ZHANG YIMOU - LE SORGHO ROUGE (1987)

 

Une couleur : rouge ...

« Le sorgho rouge » est le premier film de Zhang Yimou. Et de Gong Li. C’est le film qui les a révélés au monde dit libre (Ours d’Or au festival de Berlin en 1988, ce qui n’est pas une petite récompense). C’est aussi le film qui a annoncé le début d’un renouveau du cinéma chinois, après des décennies de mise en images de la propagande communiste.

Gong Li, Mo Yan, Jiang Wen, Zhang Yimou

« Le sorgho rouge » c’est un film qui comme son pays d’origine, la Chine, cherche « l’ouverture » vers l’Occident, mais se base sur la tradition et les traditions. La tradition historique de la Chine (communiste ou pas) et de son meilleur ennemi japonais, qui a plusieurs fois envahi le continent, d’où la haine séculaire des Chinois pour le voisin insulaire. L’invasion débutée par le Japon en 1937 sera au cœur du dernier tiers du film. Les traditions, on les retrouvera pendant des décennies dans le cinéma asiatique (au sens large, de l’Inde à la Corée, en passant par la Chine et le Japon), où une grande part des scénarios met (souvent exagérément) en avant les histoires, contes, légendes, us et coutumes locales.

Dans « Le sorgho rouge » l’histoire débute en 1929 et se termine dix ans plus tard. Elle est narrée en voix off par le petit fils de l’héroïne (dans la version sous-titrée en français, c’est « grand-mère », en V.O. elle a un nom et un prénom). On ne voit jamais le narrateur. Bon, on s’en passe, il vaut mieux voir Grand-Mère, interprétée par la sublime Gong Li, vingt-deux ans et dont c’est le premier film. Faut préciser qu’être la compagne de Zhang l’a quelque peu aidée à obtenir le premier rôle. Zhang a une quinzaine d’année de plus, et est un directeur de la photo quasiment attitré d’une gloire oubliée et oubliable, un cacique du cinéma de propagande dont j’ai la flemme de rechercher le nom. « Le sorgho rouge » est basé sur deux nouvelles d’un futur Prix Nobel de littérature (en 2012), Mo Yan. C’est au niveau de ces deux sources du scénario que le bât blesse un peu. La transition est abrupte entre les deux parties du film, une paire de personnages secondaires ayant eu des évolutions passées sous silence, quelques intrigues développées dans la première partie sont abandonnées …

Gong Li

Gong Li est la neuvième fille d’un couple de paysans pauvres (pléonasme). Elle est « échangée » contre un âne, pour devenir la femme d’un riche propriétaire d’une distillerie élaborant une sorte de gnôle à base de sorgho rouge, dont les champs entourent son domaine. Problème, l’époux a la cinquantaine et la lèpre … Gong Li est amenée à l’intérieur d’un palanquin porté par quatre types et suivi par des musiciens du coin. Ces rustiques, selon la tradition, ne doivent ni la voir, ni l’approcher. Ils commencent à se lâcher au milieu de paysages arides jaune orangé, se lancent dans des chants paillards, agitent le palanquin façon space mountain, et les plus enhardis suggèrent à la jeunette de passer un bon moment avec eux plutôt qu’avec son futur vieux lépreux. Chemin faisant, au milieu des immenses plaines de sorgho, le convoi est attaqué par un bandit armé et masqué, que tous prennent pour Sanpao, terreur légendaire locale. Sauf que ce n’est qu’un amateur qui sera tabassé à mort par les porteurs du palanquin. L’un d’eux s’enhardit, allant jusqu’à caresser le pied de la promise.

Qui finalement arrive à la ferme, bien décidée à ne pas se laisser toucher par le lépreux (elle a planqué une paire de ciseaux de taille respectable dans ses vêtements). Lequel mari fera pas de vieux os, on le trouve la nuit suivante assassiné. Les soupçons se portent sur le porteur entreprenant qui fera vite sa réapparition, d’abord éconduit, avant de finir par partager le lit de celle qui est devenue la patronne de la distillerie. Un enfant, le père du narrateur ne tardera pas à venir au monde.

