JEAN-PIERRE & LUC DARDENNE - LE GAMIN AU VELO (2011)

 

En roue libre ?

Les Dardenne, on le sait, en plus d’être belges, ont une résidence secondaire à Cannes, du côté du Palais des Festivals. On ne compte plus leurs films sélectionnés, ni leurs récompenses sur la Croisette, deux Palmes d’Or (pour « Rosetta » et « L’enfant »), et une palanquée de récompenses, dont un Grand Prix du festival pour « Le gamin au vélo ».

Dardenne, Doret, de France & Dardenne Cannes 2011

Ce minot et sa bécane, on s’en doute, n’est pas une comédie ou un thriller haletant. Les Dardenne font du Dardenne, comme si t’avais refilé une caméra à Mimile Zola, ou comme une version wallonne de Ken Loach. Du cinéma social pour faire simple. Avec des constantes, des petits budgets, des tournages en extérieurs, un personnage principal de toutes les scènes, une histoire qu’on prend en route, une fin « ouverte », …

« Le gamin au vélo » présente deux particularités. Le personnage principal, Cyril, est un gosse d’une douzaine d’années joué par un débutant (Thomas Doret, qui deviendra un acteur récurent des frangins). L’autre personnage principal, Samantha, est joué par la « star » féminine du Plat Pays, Cécile de France. Pour la première fois de leur déjà longue litanie de films, les Dardenne Bros font appel à quelqu’un de connu et de reconnu, « bankable ». Pour le reste, on change pas trop le casting gagnant des films précédents (Fabrizio Rongione, Jérémie Rénier, Olivier Gourmet), même si ces trois-là sont assez incompréhensiblement sous-employés (une apparition fugace de Gourmet en patron de bar, trois scènes pour Rénier et Rongione).

La bonne rencontre ...

Bon, je suis plutôt preneur du cinéma des frangins. Mais « Le gamin … », il m’a toujours laissé une impression mitigée, bien que beaucoup le considèrent comme la masterpiece des Dardenne. Ce gamin, on a envie de le gaver de torgnoles tout du long du film, parce que c’est une sacrée tête à claques. Et par réaction, on comprend pas pourquoi la Samantha s’en entiche, alors qu’il lui balance des beignes, fout sa vie de couple en l’air, la plante avec des ciseaux, lui coûte cher parce qu’il faut payer pour les conneries qu’il fait …

Dès le départ, on voit que le Cyril, c’est pas un gosse facile. Il est dans un centre spécialisé, limite carcéral pour cas « difficiles ». Son idée fixe, c’est d’en partir pour retrouver son père et surtout le vélo (de cross ou tout-terrain, j’y connais rien en bécanes et entend bien continuer ainsi) que ce dernier lui a offert. Comme son père répond jamais au téléphone, les tentatives « d’évasion » se multiplient. On voit que le gamin est pas du genre commode, taciturne et replié sur lui, mais capable de monter très vite et très haut dans les tours … jusqu’au jour où il réussit à se faire la belle de sa taule éducative, s’en va dans une cité pas folichonne de Seraing, sinistre patelin déjà mis à l’honneur (?) dans « Rosetta », à l’appart de son paternel, mais le vieux est plus là, et le vélo non plus. Les éducateurs qui le traquent sont sur ses traces pour le ramener au centre éducatif, Cyril rentre dans un cabinet médical et s’agrippe à une nana dans la salle d’attente pour pas suivre les éducs. Peine perdue, ils l’embarquent, sauf que cette séquence va s’avérer déterminante.

La mauvaise rencontre ...

La femme à laquelle il s’est accroché, c’est of course Samantha – Cécile de France, coiffeuse à son compte de son état dans ce quartier plus ou moins difficile. Elle va lui racheter son vélo, devenir sa famille d’accueil le weekend, l’aider à retrouver son paternel, et le sortir de toutes les situations glauques où il s’enferme. Sans rien recevoir en retour, hormis insultes, beignes, coup de ciseaux façon couteau, et emmerdes à tous les étages car le Cyril il dérape. Souvent. Et finira même, sous l’influence néfaste du dealer du coin, par braquer à coups de batte de baseball un libraire et son gosse …

Moi, c’est là que ça coince … Le gamin caractériel et pas reconnaissant, je veux bien … mais la Samantha qui envers et contre tout (et tous) s’obstine à aider et pardonner à ce sale morveux, désolé, je comprends pas … J’ai bien saisi que les Dardenne ne voulaient rien dire sur elle, mais le personnage n’est pas crédible (une femme en manque d’enfant, une mère refoulée, le souvenir d’un parent, d’un ami, d’une connaissance, que sais-je …). Plus le gamin lui pourrit la vie (son mec qu’elle voyait occasionnellement, elle finit par le larguer, parce qu’il en a plein les bottes du gamin), plus la situation semble sans issue (le paternel, joué par Jérémie Renier, qu’elle finit par retrouver est cuistot d’un petit restau, ne veut pas assumer sa paternité pour plein de raisons qu’il croit bonnes, et ne veut plus revoir son fils), plus la Samantha tente de multiplier les signes d’affection au chenapan qui n’en a rien à secouer … Et quand le Cyril semble sur la voie de la rédemption et du « droit chemin », ce sont les conneries qu’il a faites auparavant qui le rattrapent …

A la recherche du père...

Pour moi, avec « Le gamin au vélo », les Dardenne ont poussé trop loin tous les curseurs qui définissent leurs films. On est en terrain connu. Il y a un style Dardenne Bros … Ils nous montrent le parcours d’un « déclassé », on est dans le milieu « populaire », il y a cette fascination pour le bitume (on marche beaucoup sur les trottoirs, on traverse beaucoup les routes ou les rues), il y a cette mise en scène caractéristique (les gros plans, les petits espaces, ces scènes très répétées en tout petit comité parce qu’il faut pas gâcher de la pellicule et mobiliser toute l’équipe technique, on ne place la caméra que quand on est sûr du coup, cinéma à « petit budget » oblige …). Sauf que l’on sent trop que ce gamin d’une douzaine d’années, il joue un truc écrit pour lui par deux types qui ont cinq fois son âge … je suis peut-être passé à côté, mais j’ai l’impression que l’empathie va aller beaucoup plus sur Samantha que sur Cyril, ce qui me semble à l’opposé du but recherché …

Bon, le film est pas ignoble, parce que les Dardenne, ils montrent des choses, et posent en filigrane les bonnes questions, beaucoup mieux qu’une litanie de discours prétendus sociaux ou résolument populistes, ils nous mettent face à la dark side du monde merveilleux dans lequel on est censé vivre.

Et puis, un film qui pastiche à une paire de reprises « Le voleur de bicyclette » (parce que dans ces quartiers-là, si tu surveilles pas ta bécane comme le lait sur le feu, tu te la fais piquer et t’es obligé de courser celui qui te la chourave) ne peut pas être foncièrement mauvais. Même si les frangins ont à mon sens fait mieux …


Des mêmes sur ce blog :

Rosetta


STEPHEN FREARS - THE QUEEN (2006)

 

Lizzy face à son destin ...

« The Queen » est centré sur la semaine du Dimanche 31 Août 1997 au Samedi 6 Septembre de la même année. C’est-à-dire entre l’accident parisien qui lui a coûté la vie et l’enterrement de Diana Spencer, plus connue comme Lady Di.

Ceci étant dit, j’ai jamais été abonné ni même lu les torchons sur les people et les têtes couronnées genre « Gala », « Point de vue » et assimilés, et la saga et les frasques de la famille royale britannique, je m’en tape complètement. « The Queen », heureusement est un film qui fait intervenir les people, mais n’est pas un film sur les people royaux. C’est un film que je qualifierai de politique. Dont les premières scènes montrent l’arrivée au pouvoir de Tony Blair (une paire de mois avant que la Merco aille s’encastrer sur un poteau du souterrain du Pont de l’Alma), et les dernières une rencontre protocolaire entre le Prime Minister et la Queen Mom deux mois après les funérailles de Lady Di.

