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TY SEGALL - MANIPULATOR (2014)

La relève ?
Ty Segall, la tarte à la crème de la critique rock, tendance « c’était bien mieux avant ». L’Espoir majuscule de ceux pour qui toute forme de musique qui vaille d’être écoutée est parue avant 1980. Cela commence à faire quelques années que son nom circule, et que les éloges pleuvent sur son œuvre. Alors que ce jeune gars de vingt sept ans (gaffe, mec, c’est l’âge fatidique pour rentrer dans la légende les deux pieds en avant) a un parcours pour le moins déroutant.
Brian Eno période Roxy Music ? non, Ty Segall
Des disques en veux-tu en voilà qui partent dans tous les sens, des projets parallèles innombrables. Avec comme terrain de jeux la scène indie-garage-machin de San Francisco qui gravite autour de la figure tutélaire de John Dwyer, le leader des (entre mille autres) excellents Thee Oh Sees. Aux dires de ceux qui suivent Segall dans ses pérégrinations ininterrompues, y’a chez lui de la qualité qui a besoin d’être canalisée. On passe du folk introspectif au rock heavy psychédélique tendance Blue Cheer (un de ses derniers projets, le « groupe » Fuzz, tous larsens et comme son nom l’indique pédales fuzz en avant, dans lequel Sygall est batteur, alors que d’ordinaire il chante et joue de la guitare). Et comme il est sur de petits labels et semble peu préoccupé par tout ce qui touche à la « gestion » de sa carrière, le bonhomme semblait se confiner à une célébrité ne dépassant pas le bouche à oreille entre « initiés » et s’en contenter.
Il semblerait que Segall ait avec ce « Manipulator » décidé de passer la vitesse supérieure. Sans toutefois se vendre au music business. Le disque paraît sur le label de Chicago Drag City, étiqueté « indie-rock expérimental », et il m’étonnerait fort que l’objectif marchand soit de rivaliser avec Rihanna ou Kanye West. Ceci posé, « Manipulator » est un disque ambitieux, qui entend reprendre les choses là où les grands dinosaures des seventies les avaient laissées. A savoir qu’à cette époque, pour passer un palier supplémentaire et définitivement assoir sa légende, le truc à faire c’était le double album. Des Who aux Stones en passant par Led Zep, c’était l’exercice obligé. On fera pas à Segall l’injure de le comparer à ceux-là (même si les doubles des Who, qu’ils soient des 70’s ou pas, on peut pas dire que … bon, vous avez compris), et lui-même, qui me semble pas trop con, ne s’y hasarde pas. Mais y’a de çà, comme des airs de « Physical graffiti », difficile d’esquiver la comparaison … même s’il serait vain d’essayer de trouver dans « Manipulator » quelque chose qui s’apparente à « Kashmir », « Custard pie » ou « Houses of the holy ».
Kurt Cobain unplugged ? Non, Ty Segall
Même si « Manipulator » est un disque à guitares. Mais aussi, et c’est chose assez rare pour être souligné, à chansons. Si, si … des titres courts, nerveux, mais « construits », avec des couplets, des refrains, des ponts, des solos, des gimmicks décoratifs, et ingrédient indispensable, des mélodies mémorisables sinon mémorables. Parce que des murs de feedback, les quatre premiers cons venus avec les cheveux dans les yeux sont capables de faire (voir tous les grungeux des 90’s et leurs descendants). Mais aligner 17 titres et faire en sorte qu’on commence pas à bâiller à partir du quatrième, c’est peu commun par les temps qui courent et Segall y parvient. Je sais pas si son disque sera cité comme un de ceux qui ont compté dans le rock (enfin si, je me doute un peu qu’il sera moins célébré dans les siècles qui viennent que – au hasard – le « Double Blanc »), mais là le Segall a sorti un truc comme il en sortira pas des quantités dans l’année.

Il y a dans « Manipulator » des choses variées sans que ça sonne auberge espagnole sonore. Parce qu’il y a une unité de son d’abord (une ambiance rétro-seventies de bon goût), parce que délibérément, c’est la guitare au cœur de tous les titres (lucidement, le garçon n’entend pas se livrer à une imitation forcément risible de Page ou Hendrix). Et ensuite, comme un Lenny Kravitz qui aurait oublié d’être neuneu, c’est plein de clin d’œil, d’hommages plus ou moins distanciés aux « grands anciens », sans jamais sombrer dans la copie, la redite ou le mimétisme … Segall a fait un travail de fourmi (hein, que vous l’attendiez, celle-là, bon c’est fait), évoquant T.Rex (« The man skinny lady », The clock »), le krautrock (« The connection man »), les vieux dinosaures boogie (« The faker »), les Who de Tommy repris par Black Sabbath (« The feels »), le rock (folk ou pas) barbouillé de psychédélisme comme il en pleuvait dru il y a quarante cinq ans, tout le circus heavy hardos de la même période (avec même l’obligatoire solo de batterie, ici pour rire, du moins on l’espère, sur « Feel ») …
Seule concession à l’air du temps (enfin, l’air d’il y a dix-quinze ans), la batterie très hip-hop style de « Mister Main », et seule concession à ceux qui voudraient que pareil phénomène vende des disques, le très middle of the road « Stick around » qui conclue le skeud.
Mention particulière et félicitations du jury pour « Manipulator » le titre, qui en trois minutes fait alterner vieux synthés (ceux de « Who’s next » ?), guitares carillonantes à la U2 – Alarm – Big Country, solo tout en saturation et mélodie étrange. Un truc qui pourrait faire un single totalement zarbi à la « When doves cry » de Prince (1984, ce qui ne rajeunit personne, et surtout pas moi). Mention aussi pour « The hand » qui sur un seul titre fait défiler tous les plans qui ont fait la gloire et la fortune de Led Zep (l’atmosphère celtique, les riffs hardos et le passage acoustique).

« Manipulator », c’est le disque parfait fait par un jeune pour des vieux …


PUJOL - KLUDGE (2014)

