MEL GIBSON - BRAVEHEART (1995)

 

Chanson de geste écossaise ...

« Braveheart » est devenu un classique des films populaires des 90’s. Pas vraiment lors de son exploitation en salles, où il n’a obtenu que des résultats honorables. C’est plus tard, lorsqu’on louait des VHS dans les vidéo-clubs, et encore plus tard, lorsque sont arrivés les Dvds, Blurays, jusqu’à aujourd’hui, avec les plateformes de streaming, que le vrai grand succès populaire s’est concrétisé et jamais démenti, appuyé par une critique qui a eu tendance à le réhabiliter, voire l’encenser.

Faut dire que le projet « Braveheart » est plutôt audacieux. Confier à un type (Mel Gibson) qui n’a qu’une seule réalisation à son actif (le mélo à peu près oublié « L’homme sans visage ») un budget de plusieurs dizaines de millions de dollars pour un film à grand spectacle, biopic médiéval d’une figure mi-historique mi-légendaire de l’Ecosse de la fin du XIIIème siècle, ça coulait pas de source. Même si derrière la caméra, et finalement aussi devant, il y a un acteur bankable, starisé par les sagas « Mad Max » et « L’arme fatale ».

Mel Gibson

« Braveheart » met en images la vie de William Wallace, paysan écossais à l’origine et à la tête d’une révolte contre l’occupant et oppresseur anglais. Le problème, c’est que Wallace, on sait peu de choses de lui. Et que Mel Gibson va l’introduire dans l’Histoire, la vraie, celle qui est documentée. Au prix de quelques incohérences et anachronismes flagrants, voire de tentatives de réécriture. Le scénariste (Randall Wallace, ce n’est pas simplement une coïncidence patronymique, on y reviendra) et Gibson le reconnaissent d’une façon plutôt badine, prétextant la beauté de l’histoire (du film), tout du long de leurs commentaires sur l’édition Bluray de 2007.

Premier point à évoquer, la réalité historique, les faits avérés et documentés. De Wallace, on suppose qu’il est d’extraction très modeste (paysan ?), qu’avec quelques comparses il a mené quelques actions de guérilla contre les troupes « d’occupation » anglaises, avant de fédérer une petite armée de bric et de broc (quelques nobles et leurs hommes, mais surtout des paysans) qui défait des Anglais pourtant plus nombreux à Stirlink (1297), avant que les Ecossais soient laminés l’année suivante à Falkirk. Wallace disparaît de la circulation quelques années (exil en France apparemment), revient mener quelques actions coup de poing en Ecosse, est capturé (trahison ?) avant d’être supplicié (émasculé, écartelé, éviscéré, découpé en morceaux et ses morceaux « exposés » dans plusieurs villes) en 1305.

La bataille de Stirlink

Robert Bruce (avec qui Wallace a des relations plutôt compliquées dans le film) sera celui qui par les armes obtiendra une certaine indépendance de l’Ecosse grâce à sa victoire à Bannockburn (1314, la dernière scène de « Braveheart »)

Le Roi d’Angleterre Edouard Ier est considéré comme un des grands souverains anglais, très politique (plutôt machiavélique donc), et qui instaurera la première mouture de ce qui deviendra le Parlement. Surnommé (par les Anglais) « The Hammer of Scottish » par son intransigeance et sa cruauté face aux tentatives d’émancipation des Ecossais. Il mourra deux ans après Wallace (et non pas le même jour comme dans le film).

Son fils (le futur Edouard II) sera connu pour sa bisexualité avérée (nombreux « mignons » et favoris), et sera beaucoup plus dur et rude que la lopette qui nous est montrée dans « Braveheart ». Il épousera Isabelle de France, (Sophie Marceau dans le film) alors âgée d’une douzaine d’années trois ans après la mort de Wallace. Donc elle et Wallace ne se sont jamais rencontrés.

Quand aux autres personnages du film (à part quelques nobles qui ont réellement existé, mais dont les faits et gestes à l’époque ne sont généralement pas connus), ils sont tous inventés (Murron sa femme, ses compagnons d’armes, …). Les premiers récits des aventures de Wallace sont généralement attribués à un troubadour plus d’un siècle après les faits. Il n’en demeure pas moins que Wallace a de nombreuses statues un peu partout en Ecosse et qu’il est considéré comme le premier « libérateur » de son peuple.