Mirren & Frears

C’est pour moi cette entrée en matière et le final du film qui sont les plus importants. Le reste, la semaine évoquée plus haut, a été tellement commenté et documenté, que mis à part des immersions (réussies) au 10 Downing Street, au domaine privé écossais de Balmoral et à Buckingham Palace, lieux de résidence de la famille royale, ça n’apporte pas grand-chose à l’histoire, celle qu’on écrit dans les livres. « The Queen » n’est pas une version « alternative » de l’Histoire comme peuvent l’être le « JFK » d’Oliver Stone ou le « Farenheit 11/9 » de Michael Moore. « The Queen » nous montre en continu, de façon chronologique (la date est précisée chaque fois que l’on change de journée), ces jours qui ont failli faire vaciller la monarchie britannique, et ses siècles de pouvoirs héréditaires.

Derrière la caméra, Stephen Frears, évidemment Sujet de Sa Très Gracieuse Majesté. Quasiment une quarantaine d’années derrière la caméra en 2006, parsemées de quelques aimables succès critiques et populaires (« My beautiful Laundrette », « Les liaisons dangereuses », « High fidelity », …), sans pour autant être reconnu comme un cador des plateaux de tournage. Il signe avec « The Queen » ce qui est certainement son meilleur film. Et pas qu’un peu aidé par une prestation époustouflante d’Helen Mirren, qui prouve enfin, à plus de soixante balais, qu’elle peut tenir un grand rôle dans un grand film, cantonnée qu’elle a été dans des séries B plus ou moins navrantes (je vais pas faire la liste, y’a Wikipedia qui le fait très bien). Un Oscar (mérité) viendra couronner (c’est bien le mot) sa performance en Reine d’Angleterre face à une crise morale, sociale, politique et institutionnelle.

Evidemment, et c’est précisé à la fin du générique, « The Queen » est une fiction basée sur des faits réels. Les seules versions de l’histoire ne venant que du camp de Tony Blair, campé dans le film par Michael Sheen, choisi pour une vague ressemblance. C’est lui le maillon faible du casting, alors que sa femme Cherie (Helen McCrory), ou les membres de la famille royale (eux aussi castés pour des similitudes physiques) s’en sortent mieux (le futur King Charles, son père Philip, la mère d’Elisabeth).

Tony Blair prête serment

« The Queen » mélange scènes d’archives télé et pour l’essentiel des reconstitutions, avec parfois les acteurs superposés aux images d’actualités. Inutile de préciser que rien n’a été tourné aux abords du Ritz, au Château de Balmoral, à Buckingham Palace, ou dans la cathédrale de Westminster. Mais comme vous et moi et pas grand-monde n’a jamais foutu les pieds dans ces endroits prestigieux, le subterfuge était facile (pour la cathédrale de Westminster, images d’archives et plans serrés sur les acteurs suffisent à entretenir l’illusion du réel).

« The Queen » a ceci d’efficace, qu’il nous montre deux choses. Le chaos dans lequel s’est enfoncé des jours durant la Reine et sa famille, et un Tony Blair qui très vite va finir beaucoup plus mal que ce qu’il avait commencé. Est-ce en filigrane un règlement de comptes de Frears avec celui qui a quand même bien trahi ses idéaux (et ses électeurs), il se pourrait bien.

Dans quasiment tout le film, c’est pourtant Blair qui a la main et « sauve » la Reine. Sauf que … On débute par une Elisabeth majestueuse qui pose en tenue de grand apparat pour un portrait en pied (enfin, assise) pour le peintre (officiel ?) du régime. La scène a lieu le jour des élections qui vont voir la victoire du Labour de Blair. Dans la discussion (très protocolaire) le peintre glisse que thanks God, il n’a pas voté travailliste. Plus fine, la Reine lui fait remarquer qu’elle n’a pas le droit de vote, mais on sent bien que ... vous m’avez compris … Et déjà, on voit que « The Queen » ne sera pas un pensum historique pesant. La finesse, l’ironie, le second degré, le tongue-in-cheek sont souvent de la partie. Grand numéro d’équilibriste de Frears et de son scénariste Peter Morgan, d’autant plus que les faits évoqués ne sont pas vraiment légers et ont traumatisé toute une nation. Quelques jours après les élections, entrevue officielle et en privé de Blair et Elisabeth pour l’investiture du premier Ministre. Blair, d’apparence joviale, décontractée et souriante, est intérieurement tétanisé par la solennité du moment. Beaucoup plus que sa femme, qui le rejoint dans la foulée (dans la famille Blair, et pas seulement dans le film, c’est elle qui était à gauche). On voit déjà l’instinct politique de la Reine qui a auparavant demandé à son chef du protocole de venir l’appeler au bout d’un quart d’heure pour ne pas éterniser la rencontre avec les prolos Blair, à qui elle n’a pas manqué de rappeler que son premier Premier Ministre fut un certain Winston Churchill …

Débordée par l'actualité ...

Ces décennies de pratique et de finesse politique vont se fracasser deux mois plus tard lors de l’accident de Diana. Lorsque le décès est confirmé, les certitudes et les siècles de tradition volent en éclats. Charles, bien qu’ex-mari cocu (la réciproque est aussi vraie) sent que toute la famille royale doit rendre hommage à celle qui fut femme de l’héritier du trône, d’autant plus qu’elle est adorée par le pays. Il va trouver en face lui la Reine, son époux et sa grand-mère (en gros « c’est pas une Windsor, c’est plus ta femme, que sa famille – les Spencer – se démerdent »). Toute la famille royale est au moment du décès en villégiature dans sa propriété privée de Balmoral en Ecosse et il n’est pas question de retourner à Londres, de faire quelque discours ou intervention que ce soit et d’organiser des funérailles d’apparat. Le futur King Charles (étrangement, Frears ne fait jamais apparaître ni ne cite la Camilla) doit s’appuyer sur Blair pour faire rapatrier le corps avec un minimum de solennité en Angleterre.

Blair et son équipe sentent bien que la pression populaire est en train de monter contre la Reine et les coups de téléphone se multiplient entre Downing Street et Balmoral où toute la famille Windsor continue ses activités champêtres et bucoliques (la pêche, la chasse, les grillades, les ballades en Land Rover) comme si de rien n’était. Ces face à face par British Telecom interposés sont passionnants, entre un Blair qui s’affirme de plus en plus et une Queen qui s’agace de son attitude mais commence à douter. C’est la pression populaire, cumulée à des sondages (secrets) calamiteux pour la monarchie attaquée par toute la presse sans exception, qui conduira à son retour à Londres, ses déambulations devant les tonnes de fleurs entassées devant les grilles de Buckingham Palace, son message de deuil à la Nation, les obsèques nationales avec Elton venu entonner un « Candle in the wind » (on l’entend pas mais on le voit entrer dans la cathédrale), enfin tout ce que les télés du monde entier (passage de temps en temps de vrais extraits de JT d’un peu partout) ont montré non stop et en direct pendant toute la semaine.

Blair calling : Allo, non mais allo quoi ...

La monarchie a tremblé, la popularité de la Reine s’est effondrée, Blair triomphe (sa fameuse expression de « Princesse du peuple » lors d’un discours d’hommage à Diana). Mais le film s’appelle « The Queen » et pas « Tony ». Quelques semaines plus tard, lors des rencontres hebdomadaires avec son Premier Ministre (2500 à ce moment-là, comme le lui rappelle Blair), on voit celle à qui il est interdit de faire de la politique avoir repris les choses en main, et humilier (toute en sourires et formules malicieuses) un Tony Blair qui lui est déjà sur la pente descendante …

Helen Mirren est époustouflante dans son rôle, et pas pour seulement pour son apparence similaire (l’allure, les fringues terriblement désuètes, paraît-il sa façon de s’exprimer, mais là je peux pas dire, j’ai pas de Cds de la Queen Elisabeth). Elle rend magnifiquement le désarroi d’une femme devant laquelle tout le monde s’est toujours courbé, et qui se retrouve face à une situation qui fait voler toutes ses certitudes en éclats. Mention particulière également à James Cromwell excellent dans le rôle de son mari, qui présente la facette la plus conservatrice de la famille, à grand renfort de réparties cinglantes (et donc ridicules).

