit voleur »), était pour la télévision et n’est sorti que confidentiellement en salles. Zonca, c’est aussi un peu des espoirs déçus. Son premier film « La vie rêvée des anges » avait récupéré une Palme à Cannes (prix d’interprétation féminine pour ses deux actrices Elodie Bouchez et Natacha Régnier), et dans la foulée raflé des Césars l’année suivante. Et ensuite Zonca a quasiment disparu des radars, cachetonnant parfois dans la pub.

Tilda Swinton & Erick Zonca

« Julia » est son troisième long métrage, dix ans après « La vie rêvée des anges ». A cheval entre deux mondes. L’équipe technique est essentiellement française, les acteurs anglo-saxons, et les lieux de tournage sont aux Etats-Unis et au Mexique en anglais et en espagnol. « Julia » mélange les genres, entre polar, road movie, et dissection psychologique de son personnage principal.

Julia, c’est l’actrice anglaise Tilda Swinton qui trouve certainement là le rôle de sa vie. Présente dans toutes les scènes, elle porte le film sur ses épaules et livre une performance habitée qui marque les esprits. Un jeu très « animal » pour mettre en scène une alcoolo paumée qui va basculer dans un engrenage dont les rouages lui échappent totalement…

Une interprétation à la Gena Rowlands … A double titre. Par l’approche du personnage et parce que « Julia » présente beaucoup de similitudes avec « Gloria » de Cassavettes et Rowlands dans le rôle-titre. Zonca a réfuté le remake … ouais, mais la base du scénario (la cavale d’une femme solitaire et d’un gamin qui vaut très cher) est la même, et la tension omniprésente de la même façon …

Julia au réveil ...

La première scène nous montre Julia bien imbibée en boîte de nuit, vidant force verres et se trémoussant au son de « Sweet dreams » d’Eurythmics. Elle allume férocement un inconnu qui passait par là et ils finissent la nuit sur le siège arrière d’une bagnole. On se rend compte que c’est le quotidien de Julia, la picole forcenée et les coups d’un soir. Evidemment, c’est un mode vie peu compatible avec métro-boulot-dodo. Et son boulot, elle s’en fait virer (pas à l’heure, toujours bourrée de la veille) malgré l’intercession auprès de son boss d’un collègue de bureau (lui aussi pas mal cabossé par la vie), qui l’a faite embaucher et en est plus ou moins amoureux, on le verra par la suite (mais ils couchent pas ensemble).

La perte du boulot, les factures qu’on peut pas payer et qui s’accumulent, c’est pas ça qui va modifier le comportement de Julia. Toujours clope au bec et verre à la main, elle tente sans conviction une séance aux Alcooliques Anonymes. C’est là qu’elle rencontre une petite bonne femme mexicaine assez perturbée (mais Julia ne semble pas s’en apercevoir), qui finit par la brancher sur un kidnapping de gosse. Le sien, soi-disant séquestré par un grand-père très riche qui l’empêche de le voir. Combat éthique dans le cerveau envapé de Julia, qui finit par accepter parce qu’il y a un peu de fric à se faire (c’est la mexicaine qui doit le lui donner) et que du fric, Julia en a bien besoin. Julia prépare donc le kidnapping avec sa copine de circonstance (mais bon, ça s’improvise pas, surtout quand on est rarement à jeun), achète un flingue à une petite frappe qu’elle connaît. Au moment de passer à l’acte, elle s’aperçoit que la mexicaine est totalement dérangée et mytho, et que si l’essentiel de son histoire est vraie, elle voulait enlever son fils pour demander une rançon au grand-père … Julia voit là beaucoup plus de pognon à se faire et passe à l’action toute seule …

Opération réussie. Julia kidnappe le petit-fils du plein aux as. Et à mesure que les enchères montent (ça va finir à deux millions de dollars pour qu’elle rende l’enfant), Julia contrôle de moins en moins la situation. Parce que ce n’est pas une délinquante qui a minutieusement préparé son plan, et qu’elle n’a pas la moindre idée, n’ayant jamais été mère, de la façon dont on gère un gosse de huit ans qu’on vient d’enlever. Julia est volontaire, tente d’amadouer le bambin et en même temps de se sortir à l’arrache et en totale improvisation des situations de plus en plus compliquées qui se présentent. Il y a dans « Julia » du Cassavettes-Rowlands, évidemment, mais aussi du « Fargo » des Coen Bros, la canicule du désert du Nouveau-Mexique remplaçant les étendues enneigées du Minnesota, avec en filigrane ce kidnapping foireux fait par des branquignols et qui tourne mal… et comme Julia évacue la pression bouteille à la main, tout va de pire en pire …

Le périple de Julia et du gosse avec les flics au cul genre « Thelma et Louise » se finira au Mexique, dans la ville frontière de Tijuana, censée être la plus dangereuse du monde. Pas compliqué d’imaginer que les emmerdes encore plus gravissimes vont dès lors se multiplier.

Tijuana, tout se complique encore plus ...

Il y a du rythme dans « Julia ». Par le parti-pris de Zonca de filmer au plus près des personnages, caméra sur l’épaule. Tout en évitant un montage épileptique avec changement de plan toutes les trois secondes. Il y a de la tension, du suspense, mais surtout une interprétation fabuleuse de Swinton. Elle joue un personnage paumé affectivement, sans repères sociaux ou moraux. Julia est une grande bringue rousse qui boit comme un trou, et raisonne évidemment comme un pilier de bar aviné. Et on est loin des personnages d’ivrognes de comédie, c’est pas « Boire et déboires » if you know what I mean, on a même l’impression que Julia-Swinton est réellement bourrée, alors qu’en fait dans la vraie vie Tilda Swinton ne boit jamais une goutte d’alcool …

Et petit à petit, on voit se transformer cette solitaire instable en une femme déterminée, se rendant peu à peu compte que ce petit minot qu’elle a enlevé, c’est pas seulement un paquet de pognon. C’est à ce moment-là, quand elle va découvrir qu’elle aussi peut avoir quelque chose qui ressemble à de l’instinct maternel qu’elle va arrêter de subir, de raconter et de se raconter des bobards de comptoir, et prendre en main leur destin commun, alors que la situation est totalement cataclysmique.

