PETER WEIR - LES CHEMINS DE LA LIBERTE (2010)

 



Les Marcheurs Blancs ?

« Les chemins de la liberté » (« The way back » en V.O.) est adapté d’un bouquin (« A marche forcée ») de Slavomir Rawicz, « pensionnaire » des goulags sibériens. Qui ne s’est pas évadé, mais a été amnistié. Et qui raconte l’histoire de gens qui se sont évadés, parcourant des milliers de kilomètres pour rejoindre la Chine ou l’Inde dans une nature hostile, forcément hostile … Récits vraisemblables, véridiques, mais pas forcément vrais, même si le réalisateur Peter Weir et l’acteur principal Jim Sturgess affirment avoir rencontré des survivants de ces ultra trails … Les noms de ces gars (pas très nombreux évidemment, trois il me semble) apparaissent au début du film. Le film de Weir est une totale fiction, et ne retrace aucun périple étant censé avoir existé.

Peter Weir

Mais avant de s’évader d’un goulag au milieu de la Sibérie, faut d’abord y être déporté. Le film débute en 1940, au moment où Staline et Hitler sont copains comme cochons qu’ils sont et se partagent la Pologne. Tous ceux qui ne plaisent pas à l’Armée Rouge et au pouvoir politique de Moscou finiront au goulag. La première scène (et pour moi la meilleure du film) montre un soldat polonais (Janusz / Jim Sturgess) interrogé par un militaire sur des faits qui lui sont reprochés. Il nie, jusqu’à ce qu’il soit confronté avec sa femme qui l’accuse. On voit bien qu’il y a eu pression et chantage sur elle. Et Janusz se retrouve donc dans un « camp de travail », il ne sait même pas où, au milieu des neiges sibériennes … Les « anciens » lui expliquent que tu coupes du bois dans la forêt, et que si tu déconnes, tu finis à la mine attenante. Avec dans tous les cas, une espérance de vie d’à peu près un an. Et comme le rappelle gentiment le surveillant général, la prison c’est pas le camp, c’est la Sibérie et ses millions de kilomètres carrés enneigés …

La réadaptation sociale par le travail (comme ils diront plus tard en Chine), ça ne concerne pas que les « suspects » des pays conquis. Il y a aussi ceux qui ne sont pas dans la ligne du parti (dessinateur, acteur, rom, …), un Américain ayant fui la Grande Dépression (Ed Harris) croyant trouver en Russie communiste un nouvel Eldorado, et puis les prisonniers de droit commun, tous ces plus ou moins grands criminels que le régime stalinien envoyait dans les camps … Dans le baraquement où échoue Janusz, le maître des lieux, c’est Vilka, parce que c’est pas un tendre, et qu’il a un putain de couteau qui le fait respecter. Vilka, c’est un Colin Farrell, hirsute et forcément violent, avec Lénine et Staline (entre autres tatouages) sur le poitrail, loin ici de ses rôles de beau gosse … Dans le contexte, le but du jeu est simple : survivre en attendant la mort. Et être prêt à tout pour survivre (« la bonté ça peut te tuer ici » glisse l’Américain à Janusz alors que le Polonais vient de filer la moitié de son ignoble rata à un pauvre vieux qui crevait de faim dans la neige). Et puis il faut rêver d’évasion parce que ça ne coûte rien de rêver. Par contre si tu la tentes, c’est la mort assurée (les gardes, les paysans Russes aux alentours qui touchent une prime s’ils ramènent la tête d’un évadé, les loups, l’étendue et le climat sibérien).

Lénine, Staline & Colin Farrell

Pourtant, une petite bande prépare the great escape. Et une nuit, ils passent à l’action. Ils sont sept, ceux qui avaient prévu le coup, ceux qui se retrouvent là par hasard, ceux qui profitent de l’occasion, comme Vilka et son couteau …

Dès lors s’organise un survival direction la Mongolie. Evidemment, les faibles ne vont pas très loin (l’aveugle se perd en cherchant du bois, et meurt congelé à quelque pas du campement de fortune organisé pour passer le nuit), tout le monde s’épuise un peu mentalement et surtout physiquement, les conditions sont extrêmes, on ne survit qu’en rongeant l’écorce des arbres, en mangeant des vers, des serpents, en disputant des charognes aux loups. Les festins ont lieu quand on attrape un poisson avec une ligne de fortune, un daim (?) embourbé dans un marais, ou de la volaille que Vilka est allé piquer dans un village (en tuant un chien qui aboyait, ou un paysan, on sait pas trop …). Assez vite se joint à cette mâle troupe un élément féminin, une jeune fermière polonaise (Saoirse Ronan, à peine 16 ans et pleine de talent, la suite l’a prouvé) qui fuit elle aussi un site concentrationnaire.