Deux anecdotes pour finir.

Aussi méticuleux qu’ait voulu être Frears, il a laissé passer un pain au montage. A un moment, on voit la Reine partir se balader en 4X4 et elle fait monter deux clébards noirs (des labradors ?) dans la voiture. A la scène suivante, lorsqu’elle rouvre la portière, il en descend trois. L’autre énigme du film, ce sont les deux face à face de la Reine avec un cerf gigantesque, le premier alors qu’elle en panne avec sa vieille Land Rover, et le second alors qu’il a été abattu par des chasseurs d’un domaine voisin. Les spéculations les plus étranges se sont multipliées sur la symbolique sous-entendue. Frears affirme que ça fait partie des scènes sans aucune signification, juste là pour leur rendu visuel, et donner une durée « décente » au film (une heure quarante) …


BLUE ÖYSTER CULT - AGENTS OF FORTUNE (1976)

 

Contre mauvaise fortune bon cœur ?

Oh misère ! … Comment le Cult en est arrivé là, à sortir un machin calamiteux comme ce « Agents … » ?

What, qu’est-ce tu racontes, calamiteux, une rondelle qui contient « (Don’t fear) the reaper » ? Yes, affirmatif.

Bloom, Roeser, Lanier, Bouchard & Bouchard

Bon, on reprend au début … Je vous fais grâce du néolithique supérieur du groupe (les premières traces des protagonistes, jusqu’au Stalk-Forrest Group), tout se met en place sous le nom de Blue Öyster Cult en 1971, avec ce qu’il convient d’appeler la formation « royale », Roeser, Lanier, Bloom et les frangins Bouchard. Là, toutes les bonnes fées new-yorkaises branchées de la rock-critique (Sandy Pearlman), de la littérature (Richard Meltzer), du milieu arty (Patti Smith), … s’entichent de ce groupe sombre, au parfum sulfureux (leurs textes, leur logo que certains ont cru dérivé de la croix celtique chère aux fachos), aux disques brûlants comme du métal glacé …

Certes, le BÖC se traînera pendant la première partie des 70’s une réputation de groupe élitiste, moins facile d’accès que Status Quo ou Kiss, mais leurs trois premiers disques (« Blue Öyster Cult », « Tyranny and mutation », « Secret treaties », chefs-d’œuvre indispensables) feront froncer bien des sourcils (le rock et le second degré ne vont pas bien ensemble, voir le cas d’école Queen), certains poussant même le bouchon jusqu’à accuser le groupe de faire l’apologie des totalitarismes de tout poil … Comme de bien entendu, un live point trop mauvais (« On your feet or on your knees »), viendra clôturer en 1975 une première partie de carrière irréprochable.

« Agents of fortune » va suivre. Déjà, la pochette pique les yeux … ‘tain, c’est quoi cette horreur ? Pour le coup, les coupeurs de cheveux en douze n’ont rien trouvé à y redire, mauvais signe … Même si un disque, ça se regarde pas, ça s’écoute, pareil visuel, surtout comparé aux quatre précédents, ça donne pas envie. Visuellement, on est donc en dérapage incontrôlé, et musicalement, c’est encore pire. Alors que le BÖC était volontiers rangé dans la catégorie hard-rock – heavy metal – machin truc, ils entreprennent avec ce « Agents … » un virage marqué vers la pop et le funky. En en utilisant les plus grosses ficelles sans en retenir l’essence. Je m’explique. Une bonne mélodie ou une rythmique groovy n’ont jamais fait de mal à une chanson, sauf qu’ici ça fait plutôt parti pris délibéré de coller à un air du temps, d’adoucir, d’édulcorer une approche sonore, plutôt que choix artistique assumé.


Le BÖC savait envoyer des gros riffs qui tâchent, et ils ont encore la recette (l’inaugural « This ain’t the summer of love », « E.T.I. »), mais très vite les claviers omniprésents de Lanier (ou Roeser) viennent systématiquement « alléger » le propos pour donner des choses frayant avec le pire du rock FM à venir (dans « E.T.I. » arrive comme un cheveu sur la soupe un pitoyable refrain, suivi d’un solo de guitare imbécile, brouillon et démonstratif à la fois). Le BÖC se hasarde même à une sorte de power pop (l’ultime « Debbie Denise », peut-être le plus gros naufrage musical de la rondelle, mais la concurrence est rude), après s’être vautré dans le ridicule du funky de supermarché (« Sinful love »), ou pire le grotesque jazz-rock de contrebande (« Tenderloin »), et avoir marché sur les plates-bandes de Tatie Elton (« True confessions », tout piano en avant, comme une mauvaise chute de « Goodbye yellow brick road »).

Il faut signaler que c’est la première fois dans sa discographie que le groupe est livré quasiment à lui-même, Meltzer a disparu du générique, Pearlman se concentre sur la production et n’intervient que sur la co-écriture d’un titre. Reste le cas Patti Smith. Ayant fréquenté de près le groupe (Lanier, mais pas que), elle vient parler sur l’intro et faire quelques chœurs sur « The revenge of Vera Gemini » (qu’elle a coécrit, tout comme « Debbie Denise »). Un signe qui ne trompe pas sur l’égarement du BÖC, l’apparition sur les crédits des frangins Brecker, remarquables cuivres de sessions, complices attitrés de Steely Dan, c’est dire si on est assez loin du Cult des débuts …

Chacun sa guitare à tous les rappels de concert

Qu’est-ce qu’il reste t-il donc à sauver sur « Agents … » ? Ben, pas grand-chose. Un peu « This ain’t the summer of love », son bon gros riff malgré son refrain de corps de garde ; à peu près même verdict pour « E.T.I. » (pour « Extra Terrestrial Intelligence », cosmos et mondes parallèles, une des thématiques favorites du Cult), ; « Morning final » rappelle au début « Last days of May », mais le titre est vite gâché par une mélodie funky pop du plus mauvais effet. Reste le cas « (Don’t fear) the reaper ». Thématique morbide sur fond enjoué, dûe à Buck Dharma (le pseudo de scène de Donald Roeser, aux débuts du groupe, ils en avaient tous un, c’est le seul à l’avoir conservé), une intro aussi facilement identifiable aux premières mesures que celle du « Layla » de Clapton. Très gros hit du Cult, tirant beaucoup plus sur la power pop que sur le métal froid des débuts, et titre incontournable du groupe.

Une réédition Cd du début du siècle rajoute quatre titres. La version originale de « Fire of unknown origin », sorte de pop blues symphonique, qui donnera plus tard son titre à un album très dispensable, la maquette déjà aboutie de « (Don’t fear) the reaper » par Roeser en solo, un « Sally » vaguement swinguant, dispensable mais meilleur que beaucoup de titres de « Agents … », et un « Dance the night away » (rien à voir avec le titre de Van Halen) pleurnichard avec piano en avant …

« Agents of fortune » est en rupture totale avec ce que le groupe avait produit jusque là. Perso, c’est sans moi … La suite poursuivra dans cette veine. L’autre gros hit du groupe, « Godzilla » suivra bientôt, ainsi qu’une litanie de disques aux pochettes repoussantes et au contenu idoine. Le groupe existe toujours, cachetonne (chèrement) en tête d’affiche de festivals, avec pour rescapés de la formation originale Roeser et Bloom, et n’est plus que l’ombre du groupe majeur qu’il fut à ses débuts …


BRIAN ENO - AMBIENT1 MUSIC FOR AIRPORTS (1978)

 

A écouter ou à entendre ?