« Julia » est prenant, passionnant assez souvent. Avec aussi les défauts de ses qualités. A vouloir centrer deux heures et quart sur une seule personne (tous les autres acteurs y compris le bambin sont scénaristiquement parlant, au mieux des seconds rôles), on ramène tout le reste du casting à de l’accessoire. Tout juste si on comprend qui est ce gosse, qui sont ses parents et son grand-père. Le collègue de boulot amoureux de Julia qu’on voit au début réapparaît de façon saugrenue à la fin sans apporter quoi que ce soit à l’intrigue ou à son dénouement (en fait dans les bonus du Dvd il y a des scènes coupées au montage qui permettent de mieux cerner tous ces seconds rôles). Et la partie mexicaine de l’histoire présente des acteurs plutôt énigmatiques, on voit bien qu’ils sont pas très nets, mais on a du mal à situer une hiérarchie (qui commandite, quel est le rôle des flics, du gros chauffeur de taxi, du play-boy latino amant d’un soir ?). Bon, vous allez me dire, y’a plein de bons polars ou assimilés légendaires où on comprend strictement rien de la première à la dernière image (que quelqu’un me fasse un exposé clair et synthétique sur l’intrigue du « Faucon maltais » ou de « Mulholland drive », allez, pas tous en même temps …).

Beaucoup plus de positif que de négatif. Film à voir.


ORSON WELLES - LE CRIMINEL (1946)

 

Le glaive de la Justice ...

Le plus mauvais film d’Orson Welles. C’est pas moi qui le dit, mais Orson Welles lui-même …

Comme j’ai pas vu tous ses films, je vais pas le suivre ou dire le contraire. Même si effectivement, « Le Criminel » n’est pas son meilleur. Evidemment, quand a tourné « Citizen Kane » (à 25 ans !), tout le reste a toutes les chances de souffrir de la comparaison. « Citizen Kane » c’est le « Sgt Pepper’s » du cinéma, il y a dans le septième art un avant et un après, et quatre-vingts ans après sa sortie, le film est toujours cité comme un des meilleurs, si ce n’est le meilleur jamais tourné …

C’est un peu tout le problème de Welles, trop jeune et trop génial dans une forme d’expression (le cinéma) en pleine expansion, et que quelques studios et financeurs entendent gérer comme une affaire qui tourne et rapporte de plus en plus, l’Art devant s’accommoder des montagnes de dollars déjà en jeu. Welles en fera très rapidement les frais avec le successeur de « Citizen Kane », « La splendeur des Amberson ». Film charcuté au montage (trois quarts d’heures supprimés et détruits à jamais), final rejeté et retourné, la RKO n’y va pas avec le dos de la cuillère …

L'épilogue : Robinson, Young & Welles

Welles est un boulimique, qui a toujours plusieurs projets sur le feu, dont l’essentiel se retrouvent avec un veto hollywoodien. « Le Criminel » (« The Stranger » en VO) est un projet que Welles voulait de toute façon bâcler, sa priorité d’alors étant de tourner avec son épouse légitime Rita Hayworth.

L’histoire a pourtant de la gueule. En 1946, faire un film sur la traque des nazis enfuis à l’étranger relevait de l’actualité brûlante. C’est semble-t-il aussi la première fois que seront montrées au grand public des images (réelles) de reportages sur l’holocauste et les camps d’extermination … sauf que Welles mélange tout, réalité et cruauté historiques, et scénario en totale roue libre. Pour ne rien arranger, Welles interprète un des deux rôles principaux, cabotinant devant la caméra (on se demande s’il joue dans un film ou donne une représentation théâtrale, tant il en rajoute des tonnes). Ce n’est pas le seul problème du casting. Loretta Young, qui joue sa femme dans le film est certes une stakhanoviste des plateaux (elle a commencé à trois ans !), mais est ici totalement dénuée de charisme (de talent ?) et sa (longue) carrière n’est qu’une litanie sans fin de séries B.

Le seul rôle majeur à tirer son épingle du jeu est Edgard G. Robinson (l’inoubliable interprète de Rico « Le Petit César »), en enquêteur (l’inspecteur Wilson) traqueur de nazis (il n’a pas dû avoir besoin de trop forcer, tout dans sa biographie laisse à penser qu’il détestait Hitler, son régime et ses sbires).

« Le Criminel » commence pourtant bien. Robinson veut retrouver Franz Kindler, un des théoriciens et acteurs de la « solution finale », disparu sans laisser de traces lors de la chute du Reich. Il fait libérer un de ses lieutenants (Meinike), et le fait suivre pour qu’il le conduise à son ancien chef. C’est ainsi que nous nous retrouvons à Harper, petit bled du Connecticut, dont le seul centre d’intérêt est une église dotée d’un clocher comportant un mécanisme d’horloge sophistiqué avec procession de personnage symboliques qui marquent les heures.


Et au bout d’un quart d’heure, on a retrouvé Kindler (Orson Welles) qui est devenu enseignant sous le nom de Charles Rankin et vient d’épouser la fille du notable du coin, un juge de la Cour Suprême à la retraite. La ficelle est un peu grosse, mais pourquoi pas … Dès lors, ce coupable que l’on connaît va faire ou tenter de faire disparaître tous ceux qui le relient à son passé où l’ont découvert (Meinike, le chien de sa femme, sa femme, …).