Un état d'esprit ...
Pujol, c’est plus ou moins un groupe, tant le dénommé Daniel Pujol y tient une place primordiale (compositeur et multi-instrumentiste). Comme son nom ne l’indique pas, Daniel Pujol vient de Nashville, Tennessee. Et non, il ne donne pas dans la country. Son truc, ce serait plutôt … plein de choses en fait, essentiellement des vieilleries ripolinées aux couleurs du temps. D’ailleurs, il a sorti dans le temps  un (quoi d’autre) 45T vinyle sur le label Third Man, celui du Monsieur Loyal de la ville, le sieur Jack White himself.
Ce « Kludge », il paraîtrait qu’il a été enregistré la nuit, dans un centre de prévention et de soins pour jeunes candidats au suicide, avec du matos plus ou moins hors d’usage refilé par des associations caritatives. Il semblerait aussi que Pujol et sa troupe n’aient pas été soignés-résidents de ce centre. Une anecdote peut-être, mais qui traduit bien une nouvelle forme de « do it yourself ». Un cheminement très punk, davantage par l’esprit qu’au sens 1977 du terme.
Daniel Pujol, un pneu garage ...
« Kludge » n’a rien à voir avec Clash, Pistols, Ramones (quoique, parfois), ou Television. Pujol donne plutôt dans une sorte de power-pop, genre musical ayant connu son apogée vers 1978-80, ce qui ne nous éloigne guère de 77, on en conviendra. Cette attitude à l’arrache, démerde, de SDF musical se ressent. Il y a dans ce « Kludge » un aspect lo-fi indéniable, tout ce vieux matos étant assez imprévisible, fonctionnant correctement quand il en avait envie, et comme cette troupe dépenaillée n’avait pas les moyens de s’éterniser, plein de pains, d’approximations et autres bugs ont été conservés. Même si cet aspect lo-fi n’est valable que pour l’aspect technique, la tendance globale du skeud étant plutôt à la luxuriance instrumentale, quitte à flirter parfois dangereusement avec le syndrome Arcade Fire – Of Montreal.
Bon, de ces disques estampillés « Système D », j’en ai des wagons chez moi. A d’infimes exceptions près (j’en ai pas là des masses qui me viennent à l’esprit, tiens si, Jonathan Richman ou Young Marble Giants, … et s’il m’en arrive d’autres, je vous dirai), un disque vite fait est forcément quelque part un disque cafouilleux,  qui laisse sur sa faim et un furieux goût d’inachevé. « Kludge » n’échappe pas à la règle. Y’a du potentiel, du « background », du « vécu », mais aussi du j’m’enfoutisme flagrant peut-être à propos et marrant pour ceux qui le font, mais bon, quand t’écoutes ça peinard chez toi, ça le fait beaucoup moins.
Pujol live
Des exemples ? OK … « Dark haired suitor » et « Spooky scary », ça fait un peu Bob Dylan imité par un ventriloque, si vous voyez ce que je veux dire … Quoi que le type qui chante (Pujol ?) a une voix encore plus pénible, quelque part autant crispante et « difficile » que celle de Kevin Coyne qui passe mieux dans le registre hystérique que dans le registre conteur. Et cette volonté à vouloir coller au plus près à de vieux totems (en moins bien) est plutôt en défaveur de Pujol, on a l’impression d’avoir affaire à des versions du pauvre des Pixies (« Manufactures ») ou de Hüsker Dü (le dernier titre « caché »).
Finalement, ces types-là je les trouve meilleurs quand ils se lâchent dans des choses crétines et premier degré (« Pitch black » le punk tendance bubblegum ?), « Small world » avec son gimmick d’orgue Bontempi pas entendu depuis au moins Charlie Oleg) que quand ils se la jouent « sérieux ». Pas la peine qu’ils chiadent leur power-pop déclinée un peu à toutes les sauces, de toutes façons ils se retrouveront à la fin à brailler devant trois punks à chien sur un tapis de gros riffs hardos (le titre live « Post grad » où on entend réellement les clebs des punks aboyer, à tel point que je me demande si c’est pas un fake total).

Au final, un (des ?) talent(s) certain(s) pour un disque sans prétention. Corollaire, un disque pas vraiment indispensable …


PIXIES - BOSSANOVA (1990)

Sitting on the top of the world ...
Y’en a pas beaucoup des groupes, peut-être une paire de poignées au maximum, qui à un moment se sont retrouvés dominant tout le reste du troupeau de la tête et des épaules. Pour moi, les Pixies ont fait partie de ces Elus, quelque part vers la fin des années 80 et le début des années 90. Les Pixies ont redonné à ceux qui les écoutaient … plein de choses et de sentiments diffus, des petits frissons le long de la colonne vertébrale, aussi l’espoir … que le rock pouvait se régénérer et non plus dégénérer en laissant le devant de la scène à de cyniques bateleurs juste là pour la thune, tous ces ersatz de chanteurs et de musiciens qui paradaient au sommet des fuckin’ Top 50 et passaient en heavy rotation sur MTV.
Black Francis
Mais les Pixies, c’est pas un conte de fées, l’histoire qui finit bien du vilain petit canard qui se transforme en cygne majestueux… Non, les Pixies, ils ont vendu des nèfles, et se sont sabordés dans une ambiance et une atmosphère délétères. Et ils ont jamais été glamour pour deux sous …  N’empêche … Ce « Bossanova », je vous le dis ma bonne dame, c’est quand même quelque chose, des skeuds comme on aurait aimé en entendre plus souvent …
Parce là, avec « Bossanova », les Pixies ont tout donné, sont allés aussi loin que possible. Certes, ce devait pas être leur label, 4AD, un des plus exigeants en termes de qualité artistique, qui leur foutait la pression pour faire du chiffre de vente. Les Pixies ils aimaient peut-être bien passer pour le groupe le plus cool de la Terre, mais bon, il serait rentré un peu de thune dans la lessiveuse, ils s’en seraient pas offusqués. Les réputations en béton, c’est bien joli, mais quand t’envisages de peser cent cinquante kilos comme Black Francis, faut aussi de quoi becqueter… Tout çà pour dire que quand « Bossanova » est sorti, et croyez-moi, j’y étais, certains prétendus fans ont fait la grimace, et lâché l’insulte suprême : « commercial »… Bande de sourds … Z’avez rien compris, ni aux Pixies, ni à la zique, ni au wokanwol … z’avez rien compris à rien, d’ailleurs, tas de nazes …
Kim Deal
Parce que je vais vous dire, les quatre premiers cons venus, ils foutent le museau dans le manche de la gratte et les potards de l’ampli sur onze, et ils feront du boucan. Y’aura juste un problème quand il faudra passer à l’écriture des chansons. Des frangins Bruitos tendance hard(core), c’en est plein les encyclopédies du rock. Au mieux sympathiques le temps de trois titres, au pire inécoutables. Les Pixies viennent pour une grande part de ce monde-là, le hardcore, Sonic Youth et Hüsker Dü. Les Pixies sont sortis du lot, parce que à l’instar des New-Yorkais arty et des défoncés de Minneapolis, ils ont été capables d’écrire des putains de grandes chansons, des trucs que tu les entends une fois et qui te restent à vie dans la tête. En plus les Pixies ils ont su faire ça quasiment d’entrée, sans passer par la case de la demi-douzaine de skeuds « difficiles » comme les deux autres.
Et là, avec « Bossanova », ils sont pour moi à leur sommet. La maîtrise totale du « quiet-loud » qui a fait la fortune de Nirvana et autres grungeux et indie-poppeux à guitares en avant, et dont beaucoup se seraient contentés. Mais les Pixies c’est beaucoup plus que çà. La voix lead ou les chœurs de Kim Deal confèrent à tous les titres sur lesquels elle intervient une douceur éthérée qui vient se fracasser sur les couinements et hurlements de goret de Black Francis ou sur les guitares tronçonneuse-perceuse du métèque Santiago (rappelons que ce basané, cofondateur du groupe avec le gros, tient toute l’architecture sonore des Pixies avec sa gratte). N’oublions pas non plus qu’un lustre avant les BO de Tarantino, les Pixies foutaient de la surf music partout sur leurs disques, et « Bossanova » n’échappe évidemment pas à la règle (l’instrumental « Cecilia Ann », un peu plus loin « Ana »).
Joey Santiago
Tout ça, perclus de gimmicks insensés (que ceux qui ne sont pas foutus de trouver un truc pour rendre intéressant un morceau s’envoient « Dig it for fire » il y a dans les arrangements hallucinants de ce seul titre matière à publier un double-album), de poussées de fièvre tachycardiques (le frénétique « Rock music », « Hang wire » passerelle entre hardcore 80’s et grunge 90’s), de mélodies dignes de la sunshine pop (« Velouria »), et surtout, surtout, de ces choses curieuses et inimitables qui n’appartiennent qu’aux Pixies.
« Is she weird » invente et définit l’indie-rock des décennies à venir, « All over the world » est une construction pop à deux voix qui semble venir en droite ligne des sixties mélodiques, « Stormy weather » m’a toujours fait penser aux Beatles du Double Blanc (pourtant pas une référence mise en avant par le gros et la toxico), en fait faudrait les citer quasiment tous tant ce disque part dans tous les sens, les merveilles succédant aux merveilles. Les grincheux auront beau jeu de noter que « Blown away » évoque fortement « Gouge away » (et pas seulement par son titre), ne manqueront pas de signaler que ce « Bossanova » a été, comme le reste de la disco du groupe, un flop commercial, et qu’on n’y trouve pas l’ombre d’un de ces immenses hits underground tardifs comme l’ont été « Where is my mind » ou « Monkey gone to heaven ».
David Lovering

