Sad songs ...
Au bout de presque soixante-dix ans de rock, combien sont ceux qui se peuvent se vanter d’avoir laissé une œuvre irréprochable ? Déjà, pour qu’on parle d’œuvre, faut être vieux ou au moins plus très jeune et avoir sorti pas mal de disques. Nick Cave a quasiment l’âge du rock, et une vingtaine de rondelles (trois avec Birthday Party, les autres avec les Bad Seeds) à son actif, sans compter quelques projets « récréatifs » (Grinderman …) … et puisqu’on commence à employer des termes de bilan comptable, rien à son passif … Bon, je veux pas dire par là que tous ses disques sont absolument parfaits de la première à la dernière plage, mais j’ai beau chercher, je vois pas qui d’autre n’a pas fait quelque galette chelou (voire plusieurs), n’a pas traversé quelques déserts à l’inspiration aride, n’a pas fini par s’auto plagier ou s’auto caricaturer … Et là, je parle que des plus grands, des plus célèbres … Je vais pas balancer de noms, mais on peut tous les mettre dans une case (ou plusieurs) …
Nick Cave, Bad Seeds & Mc Garrigle Sisters |
Et pourtant Nick Cave n’a pas inventé une formule, à
laquelle il s’accrocherait depuis des lustres. Ecoutez Birthday Party, et puis
son dernier à ce jour, « Ghosteen », et montrez-moi les points
communs musicaux … Aucun … alors les fâcheux qui disent que Cave (parce que ce
soit Birthday Party ou les Bad Seeds, c’est Cave le chef, l’auteur quasi sans
partage et le chanteur exclusif de ses projets musicaux), c’est toujours
pareil, ben, no comment … parce que oui, on n’est pas obligé d’aller glisser un
titre de reggae, de funk, de rock celtique, de techno ou de zumba ou que
sais-je pour montrer qu’on est inspiré ou dans l’air du temps …
Cave a une voix et une présence vocale. Une voix grave, de baryton, à la Johnny Cash … et le countryman n’apparaît pas par hasard, c’est une des références de Cale, et pas seulement par le registre vocal ou l’appétence pour les fringues noires, mais par les thématiques abordées. Ils regardent tous les deux la mort en face et la chantent souvent, la religion tient une grande place chez eux, bien qu’ils ne l’abordent pas de la même façon. Mais en plus, Cave écrit … des bouquins, mais aussi des chansons. C’est ici qu’il convient de glisser l’allusion à Bob Dylan, autre grosse influence de Cave. Mais à la différence du Nobel de littérature Cave est aussi un performer sur scène, où il se plaît à triturer sa grande carcasse efflanquée (esprit d’Antonin Artaud, es-tu là …), sans parler des prestations « dangereuses » à la Iggy Pop de ses débuts …
Nick Cave 2001 |
Je vais pas jouer les encyclopédistes, les disques
de Cave je les ai pas tous (une moitié à la louche, et je suis pas sûr d’avoir
écouté tous les autres), mais c’est un panier dans lequel on peut puiser les
yeux fermés sans risque d’être déçu … d’ailleurs, selon à qui on a affaire, il
n’y a aucun consensus pour désigner le meilleur disque de Nick Cave (si ça vous
intéresse, pour moi c’est « Tender Prey » à la fin des 80’s),
quasiment chacune de ses rondelles a ses fervents partisans …
Alors ce « No more … », tu vas en causer
ou quoi ? Voilà, voilà … On va dire qu’il est caractéristique de sa
période « apaisée ». Entendez par là que Cave met de côté
l’électricité rageuse et stridente qui était une marque de famille de ses
débuts. Seuls le final de « Fifteen feel of pure » et
« Sorrowful life » envoient la sauce, mais à l’issue d’un crescendo
pour le premier, et d’un break pour le second. Nick Cave n’est plus dans le
truc rock’n’roll-punk. Par contre, tous les titres sont construits autour d’une
mélodie au piano, instrument omniprésent sur ce disque. Et c’est Cave qui en
joue. Les mélodies sont épurées mais travaillées (on n’est pas Chez Lang Lang,
ni chez Elton John d’ailleurs).
Autour du piano et de la voix de Cave, les usual suspects habituels, les Bad Seeds. Dont on a l’impression que ce sont les mêmes types depuis un éternité … ben non, on passe en général beaucoup de temps dans les Bad Seeds, mais on finit par en partir. Ici, les anciens historiques Mick Harvey et Blixa Bargeld seront bientôt sur le départ, Warren Ellis et Jim Sclavunos font quasiment figure de bleubites, alors que Thomas Wilder et Conway Savage, rarement cités comme des rouages essentiels seront finalement ceux qui auront passé le plus de temps au sein du groupe. Les Bad Seeds ne sont pas seuls derrière Cave sur ce disque. Des cordes classiques sont présentes sur de nombreux titres et les sœurs Mc Garrigle viennent en renfort aux backing vocaux. Ce qui au total fait du monde … mais tous restent discrets, quasiment effacés (par exemple les frangines folkeuses ne se font vraiment remarquer que sur le final de « Hallelujah » où leurs voix à l’unisson finissent par se substituer à celle de Cave…). Tout le monde est au service des titres et de la vision qu’en a son auteur, pas d’ego surdimensionné chez ces gens-là … Et pas non plus d’ego chez Nick Cave, « No more … », on dirait un disque solo qui se cache derrière un groupe, et c’est une tendance qui ne fera que se renforcer avec les parutions suivantes, mais Nick Cave a besoin d’être accompagné dans tous les sens du terme.
Live 2001 |
Ceux qui ont eu la patience de lire jusqu’ici
doivent se poser une question : du piano et une grosse voix grave en
avant, y’a déjà un autre rachitique longiligne qui fait ça, il s’appelle Tom
Waits. Oui, M’sieur, bien vu, mais les univers n’ont rien à voir. Waits, c’est
le type bourré, le pif dans le verre, qui raconte des histoires à son voisin de
comptoir. Cave, c’est le toxico en voie de sevrage qui raconte ses combats
intérieurs entre Bien et Mal à son psy … Et le plus dépressif des deux n’est
pas celui que l’on croit …
Alors les titres de ce « No more … »
égrènent les peurs (de la mort, de la souffrance, de la solitude, …) mais de
façon onirique, elliptique (Nick Cave et Robert Smith ont bien des points
communs, et pas seulement par le fait de l’étiquette gothique de leurs débuts).
« No more … » est un bloc homogène. Les titres sont longs (presque
une heure dix pour douze morceaux), il y a incontestablement une unité de ton
et musicale. Mais plus que jumeaux, les titres sont cousins. Certains sont plus
épurés (quasiment piano-voix comme « Love letter »), d’autres donnent
l’impression d’être surchargés (« Oh my Lord »), les plus
« noirs » sont pour le final (« Gates to the garden »,
« Darker with the day »). Difficile de trouver des morceaux faibles,
et tout autant d’en trouver qui se détachent du lot. Ceux que je préfère sont
l’introductif « As I sat sadly by her side » qui donne le ton de tout
ce qui va suivre, « Hallelujah » (pas celui de Leonard Cohen), avec
ses couplets en forme de prière et son refrain en forme de prière, et
« God in the house « (à rapprocher du « With God on his side »
de Dylan ?), qui nous sert la plus belle mélodie du disque …
Un indispensable de plus de Nick Cave, et un
indispensable tout court …