Le film ne sera que la tentative de l’inspecteur pour le confondre. Faut dire qu’il prend son temps et ne se montre guère perspicace. Une phrase de Rankin / Kindler lors d’un dîner (« Karl Marx n’est pas un Allemand, mais un vulgaire juif ») le laisse sur le coup de marbre, il ne percutera que des heures plus tard …

L’épilogue ne fait guère de doute (sans même évoquer le code Hayes) y compris dans sa scène finale qui se veut choc, mais qui nous est amenée plutôt lourdement. Comme Louis XVI, Rankin / Kindler est passionné d’horlogerie, et passe son temps libre à retaper l’horloge récalcitrante du clocher. C’est bien évidemment dans ce clocher que se dénouera l’intrigue …

Il y a quand même des détails qui agacent, et qui montrent le je-m’en-foutisme de la réalisation. Dans le bar du patelin, tous les clients jouent aux dames avec le patron. Sauf que le jeu de dames est un jeu d’échecs (64 cases au lieu de 100), lors d’une partie ce sont les noirs qui commencent (alors que ce sont toujours les blancs), lors d’une autre partie Rankin et son adversaire avancent tous les deux le même pion … On peut aussi déduire que Welles n’est guère bricoleur, ou tout au moins guère porté sur la menuiserie. Lorsqu’il scie un barreau de l’échelle qui mène au haut du clocher, il utilise une scie à métaux et non une scie à bois …

En fait, la seule chose qui sauve (un peu) « Le Criminel » c’est le génie de Welles derrière une caméra. Des angles de vue inventifs (plongée, contre-plongée, …), des panoramiques bien choisis, des gros plans quand il faut. Et surtout un travail phénoménal sur les éclairages, ces jeux d’ombre et de lumière avec ces ombres démesurées et omniprésentes, qui renvoient bien évidemment aux films expressionnistes allemands des années 20.

Ce qui ne suffira tout de même pas pour réhabiliter « Le criminel ».





CURTIS HANSON - L.A. CONFIDENTIAL (1997)

Flics et voyous ...

Il y a des gens dont on n’attend rien. De bon ou mauvais. Curtis Hanson fait partie de ces réalisateurs dont tout le monde se fout, qui tourne des films dont tout le monde se fout, critique comme public …
Et puis, sans que l’on sache pourquoi, le type sort un machin qui met tout le monde d’accord, un très gros succès populaire encensé par tous ceux que l’on paye pour donner leur avis sur ce qu’ils ont vu avant les autres sur un écran. Moi personne me paye, ce qui évidemment ne donne donc aucune valeur à mon avis. Et pourtant je le dis haut et fort, « L.A. Confidential » est un super film.
Pearce, Hanson & Crowe
Un film auquel on a bien du mal à comprendre quelque chose la première fois, parce qu’ici il n’y a ni bons ni méchants. Juste un tas de types plus ou moins pourris, et qui dans le meilleur des cas agissent pour eux et non pas forcément pour ce pourquoi ils sont payés. « L.A. Confidential » est une histoire de flics, plus ou moins corrompus, qui s’agitent dans le Los Angeles des années cinquante. Autour d’eux gravitent des femmes (bizarrement, mieux traitées dans le scénario, même si une finira à la morgue et l’autre … on en reparlera), et toute une faune allant du journaliste cupide et partial, aux politiques dépravés ou manipulateurs, en passant par les milliardaires proxénètes et les immigrés (surtout les chicanos) en bons clients qu’on tabasse ou flingue impunément.
A la base de « L.A. Confidential », un bouquin de James Ellroy, qu’il est inutile de présenter, tant son nom est associé aux polars glauques et désespérés, un descendant-successeur des Hammett ou Chandler, les rails de coke en plus … Dire que l’intrigue est aussi compliquée que celle du « Faucon maltais » ne relève pas de la litote. Faut dire qu’il n’y a pas un mais plusieurs protagonistes principaux et que leurs histoires pas très nettes finissent par se croiser lorsque des enquêtes qu’ils mènent chacun de leur côté deviennent une seule et même affaire.
Les flics
On ne peut pas ne pas penser au « Chinatown » de Polanski pour plusieurs raisons : les reconstituions méticuleuses et pointilleuses du Los Angeles d’une époque révolue, chez Polanski les années 30, ici les années 50, le rôle crucial de la femme qui fait avancer le scénario, Dunaway vs Basinger, et les deux enquêtes qui évoluent et finissent dans les plus hautes sphères de la société de la ville. On a aussi des différences notables, dans « Chinatown » il n’y a vraiment qu’un type qui mène l’enquête (et Nicholson n’est même pas flic, c’est un privé), et ses méthodes (no guns et le moins de bastons possibles) tranchent radicalement avec l’atmosphère violente voire ultra-violente de « L.A. Confidential ». Hanson cite aussi « Le grand sommeil » (avec Bogart et Bacall) comme source d’inspiration. Comme il y a des décennies que je l’ai pas vu, je lui fais confiance …
Le film doit tout à Hanson. C’est lui qui écrit l’adaptation du bouquin d’Ellroy, et s’en va à la pêche aux producteurs. Le sulfureux Arnon Milchan (mais au nez très creux lorsqu’il s’agit de faire des cartons au box-office) est séduit par le projet ambitieux de Hanson qui sent qu’il a un super scénario et envisage d’entrée la superproduction hollywoodienne. Milchan commence à se gratter la tête lorsque Hanson lui annonce ses deux acteurs tête d’affiche : Russell Crowe et Guy Pearce. Deux métèques donc. Totalement inconnus du public américain (et de celui du reste du monde aussi, d’ailleurs). L’un est néo-zélandais et a marqué Hanson par un rôle se skinhead facho et violent (pléonasmes) dans « Romper stomper » (que je recommande au passage), l’autre en jouant une drag-queen dans « Priscilla, folle du désert » (que je recommande aussi).
Crowe sera donc un flic brutal, révélant au monde entier un baraqué castagneur, le genre de rôle qu’il endossera à peu près toute sa carrière. A côté de son personnage, Eastwood dans « Dirty Harry », c’est l’Inspecteur Gadget … Pearce sera un flic honnête (à peu près le seul du scénario) au départ, mais qui finira par carriérisme d’abord puis par Basinger alpagué, et finalement lorsqu’il sent qu’il peut régler une affaire toute perso (retrouver l’assassin de son père, flic aussi et tué dans des circonstances non élucidées en service), par déraper sérieusement vers la haine et la violence.
Autre flic du casting, Kevin Spacey, le flic corrompu jusqu’à l’os, plus ou moins associé à Danny DeVitto, journaliste d’une feuille de chou à scandale. Les deux se refilent des infos (et du pognon) pour booster leurs carrières respectives, en évoluant dans la high society, à l’affût du moindre ragot ayant à voir avec la drogue, l’adultère, la prostitution et les trafics divers. Les deux finiront mal, le premier sur la voie de la rédemption, le second parce qu’il est devenu une pièce à conviction gênante … Une faune interlope sur laquelle règnent des caïds qui s’entretuent, des flics haut placés qui ferment les yeux, et des politiques véreux ne refusant jamais un bon pot-de-vin complètent les figures des protagonistes majeurs.
Kim Basinger, envie de croire au Père Noel ?
Et puis il y a la femme, jouée par une sublime Kim Basinger, qui trouve là certainement son meilleur rôle. Prostituée haut de gamme maquée par un milliardaire qui conçoit ses créatures (à grand renfort des chirurgie esthétique si besoin) comme les sosies d’actrices célèbres. Cette Veronica Lake des trottoirs n’est pas seulement là pour donner un côté glamour et sexy au film, c’est un personnage principal, qui petit à petit dévoile fractures et brisures d’une fille paumée venue tenter la fortune à L.A. Veuve noire qui attire dans ses filets soit sur ordre de son mac soit de sa propre initiative quelques-uns des acteurs principaux …
« L.A. Confidential » est un film prenant parce qu’il est ancré dans le réel (le tabassage des Mexicains en prison a bien eu lieu pour le Noel 1951, les personnages de Spacey et DeVitto ont existé, la feuille de chou à scandale s’appelait même « Confidential »). Mais aussi parce que même avec des personnages fouillés, il n’y a pas de temps mort, et que ça tape et ça flingue aussi fort que dans « Les affranchis ».
Pour finir et pour donner une idée de la noirceur toujours sous-jacente du film, cet échange laconique entre Pearce: « Pourquoi t’es devenu flic ? » et Spacey : « Je ne m’en souviens plus » …