Brian Eno, c’est pas un blaireau (joke cycliste des années 80, désolé mais c’était trop facile). C’est tout le contraire, le gars a du sang bleu dans les veines, son vrai blaze étant Brian Peter George St. John le Baptiste de la Salle Eno, ça claque davantage sur une carte de visite que Robert Smith ou Duran Duran …

Moebius, Eno, Rodelius & Plank 1977

Le Brian a commencé à se faire connaître par ses extravagances sonores et vestimentaires dans les deux premiers Roxy Music, avant de faire son Clapton et de quitter la bande à Bryan Ferry une fois le succès arrivé. Suivront une poignée d’albums solo hautement recommandables (concepts plutôt cérébraux, mais musique sous forme de chansons très accessibles). Parallèlement à sa carrière solo, Eno collaborera avec quelques extravagants de son acabit genre John Cale ou Robert Fripp, avant de devenir producteur – éminence grise sonore de Bowie dans sa trilogie dite berlinoise. Ce qui renforcera notablement sinon sa célébrité, du moins sa notoriété.

Eno a dès le départ souvent crié sur tous les toits son admiration entre autres pours ceux qu’on a parfois qualifiés comme faisant partie de l’école minimaliste américaine (Terry Riley, John Cage, Steve Reich, Philip Glass, …). Parallèlement, Eno a bossé avec deux types de Cluster (prog électronique) aux noms sortis des BD d’Astérix (Moebius et Rodelius), ainsi que leur producteur, Conny Plank. Ajoutez les plages instrumentales des albums de Bowie (elles aussi sous influences krautrock), et vous avez en gestation un cocktail sonore capable de faire fuir tout fan de Status Quo normalement constitué. Le déclic pour « Ambient 1 Music for airports » viendra lorsque Eno flippera sa race dans un terminal d’aéroport à cause de retards de vols et de l’atmosphère anxiogène qui s’ensuivra (mes correspondances, mes rendez-vous, …) parmi les passagers. Il imaginera donc une musique anti-stress qui conviendrait parfaitement à ce genre de situation dans les aéroports.

Musique pour salon de thé ? Eno 78

Bon, moi la musique d’aéroport, ça m’évoque la première scène du « Lauréat », où la caméra suit un Dustin Hoffman impassible sur un tapis-roulant électrique. Et le fond sonore c’est « The sound of silence » de Simon & Garfunkel. Je suis pas un fan acharné du nain et du grand bêta rouquin, mais autant être clair, je préfère leur gentil folk baba au disque d’Eno. Qui n’est pas mauvais-mauvais, mais bon, vous m’avez compris …

Et si vous avez pas compris, je m’explique (brièvement, je vais pas passer cent ans à écrire sur cette rondelle). « Music for airports », comme indiqué dans l’autre partie du titre, c’est de l’ambient, c’est-à-dire un truc mélodiquement linéaire, pas de structure rythmique, très peu d’instruments, très peu ou pas du tout de paroles, et des claviers, de préférence électroniques … Eh, oh, il reste encore quelqu’un ? …

Au cas où, continuons vaillamment comme si de rien n’était la description de l’objet. Quatre morceaux (pas de titres, numérotés dans l’ordre des pistes vinyles d’origine, à savoir « 1-1 », « 1-2 », « 2-1 », « 2-2 ») entre huit et seize minutes, pour un total de trois-quarts d’heure. Et comme y’a davantage de place sur le cd, 30 secondes de silence après chaque titre (même après le dernier) celui-ci étant rallongé de trois minutes sur la rondelle argentée par rapport à la parution originale.

« Ambient 1 … » deviendra la référence absolue du genre auquel il donnera son nom, et générera des multitudes de disques s’en inspirant (en gros tout ce qu’on peu regrouper sous le terme de muzak électronique, musique d’ascenseur, chill-out music, …). Sauf que tous ces papiers-peints sonores, ils sont là pour décorer, on les entend mais on les écoute pas. On peut faire pareil avec le disque d’Eno (mais alors, à quoi ça sert de jouer un disque qu’on écoute pas ? bonne question, gamin, t’as gagné l’intégrale de Motörhead), sauf que les quatre titres sont différents.

J'en ai une longue comme çà ... Vantard, Brian Eno ?

« 1-1 », le plus long, reçoit le renfort de notamment l’auto-défenestré Robert Wyatt, sorte de Coluche pataphysique et communiste, entre autres fondateur de Soft Machine et responsable du seul titre écoutable (« Moon in June ») de leur bouillasse « Third ». Il joue ici du piano (rappelons qu’il est batteur) façon Pascal Comelade par-dessus les synthés d’Eno, et c’est beau (et chiant) comme du Keith Jarrett période « Koln Concert ». Sur « 1-2 », seulement des nappes de synthés planants, sur lesquels se superposent des vocaux (râles liturgiques genre gospel ou chant grégorien par un trio de trisomiques). Troisième titre (« 2-1 ») et nouvelle juxtaposition, cette fois de ces chœurs avec les synthés d’Eno sonnant comme des pianos robotiques. Le dernier titre viendra clore les possibilités du mélange acoustique/électronique, vocal/instrumental, à savoir des accords plaqués sur des synthés qui pour le coup donnent l’impression (mais juste l’impression, ça ressemble pas à du Slayer) d’être violents.

Bon, pour moi, le meilleur des quatre c’est le premier, et les autres (effet de répétition, lassitude, mais tout ça est peut-être le but, « oublier » d’écouter pour juste percevoir le fond sonore), au fur et à mesure qu’ils défilent, ils me gavent quand même un peu beaucoup … bon, j’ai jamais écouté (ou entendu) ce disque dans un aéroport, mais il paraît qu’il est parfois diffusé dans des salles de réveil de bloc opératoire …

A noter que « Ambient 1 … » est paru (et réédité) sur le label E.G. Records, label roi du prog (celui de King Crimson, ELP, de quelques rondelles de Genesis) autant de gens très exigeants en matière de son. Ben, même en version Cd remastérisée, y’a un souffle de mammouth sur « Ambient 1 … », et j’ose pas imaginer ce que ça peut donner sur un vinyle d’origine …

Ah, et puis, Eno il en sortira d’autres des ambient (au moins trois de plus il me semble) avant de devenir un producteur très successful dans les années 80.

Conclusion, c’est (quasiment par définition) pas franchement insupportable, mais, bon, suivant …


Du même sur ce blog : 

Before And After Science


PETER GREENAWAY - LE CUISINIER, LE VOLEUR, SA FEMME ET SON AMANT (1989)

 

La grande malbouffe ?

Bon, par où commencer ? Tiens, par la conclusion … J’aime pas ce film. Pour plein de raisons. Peut-être pas bonnes, mais je m’en fous, j’envisage pas de devenir pigiste à Télérama ou aux Cahiers du Cinéma …

« Le cuisinier … », je le mets dans le même sac que « Salo ou les 120 journées de Sodome » de Pasolini ou « La grande bouffe » de Ferreri, un film pour voyeurs malsains à tendance SM. De la première scène (une humiliation à base de tartinage de face avec de la merde de chien lavée en suite à la pisse) à la dernière (une mise en scène théâtrale et opératique de cannibalisme), cœurs sensibles s’abstenir. Pourtant, c’est pas le genre d’images qui va m’empêcher de dormir la nuit, les grosses ficelles scato ou révulsives, j’assimile, et je comprends parfaitement que ça se justifie dans un film. A condition que ça serve à quelque chose, et d’abord au film …

Greenaway & Bohringer

Mais là, sorry, ça sert à quoi ? Parce qu’entre les deux « sommets » du début et de la fin, ce qu’il y a entre est loin d’être soft (violence physique, verbale, scènes d’humiliation, de tabassage, de meurtre, du full naked, une petite pipe par ci par là, et j’en passe …). D’ailleurs les Ricains, éternellement traumatisés par le code Hayes, envisageaient le fameux Rated X pour le film, reléguant ainsi sa diffusion aux salles dédiées au porno. Finalement, « Le cuisinier … » s’en sortira avec une interdiction au moins de 16 ou 17 ans partout dans le monde (si tant est qu’il ait eu une distribution mondiale, je suppose que Greenaway et son équipe sont pas allés assurer la promo à Ryad, Manille, Islamabad ou Pékin).

