Calexico, c’est au départ un groupe récréatif. Les deux
hommes de base sont Joey Burns et John Convertino, respectivement bassiste et
batteur. Les deux formant par ailleurs la section rythmique de Giant Sand,
groupe d’americana capable du meilleur comme du pire, et souvent dans le même
album. Le leader de Giant Sand est Howe Gelb, un temps pape de l’americana
indie, et aujourd’hui quelque peu tombé dans l’oubli. Ce même Gelb vient prêter
main forte à l’orgue et au piano à ses deux compères sur ce « Black
Light ».
Conçu au départ comme une escapade à côté de Giant Sand,
Calexico est devenu une entité durable à part entière, avec plus de succès que
le groupe dont il est issu. Vendus commerciaux, soupards, ironisèrent les fans
de Gelb. Ma foi … Trouver Calexico (le nom est tiré d’un vrai patelin de
Californie et non pas d’une contraction de California et Mexico) commerciaux
relève tout de même d’un contorsionniste cérébral et d’un grand écart
dialectique que je laisse à leurs contempteurs.
« The Black Light » n’est pas un disque pour
les hit-parades, d’ailleurs je me demande s’ils ont jamais eu un seul hit,
Calexico. Burns et Convertino proposent une tambouille sonore marquée par des
éléments facilement identifiable. Une americana feignasse, s’ébrouant mollement
dans des tempos assoupis, sur laquelle viennent se greffer des emprunts à la
musique latine (des bribes de tango) mais surtout aux rythmes mariachi du
Mexique tout proche. Parce que Burns et Convertino (tout comme Gelb), sont
basés à Tucson, Arizona, où ils enregistrent tous leurs disques. Petit cours de
géographie pour les ceusses qui étaient assis à côté du radiateur au lycée,
l’Arizona, c’est à l’Est de la Californie et au Nord du Mexique, un coin pas
spécialement réputé pour ses températures polaires. Et ce cagnard qui cogne à
longueur d’année sur les terres brûlées et les landes de pierre (merci Sardou)
donne aux disques de Calexico cet air de sieste par 45° à l’ombre, quand chaque
battement de cil fait ruisseler sur le visage des litres de sueur. On l’aura
compris quand le soleil donne (merci Voulzy), la musique de Calexico s’en
ressent.
« The Black Light » sous ses atours alanguis,
offre un voyage au ralenti dans l’âme sonore du Sud des States et même de
l’autre côté du Rio Grande. Disque à deux de tension, mais bon, qui peut
raisonnablement se fader dès la puberté dépassée, une heure de trash metal
toutes guitares crissantes et vocaux éructés en avant… « The Black
Light » est un disque instrumental … dont certains titres sont chantés.
Enfin, chantés … Burns parle, récite, essaye vaille que vaille de coller à la
mélodie d’une voix grave de type qui a plutôt envie de boire une Corona que de
monter dans les aigus. Ainsi, sur les dix-sept titres (ouais, en 98, la mode
c’était des Cds d’une heure ou pas loin), dix sont totalement instrumentaux,
quelquefois sous forme d’intermèdes ou d’interludes (« Sprawl »,
« Vinegaroon »).
Mais faut pas croire que « The Black Light » est
bâclé par deux types et quelques comparses (le Gelb déjà cité, et quelques
potes aux patronymes pour la plupart fleurant bon les descendants de Cortez,
notamment les trois trompettistes) entre deux tacos et trois siestes. Le
travail sur le son (Burns et Convertino s’autoproduisent) ample (les basses
taquinent l’infra) et spatial tout en restant minimaliste est remarquable. Gimmick
récurrent : la batterie de Convertino (qualifiée à juste titre de
« thunder drum » dans le livret) est tabassée à grands coups de
baguettes sur les toms toutes les cinquante douze mesures ou à peu près ce qui
donne cet effet de foudre qui s’abat sur la mélodie et structure le titre. Et
puis « The Black Light » est construit, pas mathématiquement, certes,
mais les rythmes sont plus enjoués vers le final (tous les titres à cuivres
mariachi sont dans sa seconde moitié). On n’est pas dans l’inouï, tout ce qui
figure sur cette rondelle, quiconque n’a pas passé sa vie à écouter NRJ l’a
déjà entendu. Mais pas souvent avec cette constance, ce désir de faire une
œuvre qui sonne comme un tout et non pas comme la juxtaposition de titres
disparates.
On pense souvent forcément à JJ Cale (ou à son copiste
Knopfler), au Ry Cooder de « Paris, Texas », à du Tom Waits qui
aurait pris un coup de soleil, à des Lobos au ralenti, aux BO de westerns
poussiéreux signées Morricone … S’il fallait ressortir quelques morceaux d’un
ensemble hyper cohérent, difficile de ne pas citer le tango inaugural de
« Gypsy’s curse », la ballade brumeuse « Missing », la doublette
finale (le lentissime « Bloodflow » et le très western « Frontera »),
le mariachi « Minas de cobre », la surf music ralentie de « The ride
(part II) », et le titre éponyme, peut être le plus représentatif du son et
de l’ambiance globale de l’album …
Et tout le reste n’est pas loin de ce bon niveau …
« The Black Light » est le disque parfait. Pour
oublier que c’est l’hiver …
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