J’ai l’air de quoi moi, de me pointer avec ma
chroniquette sur ce skeud moins d’une semaine après sa sortie, alors qu’il y a
des gens qui depuis fort longtemps ont exprimé un avis définitif sur ce
« Random … ». Au mieux en ayant écouté quelques extraits en streaming
de chez Deezer (bouchers-charcutiers sonores du Net) sur leur smartphone dans
le brouhaha d’un quai de métro. Même les ceusses qui de peur de se transformer
en statue de sel n’en ont pas ouï la moindre note ont aussi leur opinion. Faut
dire que la sortie ne s’est pas vraiment faite dans la discrétion, une campagne
de pub, de presse, à faire passer le battage autour de la parution du dernier
Bowie (toujours aussi mauvais, j’ai pas changé d’avis) pour un entrefilet dans
un fanzine … « Random … » est un disque-événement, à ma connaissance
le premier disque français (ouais, bon, presque, y’a pas que des frenchies
dessus) à être numéro un mondial des ventes la semaine de sa sortie, comme
n’importe quel Michael Jackson.
« Random access memories » je l’ai écouté
plusieurs fois. Sur une chaîne hi-fi ou du moins vendue comme telle. Et je suis
en mesure d’affirmer que c’est un disque qui va marquer l’époque, qui va
compter. Peut-être parce qu’il va continuer à s’en vendre des camions, ça
j’en sais rien et je m’en fous. Mais ce que je sais, c’est qu’en matière de
son, il risque d’y avoir un avant et un après « Random … ». Comme il
y a eu il y a quarante ans un avant et un après « Dark side of the
Moon » de Pink Floyd. A côté de « Random … » toutes les
productions high tech du moment font figure de lo-fi enregistré dans une
cave-trou à rats … C’est d’une limpidité irréelle, d’une précision
hallucinante.
Daft Punk, Pharell Williams & Nile Rodgers ... Alors, get lucky ? |
Ça suffit pas, du bon son. Faut encore que toute cette
matière de base formidable débouche sur des titres, des morceaux qui tiennent
la route. Là, je subodore un gros malentendu. A force de campagne de pub
martelée, on a essayé de faire croire que ce disque allait être une sorte de
révolution, d’apogée, de référence insurpassable. Comme si tout n’avait pas été
fait et refait des milliards de fois. D’autant plus que Homem-Christo et
Bangalter ont essayé de calmer cette folie furieuse promotionnelle en disant
que ce « Random … » était un disque-hommage. Ce qui est vrai, et Daft
Punk sur le coup, loin d’être l’innovateur sensationnel qu’on essaye de nous
refourguer, est plutôt un tribute-band. C’est même pas un disque du duo comme
avait pu l’être en son temps « Homework », c’est un projet avec une
liste d’invités et de participants longue comme le bras, dont les deux frenchies
sont les instigateurs et les chefs d’orchestre.
Hommages multiples et annoncés à Chic, Giorgio Moroder et
Paul Williams (le moins connu des trois, auteur notamment de la BO de
« Phantom of paradise » de De Palma). Et donc, forcément, il y a
beaucoup de choses qui ressemblent à ce que faisaient ces trois-là, d’autant
plus qu’à des degrés divers, ils ont collaboré à ce disque, le plus présent
étant Nile Rodgers de Chic, à la guitare sur plusieurs titres. Tiens, et en
passant comme ça, pour donner un peu plus de grain de moudre à ceux qui ne
voient que plagiat, la pochette est exactement identique, y compris le
lettrage, à celle de « Legendary hearts », mauvais disque de Lou Reed
des années 80.
Il y a aussi dans ce disque une trademark Daft Punk. La
plus évidente, et pas la plus heureuse selon moi, est cette manie de passer
toutes les voix dans un vocoder, et de façon encore plus marquée quand ce n’est
pas un invité plus ou moins prestigieux au micro. Parce que niveau featuring,
il y a du monde, Casablancas des Strokes, Pharell Williams des Neptunes, le
Panda Bear des Animal Collective, … On espère que ces trois-là auront pris
quelques leçons, parce que franchement, y’a pas photo, entre leurs disques à
eux à synthés et ce qu’on entend ici …
Daft Punk. Brillants ? |
La seule chose réellement connue avant la sortie de ce
« RAM » (tiens, c’est aussi le titre d’un disque surestimé de
McCartney des 70’s, « RAM », mais si c’est fait exprès cette
similitude, là ça m’échappe totalement), c’était le single « Get
lucky » avec le Pharell. Pas mal, même si relativement convenu et
centriste, plus long et un peu différent sur l’album. Et le reste, qu’est-ce
qu’il faut-il en penser, ma bonne dame ? Ben, avec les ingrédients de la
recette, il y a des choses prévisibles, des titres qui sonnent comme du Chic 78-80,
ou du Sister Sledge de cette époque, ce qui revient un peu au même (« Give
life back to the music », « Lose yourself to dance »), c’est
bien fait, même si on ne remplace pas facilement une rythmique comme Bernard
Edwards et Tony Thompson par des requins de studio.
Le long titre (plus de 9 minutes) avec Moroder, met
évidemment à l’honneur le « tchac-poum » enrobé de synthés du Giorgio
qui est sa marque de fabrique et a fait le succès de ses « choses »
comme Donna Summer, et le discours de Moroder (« prendre le meilleur du
son des années 50-60-70 pour créer le son du futur ») en toile de fond du
morceau résume bien la philosophie de ce « Random … ». Le titre avec
Paul Williams (« Touch »), avec grand orchestre et grand(iloquent)s
synthés, multiples changements de rythme, pourrait être qualifié
d’electro-prog, et perso, ça me laisse assez froid, alors que certains y voient
la pièce maîtresse du disque. Logiquement, dans les titres très typés fin des
70’s, on retrouve aussi des allusions plus ou moins fines à Kraftwerk (le
traitement des voix, le son des machines), voire à Stevie Wonder (des passages
de « Fragments of time », titre qui en plus cite en intro un gimmick
entendu chez Prefab Sprout). « Instant crush » chanté par Casblancas
doit être la meilleur titre auquel il a participé depuis des années, y compris
son détestable album solo à synthés (« Phrazes for the young »).
Tout n’est pas à se pâmer de bonheur sur ce « Random
… ». Qui n’évite pas le piège de la longueur (une heure et quart, des
choses auraient gagné à être élaguées) et donc de la redondance et de la
répétition. La fin du disque est plus « expérimentale », plus
strictement « techno », mais ne convaincra certainement pas les
puristes de la chose (« les Daft Punk ? juste des vendus »), et
se termine par « Contact » qui me fait penser à du Jean-Michel Jarre
(toujours cette obsession fin 70’s) en version big beat …
Certainement un disque quelque peu « facile »,
« grand public ». Mais Daft Punk, si on peut dire, avançaient à
visage découvert, c’était le but recherché et donc l’objectif est atteint. Et
pour une fois, ceux qui n’achètent qu’un disque par an, vont se retrouver avec sur
leurs étagères une galette pas honteuse, et qui je pense pourra encore se
réécouter dans les années qui viennent, tellement au point de vue sonore le
« groupe » a pris une sérieuse avance sur toute la concurrence …