Edouard Ier - Patrick McGoohan

Bon, une fois qu’on a dit ça pour démontrer que « Braveheart » est quasi intégralement une totale fiction, il en reste quoi de ce film ? Une grande fresque épique, romantique et violente. D’une durée conséquente. A peine un peu moins de trois heures, il manque dix minutes de « director’s cut » apparemment jamais vues, dont l’essentiel est composé du supplice de Wallace (Gibson dit que c’était très réaliste, trop pour une exploitation grand public en salles).

Le côté fresque épique, il est dû au scénariste Randall Wallace. Américain bon teint, et descendants d’émigrés écossais. Qui décide d’aller faire un voyage d’agrément familial sur la terre de ses ancêtres. Et tombe sur les statues, les musées, les lieux « saints » où son homonyme aurait écrit un pan d’histoire écossaise. Troublé par la coïncidence, le très chrétien Wallace (Randall) va écrire un scénario et faire de Wallace (William) un personnage mystique et très croyant (la grande place occupée dans le film par les funérailles, le mariage « clandestin », les prières avant la bataille, avant le supplice qui a lieu sur une croix horizontale). Evidemment, quand la 20th Century Fox le mettra en relation avec Gibson qui cherche un film à réaliser, le côté grenouille de bénitier va pas laisser le Mel indifférent, lui qui est catho intégriste (parenthèse, il appartient à un courant religieux ultra réac, et a fort logiquement soutenu le ticket de demeurés Donald-J.D., fin de la parenthèse).

Côté romantique, ça n’y va pas non plus avec le dos de la cuillère. Depuis le chardon offert par la petite Murron au gamin William lors de l’enterrement du père Wallace occis par les Anglais et conservé comme une relique, jusqu’au bout de tissu qui les a liés lors de leur mariage et que Wallace serrera dans sa main pendant son supplice, en passant par les visions de sa dulcinée, n’en jetez plus … Et l’entrée en « guerre » de Wallace et son obstination à lutter quoiqu’il advienne contre les « envahisseurs » aura pour cause l’assassinat de Murron par un petit notable anglais. Sans parler du coup de foudre réciproque entre Wallace et Isabelle de France …

Sophie Marceau & Mel Gibson

Mais ce qui a le plus fait jaser, c’est l’ultraviolence limite gore, du film. Les scènes de bataille sont particulièrement réalistes, ces mêlées-boucherie où tous les coups sont permis, tuer ou être tué. Les décapitations, amputations, les corps traversés par les épées, les lances, les haches, les flèches ou les poignards, les chevaux empalés. Et hors batailles, on a droit aux égorgements, aux têtes fracassées par les masses d’armes, … A côté, le supplice final de Wallace est plutôt soft, il n’y a que de la tension liée à l’agonie du roi, aux larmes d’Isabelle, à l’émotion des compagnons d’armes et de Bruce, grâce à un montage malin.

« Braveheart » a renforcé l’aura de Mel Gibson, parce qu’il joue William Wallace, ce qui n’était pas prévu au départ. Il avoue s’être fait berner par la Fox, qui alignait sans sourciller les millions de dollars à mesure que le scénario avançait, mais qui insidieusement suggérait qu’en plus de réaliser il tienne le rôle principal. Ce qu’il a fini par accepter, sans se douter de l’ampleur de la tâche. Rétrospectivement, Gibson avoue avoir fini le tournage (sept mois, dont plus de deux pour tourner les deux batailles, où il fallait gérer quotidiennement jusqu’à trois mille personnes sur le plateau) à peu près fou, les neurones cramés par la pression, le manque de sommeil, et le clap de fin qui n’apparaissait jamais. Il se sentait capable de réaliser, ayant beaucoup appris en tournant avec George Miller ou Peter Weir, mais il s’est fait bouffer par son projet, virant obsessionnel pour le moindre détail.