Greenaway, il est responsable du scénario et de la mise en scène. C’est un British vrai de vrai, né dans un quartier populaire de Londres (le même que celui de Ian Dury, celui qui chantait en 77 « Sex & drugs & rock’n’roll », d’ailleurs les deux se connaissent, sont potes, et Ian Dury a un petit second rôle dans le film), et qui est venu au cinéma après plusieurs années passées dans une école d’art où il a appris la peinture dans l’intention d’en faire son métier. Ce qui ne se révèle pas totalement inutile quand ensuite on fait du cinéma, on sait jouer avec les couleurs. Et là, c’est un des points positifs du film (il y en a quand même quelques-uns), cette utilisation de la gamme des couleurs. « Le cuisinier… » a été entièrement tourné en studio. Chaque endroit dans lequel évoluent les personnages a sa couleur, poussée aux limites de la saturation : le bleu pour la rue extérieure, le vert pour la cuisine, le rouge pour la salle de restau, le blanc pour les toilettes, le jaune orangé pour les espaces moins utilisés (l’hôpital, la bibliothèque). L’essentiel des costumes est de la même couleur que le décor, et quand les personnages changent de lieu, la couleur de leurs habits change aussi (raccords compliqués à faire, y’avait pas le numérique à l’époque). Tous ces costumes sont signés d’un type qui commence à avoir une grosse réputation, Jean-Paul Gaultier. Pour l’anecdote, Madonna en rachètera un porté dans le film par Helen Mirren. Qui devait pas être trop usé, parce que la belle Helen passe plus de temps à poil que vêtue … Et tant qu’on est dans le rayon couleurs et peintures, dans la salle de restau trône un immense tableau, et comme j’y connais rien en taches de gouaches, je croyais que c’était un pastiche de « La ronde de nuit » de Rembrandt, en fait c’est une vraie œuvre originale d’un type dont j’ai la flemme de chercher le nom sous forte inspiration Rembrandt. Et les convives principaux sont habillés comme les miliciens du tableau.

La salle de restaurant

La base du script du film tient en trois lignes : dans un restau huppé, vient tous les soirs faire ripaille une bande de malfrats incultes et vulgaires. La femme du chef de bande quitte régulièrement ces lourdauds pour aller tirer un p’tit coup en cuisine avec un intello bcbg, jusqu’à ce que son mec en soit informé et que tout, si tant est que ce soit encore plus possible, parte en vrille … voilà, trois lignes j’avais dit … Était-ce nécessaire pour cela que chaque scène soit construite uniquement pour être choquante, dérangeante, montrer la bêtise, la cruauté, la veulerie des personnages, that is the question. Greenaway y répond dans une discussion sur son film, et de façon pas toujours convaincante. « Le cuisinier … » serait un film pour dénoncer le thatchérisme, et sa politique ultralibérale dans laquelle le fric est roi, et permet toutes les ignominies à ceux qui en ont. Soit … Le film serait un hommage aux dernières pièces de Shakespeare, paraît-il les plus sombres de son œuvre, montrant plein cadre les abominations qui au théâtre se passent hors scène. Re-soit. « Le cuisinier … » ferait implicitement référence au nazisme et à l’Holocauste (notamment quand la femme et son amant rentrent nus dans un camion frigo rempli de viande avariée lorsque le mari-voleur les recherche, les portes du camion-frigo qui sont refermées par le cuisinier assurant le parallèle avec les chambres à gaz), c’est pour cela que l’on doit montrer la nature humaine dans toute la noirceur absolue qu’elle peut atteindre. Re-re-soit … Tout ça pour finir par une dernière longue scène, figurant une sorte de Jugement dernier dans un décor évidemment rougeoyant, où l’expiation se fait sous les yeux des victimes … Que celui qui a décelé tout ça au premier visionnage me fasse signe, j’ai des équations à multiples inconnues et variables à résoudre …

Les toilettes

Pour faire un film, il faut aussi des acteurs. Selon Greenaway, celui autour duquel tout le casting a été construit, c’est Richard Bohringer. Choisi pour la démesure épique qu’il donnait à ses personnages. Bizarrement, à part un face-à-face tendu avec le chef mafieux, il est tout en retenue, passant le film à arrondir les angles lorsque les situations dégénèrent, et à favoriser les ébats puis la fuite des deux amoureux. Les amoureux, ce sont Helen Mirren, la femme du truand et l’intello placide pour qui elle a eu le coup de foudre. L’amant, inconnu depuis disparu des radars, n’a de toutes façons qu’un rôle secondaire. Helen Mirren, la quarantaine gironde, est comme souvent excellente dans les mauvais films, avant qu’on se décide à reconnaître son talent et lui en faire tourner des bons. Celui qui crève l’écran, c’est le truand. Interprété par Michael Gambon, physique à la Pavarotti, et jeu à la Falstaff, en encore plus lubrique, obscène, violent et truculent que le personnage d’opéra (opéras qui constituent l’essentiel de la bande-son). Autour de Gambon, une petite troupe de séides et de traînées, tous plus bêtes et méchants les uns que les autres. Parmi ces petits seconds rôles, le quasi-débutant et futur grand pote de Tarantino, Tim Roth (qui finira par cachetonner dans les Hulk de chez Marvel, tout comme Gambon le fera dans la série des Harry Potter) …. A noter que pour la véracité de certaines scènes en cuisine, ce sont les vrais employés du prestigieux Hotel Savoy de Londres qui sont aux fourneaux …

La cuisine

En conclusion-bis, je dirai que ce film au titre de fable de La Fontaine et sans réellement de morale (si, si, j’ai vu et à peu près compris la fin, mais je vais pas spoiler) est plutôt indigeste. Comme à peu près tous ceux de Greenaway que j’ai visionnés … Pénible et complaisant un jour, pénible et complaisant toujours ?

Conclusion-ter, une citation de Peter Greenaway : « il y a des choses particulièrement horribles dans ce film que j’ai du mal à regarder moi-même ». Pas mieux …





JEAN-FRANCOIS RICHET - MESRINE L'INSTINCT DE MORT (2008)

 

Ascenseur pour l'échafaud ...

Bon, il a pas fini sur l’échafaud, Mesrine (puisque « L’instinct de mort » est le premier d’un diptyque de films biographiques qui lui sont consacrés), mais il aurait pu, pour peu que les cowboys du commissaire Broussard aient tenté de l’arrêter au lieu de le cribler de balles Porte de Clignancourt. Mais c’est une autre histoire et un autre débat … un autre jour peut-être, si j’en viens à causer de « L’ennemi public n°1 » la suite (et fin) de « L’instinct de mort ».

