Chansons de l'innocence perdue ...
A ce stade de sa … euh, carrière (?), « Either
/ Or » était le disque « spectorien » d’Elliott Smith. Son
troisième en solo, Elliott Smith approche de la trentaine.
Elliott Smith est issu de la middle class américaine,
fils d’une institutrice et d’un toubib. Brillant, il entame des études
supérieures sans conviction, ce qui ne l’empêche pas d’être diplômé en philo et
sciences politiques. Il fait aussi un peu de musique avec quelques potes, dans le
genre boucan (punk, hardcore, proto-grunge, cette sorte de choses). Le groupe
se séparera avant la parution de son premier disque (ce qui lui vaudra plus
tard des bisbilles avec l’industrie du disque, il a évidemment signé un contrat
qui l’engage à vie et après le succès critique de « Either /Or » ce
contrat ressurgira …). Il aurait aussi commencé tout juste ado à goûter goulûment
aux drogues dures.
Smith sort au milieu des années 90 deux disques sur un label indépendant. Un pote lui a prêté un 4 pistes, il donne dans le folk dépouillé et compose, joue et produit tout seul. Avec les ventes phénoménales qu’on imagine …
Elliott Smith est un type insaisissable, beaucoup de
choses dans sa vie restent un mystère (jusqu’à sa mort, classée cold case, on
ne sait pas vraiment s’il s’est suicidé ou a été tué, accidentellement ou pas).
Il fait partie de cette litanie d’auteurs tourmentés, fragiles et accros aux
drogues et médicaments, dont les têtes de gondole du genre se nomment Nick Drake,
Townes Van Zant ou Kurt Cobain … On l’aura compris, les disques d’Elliott Smith
ne sont pas de ceux qu’on entend sur la sono à la fin des banquets de mariage …
« Either / Or » le sortira de l’anonymat.
Sans qu’il soit dans quelque air du temps que ce soit. C’est dans tous les sens
du terme un disque solo. Enregistré grâce à son 4 pistes un peu partout, et
notamment chez sa copine de l’époque Joanna Bolme (que l’on retrouvera des
années plus tard dans les Jicks, le groupe de Stephen Malkmus).
Le titre du disque est le même que celui d’un bouquin
du philosophe danois Kierkegaard, pas vraiment un hasard quand on connaît le
cursus de Smith. Sauf que sur le disque, nulle prise de tête.
Il est assez sidérant de constater comment, dans un genre largement diffusé (le folk pour faire simple) et minimaliste, on puisse encore trouver des mélodies, des refrains, des brouillons d’arrangements aussi beaux et fragiles. Oui, certes c’est brouillon. Sur plusieurs titres, on entend le souffle des bandes, le bruit du magnéto qui démarre l’enregistrement, la « production » est sommaire (les effets sur la voix, souvent doublée, sont à la limite de la faute professionnelle, on espère que c’est fait exprès, mais rien n’est moins sûr). En gros, n’importe quel groupe débutant ne voudrait pas du son de « Either / Or » comme première maquette. Sauf que …
Qui est capable d’écrire des trucs affolants de
simplicité comme « Speed trials », « Ballad of big nothing », « Rose
parade » « Punch and Judy », pour ne citer que les plus
évidents. Et puis, chose assez inédite à cette époque-là chez Smith, il
n’hésite pas à se lâcher et envoyer le bois (pas de la même façon que Metallica
peut-être, mais plus intelligemment certainement). Il cogne sur les fûts, lâche
quelques riffs électriques (« Pictures of me », le final quiet-loud
de « Cupid’s trick », celui carrément bruyant de « 2 :45
AM »). On a rarement entendu des choses aussi évidentes faites par
quelqu’un qui a l’air de s’en foutre royalement (un morceau n’a pas de titre,
sinon celui de travail, « No name n°5 »).
Quelques dizaines de milliers de copies de
« Either / Or » trouveront preneur. Parmi les acquéreurs, le sieur
Gus Van Sant, fan depuis les débuts, qui avait utilisé de nombreux titres
d’Elliott Smith pour son acclamé « Will Hunting » l’année précédente,
le titre « Miss Misery » se retrouvant nommé aux Oscars, catégorie
meilleure chanson originale. Elliott Smith refusera de la chanter lors de la
cérémonie. Dans un premier temps, car sous la pression de l’Académie (« si
tu viens pas la chanter, on la fera chanter par quelqu’un d’autre », ce
genre), il s’exécutera finalement.
Dès lors, ce type qui comme Cobain ne voulait absolument
pas de gloire ou de célébrité, va se retrouver malgré lui sous le feu des
projecteurs, et corollaire, va devenir un junkie parano jusqu’auboutiste. Ce
qui ne l’empêchera pas de publier quelques autres disques fabuleux …
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