Il n’empêche que des gens qui ont le bon goût de s’inspirer avant Cobain (décidément) du « The man who sold the world » de Bowie (sur « All around the world »), qui truffent les textes de références débiles de science-fiction bas de gamme, qui présentent le plus beau quarteron de moches jamais réunis dans un même groupe (oui, Kim Deal était « cool », mais assez loin physiquement de Debbie Harry, si vous voyez ce que je veux dire), ben ces gens-là, ils avaient tout pour se vautrer en beauté. Ce qu’ils ont évidemment fait. Mais en laissant derrière eux une poignée de disques cruciaux dont « Bossanova » constitue pour moi le fleuron.

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TEMPLES - SUN STRUCTURES (2014)

Le retour des babas ?
A force de revivals, il y en a qui vont finir par se frotter à de vieux trucs un peu chelous qu’on préfèrerait voir oubliés à jamais (à quand le retour au jazz-rock et au prog emersonien ? ça fout les jetons, hein ?). Et bizarrement, la plupart de ceux qui sont censés savoir dans les médias, s’entichent régulièrement de ces passéistes, alors qu’il y a des fois où l’on aimerait bien avoir des nouveaux noms, certes, mais qui proposent quelque chose de frais, d’original … quoique, y a-t’il encore quelque chose de nouveau, d’original, à découvrir ? Tout n’aurait-il pas été déjà entendu ?
La hype du moment, ça risque d’être les Temples. Anglais comme il se doit, qui après quelques singles accrocheurs, catchy comme on disait avant qu’ils naissent, livrent avec ce « Sun structures » un premier disque censé marquer son temps. Il paraît que Johnny Marr et Noel Gallagher adôôôôrent les Temples. Oh putain, le Marr et le Gallagher, deux ringards de chez ringard, qui ont pas sorti quelque chose d’audible depuis … et qui de toute façon n’ont jamais brillé par leur esprit musical aventureux (les Smiths et Oasis, c’était déjà du revival).

Les Temples, donc. Il me semblait avoir compris tout leur truc avant d’écouter les skeud. De la pochette, où on voit quatre types éparpillés dans la nature façon « Who’s next », avec son château pour prince charmant de manga, avec son leader-chanteur James Edward Bagshaw qui s’est fait un look Marc Bolan 71, avec ses titres de morceaux qui fleurent bon le retour de la revanche du rêve hippy. Le binôme central du disque s’énonce « Move with the seasons » - «  Colours to life » et on entend déjà les clochettes, les guitares fuzz, on sent l’encens et le patchouli au milieu de ces communautés du retour aux sources qui font l’amour aux arbres entre deux prières à l’alma mater.
Bon, ben, bingo ! C’est exactement de ça dont il retourne. Dans un impressionnant numéro de singes savants les quatre zozos des Temples ressuscitent le cauchemar hippy, sans vraiment prendre la peine de le mettre au goût du jour. Ce « Sun structures » (« Nous sommes du Soleil » ?) est un exercice de style. Parfois brillant. Témoins le titre d’ouverture (« Shelter song ») amusante pop pour hippies, « The golden throne », qui pourrait faire un single un peu pute avec ses synthés vulgaires et ses trompettes à la Love, « The guesser » bossa nova détournée sur une mélodie qui doit beaucoup au « Walk on by » de Dionne Warwick. Et puis le gros truc de ce skeud, c’est pour moi « Sand dance », plus de six minutes, motifs arabisants, comme si ces minots avaient voulu sur leur premier disque sortir leur « Kashmir ».
Tout n’est pas de ce bon niveau. L’essentiel, c’est quand même ripolinées avec les plug-ins à la mode, des recettes, des tics d’écriture, des harmonies vocales, des incantations qu’on a entendu des milliards de fois ailleurs il ya longtemps. Sur les compiles Nuggets (« Sun structures » le titre, « Test of time », ces pop-rocks psychédéliques des 60’s). Chez le gourou new age Devendra Machin (« Move with the season »), chez gloups … Yes (« Mesmerise », on croirait entendre le maléfique Wakeman). Aussi des mélodies tristes remplies d’harmonies vocales («Keep in the dark ») comme les Beach Boys après « Pet sounds » quand ils étaient gavés de LSD. Globalement, les Temples, on dirait le résultat d’une improbable fornication entre The Coral (le côté pop de foncedé) et l’Incredible String Band (la fanfare buissonnière hippie des 60’s) …

Tiens, à ce sujet, y’a deux questions qui me turlupinent : les Temples ont-ils déjà pris du LSD ? Vivent-ils encore chez papa-maman ? Tout ça pour dire que si c’est pas vraiment mauvais, c’est pas non plus renversant, on sent la recherche du truc dans l’air du temps, du marché de niche, … Pas l’impression d’avoir perdu mon temps à écouter cette rondelle, mais pas l’impression d’avoir eu affaire à de futurs cadors du rock …

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CAGE THE ELEPHANT - MELOPHOBIA (2013)

Prendre leur défense ?
Non, comptez pas sur moi, faut pas déconner … Tout chez ces types sonne faux. Pensé, pesé, réfléchi. Le retour sur investissement attendu (y’a de la thune derrière, in fine celle de Sony, qui finance leur label prétendu indépendant Relentless).