ARTHUR PENN - BONNIE & CLYDE (1967)

Et bien écoutez l'histoire de Bonnie and Clyde ...

Clyde a une petite amie, elle est belle et son prénom c’est Bonnie … Gainsbourg avait une petite amie, elle était belle et son prénom était Brigitte … et elle fermait sa gueule à l’époque, causait pas écologie ou politique … N’empêche le tombeur moche lui a écrit une putain de bien belle chanson, inspirée par un film américain.
Beatty, Dunaway & Arthur Penn
Juste retour des choses … A l’origine du film, deux jeunes scénaristes du pays de l’Oncle Sam,  Robert Benton et David Newman, inspirés par un bouquin historique sur un gang de braqueurs ayant sévi une petite poignée d’années dans le sud-est américain au début des années 30. Gang constitué d’un ramassis de bras cassés parfois juste de passage, mais responsable de quelques drive-by-shootings sanglants sous la conduite d’un couple de jeunes délinquants, Bonnie Parker et Clyde Barrow. Problème, un tel scénario a peu de chances d’aboutir dans l’Amérique du milieu des années 60, réactionnaire et engluée dans le conflit du Viet Nam autour duquel la nation est censée se fédérer dans un respect strict de valeurs saines et patriotiques.
La première mouture du scénario est inspirée par les films de la Nouvelle Vague française. Benton et Newman voient bien Truffaut ou Godard derrière la caméra. Truffaut est contacté, étudie l’affaire, et décline. Un peu plus tard, il rencontre un peu par hasard Warren Beatty, lassé de jouer les play-boys neuneus et qui entend désormais produire les films dans lesquels il joue pour donner une autre image de lui. Beatty est intéressé et va chercher à monter le film aux Etats-Unis. Il lui manque à peu près tout : un réalisateur, un casting, et une distribution qui accepte de compléter la partie financière.
Tous ceux qu’il va contacter vont y aller à reculons. Arthur Penn, avec qui Beatty a tourné récemment (dans « Mickey One », un joli bide), qui est vaguement intéressé mais verrait bien Bob Dylan dans le rôle de Clyde. La jeune Faye Dunaway, au physique plutôt grassouillet qui se voit prescrire un régime pour avoir le rôle et n’aime guère Beatty. La Warner qui veut prendre les bénefs s’il y en a, mais ne veut pas essuyer les plâtres en cas d’échec commercial …
Un casting qui a de la gueule ...
La situation sera souvent tendue, humainement et financièrement. Le producteur et l’acteur auront des discussions interminables pour quasiment toutes les scènes, ce qui gavera passablement le reste de l’équipe et du casting. Il faudra pas se louper, pas refaire cinquante fois la même prise (pour la fusillade finale, il n’y a que deux voitures à cribler de balles, donc deux prises, et la première ne sera pas évidemment pas la bonne …). Sans compter Benton et Newman qui bataillent avec Beatty et Penn pour que leur scénario ne soit pas dénaturé. Par exemple, pour eux Clyde Barrow est bisexuel. Il est finalement hétéro impuissant dans le film, mais Bonnie et Clyde ont toujours comme compagnon de chambre Salomon (Michael J. Pollard, qui décroche là le rôle de sa vie). Penn doit également composer avec son chef opérateur, Burnett Guffey, un vieux de la vieille qui déteste tout ce qu’on lui demande de faire, mais récoltera un Oscar pour son boulot …
Il faut dire que « Bonnie & Clyde » est un film novateur. Le couple tueur de flics est glamour, sympathique, drôle et attachant, alors que le cinéma, code Hayes oblige, n’a pas du tout l’habitude de présenter les truands de cette façon. Sans parler de la sexualité équivoque de Clyde, d’une p’tite pipe bien suggérée lors d’une scène, et d’une conception du braquage de banques quasi communiste (on pique le pognon aux banquiers parce qu’on est pauvre et que c’est à cause d’eux, voir la scène du paysan exproprié qui dégomme les vitres de sa ferme, ou du plouc en train de déposer quelques billets à une banque que Clyde lui dit de remettre à la poche).