Après avoir longé le lac Baïkal, la petite troupe se retrouve à la frontière mongole. Vilka fait demi-tour et revient en Russie (c’est son pays, il ne veut pas le quitter, et veut contribuer à sa criminelle façon au succès du communisme), les autres vont vite déchanter. La Mongolie est devenue communiste, et les monastères bouddhistes où ils comptaient se réfugier ont été détruits, pillés et saccagés. Décision est prise par les six rescapés de traverser la Mongolie, la Chine, franchir l’Himalaya pour passer en Inde … Je vais pas tout spoiler, tous n’y arriveront pas (le désert de Gobi se révèlera plus dangereux et mortel que la Sibérie enneigée) …


Le scénario a tout de l’épopée grandiose, de la grande aventure humaine et larmoyante. Il peut en sortir un chef-d’œuvre comme un navet. C’est là qu’intervient Peter Weir. L’Australien a du bagage. Une carrière commencée avec un thriller Belle Epoque au milieu d’un pensionnat féminin (« Pique-nique à Hanging Rock »), pour finir avec de (très) gros succès au box-office : « Witness », « Le cercle des poètes disparus », « Green card », « The Truman show », « Master and commander, de l’autre côté du monde ». Pour la façon de filmer, Weir à un modèle, c’est John Ford. Ça tombe bien, montrer les immenses étendues enneigées ou désertiques traversées par les personnages qui semblent minuscules dans leur environnement, et en respectant les proportions de Ford (2/3 de ciel, 1/3 de terre), tout cela sied à ravir au format en cinémascope choisi. Le David Lean des immenses panoramiques n’est pas loin non plus. Ici, les paysages de la Bulgarie, du Maroc et de l’Inde (oui, pas possible pour Weir et son équipe de filmer en URSS ou en Chine, la Muraille de Chine qu’il y a dans une scène est numérique) sont somptueux.

Bon point également pour les différentes parties du film. La vie au goulag (un vrai faux goulag construit par l’équipe du film, mais une fausse forêt de studio pour certaines scènes, surtout pour pouvoir gérer les effets spéciaux désirés, comme la neige ou le blizzard) occupe la juste part du film, parce qu’il faut montrer l’enfer qu’y représente la vie, que ce soit dans la vie « normale » où lorsque l’on est « puni » à la mine, parce qu’il faut montrer la promiscuité et la tension générée par cette multitude disparate. On comprend pourquoi par la suite, tous ceux qui se retrouveront à crapahuter dans la nature, ont des parts d’ombre ou de mystère. Dans l’enfermement du goulag, il faut en dire le moins possible, gommer son passé … Même la jeune Polonaise (ou qui se présente comme telle) qui les rejoint dissimule soigneusement son passé. Il leur faudra du temps pour qu’ils se livrent tous sur leur vraie vie passée et leurs rêves d’avenir …

En rando sur les bords du lac Baïkal ...

La scène d’évasion est quand même un peu sabotée, avant que le groupe se retrouve dans la forêt sous les tirs des soldats russes et avec leurs clébards au cul. Cette scène d’évasion dure juste quelques secondes, à tel point qu’on se demande si le Blu-ray a pas sauté vers l’avant.

Les deux tiers du film constituent leur longue marche vers la liberté pour certains, vers la mort pour d’autres. C’est fort bien fait, entre volonté et résignation, courage et désespoir, tant la tâche est immense et difficile.