« Melophobia » de Cage The Elephant … Juste Ciel, peut-on faire plus neuneu que pareils intitulés ? … enfin, passons … passons aussi sur la pochette, on dirait celle de « Albion » de William Sheller relookée par un trisomique … Ces types, le coup d’avant (« Thank you happy birthday »), ils se prenaient pour Nirvana et tous les chevelus grunge. Aujourd’hui, ils font de la power pop, genre Blondie dans les années 2000 ou Strokes des années 80 … ou le contraire, peu importe … Comme à peu près tout le monde, incapables de créer, ils imitent. C’est la tendance depuis presque trente ans, faut faire avec… ou sans, on n’est pas non plus obligé de se fader tous ces ersatz de pacotille …
Et malgré mes airs d’incorruptible, je suis parfois preneur de ce genre de choses. Quand c’est bien fait, quand on sent une démarche de fans, de types qui sont à fond dans le truc, dans leur truc … Mais les Cage Machin, à l’instinct, c’est juste des branleurs qui veulent réussir à refiler du skeud, et sont prêts à tout pour çà, y compris donc à changer leur fusil d’épaule à chaque rondelle.
« Melophobia », il est même pas mauvais… Juste sans intérêt. Derrière chaque note, chaque mesure, chaque couplet, on sent le brainstorming pour que ça sonne comme ceux-ci ou ceux-là… Le prolo du dimanche Lavilliers il disait que la musique est un cri qui vient de l’intérieur. Les Cage Bidule, ils préparent de la musique comme les mecs en blouse blanche des labos Monsanto nous préparent la bonne bouffe OGM de demain. 

Ce « Melophobia », il peut même résister aux critiques. Parce que c’est bien fait, on peut pas le leur enlever. Totalement pute, mais bien fait. Y’a même des morceaux qui pourraient faire des hits pas trop honteux (« Come a little closer », le plus évident, mais pourquoi pas aussi ce « Hipocrite » plein d’arrangements et de gimmicks malins). Il y a aussi beaucoup de choses d’une vulgarité crasse … Ah, ce « Take it or leave it », on Dirait Début de Soirée (« et tu chantes, chantes, ce refrain qui te plaît … » spéciale dédicace à tous les connards sourds qui trouvent géniales les années 80) qui reprendrait Chic ou Blondie … Et puis, cette voix du type qui chante (je veux même pas savoir comment il s’appelle) geignarde dans les aigus (« Telescoped») comme du Thom Yorke shooté à l’hélium … Et pourquoi avoir recours à une vraie section de cuivres, si c’est pour les faire sonner comme des synthés sur « Black widow », dommage, ce titre serait presque une amusante parodie des thèmes des James Bond des années 80 …
Pourtant, je veux bien croire ces types sont pas trop cons à la base, ils sont même capables de pondre un titre intéressant, en l’occurrence « Teeth » qui mêle de façon étrange boucan grungy, rap metal, sax free stoogien et final beefheartien … un numéro d’équilibriste sonore certes idiot, mais bizarrement plutôt réussi …
Un peu tout le paradoxe de ces types … comme leur parcours géographique d’ailleurs, ayant quitté les States (ils viennent du Kentucky, terre des ploucs sudistes, voir les Kings Of Leon) pour Londres … On les sent capables de faire de bons trucs, mais là ils m’ont l’air complètement maraboutés par toute une armada de managers, conseillers marketing, agents de communication, toute cette faune de parasites incompétents qui gravitent dans le milieu musical … lâchez-vous, les mecs, faites votre truc, et envoyez bouler tous ces tocards, le résultat sera peut-être bien meilleur …

Et une énigme pour finir. Y’a Alison Mosshart (oui oui, celle des Kills et de Dead Weather) en guest sur un titre. Que celui qui a des indices sur le pourquoi du comment de cette apparition saugrenue sur cette rondelle le fasse savoir, il n’y a rien à gagner …


DOUG TUTTLE - DOUG TUTTLE (2014)

Encore un ?
Encore un quoi ? Ben voyons, encore un type qui fait de la musique en regardant dans le rétroviseur. Direction années 60 psychédéliques. Pas le premier, oh certes non, sûrement pas le dernier non plus, tant on redécouvre régulièrement monts et merveilles de cette période, une des plus foisonnantes en matière de production, et aussi de qualité musicale.
Et alors, qu’est-ce qu’il a de plus ce Doug Tuttle que les autres ? Et qui c’est, d’abord ce zigoto, il sort d’où ? Euh, j’en sais foutre rien, il est américain, chevelu ( ? ),  son dernier groupe s’appelait Mmoss ( ?? ), il y jouait avec sa gonzesse qui s’est barrée, il s’en est trouvé fort marri (ce qui a donné l’inspiration et les textes de ce disque), et est parti vivre son aventure tout seul comme un grand. Echoué sur le label de Chicago Trouble In Mind, où sévit le jeune prodige Jacco Gardner, le Batave planant responsable l’an dernier d’un somptueux « Cabinet of curiosities », tout parfumé au … pop-rock psychédélique 60’s. Voilà voilà, la boucle est bouclée …

Ce « Doug Tuttle », donc, il empeste le cœur du centre du milieu du monde psychédélique américain, la Californie des années 65-66-67. Le Tuttle, il a du écouter les Byrds de 65-67, et aussi tous les groupes de San Francisco de l’époque. Ça sonne donc rigoureusement vintage, avec notamment un batteur nerveux qui pulse, loin des coups de pompe sur des doubles grosses caisses mixées en avant à la mode depuis plus de trente ans. Le Tuttle, lui, il a tout composé, chante et joue de la guitare. Les compos, c’est de l’exercice de style, classique, bien fait, mais ça a un peu tendance à tourner en rond dans des climats brumeux et cotonneux, notamment dans la seconde partie du disque, avant une bienvenue éclaircie finale. Le chanteur Tuttle, c’est pas une des grandes voix du rock c’est sûr, mais c’est fait simplement, proprement, en ajoutant plein d’effets et de filtres pour un rendu gris, opaque, souvent bien secondé par des harmonies vocales de comparses bien en place (le côté Byrds évident). Là où il est le plus impressionnant, c’est à la guitare. A l’opposé du m’a-tu-vu bling bling oyez oyez comme je joue vite et que je suis technique de mise chez tous ceux qui se prennent pour Clapton, Beck, Page, Hendrix ou qui on voudra au Panthéon, Doug Tuttle est d’une sobriété, d’un bon goût et d’une efficacité jamais démenties. C’est pourtant un sacré client, écoutez dans l’exercice de style archi-rebattu du long solo ce qu’il fait sur la ballade lysergique « Turn this love », il n’a rien à envier à ces maîtres de la six-cordes discrets du rock psyché que furent Jorma Kaukonen ou John Cippolina. Ce « Turn this love » est le titre de loin le plus long (6 minutes) du disque. Les dix autres sont expédiés aux alentours des deux-trois minutes réglementaires.