Le film est assez loin de la vraie histoire de Bonnie & Clyde, à tel point que quelques membres des familles Barrow et Parker intenteront des procès (une fois le succès commercial – qui fut long à se dessiner – acquis). Il n’en demeure pas moins que le « Bonnie & Clyde » de Penn fait partie de ces œuvres qui font date, qui vont marquer leur époque. Témoin l’anecdote de Faye Dunaway, stupéfaite lors de la tournée promo en Europe (où le film a tout de suite bien démarré) de ces troupes de filles longilignes fringuées rétro et coiffées d’un béret. Parenthèse, si le cinéma s’est souvent inspiré de « la rock attitude », ça a quelques fois fonctionné dans l’autre sens. Il suffit de voir les photos de Joni Mitchell ou Rickie Lee Jones dans les seventies pour savoir qu’elles ont longuement disséqué le look de Bonnie / Faye Dunaway …
Parce que la Dunaway, elle crève l’écran … et pas qu’un peu … dès la première scène, où elle s’emmerde ferme, mais à poil, ce qui change tout pour le spectateur, dans sa chambre avant de s’intéresser au petit manège de Clyde qui essaie de piquer la bagnole de sa mère, on  peut dire qu’un sex symbol est né (là non plus, pas un hasard si une certaine Deborah Harry en tentera dix ans plus tard une imitation, plutôt convaincante il faut dire, au sein de Blondie …). Si Clyde est davantage dans l’action, c’est Bonnie qui dirige et influence ses actes, elle est pas la poule du gangster, mais son alter ego … A côté de la Dunaway, Beatty par une sorte d’effet radioactif, livre ce qui est certainement sa meilleure prestation devant une caméra.
D'après une vraie photo de Bonnie Parker ...
Et le reste du casting est à l’avenant. Composé essentiellement de seconds ou troisièmes couteaux (budget serré), il révèle une  superstar en devenir (Gene Hackmann en frère un peu neuneu de Clyde) et offre un premier rôle pour une courte apparition à Gene Wilder. Plus expérimentée est Estelle Parsons, en belle-sœur hystérique de Clyde, prestation furieuse qui lui rapportera le second Oscar que glanera le film (une relative déception, alors que les pronostics prévoyaient à « Bonnie & Clyde » une véritable razzia de statuettes…).
Arthur Penn en profitera aussi pour donner un second souffle à une carrière jusque-là quelconque et poussive (« Little Big Man » est à venir). Parce que « Bonnie & Clyde » est un film spectaculaire, violent, novateur (les impacts de balles et les giclées de sang sont commandés par tout un tas de fils qui donnent un effet réaliste jamais atteint jusque-là). Les costumes, pas vintage mais inspirés de ceux de l’époque, sont superbes, la reconstitution du Texas et des états avoisinants crédible (si la fusillade finale a été tournée en Californie, tout le reste est en « décors naturels », Penn ayant été stupéfait de découvrir  que sans rien toucher, les petits patelins du milieu des années 60 étaient identiques à ce qu’ils furent trente ans plus tôt).
Même la « gauche » américaine (oxymore) a vu dans « Bonnie & Clyde » une critique sociale et économique de l’Amérique des années 30, traumatisée par la crise de 1929, qui généra des millions de types pauvres et ruinés …
Enfin, de là à imaginer Sophia Chikirou et Jean-Luc Mélenchon en Bonnie & Clyde contemporains …



GORDON PARKS Jr. - SUPER FLY (1972)

The Pusher ...