Les anecdotes sont légion. Pour donner un semblant d’organisation aux batailles, l’équipe a tourné sur un camp militaire et engagé les bidasses qui y étaient. Et Gibson a pu mesurer le fossé physique entre des pros qui s’entraînent tous les jours, et lui, à presque quarante ans (soit dix-quinze ans de plus que son personnage), qui devait sprinter comme un forcené pour être devant les soldats figurants lorsque les Ecossais chargeaient l’armée anglaise. En plus, Gibson a réalisé pratiquement toutes les cascades, sa doublure prévue passait les journées à se tourner les pouces. Et pour le final (le supplice de Wallace), Gibson a complètement disjoncté, et contre l’avis de tout son staff, a exigé d’être réellement pendu (on l’a descendu quand il a perdu connaissance, il a failli y passer, et rétrospectivement n’est pas très fier de cette décision aberrante). A côté de ça, l’utilisation d’une énorme vraie hache pour la décapitation fait figure de plaisanterie (pour le coup, il a quand même pris la précaution de filmer le geste de bas en haut, et de passer les images obtenues à l’envers au montage).

This is the end ...

Le résultat donne un film à grand spectacle (référence de Gibson, « Spartacus » le péplum plus ou moins réalisé par Kubrick), les plans filmés en hélicoptère sont nombreux, notamment lors de l’ouverture, avec panoramiques gigantesques des Highlands. Bien que sachant qu’il tournait une fiction à peu près intégrale, Gibson a apporté un soin maniaque aux détails, avec un énorme travail sur la création de décors en extérieur, les costumes et les maquillages. Le vice a été poussé jusqu’à rechercher parmi les agriculteurs écossais ceux qui pouvaient fournir des races centenaires de bovidés juste pour une scène, lorsqu’on ramène les dépouilles du père et du frère de Wallace morts au combat. Hormis les deux grandes batailles, tournées dans une base militaire irlandaise, les extérieurs sont en Ecosse, sous la pluie (invisible à l’écran, quand on la voit, c’est que de l’eau est versée à seaux sur le plateau) et le froid la plupart du temps. Quasiment aucun effet numérique n’a été rajouté, un encadrement médical, vétérinaire et de dresseurs était présent en nombre, aucun cheval n’a bien évidemment été abattu ou blessé (ceux qui sont empalés sont des chevaux mécaniques, trucage à l’ancienne), et parmi les centaines de figurants des scènes de bataille, Gibson est fier de préciser que seuls trois blessés ont été recensés, deux contusionnés et une fracture de la cheville en tout et pour tout …

La musique est dans l’air celtique du temps, et le thème principal est l’œuvre de James Horner qui en utilisera une version dérivée pour le thème de « Titanic » qu’il composera deux ans plus tard …

Un mot sur Sophie Marceau, principal rôle féminin en (future) reine glamour mais déterminée, elle entamera avec « Braveheart » un lustre de tentative de carrière internationale, qui malgré un autre succès remarqué au box office (le rôle de la méchante dans « Le monde ne suffit pas » de la saga James Bond), n’ira pas plus loin que la fin des années 90.

Alors au final, il faut en penser quoi ? « Braveheart » est un film d’action survitaminé et palpitant, et une incontestable réussite visuelle. Le seul reproche, les libertés prises avec la réalité historique qui enjolivent quelque peu (pour être gentil) ce biopic de William Wallace. Les Ecossais ont adoré le film, les Anglais moins …




2 commentaires:

  1. Je crois que je ne l'ai jamais vu en entier, toujours des morceaux, et la fameuse bataille. Mais Gibson réalisateur est un type intéressant, ces derniers films, plus radicaux dans leurs partis-pris, naviguent entre film d'auteur, thérapie cathartique et hélas parfois, grand guignol.

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  2. Il y en a deux de fameuses batailles dans le film, celle de Stirlink où ils empalent les chevaux anglais, et celle de Falkirk, la mêlée au corps à corps et les archers anglais qui tapent dans le tas, dégommant écossais et anglais, mais ils s'en foutent , ils sont en grosse supériorité numérique. La stratégie à Falkirk est apparemment inspirée d'une bataille de l'antiquité, et quasiment plagiée dans la bataille des bâtards, un des épisodes les plus sauvages de Game of Thrones ...

    Mel Gibson réalisateur, je connais que Braveheart, Apocalypto (bien sauvage aussi), et la Passion du christ, torture movie bien glauque et idéologiquement plus que douteux sous des visées prétendument historiques (le tournage en araméen, tout ça). Gibson est toujours au moins à la limite du révisionnisme, c'est gênant, parce qu'il sait mettre du rythme dans ses films ...

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