Ça commence par un hybride entre les Byrds et le Floyd de Barrett (« With us soon »), ça donne sans équivoque la ligne de ce qui va suivre, et ma foi, c’est assez accrocheur d’entrée. On s’aperçoit que Tuttle met souvent au début ou à la fin, voire au début et à la fin de ses titres des effets de bande accélérées ou ralenties et ça devient un gimmick assez agaçant tant c’est finalement prévisible. Les mélodies sont pour la plupart simples et bien trouvées (mention particulière à « Forget the day » et sa tentative plutôt réussie de boucle cosmique à la « A day in the life »), avec toujours cet effet madeleine proustienne qui renvoie à sa période chérie. Ça pique un peu du nez sur les tempos médiums et embrumés, et on en vient parfois à penser au shoegazing de My Bloody Valentine (flagrant sur « Where you plant … » avec là aussi une jolie partie de guitare). Une (légère) poussée d’adrénaline, un rythme plus enlevé (« Lasting away »), on se retrouve en présence de pop bubblegum (ou yéyé), c’est amusant mais quelque peu anecdotique. Après deux-trois titres qui font redite, le tempo se fait plus enjoué vers la fin du disque (« I will leave », c’est exactement comme les Byrds pop, les titres que composait Gene Clark sur « Mr Tambourine Man »). Le final (« Better days »), comme son nom l’indique, signe la fin de l’ambiance mélancolique et ouvre une fenêtre vers un futur qui pourrait plus gai …

Faudra pour ça en dépoter quelques-uns de ce « Doug Tuttle ». C’est pas gagné, même s’il surnage assez facilement du lot des productions rétro de ces jours-ci …


THE SPECIALS - THE SPECIALS (1979)

Punky reggae party ...
Le punk, c’est bien … on a vite fait le tour, mais c’est bien quand même. Il y avait dans l’Angleterre de la fin des 70’s une alternative aux mastodontes du rock, tous ces types qui approchaient le quarantaine et qui, en plus, étaient pas au mieux artistiquement. La jeunesse prenait le pouvoir (enfin, elle le croyait). Retour au sain boucan, à l’approximation bordélique, aux fondamentaux du rock’n’roll, à la simplicité, à l’esprit de démerde (do it yourself) …
Y’avait juste un petit problème : tu fais quoi, quand t’as vingt ans en province, et que les Pistols, le pub-rock, Eddie Cochran, te gavent autant que Yes, Clapton et les Stones ? Tu fais quoi, quand t’es une bande de potes dont quelques-uns sont pas blancs ? Tu fais quoi quand les trucs que t’écoutes c’est des trucs jamaïcains de la décennie passée ? Si tu te bouges pas le cul, t’es mort, personne entendra jamais causer de toi …
Ce postulat, Jerry Dammers, leader de cette bande de potes un peu paumés et en tout cas hors sujet musicalement, l’avait parfaitement compris. Les majors s’en foutent des Specials ? On va monter un label. Comment se faire connaître ? En étant rigoureux (en bossant sur sa musique, quoi), et en étant originaux. Dammers a fait tout çà. En créant 2 Tone Records, en écrivant au moins la moitié des titres, en trouvant ce gimmick (le 2 tone) exploité à fond. Les vieilles fringues en noir et blanc, idem le logo du label, les flyers, tout à base de damiers … Quasiment à lui seul, Dammers est responsable du ska revival … L’Histoire, cruelle, fera la fortune de Madness. Pour les Specials, ne resteront que la légende (mais ça remplit pas l’assiette, la légende), et les emmerdes …

Le ska, c’est la Jamaïque, on sait … en Angleterre dès le début des années 60, les skinheads vont s’approprier la musique jamaïcaine, en faire leur chasse gardée. Les skins, au début, c’était de braves gars, prolos et de gauche. A la fin des années 70, les skins c’est des fachos proches du National Front, mais qui continuent d’écouter du ska. Ces sinistres connards se pointeront en nombre à tous les concerts ska avec leurs conséquences prévisibles (passage à tabac de tout ce qui n’est pas blanc, bastons systématiques avec les punks, etc … ). Les Specials sont à des lieues de cette idéologie nauséeuse, mais l’ambiance délétère de leurs concerts leur coûtera cher, leur carrière en fait.
Parce que le premier disque des Specials, il enfonce toute la concurrence (Madness, Selecter, Bad Manners, The (English) Beat). Parce qu’en plus d’avoir écrit trois poignées de titres sans points faibles, les Specials vont bénéficier à la production des services d’un type alors en état de grâce, le sieur Elvis Costello. « The Specials » est un régal. Pour chaque titre, il y a toujours une trouvaille sonore. Sans toutefois dénaturer le propos, la base et l’essence des titres. Déjà, sur quinze titres, plus de la moitié ne sont pas du ska. Il y a du reggae, du rock steady, du dub, du lovers rock (et non, c’est pas la même chose ...). Et parfois même un fonds rock (« Concrete jungle »), voire rock’n’roll (« Dawning of a new era »). Priorité est donnée fort justement à la rythmique (fabuleux arrangements des parties de batterie, et une basse omniprésente), à la mise en place vocale (deux chanteurs, et deux autres qui interviennent dans les chœurs) et aux mélodies nerveuses (le rythme originel de la musique jamaïcaine est très souvent accéléré).
Sur quinze titres, un seul est à mon sens raté (« Stupid marriage »), et un autre un peu hors-sujet (« Concrete jungle », avec ses rythmes tribaux à la « We will rock you » de Queen). Le reste, c’est du tout bon. Bien que des vrais hits, il n’y en ait qu’un, « Gangsters », absent du vinyle original mais rajouté depuis sur toutes les rééditions. D’autres titres, relativement anonymes pour le « grand » public, auraient mérité le haut des charts (« A message to you Rudy », « Doesn’t make it alright » sont les plus évidents. Mention particulière au long « Too much too young », reggae-ska sur une boucle rythmique de six minutes, jouant sur d’imperceptibles variations, et démontrant par là-même qu’instrumentalement les Specials assuraient (on n’était pas dans l’approximation punk), et qu’encore une fois Costello faisait des miracles à la console.

Potentiellement, les Specials avaient  tout pour réussir (les parties de guitare de Roddy Radiation sont un régal, il aborde chaque morceau différemment, les cuivres savent être discrets dans leur efficacité), et une marge de progression assez impressionnante, les amenant à préparer un second disque beaucoup plus ambitieux, débardant le cadre du reggae au sens large. C’est surtout humainement que la mayonnaise ne prendra pas. Jerry Dammers, personnage clé du groupe, est assez peu « visible » aux claviers et les ego ne vont pas tarder à prendre le dessus. Plus que la retombée de la vague éphémère du ska, c’est le clash des personnalités qui provoquera la chute des Specials.
L’héritage laissé par le groupe ne sera pas à la hauteur de son talent. Les Specials, on n’en a retenu que la matrice d’un ska festif up tempo, pénible passage obligé de tout festival qui se veut « sympathique » et « populaire », alors que dans ce premier disque, il n’y a réellement qu’un titre (« Nite Klub ») qui réponde à cette définition …

Les « vrais » Specials (plusieurs moutures du groupe avec quelques-uns des membres originaux essayent de temps en temps de revenir sur le devant de la scène, sans aucun succès) n’ont sorti que deux disques. Celui-ci est d’assez loin le meilleur …

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THE STRANGLERS - RATTUS NORVEGICUS (1977)