« Super Fly » est un film plutôt pas terrible. Pour plein de bonnes raisons …
Derrière la caméra, Gordon Parks Jr. Qu’il ne viendrait à l’idée de personne de citer comme un réalisateur influent à quelque niveau que ce soit. « Super Fly » est sa masterpiece, un peu par la force des choses, il est mort dans un crash aérien quelques années plus tard, n’ayant même pas tourné une poignée de films (« Super Fly » est son premier, on a charitablement oublié les autres).
Gordon Parks & Curtis Mayfield
Techniquement, « Super Fly » est risible, ou tragique, c’est selon. Témoins ces raccords stupéfiants ( ? ) où l’on peut voir un type monter dans une voiture sous la pluie, rouler en plein cagnard quelques centaines de mètres plus loin pour finir quelques minutes plus tard dans la nuit noire. Etonnant … Ou alors au milieu du film une scène dans un New York enneigé et pas qu’un peu alors que dans d’autres scènes censées se passer plus tôt ou plus tard dans la journée, pas de trace de poudreuse … ou les fringues du copain – associé de Priest qui passe quasiment tout le film avec son futal orange pattes d’eph. Pas de machine à laver le gars alors qu’il a une télé couleur (en 1972) dans chaque pièce ? Ou costumière en grève ? Si on ajoute une course poursuite haletante … à pied (on se croirait dans « OSS 117 Rio ne répond plus ») avec un Priest sur les semelles d’un gonzo qui vient de lui piquer du cash à chaque plan et qui perd cinquante bons mètres à chaque changement de plan …
On passera pieusement sous silence le jeu à l’emporte-pièce des acteurs et un scénario grotesque qui voit des types englués jusqu’au trognon dans un gigantesque trafic de cocaïne prendre à peu près autant de précautions dans leur business que s’ils étaient en train de vendre des carambars … Evidemment un demi-siècle avant Weinstein, on fera semblant de ne pas voir le rôle dévolu aux femmes dans « Super Fly », juste des femelles en rut n’attendant en petite tenue (dans le meilleur des cas) que Priest veuille bien les culbuter …
Ajoutons que pour mater ce Dvd en version sous-titrée en français (pour peu qu’on ait du mal avec l’argot du Harlem des années 70), il faudra sortir un paquet d’euros Macron … N’en jetez plus …
On recommence …
« Super Fly » est un film génial. Pour plein de bonnes raisons …
La bagnole à Super Fly (Cadillac Eldorado Fleetwood Dunham) ...
Tout d’abord parce que c’est un film de rupture. Une série B qui compte plus que bon nombre de prétendus chefs-d’œuvre. Parce que dans un monde du cinéma fait par des Blancs pour des Blancs avec le pognon des Blancs, dans « Super Fly » rien que des Blacks. Au générique, derrière la caméra, et encore plus dans les salles pour le voir. Avec quelques (rares) autres (« Shaft », « Sweet Sweetback's Baadasssss Song ») « Super Fly » est l’archétype du film de blaxploitation. Le genre qui entend remettre quelques pendules à l’heure après des décennies filmées dans lesquelles les Noirs étaient soit des larbins, soit des crétins, (le plus souvent les deux), n’ayant droit qu’à quelques plans fugitifs dans les grandes productions (oui, je sais Sydney Poitier, on dira que c’est l’exception qui confirme la règle…). Dans « Super Fly » le héros est un Black (Priest, joué par Ron O’Neal), dealer d’un bon niveau (avec son associé, ils ont une trentaine de revendeurs sur les trottoirs de Harlem), grande gueule, malin et castagneur (une scène le montre à l’entraînement, il s’y connaît manifestement en karaté et ne semble pas doublé dans les scènes de baston). Priest va tout au long du film niquer tous les types (Blancs ou Noirs) qui essaient de l’entuber, niquer aussi leurs femmes, et s’extirper fortune faite du monde du deal de la coke (sans qu’il soit une seule seconde question de rédemption ou de retour dans le « droit chemin »). Black is strong, proud, beautiful, etc …
Ron O’Neal crève l’écran (malheureusement pour lui, il s’en est rendu compte, a pris le melon, s’est cru un génie de l’écriture de scénarios, s’est lancé dans la réalisation, pour quelques navets fumants, dont une suite de « Super Fly » qu’il vaut mieux oublier). Un look inoubliable. En gros celui repris par Prince à ses débuts, cheveux longs et défrisés plaqués en arrière, moustache et rouflaquettes démesurées, tenues de cuir qui ne passent pas inaperçues, bagnole low rider customisée de dix mètres de long et toutes les gonzesses du casting dans son plumard … le prototype du Stagger Lee chanté par les soulmen 60’s, toujours cool mais qu’il faut pas chercher sous peine de se faire démolir le groin d’une mandale …
ça aide à pécho, apparemment ...
Et mine de rien « Super Fly » fait fort. Interdit encore aux moins de seize ou dix-huit ans selon les pays. Erotisme (très soft), dialogues plein à la gueule de « fuck », « niggers », « motherfuckers », « asshole », pas cinq minutes sans qu’un personnage du casting s’envoie face caméra un peu de blanche dans les naseaux, so shocking pour l’époque …
J’ai gardé les deux meilleurs trucs pour la fin. Une scène hallucinante dans laquelle Priest se fait brancher par des Black Panthers « ouais, brother, tu te fais de la thune en vendant ta came à tes frères blacks, alors pense un peu aux autres frères blacks qui se battent pour tes droits et ceux de tes clients, passe à la caisse pour financer notre cause » … Ce qui entraîne une extraordinaire réponse de Priest « servez-vous du pognon que vous avez pour armer les Noirs, et le jour où tes brothers se lèveront pour buter du Blanc, t’en fais pas, je serai au premier rang avec mon flingue » … Mais surtout « Super Fly » est entré dans l’histoire à cause de sa bande-son signée par Curtis Mayfield qui colle aux scènes du film (« Pusherman » quand il est question de deals de coke, « Freddie’s dead » quand le dénommé Freddie se fait buter en essayant de s’évader d’un commissariat, « Gimme your love » lors d’ébats de Priest et d’une beauté peu farouche dans une baignoire). Cette B.O, c’est tout simplement un des plus grands disques de soul jamais parus. Bon, vous me direz, on peut l’écouter sans voir le film, qui d’ailleurs apparaît dès lors comme un vidéo-clip d’une heure et demie, et voit même apparaître Mayfield et son Band live dans un club …
Conclusion : « Super Fly » est un excellent mauvais film …



JEAN-LUC GODARD - PIERROT LE FOU (1965)