Cassel, Richet & Cécile de France

Quand « L’instinct de mort » est mis en chantier vers la fin de la première décennie des années 2000, il y a presque trente ans que Mesrine est mort, et que ses (mé)faits font figure de babioles face à des pervers serial killers (les Heaulme, Fourniret, Louis, …), ou les futurs djihadistes à kalach … Il n’empêche que surtout durant les 70’s, le Jacquot Mesrine à défrayé la chronique, et pas qu’une fois … Roi du braquage, de l’évasion, de la com, mettant en scène sa propre histoire et légende …

L’histoire de Mesrine transposée sur grand écran, c’est l’affaire de deux hommes (quoique, on y reviendra), Jean-François Richet et Vincent Cassel. Le premier est un banlieusard militant, le self made man venu des cités, le second est un fils de ... venu des beaux quartiers et qui se la surjoue rebelle (sa fascination moultes fois étalée pour le gangsta-rap et les délinquants d’une façon générale). Alors quand le premier est venu trouver le second pour lui proposer le rôle de Mesrine, pensez si le fils de Jean-Pierre Cassel a été d’accord. L’occasion de jouer un dur autrement plus consistant et célèbre que le Vince de « La haine ». Et on sent le metteur en scène et l’acteur principal fascinés par le truand le plus célèbre de son époque. Et Cassel va y aller à fond, dans une performance digne de l’Actor’s Studio genre De Niro dans « Raging Bull ». Cassel prendra au long du tournage une vingtaine de kilos pour suivre les transformations physiques de son personnage.

Le scénario pour tourner un biopic de Mesrine, c’est pas mission impossible pour l’écrire. La documentation ne manque pas, que ce soit l’autobiographie de Mesrine (« L’instinct de mort »), et tous les entretiens qu’il a donnés à la presse dans les 70’s. Richet choisit la chronologie (sauf pendant le générique de début, qui en split screen, nous montre l’embuscade finale en 1979), procédant par bonds dans le temps, des incrustations sur l'image situant la date et le pays.

Depardieu, Cassel & Lellouche

Toute sa vie, Mesrine a été un solitaire, mais qui cherchait la compagnie, des femmes, mais aussi ponctuellement ou pour quelques mois d’autres truands avec lesquels il sévissait, au hasard de rencontres, notamment en prison où il a passé pas mal de temps. On commence donc avec la violence des tortures et des assassinats lors de la guerre d’Algérie où il était bidasse, avant la démobilisation et le retour chez papa-maman. La maison familiale est juste un point d’ancrage, car un de ses vieux copains (joué par Gilles Lellouche, son personnage est quasiment le seul inventé pour les besoins du film), le met en relation et l’intègre aux hommes de main et à tout-faire d’un caïd de la mafia parisienne membre de l’OAS, Guido. Ce dernier est joué par un Depardieu pour une fois tout en retenue, alors que son personnage pourrait donner lieu au jeu outré et expressif dont il est coutumier. Depardieu, Lellouche, les parents Mesrine (Michel Duchaussoy et Myriam Boyer), ses premières maîtresses, sa première femme, sa compagne braqueuse (Cécile de France à contre-emploi, brune en cuir et darkshades), ne sont là que pour quelques scènes. Cassel, lui, est quasiment toujours à l’image. Certainement le rôle de sa vie, sa fascination pour la truandaille (comme avant lui Melville et Delon) trouve un exutoire en la personne de l’exubérant Mesrine.

Cassel, que j’apprécie pas particulièrement, joue juste, rendant bien la faconde et la démesure violente et égomaniaque du personnage. Mesrine n’était pas le Robin des Bois moderne que certains ont cru (ou voulaient) voir en lui (et lui-même a toujours démenti cette image d’Epinal). Mesrine prenait du fric aux riches (les grosses entreprises, les banques, les casinos, les milliardaires qu’il kidnappait, …), mais ne le refilait pas aux pauvres, il le claquait en babioles pour ses femmes et/ou maîtresses, flambait (et perdait gros) aux tables de poker, et finançait son quotidien (vivre caché entouré d’un luxe de précautions quand toute la flicaille de France essaye de te serrer coûte cher).

Il y a quand même un problème avec « L’instinct de mort ». Pour moi, il s’appelle Richet. Le gars (qui a pourtant réussi comme d’autres expatriés européens avec de gros budgets aux States) assure tout juste. Le making-of du film est révélateur. Le metteur en scène, c’est Cassel, qui suggère, propose (ou plutôt impose), remanie parfois le script, place les caméras, les autres acteurs. Problème, Cassel n’est pas un réalisateur, et Richet, on l’aperçoit tout juste assis dans un coin, observant et écoutant son acteur principal diriger le tournage. Encore plus flagrant quand Depardieu et Cassel ont des scènes ensemble, Richet disparaît totalement de la circulation, attendant que les deux aient arrangé les scènes … Richet filme sobrement, et parfois trop sobrement. Son montage est très académique. Et quand il s’essaye à une « fantaisie » (dont il semble très fier), un effet tournoyant de caméra quand Cassel-Mesrine est enfermé au cachot dans un QHS de prison canadienne, ça dénote totalement avec le reste des prises de vue. Problématiques aussi, les scènes de gunfights. Outre une paire de ralentis accélérés sur les balles de revolver à la « Matrix » dispensables, il manque cruellement de rythme. On est loin des gunfights de Michael Mann dans « Heat » ou de la folie furieuse de Ridley Scott dans « La chute du Faucon Noir ». Flagrant notamment lors de l’attaque par Mesrine et son complice québécois de la prison où ils ont été enfermés et où ils reviennent après s’être évadés pour libérer les autres détenus. Plus gros foirage à mon sens, le face à face de Mesrine et son pote avec les gardes-chasse canadiens, qui manque singulièrement de tension, alors que c’est la dernière scène du film.

M. et Mme Mesrine

Il me semble que Richet a été dépassé par l’enjeu (et le budget conséquent de 45 millions pour le diptyque). Il a eu les moyens (tournage en France, en Espagne, au Canada, et même à Monument Valley alors que Mesrine n’a jamais foutu les pieds en Utah, il a été arrêté avant d’y arriver en Arizona). A son crédit, il a bien rendu la violence (souvent générée par lui-même) dans laquelle baignait Mesrine.

Conclusion, « L’instinct de mort » est un bon film, quand même en dessous de ce qu’aurait pu donner la démesure du personnage hors norme (quoi qu’on pense de lui) dont il raconte les premiers faits d’armes. Le second volet (« L’ennemi public n° 1 ») c’est encore plus un one-man show de Cassel … après, verre à moitié vide ou à moitié plein, chacun est libre de choisir son camp …


TONTON DAVID - LE BLUES DES RACAILLES (1991)

 

Tonton flingueur ou Tonton flingué ?

Tonton David, son vrai blaze c’est Ray David Grammont. Ça commence mal, c’est con, je trouve que son nom est mieux que son pseudo …

Réunionnais de naissance et donc immigré en région parisienne (oui, je sais, La Réunion c’est en France, c’est la façon dont tu es perçu en métropole qui compte), une biographie (falsifiée, exagérée ?) de petit délinquant avec case zonzon, et une « expatriation » en père de famille déjà nombreuse vers la riante cité de Metz (cercle polaire septentrional) … Bon, je pourrais continuer dans cette veine là, mais c’est trop facile, malheureusement pour lui, il est plus là pour répondre, et puis, ce qui me gave chez lui, c’est pas le personnage (publiquement au demeurant assez sympathique), c’est la musique qu’il a fait.