1977, l'année du Rat ?
La tornade punk s’abattait sur l’Angleterre. De partout surgissaient des bandes de jeunes cons dépenaillés bien décidés à chambouler le paysage musical local. Rattachés à cette horde braillarde, les Stranglers. Qui très vite susciteront moultes interrogations.
Le punk, c’était la jeunesse. Les Stranglers avaient trente ans de moyenne d’âge. Les punks, c’était l’approximation bordélique à tous les niveaux. Les Stranglers  étaient de glaciaux calculateurs, tout sauf des improvisateurs. En gros, les Stranglers faisaient peur à tout le monde. Fallait pas trop les chatouiller. Le vétéran Jet Black (presque 40 ans), batteur fan de jazz et gérant d’un bar dans le quartier « difficile » de Guilford, n’avait pas la réputation de se laisser marcher sur les pieds par la clientèle avinée. Un peu le Parrain de son block … Quand ça bastonnait (et avec les punks ça arrivait souvent), Jet Black pouvait compter sur son bassiste pour l’aider à faire le ménage. Français de naissance, biker proche des Hell’s Angels, ceinture plus que noire de karaté, Jean-Jacques Burnel n’était pas vraiment un tendre. Pour compléter cet étrange attelage rythmique, un type qui avait fait des études supérieures en biochimie, le guitariste-chanteur Hugh Cornwell, et aux claviers (des claviers dans un groupe punk ??), un gars qui ne jurait que par la musique classique, Dave Greenfield.
Très tôt, le caractère particulier (et particulièrement violent) des Guilford Stranglers (leur premier nom de scène), fera traîner dans leur sillage une bande de dangereux cinglés, les Finchley Boys. Et le groupe se révèlera maître de la provocation, de l’art de faire partir toutes les situations auxquelles il est confronté en vrille. Ce qui leur vaudra d’être le groupe de l’époque à détenir le record de refus de contrat par les maisons de disques.
Greenfield, Black, Burnel, Cornwell : The Stranglers 1977
Et pourtant, les Stranglers étaient tous des musiciens confirmés. Si par un raccourci journalistique fainéant, ils seront catalogués punks, il suffit d’écouter leurs disques pour mesurer l’abîme sonore qui les sépare des Clash, Pistols, Jam et consorts … « Rattus Norvegicus » (le nom savant du rat d’égout, un animal qui deviendra souvent le symbole de groupes punks) est leur premier disque. Enregistré en une semaine (et une bonne part des titres du suivant « No more heroes » sont également issus de ces séances), produit par l’alors quasi-inconnu  Martin Rushent qui deviendra leur homme de studio attitré (ainsi que des Buzzcocks, … et même du « Au cœur de la nuit » de Téléphone). Affublé d’une pochette cryptique. Le titre n’y apparaît pas et le « message » que veut susciter cette image a donné lieu à une foule d’interprétations. Moi j’y vois une exposition de tout ce qu’ils détestent. Le « IV » ledzeppelinien, la perspective à la « Ummagumma » du Floyd, le maquillage outrancier de Burnel façon glam … en gros, fuck les dinosaures heavy, les pompiers progeux et les efféminés glam …
Musicalement, le gros malentendu du groupe à ses débuts (les Doors du punk, prétendait-on) dure exactement vingt-huit secondes. Celles de l’intro  du premier titre, « Sometimes », sur laquelle Greenfield fait sonner son orgue Vox exactement comme celui de Manzarek. Ensuite, il faut beaucoup d’imagination pour trouver que la non-voix de Cornwell a des similitudes avec celle de Morrison, et tout le reste à l’avenant … Les Stranglers, d’entrée, sont uniques, ne sonnent comme personne …
Stranglers live 1977
Ce qui ne veut pas dire pour autant que ce disque est une merveille. Les quatre premiers titres ne sont pas ceux qui reviennent souvent cités comme leurs meilleurs. Si le troisième (« London Lady ») est passé à la postérité, c’est parce qu’il constitue une attaque frontale et personnelle sur une journaliste qui avait descendu le groupe dans un de ses papiers. La vengeance est un plat que les Stranglers feront toujours bouffer à leurs « ennemis » et ce titre est le premier élément d’une longue longue litanie de rapports plus que houleux qu’ils entretiendront longtemps avec les médias …
En fait, les choses vraiment intéressantes ne commençaient qu’à la fin de la première face de vinyle, avec « Hanging around », sorte de reggae mutant sérieusement détourné, désossé et cabossé. Un des hymnes classiques du groupe. A propos de classiques, on en a avec les deux titres suivants. « Peaches », sa guitare en contre-temps typique elle aussi du reggae, mais aussi son gimmick aux claviers qui donne un aspect très garage sixties. « (Get a) grip (on yourself) », c’est la pierre angulaire de « Rattus … », morceau noyé par des claviers tournoyants mixés très en avant, mélodie désanchantée sur rythme sautillant, texte assez lugubre sur leurs années de galère … Un titre assez vilain, le bien nommé « Ugly » précède l’épilogue « Down in the Sewer », titre épique de neuf minutes (on est loin du « format » punk) en quatre « mouvements » (thanks God, on est aussi très loin du prog), très « écrit », très technique, très travaillé malgré une apparence bêtement répétitive …
Dans les sections bonus des rééditions (souvent chiches chez les Stranglers, et pas souvent captivantes, celle de « Rattus … » me paraissant être l’exception ), on a droit à un petit rock sautillant au titre réminiscent des délires de Zappa (« Choosey Susie »), un pub-rock’n’roll (« Go Buddy go ») empruntant autant au « Hey Joe » d’Hendrix qu’au « Bony Maronie » de Larry Williams, et un titre live (« Pesant … ») barré et incantatoire qui sonne avec une paire d’années d’avance comme le PIL des débuts.

Les fans des débuts vouent un culte à « Rattus Norvegicus » et aux premières années du groupe, estimant que les choses commencent vraiment à se gâter avec « La folie » (1981). Perso, je pense à peu près le contraire, que c’est un groupe qui a fait des disques hétérogènes, mais globalement en constante progression jusqu’à « Feline ». C’est ensuite (là tout le monde est d’accord) que ça s’effiloche gravement … 

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THE JOHN BUTLER TRIO - SUNRISE OVER SEA (2004)