Tout et n'importe quoi ...
Parce qu’il y a dans « Pierrot le Fou » matière à filmer pour des générations de cinéastes, dans un bordel invraisemblable à tous les niveaux. « Pierrot le Fou » est un des trois meilleurs Godard, avec « A bout de souffle » et « Le Mépris », tout le monde est à peu près d’accord là-dessus, les nuances s’effectuant dans les hiérarchies personnelles (si vous voulez mon avis, et même si vous le voulez pas je vous le donne quand même, le meilleur des trois est « Le Mépris », d’une courte tête devant les deux autres).
Godard, Karina, Belmondo
Fidèle à la Godard touch, « Pierrot le Fou » présente une histoire à peu près totalement incompréhensible. Pour faire simple, Ferdinand (Belmondo), mariée à une riche italienne, père de famille, s’emmerde ferme dans le milieu hyper bourgeois, prétentieux et vide dans lequel il évolue. Il fugue avec sa gouvernante ou jeune fille au pair, peu importe, Marianne (Anna Karina). Qui s’avère faire partie avec ses frères (dont l’un serait plutôt son amant, vous suivez ?) d’une bande de trafiquants d’armes. Le périple des deux tourtereaux, partis de Paris vers les plages du Sud de la France, s’achèvera dans une cabane du côté de Toulon, avec la mort de Marianne et le suicide ( ? ) le plus célèbre du cinéma ( ? ) de Belmondo-Ferdinand-Pierrot … Bon, naturellement, on ne comprend strictement rien aux détails de l’intrigue, et à tous ces personnages secondaires qui apparaissent le temps d’une scène à l’écran. Parfois sans aucun rapport avec ce qui précède ou suit (la longue tirade de la vieille libanaise qui a épousé un « prince islamiste » (sic), ou celle de Raymond Devos dans un de ses premiers sketches nonsensiques qui feront sa fortune).
Et on peut se poser des centaines de questions sur ce que l’on voit à l’écran (ou ne voit pas, d’ailleurs). Paru cinq ans plus tard, on aurait dit que Godard avait tourné sous l’emprise du LSD, dix ans plus tard sous coke, vingt cinq ans plus tard sous ecstasy, etc. … Suffit de voir les spécialistes patentés ou autoproclamés es-Godard se perdre en conjonctures sur le pourquoi du comment de ceci ou cela. Vous fatiguez pas, même Godard ne le sait pas toujours …
Les acteurs te parlent, spectateur ...
Ce qui compte, c’est la baffe que tu prends avec ce genre de film. Et celle que tu ramasses avec « Pierrot le Fou », tu risques pas de l’oublier. Plus qu’un film, « Pierrot le Fou » est une succession de scènes cultes (de la discussion avec Samuel Fuller au début, jusqu’à l’explosion finale dans un délire de bleu, de rouge et de jaune). Avec « Le Mépris », « Pierrot le Fou » partage un professionnalisme technique (filmé en Techniscope sur émulsion Eastmancolor, s’il faut être précis). Autrement dit, y’a de belles images avec des couleurs vives. Et quand c’est pas le cas, c’est que c’est fait exprès (les raccords plus qu’approximatifs notamment), juste pour emmerder les manieurs chirurgicaux de caméra. Quand les costumes changent d’un plan ou d’une scène à une autre, c’est fait exprès. Quand Belmondo et Karina sont cadrés à hauteur de nez tout en bas de l’image au milieu de grands pins, c’est fait exprès. Quand ils s’enfuient en voiture après avoir descendu une gouttière, si les plans successifs ressemblent à un puzzle méprisant la chronologie, c’est fait exprès. Lorsque Belmondo et Karina roulent en voiture la nuit, si les trucages d’éclairages semblent venir du paléolithique, c’est fait exprès. Si lors des dialogues entre ses acteurs, Godard n’utilise jamais la technique classique et reconnue du champ-contre champ, c’est aussi fait exprès.  
Il faut reconnaître que dans le dynamitage du cinéma  de papa, c’est « Pierrot le Fou » qui va le plus loin, fixant des jalons tellement forts que même Godard n’arrive plus par la suite à les dépasser, d’ailleurs il devait s’en foutre un peu de faire mieux, s’auto plagier lui suffira … De plus, « Pierrot le Fou » est un peu comme une compilation des thématiques développées par Godard auparavant. On y trouve en vrac, parfois juste suggérées, parfois outrancièrement développée, ses visions sur l’art, la société, l’analyse de l’Histoire en marche. Le film s’ouvre avec Belmondo lisant un très sérieux pavé d’Elie Faure sur l’Art contemporain, et se referme sur une citation de Rimbaud. En passant par une fascination assez étrange pour les Pieds Nickelés, BD plutôt populacière et réac, dont un album est souvent à l’écran. Godard a toujours situé ses films dans le temps présent. Ici, il commence à s’interroger sur la guerre du Vietnam, dont il ne perçoit ni la portée ni la durée ce qu’on ne peut lui reprocher en 1965. Tout juste cela donne t-il lieu à une scène too much avec Belmondo en GI texan (cet accent !) et Anna Karina en geisha peinturlurée jaune fluo, au milieu d’américains en goguette. Comme dans « Le Mépris », Godard met en scène dans son propre rôle un des réalisateurs qu’il vénère. Ici, c’est Samuel Fuller qui définit le cinéma en quelques mots forts, juste pour une scène, alors que Fritz Lang était le personnage autour duquel s’articulait « Le Mépris ». Comme d’habitude et comme toujours, Godard affiche son mépris pour la musique populaire (Belmondo qui balance façon frisbee un 45T de Richard Anthony, le tourne disque au bord de la plage vite submergé par une vague, pas forcément nouvelle …). La jeunesse peut souffler un peu (Godard se rattrapera beaucoup par la suite), elle n’est pas éreintée par les images ou les aphorismes habituels.
Anna Karina
Parce que même si on n’y comprend rien à cette histoire, Godard la filme sans l’oublier en chemin. Et sans chercher à humilier quelque peu ses acteurs principaux en les reléguant au rang de comparses, de marionnettes inexpressives récitant des textes abscons. « Pierrot le Fou » est un film charnel, Belmondo et Karina ont tout du long du film un personnage « cohérent ». Belmondo, c’est le brave gars, un peu simplet, cœur d’artichaut désabusé, qui malgré ses airs de grande gueule macho, de brute cultivée, revient toujours vers Marianne. Karina, c’est la veuve noire (elle achève les mecs avec une paire de ciseaux plantée dans la nuque) manipulatrice sous ses airs angéliques. Évidemment, le fait que ce soit une ex à Godard (qu’il a mal vécu de s’être fait larguer et qu’il voudrait bien la repécho) explique beaucoup de choses dans la façon dont elle est filmée amoureusement, et les spécialistes du Jean-Luc vous dresseront la liste des répliques du film que Godard fait dire à son ex et non pas à Marianne.
Dans « Pierrot le Fou », même les départs en vrille de Godard, parfois bien aidé par l’improvisation des acteurs, constituent de vrais moments forts et non pas des tocades qu’il faut supporter parce que c’est Godard. Regardez l’imitation de Michel Simon par Belmondo, c’est autre chose que l’intégrale de « Plus belle la vie ». Ou le pastiche de comédie musicale avec ses leitmotivs (« ma ligne de chance, ta ligne de hanches »).
Belmondo en route pour le Big Bang
« Pierrot le Fou » fut bien évidemment comme la plupart de ses prédécesseurs lors de sa sortie interdit au moins de dix-huit ans (pour anarchisme moral et social, ou quelque chose comme ça, merci De Gaulle et dire qu’il se trouve de plus en plus de gens pour se réclamer de ce dictateur d’opérette et de sa France rance et grise). C’est le film que prennent le plus de plaisir à disséquer les Godard addicts, cherchant le pourquoi du comment de chaque détail. Un exemple, dans ma version Dvd, on trouve en bonus les commentaires de l’auteur de polars Jean-Bernard Pouy, limite extatique devant le film. A un moment, lorsque Belmondo et Karina sont dans leur cabane au bord de la mer, un perroquet est dans quelques plans. Selon Pouy, c’est une référence évidente à Stevenson (« L’Île au Trésor », le perroquet du pirate Long John Silver). Why not, mais où est l’évidence là-dedans ? Et dans les mêmes scènes, il y a un renardeau enchaîné sur la table qui lèche les assiettes. C’est quoi la référence, Mr Pouy ? Et pourquoi Marianne appelle Belmondo Pierrot et non pas Ferdinand ? On dirait tous ces hippies tracassés qui à la fin des années 60 passaient les disques à l’envers pour entendre les messages cachés qui allaient leur ouvrir des horizons cosmiques inconnus …

Tout ça prouve au moins une chose : « Pierrot le Fou », c’est un film qu’on peut voir et revoir indéfiniment et toujours y découvrir quelque chose de nouveau … Un grand film quoi …