Le Tonton, il vient du reggae. Enfin, le reggae des années 80 … Pause et petit rappel des faits. Le reggae, ça vient du ska, du rocksteady et de la Jamaïque des années 60. Bob Marley en fera un genre musical universel quand il deviendra une star planétaire au milieu des années 70. Trop tard pour les pseudo rastas de circonstance, musicalement le genre est moribond, les meilleurs titres et disques (y compris ceux de Marley) datent tous d’avant 74-75. Et quand Marley claquera en 81, personne ne reprendra l’affaire reggae en main. Les contemporains et possibles héritiers ne manquent pas, mais aucun n’atteindra l’universalité de Saint Jah Bob … Quant à la nouvelle génération, ces gamins jamaïcains nés dans les années 60, ils vont remplacer les musiciens par des machines, la structure rythmique deviendra beaucoup plus sèche et répétitive, le phrasé beaucoup plus scandé (reprenant les choses là où les avaient laissé les toasters des sound-systems jamaïcains des 60’s). On appellera ça le dancehall, avec deux courants : le slackness (ancêtre du gangsta-rap américain, le bad boy ou prétendu tel serial lover) et le raggamuffin (ceux qui causent accessoirement d’autre chose). A peu près la même chose se retrouvera aux States, où l’on parlera de rap. Quand le rap explosera commercialement au niveau mondial (Public Enemy et d’autres dans la seconde moitié des 80’s), les répliques se feront sentir partout, y compris dans notre chère Gaule. Quelques émissions de télé rétrospectivement assez risibles assureront l’implémentation du genre dans les oreilles de toute une génération issue de ce que l’on appelait les banlieues. Et quelques-uns passeront de l’écoute à la pratique sous le regard au mieux condescendant des maisons de disques. Une seule, Virgin, fondée par l’ancien hippie mais vrai affairiste Richard Branson, par le truchement du sous-label Labelle Noir, publiera en 1990 une compilation qui va se révéler fondatrice, « Rapattitude », où l’on retrouvera quelques seconds couteaux en devenir du rap, Assassin, Saï Saï, et les futures stars NTM. Parmi la dizaine de titres, une rengaine très mélodique sur fond de raggamuffin, « Peuples du monde » signée Tonton David. Premier vrai succès (radios, télés, charts) du rap français au sens large (après l’étonnant et improbable « Chacun fait ce qui lui plaît » de Chagrin d’Amour). Virgin battra le fer tant qu’il était chaud, et Tonton David se verra poussé en studio pour enregistrer un disque. Pour la petite histoire c’est Polydor qui sortira en 90 le premier album de rap à succès, « Qui sème le vent récolte le tempo » du plutôt brillant MC Solaar.


Des succès, l’Oncle David en aura, mais sous forme de singles, par contre il ne sera jamais un vendeur d’albums.  « Le blues des racailles » sera son premier 33T et un bide assez retentissant, et ce bien qu’il contienne en dernière piste « Peuples du monde » (le 45T est beaucoup plus facile à trouver aujourd’hui d’occase que l’album original).

Pourtant Tonton David se situe à la croisée des chemins rap et raggamuffin, y’avait de quoi ratisser large. Même si la bande tricolore (vert, rouge et jaune) de la pochette est le signe de ralliement de tous les reggaemen, on sent l’envie forcenée de coller à l’air du temps. Problème, à l’heure où le rap américain reposait sur un gros travail de studio, « Le blues des racailles » sonne cheap, bâclé. Des structures rythmiques maigrichonnes, des boucles minimalistes, et à contre-courant des standards internationaux, le gros des efforts est dirigé sur l’architecture mélodique et le soin apporté au refrain par le renfort d’un chœur féminin (à la I Threes de Marley) présent sur de nombreux titres. Et puis, y’a un autre souci. Le rap ou le raggamuffin sont affaire de tchatche (le flow disent les connaisseurs), et de plus en plus à l’époque, de textes. Ici, ça vire souvent à la cata. Oncle David arrive pas à coller vocalement sur des tempos qui se doivent d’être rapides, sa diction est pas bonne du tout, son accent ultramarin qu’il a pas réussi à perdre lui fait bouffer la moitié des mots et des pans entiers de phrases sont incompréhensibles. Et les thèmes abordés restent gentiment centristes, convenus. On est loin de la dentelle verbale travaillée d’un MC Solaar, et des punchlines balancées par les rappeurs américains et que sont en train de mettre en place dans leurs caves NTM ou IAM et l’émergence de ces deux-là renverra Tonton David au rang d’amuseur cool, que viendra lui contester au milieu des 90’s le risible et futur sarkozyste Doc Gyneco.

On sent dans « Le blues des racailles » que toutes les « figures imposées » du rap ou du raggamuffin sont traités de façon superficielle. Le côté bad boy sur l’introductif (bidonné ?) « Mon CV », le « sauvetage » grâce à la musique (« A qui la faute »), le machisme « gentil » (« Les jeunes filles vont nous tuer »), l’auto-glorification (« Tonto »), les flics (« Ils ont appelé la police pour moi »), la réussite financière (« CA$H »).


Deux titres posent problème (mais comme personne a dû les écouter, ça n’a pas fait de vagues, de scandales, ou de buzz). « Je parle à toi » avec au milieu d’une litanie de clichés à tendance communautariste une au moins maladroite sinon débile référence à « un accroissement inexorable de l’homosexualité ». Quant à « Pretoria » sur la situation d’apartheid en Afrique du Sud, on est loin de la qualité de « Biko » de Peter Gabriel, des albums « Graceland » de Paul Simon ou « Survival » de Marley, et à propos de Marley le citer à la fin du titre pour prédire une guerre civile, est une dénaturation et une réécriture totale des prises de position de Saint Bob …

Au final, il en reste quoi à sauver de ce disque ? Pas grand-chose. Allez, en ratissant large, j’en sauve trois (sur quinze). Le morceau-titre, plutôt basé piano et guitares (bien discrètes) que machines, « CA$H », un des plus élaborés musicalement, avec ajout de chœurs féminins et de cuivres, et le gentil hit « Peuples du monde ».

Ce hit qui suffira au Tonton pour devenir quelqu’un qui compte, d’autant plus qu’il réussira à sortir d’autres hits encore plus niais, notamment « Chacun sa route » épaulé (?) par Manu Katché et Geoffrey Oryema (la B.O. du sans intérêt « Un Indien dans la ville »), qu’on le verra dans des émissions prime time, image lisse et souriante d’une musique et d’une génération qui ne l’étaient pas vraiment par ailleurs. Ses petits succès dans les 90’s ne lui feront pas prendre la grosse tête mais plein de kilos, avant qu’il disparaisse des radars, et même tout court, victime d’un AVC il y a quelques années.

« Le blues des racailles » c’est poubelle direct. Si des trucs réussis dans ce genre quasiment disparu aujourd’hui vous intéressent, à peu près tout ce qu’a fait le Massilia Sound System dans les 90’s vaut le détour (du rap et du raggamuffin en provençal). Sinon, y’a quelques plages du grandiose « Banzaï », du groupe punk radical La Souris Déglinguée qui s’était offert une escapade fabuleuse vers des rythmes moins à ras du bitume que ceux auxquels ils nous avaient habitués depuis leurs débuts …





ABBAS KIAROSTAMI - LE VENT NOUS EMPORTERA (1999)

 

Non-dits et non-vus ...

Nombre de pays du plus ou moins proche Orient, ont une vraie tradition cinématographique. La Turquie (Güney, Akin, Ceylan), l’Inde (l’antique Satyajit Ray, un des dix plus grands cinéastes de tous les temps, et maintenant les productions à la chaîne de Bollywood), et l’Iran.

Abbas Kiarostami

L’Iran présente la particularité de s’être révélé aux cinéphiles lorsque s’est mise en place la dictature des ayatollahs et autres mollahs. C’est dans des conditions peu favorables au développement du monde artistique que s’est révélé Abbas Kiarostami. On imagine les difficultés à exercer son art dans le contexte. Pas question de faire de la résistance caméra au poing, même pas de façon elliptique. Kiarostami va s’attacher aux racines du cinéma, et faire de ses films un manifeste artistique.

Avec évidemment les moyens du bord. « Le vent nous emportera » est le dernier de son quartet majeur (après « Au travers des oliviers », « Le ballon blanc » et « Le goût de la cerise », tournés quasiment à la suite).

Au premier visionnage, on se dit que « Le vent … » n’est pas un film. Difficile de dire de quoi il est question. « Le vent … » se mérite, tous les détails comptent, dans lequel le non-dit et le non-vu importent plus que ce qu’on voit et entend.

Il paraît que le scénario tenait à l’origine en deux pages. Kiarostami l’aurait réduit à trois lignes. Six mois de préparation et de repérages et trois semaines de tournage, avec un casting composé uniquement d’amateurs, et la plupart du cru. C’est-à-dire d’un petit village du Kurdistan iranien.