Tenter l'Experience ?
« Sunrise over sea », c’est le genre de disques qu’on a l’impression d’avoir entendu mille fois avant de l’écouter. Rien qu’en regardant la pochette. Oh, bonne mère, tous les clichetons des trucs pénibles … design des rondelles  ancestrales Vanguard ou Chess, teintes sépia, retouche Photoshop pour donner l’illusion d’un 33T aux coins cornés et à l’usure de l’empreinte du vinyle, et un type, acoustique en bandoulière et banjo à côté … Si ça c’est pas du clin d’œil adressé aux amateurs de bruit rustique … Et la formule trio, le mètre-étalon de la culture blues-rock, passage obligé de tous ces tocards / ringards qui s’imaginent marcher sur les traces de Cream ou du Jimi Hendrix Experience …
Sauf que … si le dénommé John Butler et ses deux acolytes (formule de scène, là en studio, il y a parfois des apports « extérieurs » dont même sur un titre une section de cordes) n’évitent pas sur la durée le pataugeage et l’embourbage dans les stéréotypes de la formule, ils se passe un truc … Ceux dont la kulture musicale se limite au visionnage de Taratata ressortent systématiquement le nom de Ben Harper, preuve qu’ils n’ont rien compris (ni au centriste Harper, ni à Butler).
John Butler
John Butler est australien. Un pays dont l’histoire internationale se limite à une paire de siècles et dont le seul apport culturel à notre humanité est l’opéra biscornu de Sydney. En gros des Etats-Unis qui n’auraient pas inventé le jazz, la country, le folk, le blues et la soul … Ce qui n’empêche pas les Australiens de faire du rock. Et l’île continent a légué au monde quelques furieux gueulards dont AC/DC, Rose Tattoo ou Angel City ne constituent que la partie visible du brûlant iceberg. Butler (pas pour rien que le trio porte son nom, les deux autres n’y font pas de vieux os, les changements de line-up sont innombrables), comme la plupart de ses congénères, s’est abreuvé de musiques venues d’ailleurs. Fait notable qui le différencie, il ne s’est pas contenté des sempiternels anglo-saxons (ou américains, ce qui revient au même). Rien qu’à voir ses dreadlocks, on imagine que le reggae ne l’a pas laissé indifférent. Les machins celtiques non plus.
Le résultat est surprenant. Mais surtout intéressant, voire par moments captivant. Pour deux raisons : le spectre musical de Butler est beaucoup plus étendu que ce à quoi l’on pourrait s’attendre. Et le type à un putain de charisme qui manquera toujours à … (complétez vous-mêmes, la liste est trop longue). Et s’il fallait se lancer dans des comparaisons, je citerai en vrac Tracy Chapman et Counting Crows (pour le folk « concerné »), Manu Chao (le côté bohème alter-mondialiste), Jon Spencer et Wraygunn (les accélérations électriques mystiques), Midnight Oil (l’aspect aussie politico-écolo), les Chieftains et Led Zep (les relents celtiques) … et on pourrait en rajouter bien d’autres, tant le patchwork concocté tire son essence de genres variés, parfois antinomiques …
On l’aura compris (enfin j’espère), on n’a pas avec « Sunrise … » le même morceau décalqué sur toute la durée du disque. Tiens, à propos de durée, c’est là que le bât blesse un peu, on en prend pour une heure dix, ce qui fait quand même un peu beaucoup, certains titres auraient pu rester dans les armoires, quelques autres n’auraient rien perdu à être raccourcis …
Le John Butler Trio
Il y a des trucs bluffants, assemblages étonnants de choses entendues pourtant des millions de fois séparément, mais qui passées dans la moulinette John Butler en ressortent immaculées. Ces étranges mixtures où peuvent cohabiter folk, blues, rock, reggae, sonorités celtiques, traversées de montées d’adrénaline violente ou au contraire d’une intimité doucereuse, sont littéralement transcendées par la voix de Butler, une des plus expressives, au feeling et à l’arrache, qu’on puisse trouver dans ces genres pourtant très fréquentés. Butler joue toutes sortes de guitares acoustiques amplifiées (surtout une onze-cordes, et ne me demandez pourquoi onze au lieu de douze), ne tombe jamais dans le piège du solo démonstratif (thanks). Ces chansons sonnent comme des voyages émotionnels (peu importe si on entrave pas les paroles), vous prennent par la main et ne vous lâchent pas.
Tout n’est pas parfait, et logiquement les titres convenus, prévisibles (archétype le morceau final « Sometimes » de plus de dix minutes, on « sent » tout ce qui va arriver dès l’intro) font retomber l’intérêt. Mais c’est au détour de l’adrénalisant « Treat your Mama », du chaloupé « Company sin » avec sa bas(s)e reggae, du court instrumental au banjo (« Damned to hell » qui renvoie instantanément au « Duelling banjos » du début du film « Délivrance »), du celtisant « Mist » (le « Gallow’s Pole » des années 2000 ? et putain me dites pas que vous connaissez pas « Gallow’s Pole »), ou du (petit) hit « Zebra », le titre qui a fait connaître Butler sur les autres continents, que les trois sont à leur zénith …
Ce « Sunrise over sea » est à peu près le seul disque du John Butler Trio disponible par ici. Fidèle à une certaine éthique passant évidemment par les labels indépendants, Butler était un secret bien gardé hors de l’Australie. Il semblerait que le garçon, voulant assurer ses arrières en Australie, ait cédé là-bas aux sirènes commerciales, et que ses parutions suivantes seraient (pas faciles non plus à dénicher) apparemment un ou plusieurs tons en dessous…

« Sunrise over sea » est un disque de vieux fait pour tout le monde par un jeunot. Respect… 


MORRISSEY - VIVA HATE (1988)

L'héritier ?
Pas laisser les braises refroidir … c’est ce qui devait être le leitmotiv de Steven Patrick Morrissey, dont le nom de famille lui servait de nom de scène en tant que chanteur des Smiths. Les Smiths, par ici, c’est quelque chose de totalement incompréhensible. Un groupe hors-norme en terme de succès entre 1984 et 1988. Un succès colossal mais qui n’a jamais dépassé le cadre de la perfide Albion. Anecdote archi-connue : une bande de fans révoltés par le silence et l’indifférence entourant en France leur groupe favori, se lance dans la publication d’un fanzine étoffé pour chanter ses louanges, et ainsi naîtront Les Inrocks …
Morrissey 1988
La séparation des Smiths en pleine gloire sera pour la jeunesse anglaise  un traumatisme comme celle des Beatles l’avait été pour leurs parents. Le premier à reparaître (six mois après la fin des Smiths) sera leur emblématique chanteur, icône plus ou moins cryptique (bien qu’il ne mâche parfois pas ses mots, voir plus bas) et équivoque (gay ? hétéro ? autre ? le mystère et les supputations iront bon train pendant des années).
Evidemment, la rupture est trop fraîche pour qu’il n’en reste pas des traces un peu partout sur ce « Viva hate ». Dans les paroles, peut-être, mais Morrissey n’a jamais été très « lisible ». Dans la musique aussi, il y a des traits qui ne se gomment pas facilement  (particulièrement flagrant sur les très smithiens « Bangali in platform » et « Late night, Mudlin Street »). Et puis, il y a cette voix, entre détachement et arrogance, brumeuse et claire à la fois, si facilement identifiable …
Pour son « émancipation », Morrissey a choisi une configuration réduite. Il laisse une grande place (des instruments, la co-écriture, et la production, rien que çà …) à Stephen Street, les deux hommes se connaissent, Street a produit les trois derniers disques des Smiths (avant d’être aux manettes de la plupart des galettes de Blur). Une collaboration qui est aussi une façon de marquer la « continuité » de la trademark Smiths. Mais les Smiths, c’était aussi la guitare « ligne claire » de Johnny Marr, et là Morrissey va partir dans une direction sonore très différente, en embauchant Viny Reilly, l’assez strident gratteux des Durutti Column. Assumer l’héritage et marquer sa différence (les bisbilles, les rancœurs et les haines s’avèreront multiples et tenaces entre les anciens Smiths), tel est le challenge de Morrissey.
Stephen Street & Morrissey
En partie réussi, parce que c’est malgré tout dans la continuité. En partie raté pour la même raison. Malgré deux hits (« Suedehead », qui deviendra un des surnoms de Morrissey, son plus connu demeurant quand même Mozz, et le très kinksien « Everyday is like Sunday »), il n’y a pas dans ce « Viva hate » de titres aussi fulgurants que ceux que l’on trouvait chez les Smiths. Les Smiths, difficile de faire plus anglais, et Morrissey en solo est foncièrement dans la même veine. Alors les brouillages de cartes du début du disque laissent une impression mitigée on n’y croit pas trop aux breaks de batterie, aux guitares plaintives et aux ambiances hindouisantes de l’inaugural « Alsatian cousin », pas plus qu’à la rythmique tournoyante et très psyché de « Little mann what now ? » qui a parfois des faux airs du « White rabbit » de l’Airplane.
Par contre, c’est quand Morrissey fait ce qu’on l’on attend de lui, et finalement ce qu’il sait faire le mieux, qu’il est le plus convaincant, toutes ces ballades brumeuses et automnales qui constituent l’ossature du disque et auxquelles son timbre vocal convient parfaitement. Et puis, comme un signe de la direction qu’il va prendre (il va s’acoquiner avec Mick Ronson, oui, oui, celui des Spiders de Bowie, et sortir avec lui une paire de disques de revival glam), un morceau envoie le bois tout en guitares rageuses et up-tempo (« I don’t mind … »). Mais c’est finalement le dernier titre du disque qui fera couler le plus d’encre, le très direct « Margaret on the guillotine ». Rappelons que la funeste Thatcher était encore Premier Ministre en 1988, et que ce titre n’a rien à voir avec le poétique « The Queen is dead » des Smiths. « Margaret … » c’est frontal, brut et sans fioritures sur un fond très dépouillé. Morrissey montre qu’il se souvient de ses origines populaires et que son public, cette jeunesse qui adule le chanteur des Smiths en a aussi pris plein la gueule pendant une décennie. Morrissey paiera cher ce titre, et quelques années plus tard, quand il se perdra dans une syntaxe équivoque (« National Front Disco »), la presse conservatrice le massacrera et brisera quasiment sa carrière …
La pochette de 1988
Il n’empêche que pendant quelques années, Morrissey récupèrera seul une partie de l’ancien succès des Smiths (Marr sera beaucoup plus discret et sa médiatisée collaboration avec Sumner de New Order dans Electronic sera un fiasco artistique et commercial, quand à Rourke et Joyce, ils seront encore plus discrets et oubliés).

