KIM KI-DUK - PRINTEMPS, ETE, AUTOMNE, HIVER ... ET PRINTEMPS (2003)

Et au milieu flotte un monastère ...

On peut lire partout, enfin sur toute la com qui a entouré la sortie du film que « Printemps … » était le chef-d’œuvre du cinéma coréen … ce qui est très plausible. Les archives cinématographiques du pays ont été détruites soit lors de la guerre de Corée, soit par les dictatures militaires qui ont suivi. Et au début des années 2000, le cinéma sud-coréen est le parent pauvre du cinéma asiatique. Les productions japonaises, taïwanaises ou hongkongaises se taillent la part du lion. Et du côté coréen, Park Chan-wook et Kim Ki-duk, même pas 40 ans, font figure de pionniers alors qu’ils n’ont même pas une poignée de films à leur actif. Et donc toutes les chances de faire un chef-d’œuvre …
En une décennie et demie, les choses ont bien changé et aujourd’hui le cinéma sud-coréen est un des plus prolifiques, originaux et inventifs du monde, et se retrouve palmedorisé à Cannes. Et « Printemps … » fait toujours figure de jalon filmé incontournable de ce pays …
Printemps ...
Peut-être parce que c’est un film qu’on peut trouver excellent même si on n’y comprend rien … je m’explique. « Printemps … » est sinon une allégorie ou un monument, mais tout du moins un film dont le cœur est la religion bouddhiste et ses symboles. Alors désolé, j’ai plus de cinq décennies de mécréantisme derrière moi et bac-15 dans toutes les fuckin’ religions … autant dire qu’une putain d’histoire religieuse orientale (même filmée par Scorsese comme « Kundun ») ça me gave très vite.
Alors faudra pas compter sur moi pour vous expliquer les foutues symboliques des peintures sur les portes ou sur les murs du temple, ou le pourquoi du comment des animaux (le poisson, la grenouille, le chien, le serpent, la poule, le chat, la tortue, que signifient-ils chez les bouddhistes, j’en sais rien et veux pas le savoir, mais une chose est sûre, ils sont pas là par hasard …). « Printemps … » est excellent et captivant parce qu’il renvoie aux fondamentaux et aux origines du cinéma, il montre des images qui racontent une histoire. « Printemps … » pourrait être un film muet, il produirait le même effet. Parce que les acteurs (quasiment tous des non professionnels) sont pas des bavards (le bouddhiste est plutôt méditatif et contemplatif, en tout cas un taiseux) et que les clés de l’histoire semblent couler de source. Il pourrait aussi être en noir et blanc, mais ce serait dommage. On perdrait un des plus beaux paysages vus dans un film, un petit lac niché au milieu de montagnes abruptes dans un Parc National coréen, et sur lequel l’équipe du film a construit un monastère flottant, l’embarcadère et les portes qui y conduisent sur la rive.
« Printemps … » dure un peu plus d’une heure et demie. Les quatre premières saisons se partagent à peu près équitablement le film, le dernier printemps (qui sert de conclusion, on y reviendra) n’a droit qu’à une paire de minutes.
Le premier printemps nous montre un Maître déjà âgé et son élève, un bambin de moins de dix ans. Qui sont-ils, d’où viennent-ils, pourquoi sont-ils là, on n’en sait rien. Coupés du monde (seul un sentier mène au lac, et les deux seules barques sont généralement arrimées au monastère flottant), le Maître essayant d’inculquer des valeurs et des principes au gamin. Qui se livre à des jeux cruels sur les berges, lestant des animaux de cailloux qui les font pour la plupart mourir à petit feu. Le Maître va attacher une pierre sur le dos de son élève et l’obliger à aller constater le résultat de ses jeux sadiques.
Eté, et Bouddha créa la femme ...
L’été a lieu plusieurs années plus tard. L’élève a maintenant pas loin de la vingtaine et n’a apparemment jamais quitté le monastère. Il transpire le calme religieux, la zen attitude. Il va se retrouver perturbé, forcément perturbé par l’arrivée inattendue d’une jeune gamine timide venue se faire soigner par le Maître. Evidemment, la proximité, voire la promiscuité (le monastère est minuscule, il y a bien des portes à l’intérieur mais pas de murs, ne me demandez pas pourquoi, et tout le monde passe par les portes, ne me demandez pas pourquoi non plus …). Vous le voyez venir le plan cul ? Et en plus de baiser, ils vont tomber amoureux. Et lorsque la mijaurée partira, l’élève va se défroquer et la suivre.
Lorsque l’automne du film arrive, plusieurs années ont encore passé. Bon, je vais pas tout vous raconter, mais l’élève revient auprès de son maître, suivi d’assez près par des flics. L’automne se finira avec le Maître faisant une reprise à sa façon du plus célèbre morceau de Deep Purple. Sans les riffs de Ritchie Blackmore, parce qu’en plus d’être un film peu causant, « Printemps … » n’est pas doté d’une bande-son omniprésente, c’est le moins que l’on puisse dire.
Hiver, Kim Ki-duk est le nouveau Maître

Du temps a encore passé, lorsqu’en plein hiver, sur le lac gelé, ce qui donnera lieu (comme dans tout le reste du film d’ailleurs) à quelques plans d’une beauté à couper le souffle, se pointe un nouveau Maître, joué par Kim Ki-duk lui-même, qui devra expier les fautes commises dans le monastère. Et à la fin un tout jeune enfant lui sera amené.
Le dernier printemps nous montre cet enfant s’amuser méchamment avec une tortue sur la plate-forme du monastère…
Et là on se dit qu’on a compris, que Kim Ki-duk a voulu nous livrer une parabole non pas sur la religion, qui ne servirait que de prétexte, mais sur la vie, où tout ne serait qu’éternel recommencement. Sauf que ces deux dernières minutes sont la fin « internationale » du film. Et quand on voit dans les bonus la fin coréenne, la conclusion est tout autre. Ce qui en soi est une leçon de cinéma, quand une seule scène différente suffit pour changer la perception de tout ce qu’on vient de voir.
« Printemps … » est formellement un grand film, il a obtenu plein de récompenses méritées, qu’il ne faut surtout pas voir comme des colifichets qu’on attribuerait avec une mansuétude hypocrite à une œuvre d’un « pays émergent » du 7ème Art. Même si comme moi on zappe (par ignorance) tout le côté mystico-religieux du truc, reste un film aussi prenant que peut l’être un film sur lequel on manque totalement de repères sociaux, comme au hasard, « Le salon de musique » de Satyajit Ray …
Pour l’anecdote, ce sont des producteurs allemands qui ont amené le fric pour que le film puisse se faire. A priori un mélange assez paradoxal que cette rencontre entre la rigueur toute germanique et la poésie de « Printemps … ».





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