Entre-temps, Gong Li a dû se faire accepter par le personnel de la ferme, en prendre la direction, et continuer la fabrication de sa liqueur de sorgho. Elle se sera aussi fait kidnapper par le vrai Sanpao, sera libérée on ne sait pas trop pourquoi ni comment par son amant, qui ira défier le bandit dans sa boucherie …

L'amant (Jiang Wen)
Dix ans plus tard, alors que les envahisseurs japonais arrivent dans leur bled, Gong Li et son mari-amant vont initier la résistance, et certains protagonistes vont réapparaître de la première partie (le bandit, le régisseur, le boucher, …) avec des fortunes diverses (no spoil) …

Contrairement à ce que pourrait penser son synopsis, « Le sorgho rouge » n’a rien d’un film léger et romantique. C’est un film âpre, violent. Voire plus, lorsque les Japs entrent en scène (exécutions sommaires, tortures à base de dépeçage de prisonniers vivants). C’est aussi un film qui fait passer des messages dans la ligne du parti. Finement, mais bon, on est deux ans avant Tien An Men, faut faire gaffe. Gong Li, à la tête de la distillerie, entend gérer différemment (« on partagera les bénéfices », argument qui fera rester les hésitants prêts à l’abandonner), elle véhicule l’image de la femme forte, décidée, chef de file de la rébellion, alors que son compagnon ne fait que la suivre … Et dépeindre les Japonais aussi cruels ne peut que plaire au Peuple et à ses dirigeants à casquette et cols Mao …

« Le sorgho rouge » par son scénario et son traitement, ne serait qu’une fresque « positive » un peu naïve et violente à la fois. La réalisation de Zhang va faire la différence. « Le sorgho rouge » est avant tout un choc visuel. Deux couleurs dominent, le jaune orangé des terres, et le vert des plants de sorgho couchés par le vent. Et tout en haut du spectre colorimétrique, le rouge écrase tout. Depuis le début (le palanquin, les habits de Gong Li), jusqu’au final en sursaturation, où tout est rouge, le sang, l’alcool de sorgho, le coucher de soleil, un rouge (c’est le but) qui fait se plisser les yeux, lorsque commence à s’inscrire le générique, on était à la limite du supportable. Pas besoin de son, de mouvement, cette explosion de rouge saturé se suffit à elle-même … la technique de Zhang ne se limite pas à une savante manipulation de filtres de couleurs. On passe de gros plans (amoureux, on pense à Godard filmant Anna Karina) de Gong Li, à des scènes méticuleusement chorégraphiées (les séquences du palanquin au début, les rituels et les chants entourant la distillation du sorgho), à des panoramiques majestueux (des paysages quasi désertiques très Utah Valley, un coucher de soleil majestueux sur les immenses plaines de sorgho). Pour son premier film, Zhang prouve qu’il a des choses à dire et à montrer, et qu’il sait comment s’y prendre caméra au poing pour les dire et les montrer, et fait preuve d’une maturité artistique certaine.

La reconnaissance critique pour « Le sorgho rouge » sera mondiale, mais le film est bien trop différent de ceux qui remplissent les salles pour avoir un quelconque succès public (en gros, le genre de machin qui sera diffusé à pas d’heure sur Arte). C’est quand il en prendra le parfait contrepied quelques années plus tard (le huis clos à la place des grands espaces campagnards), que Zhang signera son chef-d’œuvre (« Epouses et concubines » toujours avec Gong Li), avant de devenir plus ou moins le cinéaste mainstream et « officiel » de la Chine …


Du même sur ce blog :

Epouses Et Concubines



Pas de bande-annonce trouvée, juste un clip de piètre qualité sur Gong Li dans le film



2 commentaires:

  1. Pas vu. Mais belle réputation. Gong Li... ah la belle femme !

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    1. Ah que oui qu'elle est belle ... mais très mauvais goût musical, Jean Michel Jarre, faut pas déconner ...

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