Sur la réédition de 1997 (la pochette en haut, l’originale de 1988 est différente) huit morceaux ont été rajoutés en un vaste foutoir (des époques différentes, à dominante de ballades pas toujours transcendantes et malgré une paire de courts titres toutes guitares en avant produits par Ronson) et plutôt que de bonus, on pourrait les qualifier de titres malus …

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MY MORNING JACKET - Z (2005)

Habillés pour l'hiver ?
My Morning Jacket (me dites pas que vous avez l’intégrale et écoutez ça tous les jours, faut faire les présentations) est un groupe démarré dans le Kentucky. Et non, ils donnent pas dans la country. D’ailleurs, ils donnent l’impression avec ce « Z » (m’étonnerait qu’il s’agisse d’une référence à Costa-Gavras) d’être plus anglais qu’américains. Faut dire qu’ils exploitent un sillon assez peu labouré outre-Atlantique, celui de la pop « à grand spectacle » lyrique (ou pompière, ça marche aussi). Pour situer, on dira qu’ils sont voisins de palier avec les productions de Fridman (Flaming Lips un peu, Mercury Rev davantage), et que la voix particulière de leur leader Jim James, genre Castafiore geignarde, leur a valu des comparaisons discutables avec Thom Yorke et sa bande de tristos… Et s’il fallait faire encore plus simple, je dirais que le groupe dont ils me paraissent le plus proche, c’est Arcade Fire (celui des débuts, de « Funeral », pas leur « Suburbs », gros loukhoum surchargé).

Ce genre de mélodies sophistiquées, ces titres très « écrits », ils étaient pas nombreux à faire ça au milieu des années 2000, et c’est pas le genre d’indie-rock le plus vendeur. Mais quelque part c’est le plus casse-gueule, il faut flirter avec toutes les limites au risque de basculer du mauvais côté de la farce. Et pour une poignée de disques réussis en quatre décennies, on compte plus les prétendants à la succession de Brian Wilson qui se sont perdus dans des titres et des skeuds surchargés. Les mélodies à tiroirs qui s’enchevêtrent, l’instrumentation lyrique, l’empilement des chœurs, faut beaucoup de chance et encore plus de talent pour que ça vire pas grotesque.
Les My Morning Jacket n’évitent pas les sorties de route. Il y a des choses (« Gideon », « Anytime ») qui sonnent comme les Simple Minds du milieu des années 80 (les grosses batteries réverbérées, les non moins grosses guitares, les chœurs virils), et c’est pas exactement une bonne idée. Idem, lorsque les MMJ sortent du cadre strictement pop, pour aller vers des choses plus « rock-rackabilly » (« Off the record »), on dirait notre Lio nationale quand elle était brune et qu’elle comptait pas pour des prunes, c’est quand même assez simplet même si ça se veut sophistiqué avec son final de titre jazzy-floydien. Pareil quand le groupe s’attaque à des choses du moment, les rythmiques electro-dance-machin (« It beats 4 U »), ça reste quand même bien scolaire, de la récitation sans beaucoup d’imagination.
A l’inverse, d’autres titres sont plus réussis tel le « What a wonderful man » (comme du Sparks du milieu des 70’s, à condition de supporter la voix suraiguë à la Russel Mael). Les meilleures choses sont à aller chercher à la fin du Cd (pas très long, dix titres et trois-quarts d’heure), un « Lay low » qu’on jurerait extrait du « Band on the run » de Sir Paul McCartney, un « Knot comes loose », une ballade toute en retenue (par rapport au reste, c’est pas vraiment dépouillé). Et bien sûr le titre sur lequel les fans ne tarissent pas d’éloges humides (et pour une fois les fans ont presque raison) ce « Dondante », épique tournerie de huit minutes, débutée comme une jam entre Jeff Buckley et Radiohead, et conclue par une accélération lyrique très floydienne (je me rends compte que ça fait deux fois que je cite le Floyd, alors que la référence des My Morning Jacket est le Velvet Underground, mais désolé, j’ai rien entendu qui ressemble à la bande à Cale et Reed, mais plutôt à son contraire sonore).

Bon, pour résumer, on dira que les My Morning Machin ont fait avec ce « Z » un disque assez bon malgré d’évidentes imperfections, dans un genre « difficile », quelques années avant que les Arcade Fire y songent. Pour être honnête (si, si, ça peut m’arriver en causant zique), il me semblait avant la réécoute bien mieux dans mes souvenirs et je crois bien avoir écrit un jour je sais plus où, que ce « Z » était un des meilleurs disques des années 2000… Mea culpa, mea culpa … Bon, remarquez, Neil Young soi-même a dit un jour que My Morning Jacket faisait partie de ses groupes préférés ...