Du même sur ce blog : 



RAY LAWRENCE - LANTANA (2001)

Dites-le avec des fleurs ...
Parce que le lantana (ou lantanier) est une sorte d’arbuste rampant et envahissant à fleurs multicolores typique de l’Australie. Et que c’est en Australie (Sydney, même si la ville n’a aucune importance) que « Lantana » a été filmé et que c’est dans un massif de lantanas qu’on voit après un long travelling « rampant » un cadavre dès le premier plan. Et que c’est dans un autre massif de lantanas qu’une chaussure va être trouvée, et orienter l’enquête policière vers son dénouement.
Parce que je vous ai pas dit, « Lantana » est un film policier. Primé au Festival du film policier de Cognac lors de sa sortie. Ouais, sauf que tous les gens impliqués dans son tournage, en parlent comme d’un film sur la vie, sur la crise de la quarantaine, voire un film sur des histoires d’amour contemporaines. Et que le film divise. Ceux qui le trouvent génial, sommet du polar psychologique. Les autres parlant d’un thriller soporifique où il ne se passe rien. Ces autres ont tort (tel est mon point de vue, ferme, définitif et incontestable).
Ray Lawrence en pleine crise d'hystérie
« Lantana » est réalisé par Ray Lawrence, australien d’origine anglaise un peu moins connu que George Miller, si vous voyez ce que je veux dire … Il a fait que trois films, dont un premier qui paraît-il a fait date en son temps (« Bliss », jamais vu). D’ailleurs ça marchait tellement fort pour lui au pays des kangourous qu’il s’est cassé à L.A. tourner des téléfilms. Lawrence, c’est un laborieux pas très doué. Visuellement, « Lantana » est même plutôt pénible. Par contre, l’histoire est prenante. Très. Merci donc à l’inconnu au bataillon Andrew Bovell dont la pièce de théâtre « Speaking in tongues » sert de base au scénario.
« Lantana » n’est cependant pas une pièce de théâtre filmée, malgré une immense majorité de scènes en intérieur. Avec gros plans sur la tronche des acteurs. Un casting hétéroclite (des australiens, des américains) composé d’illustres inconnus ou de tombés aux oubliettes pour l’amateur de cinéma lambda. Le « héros », le flic Leon Zat, c’est Anthony LaPaglia (Anthony qui ?). Mou, bedonnant, parfois colérique voire impulsif (l’acharnement à coups de pompes sur un petit dealer), queutard désabusé à la sauvette. Pas du tout Dirty Harry, quoi. Pas non plus Columbo, aucun coup de génie dans la résolution de l’enquête. A ses côtés une multitude de protagonistes dont la principale qualité est de se présenter par couples. Même si tous auront leur rôle à jouer dans le drame, ce sont surtout les relations internes (ou extraconjugales) de ces couples qui sont aussi le cœur du film. On remarque dans cette galerie de portraits la star ( ? ) australienne Geoffrey Rush (trogne de serial killer), employé dans quelques nanars sanguinolents et même dans un épisode de « Pirate des Caraïbes », ou la disparue des radars après quelques apparitions remarquées (chez Kaufman, Levinson, Allen ou Scorsese) Barbara Hershey (la psychiatre femme de Rush).
Le flic (Anthony LaPaglia)
L’histoire dans « Lantana » ? Irracontable, tant les destins de ces couples qui vont finir par se croiser et s’enchevêtrer sont compliqués. L’histoire, au sens polar du terme, elle commence pile poil au milieu du film avec la disparition de la psychiatre Valerie Somers (Hershey). Et aussi sa mort, qui ne fait guère de doute. Avec immédiatement trois suspects idéaux. Le mari (ils n’ont pas de vie commune, détruits et traumatisés à jamais par l’assassinat de leur petite fille deux ans plus tôt). Le client de la psy homo et menaçant dont tout laisse à penser qu’il a une liaison avec le mari de la psy. Le chômeur père de famille qui commence à être nombreuse et voisin de la maîtresse du flic qui passe son temps à l’espionner sans qu’on sache si c’est parce qu’elle envie de se le faire ou si c’est juste une maniaque insomniaque.
La psy (Hershey) et son mari (Rush)
Galerie de portraits auxquels il faut rajouter la femme du flic (cliente de la psy, mais son mari ne le sait pas, c’est à peu près la seule trouvaille qu’il fera lors de son enquête), qui se change les idées en prenant des cours de salsa (où traînent aussi son mari et sa maîtresse), en se faisant draguer par des minots de vingt ans tout en essayant de gérer tant bien que mal ses deux ados de fils. Ou la collègue de bureau du flic, qu’on sent prête à se taper le bedonnant, mais également amoureuse transie d’un mec qu’elle croise au resto qu’elle passe longtemps sans revoir (normal, il s’est fait démonter la tête par le flic d’un coup de boule accidentel lors d’un jogging, ce qui vaudra au « héros » de se balader pendant une bonne partie du film avec un sparadrap sur le pif, comme Nicholson dans « Chinatown »). Ou encore le mari de la maîtresse du flic (celle qui espionne son voisin, voir plus haut) qui a rencontré le flic dans un bar où il était allé se requinquer après avoir croisé dans la rue la psy en plein pétage de plombs. Ou encore … Vous suivez ? Non, c’est normal. Il y a dans « Lantana » cette mise en scène de tous ces destins qui se croisent en s’entrechoquent, marque de fabrique de réalisateurs comme Altman (parfois) et Iñarritu (toujours).
« Lantana » est un film assez atypique, perpétuellement à cheval entre drame psychologique (mais on n’est pas chez Cassavetes ou Bergman) et polar mou (pas un coup de flingue, pas une poursuite en bagnole, pas de suspense …). Logiquement, ça devrait donner quelque chose d’immensément chiant. Et finalement, on ne sait pas pourquoi, c’est captivant. On passe presque deux heures à observer toutes ces tribulations quelconques en se prenant à tous ces jeux schizophrènes, tous ces gens qui s’attachent à cacher une part d’ombre de leur personnalité qu’on se surprend à découvrir au fil des plans.

Un film totalement improbable. Un très grand film pourtant …