Scène d'ouverture

C’est ce petit village que cherchent les occupants d’un 4X4 dans la première scène. Plan panoramique gigantesque au milieu d’un paysage magnifique. Le 4X4 est sur une route campagnarde poussiéreuse, on entend les dialogues de ses occupants (trois ou quatre ?) à la recherche de points de repère, dans des espaces où il ne semble pas y avoir âme qui vive. On comprend qu’ils sont missionnés, qu’il cherchent quelque chose ou quelqu’un. Le premier humain rencontré est un gosse assis sur un rocher qui apparemment les attend et les guide vers le village, son village. Il a été averti de leur venue, ils lui disent qu’ils sont ingénieurs à la recherche d’un trésor (on sait par leur discussion que ce n’est pas le cas), c’est un secret qu’il ne doit pas révéler. Alors qu’ils arrivent au village (magnifique plan large et extraordinaire patelin que Kiarostami a mis des mois à dénicher, maisons précaires qui s’imbriquent entre elles au cœur des versants abrupts de deux collines), le 4X4 tombe en rade, et un des occupants et le gosse finissent le chemin par un raccourci dans les rochers. On ne le sait pas encore, mais ce type est le seul des occupants de la voiture que l’on verra ; les deux autres seront présents dans quelques scènes, on entendra leurs propos, on verra fugitivement des silhouettes, jamais leur visage (c’est même Kiarostami qui « joue » l’un des deux).

On apprendra pendant le film que ce ne sont pas des scientifiques, mais une équipe de télévision venue là pour assister à la mort d’une très vieille femme malade et au rite funéraire particulier qui doit suivre. Evidemment, l’insistance du photographe ? reporter ? (on dira qu’il est journaliste pour faire simple) à essayer d’obtenir des nouvelles de la malade fera découvrir le pot-aux-roses par le gosse malin et l’instituteur du village.

Les personnages principaux

Ce photographe est de toutes les scènes du film. C’est un acteur débutant (de bien quarante piges), et on ne le reverra que dans une poignée de films dans des rôles secondaires. Tout le reste du casting est composé d’amateurs, la plupart vrais paysans habitant dans les deux villages filmés (l’action se passe dans un seul village, mais deux ont servi de lieux de tournage). Ce qui ne sera pas sans poser quelques problèmes, notamment au niveau des femmes, qui refuseront de jouer, après quelques fois avoir participé à une scène (celle qui à le rôle de la serveuse de la maison de thé a une longue scène, elle devait en avoir d’autres, on ne l’apercevra que sur une paire de plans, manifestement pas de bonne humeur), ce qui obligera Kiarostami à revoir son scénario quasiment au jour le jour. Autre problème du « casting », le gosse d’une dizaine d’années très présent. Choisi lors des repérages, le gamin prendra ce choix très au sérieux, ira prendre des cours de diction en ville pour pouvoir « assurer » lors du tournage. Problème, il perdra son accent provincial, et donc sa « couleur locale ». Grosse colère de Kiarostami, qui lui demandera de retrouver son parler habituel, mais revers de la médaille, le gosse aura toujours tendance à jouer sous pression, à aller chercher un regard approbateur de Kiarostami, et il faudra bien souvent multiplier les prises … De plus, on est dans l’Iran profond, à 700 km de Téhéran, dans une communauté minoritaire (les Kurdes) et donc un peu oubliée du pouvoir central. Kiarostami nous dit que ces paysans-là vivent strictement au gré des saisons (belle saison aride, hivers très rigoureux), il a tourné en été, donc les paysans étaient réticents pour faire de la figuration, parce qu’il y avait énormément de taf aux champs.

Blue is the colour ...

Holà, garçon, tu es en train de nous causer d’un film sans moyens, sans scénario, sans acteurs, et tu vas nous dire que c’est bien, qu’il faut voir ce machin ? Affirmatif, messires. Parce qu’il y a une histoire, à la limite du suspens (elle va décaniller la vieille ou pas ?), du comique (enfin pas façon Tuche) de répétition, témoin ce portable qui sonne dans le village, mais il faut courir au 4X4, aller sur la colline où est le cimetière pour avoir du réseau et le contact avec le monde extérieur. Evidemment, on ne verra ni n’entendra jamais ce que disent les interlocuteurs, mais on comprend qu’il y a parmi les appels la femme du journaliste, et puis toute sa hiérarchie à Téhéran, et à mesure que les jours passent, les conseils ou les ordres qui viennent de « plus haut » à chaque fois.

Et puis, toute cette naïveté, cette spontanéité devant la caméra rendent tous ces gens « vrais », d’ailleurs la plupart ne jouent pas, ils sont devant l’écran ce qu’ils sont dans la vraie vie. Et la vraie vie de ces gens-là, elle prête un peu à sourire, mais on voit bien qu’on est en Absurdistan, témoin le gars qui creuse à la pioche une tranchée dans le cimetière, on le voit jamais, on l’entend juste discuter avec le journaliste, on sait pas pourquoi il est là, à quoi va servir son trou, mais il y passe sa vie. Et d’ailleurs sa vie il manquera la laisser dans son trou qui s’éboulera, il ne sera sauvé que parce que le « héros » traînait là portable à l’oreille, il va donner l’alerte au village, et c’est un vieux toubib à mobylette qui prodiguera les premiers soins et dirigera le blessé vers un hôpital en ville … Comme il a prêté le 4X4 pour transporter le blessé, il rentrera avec le toubib sur sa mob, ce qui donnera la meilleure scène du film. Visuellement époustouflante, ils sont sur un sentier qui serpente au milieu d’immenses champs de blés, on dirait qu’ils traversent dans un panoramique immense un tableau de Van Gogh (révélation, y’a pas que Malick capable de filmer le vent dans un champ, y’a aussi Kiarostami, et lui pour le tournage n’a qu’une seule caméra), pendant que le vieux docteur philosophe sur la vie et la mort, dans une version pas vraiment coranique de l’existence et de l’au-delà …

Van Gogh en mobylette ?

Ce qui permet d’appréhender le numéro d’équilibriste que doit accomplir Kiarostami au pays des Gardiens de la Révolution. Et quand on sait que le régime de Téhéran s’est considérablement durci depuis des années, on comprend que maintenant les gars filment en caméra cachée et font passer les bandes clandestinement à « l’Occident » (« Taxi Téhéran », où le superbe « Wadja » tourné par une femme en Arabie Saoudite). Et le titre du film est le dernier vers d’un poème récité par le journaliste (dans une étable obscure, à une jeune fille qui trait une vache, c’est la « copine » du fossoyeur) due à l’écrivain et réalisatrice iranienne Forough Farrakhzad (morte en 1967, considérée comme initiatrice de la Nouvelle vague cinématographique iranienne, et à ce titre rayée maintenant de la culture « officielle »).

Esthétiquement bluffant (on se demande ce que Kiarostami aurait pu mettre en images s’il en avait eu les moyens), « Le vent nous emportera » n’est pas une œuvre à mi-chemin entre documentaire et film comme parfois décrite, c’est pour moi de l’impressionnisme cinématographique, on te donne des éléments, des points de repère, et toi, spectateur, tu imagines ce que tu vois pas et n’entends pas. C’est en tout cas le point le point de vue de Kiarostami qui veut impliquer dans l’histoire qu’il raconte celui qui visionne son œuvre. Evidemment, il doit y avoir beaucoup plus de choses perceptibles en filigrane pour un Iranien (trois-quatre citations par les acteurs de poèmes persans, dont la compréhension et la symbolique m’échappent, entre autres choses), que par un frenchie moyen qui a pas du tout les mêmes références culturelles et historiques.

Ce qui ne m’a pas empêché d’être pris par cette histoire qui n’en est même pas une … Dépaysement culturel garanti …