Et quoiqu’on pense de la véracité de ce périple, faut reconnaitre que « Les chemins de la liberté » est un film plaisant, grande aventure prenante au milieu d’espaces naturels gigantesques, avec son lot d’émotions, de joies et de larmes de la part des protagonistes …

C’est juste la dernière scène que je trouve totalement à côté de la plaque. Janusz, une fois gagné l’Inde, veut à tout prix retrouver sa femme si elle est encore en vie, parce qu’il est persuadé qu’elle ne l’a trahi que sous la contrainte. Il lui faudra attendre 1990 (après la chute du Mur et l’effondrement de l’URSS), soit cinquante ans après son arrestation, pour pouvoir retourner en Pologne. Et là, comme dans ses rêves qui l’ont aidé à tenir dans le goulag et dans sa longue marche, il va retrouver la même baraque, avec la clé sous la même pierre, et sa femme qui l’attend, assise à la table … Je suis désolé, ça peut faire écraser une larmette à la ménagère de moins de cinquante ans, mais moi je trouve ça juste très con, finir une histoire qu’on présente comme vraie, par un truc totalement irréel …

Bon film de dimanche soir tout de même …


Du même sur ce blog : 

Master And Commander De L'Autre Côté Du Monde


5 commentaires:

  1. Je viens de comprendre le "un type qu traverse la Russie"... Pas vu ce film, je ne le connais même pas. Pourtant j'aime bien Peter Weir, dont tu as cité les faits de gloire, auxquels je rajouterai "L'année de tous les dangers" et "Mosquito coast" pas mals du tout. J'aime bien assi Colin Farrell, jeune con prétentieux et cocaïné à ses débuts (je me souviens de commentaires désespérés de Michael Mann sur "Miami Vice" à propos du comportement de l'acteur) qui s'est assagi et bonifié avec l'âge.

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    1. Peter Weir, le type est un bon derrière la caméra, indiscutablement. A mon sens, un peu trop classique, centriste lisse, formaté ... Et pareil pour sa filmo ... du consensuel. J'ai l'impression qu'il manque quelque chose, qui te fasse passer du truc qu'on regarde peinard dans son canapé, à un truc qui te captive, qui te prenne à partie, qui te fasse vibrer, qui t'implique ...
      Colin Farrell, je viens de voir sa filmo ... hyper actif, deux-trois films par an ... et parfois avec des cadors de la caméra ... manque de bol, pas pour leurs meilleurs films le plus souvent ... là, à plus de 45 ans, va falloir songer à jouer autre chose que le beau gosse de service ...

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  2. Ta chronique m'a immédiatement fait penser à l'histoire (vraie, celle-là) que m'a raconté le mec avec qui je bosse depuis 12 ans. Son père polonais s'est fait emprisonné au goulag en Sibérie. Condamné à 5 ans, il est libéré en 41 suite à un accord dont j'ai oublié le nom. Il se casse, crapahute, et déboule en Israël, à pied, après avoir bouffer du chien, entre autre …Il s'engage dans la RAF, combat en Egypte et Palestine, est décoré...En Angleterre, il se met à la peinture, critique très favorable dans le magazine Time, il invente une technique selon laquelle l'émail pouvait être fixé sur de l'acier sans carbone au lieu de sa base traditionnelle, le cuivre. Il fait des œuvres spectaculaires dont une qui recouvre entièrement la façade de l'aéroport d'Heathrow . Il meurt en 1996. Knapp. Stefan Knapp...

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    1. Pas beaucoup ont essayé de fuir les goulags et parmi ceux qui ont tenté le coup, très peu ont pu regagner en vie un "autre monde" meilleur, et pas forcément dans les conditions qu'ils ont raconté ... ce qui n'emp^che pas quelques parcours et destins exceptionnels comme celui que tu cites ...
      dans ma famille, un cousin de ma mère réquisitionné au STO, a bossé dans une ferme quelque part vers la Pologne ou l'est de l'Allemagne ... quand les Russes arrivaient vers leur bled, ils lui ont dit de partir ...il est parti à pied, direction le sud-ouest, se déplaçait surtout la nuit, a traversé fleuves et rivières souvent à la nage, évitant soigneusement la population, et quand il est arrivé en France du côté des alpes à l'automne 45, il s'est rendu compte que la guerre était finie depuis presque 6 mois ... il y a laissé tous les orteils gelés en traversant les Alpes suisses, autrichiennes ou françaises, il savait pas vraiment ... il est arrivé chez lui dans l'ariège où il était officiellement porté disparu ... je l'ai rencontré deux-trois fois y'a une quarantaine d'années, il était très taiseux sur son parcours, bien traumatisé quand même ...

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