1997. Dylan a cinquante six ans. Ce qui en soi n’est
pas grave. Non, là où ça coince c’est qu’il est en roue libre, voire en chute
libre artistiquement depuis la fin des années 80. Depuis « Oh mercy »
(1989), son dernier bon et grand disque produit par Daniel Lanois.
Il se contente d’enchaîner des concerts (le bien nommé
Neverending Tour, même s’il n’aime pas cette dénomination) et des disques qu’il
ne prend plus la peine de composer seul, dans une indifférence au mieux polie
(le Zim fait partie de ces totems difficiles à abattre).
Bob Dylan & Daniel Lanois |
L’homme étant peu enclin à livrer ses états d’âme,
va savoir ce qui a bien pu lui passer par la tête pour s’atteler à la
confection de ce « Time out of mind ». Ce qui est certain, c’est que
quand il a envie de faire de bonnes choses, Dylan ne laisse rien au hasard. Il
revient chercher Daniel Lanois pour produire et gratouiller de la guitare. Sous
le pseudo de Jack Frost, Dylan coproduit. Mais surtout il s’investit comme ça
ne lui était pas arrivé depuis bien longtemps dans l’écriture, joue de la
guitare, ressort son vieil harmonica, tapote du piano. Et il va recruter une
escouade de fines gâchettes (certains l’accompagnent déjà sur scène), ne
lésinant pas sur le casting. Dans lequel figurent entre autres, une flopée de
guitaristes (Duke Robillard, Bucky Baxter, Robert Britt, la slideuse blonde Cindy
Cashdollar), quatre batteurs dont l’incontournable Jim Keltner, le bassiste
Tony Garnier, Augie Meyers aux claviers et last but not least la légende des
studios Muscle Shoals Jim Dickinson également aux claviers (curieusement
orthographié Dickenson sur le livret) dont le CV remplirait un bottin… Pas exactement
des perdreaux de l’année …
L’ambiance du disque est sombre, voire crépusculaire
(les textes, toutes les tonalités dans les down ou mid tempo). On a beaucoup causé
à l’époque de disque testamentaire, celui d’un génie qui s’apprêtait à tirer sa
révérence et voulait d’une fin artistique remarquable et grandiose. Sauf que
Dylan a jamais rien prétendu de tel et que de toutes façons ça fait plus de
vingt ans qu’il continue de sortir des disques, certains immondes (son disque
de chants de Noël en 2009), d’autres plus que dignes (les trois-quatre qui ont
suivi ce « Time out of mind »).
La première chose qui frappe lors de l’écoute, c’est
cette voix caverneuse, gutturale, mixée le plus souvent très en avant, qui
daigne quelquefois chantonner sur la mélodie mais se complaît la plupart du
temps dans des talking blues. C’est à mon sens le point de bascule du
disque. Déjà que Dylan n’a que peu à voir avec les grandes voix du rock &
folk & machin, dans « Time out of mind », ce râle de vieillard
orchestré peut être rédhibitoire pour certains. Qui auront tort. Parce que ce
disque, il est pas loin d’être dans la poignée des tous meilleurs du Zim.
On le sait, Dylan est une éponge. Un type qui passe
sa vie à écouter et jouer de la musique, qui a une culture encyclopédique, à
l’instar de Costello, Prince et quelques autres, de tout ce que la musique
populaire (et pas seulement binaire) a pu produire au XXème siècle. Bon, son
truc à Dylan, là où il est le plus à l’aise, c’est ce qu’on englobe sous le
terme générique d’americana, vaste mayonnaise sonore où se côtoient blues,
folk, rock et leurs croisements et dérivés. Un genre qu’il a quand même et pas
qu’un peu contribué à généraliser, notamment du temps où il se défonçait (et accessoirement
enregistrait des disques) avec le Band.
« Time out of mind » aligne des
compositions d’un niveau rarement entendu chez Dylan depuis la seconde moitié
des années 60. « Time out of mind » joue dans la même cour que « Blood
on the tracks », « Infidels » et « Oh mercy », ses trois meilleurs disques des
trois dernières décades.
Pour s’en rendre compte, c’est pas compliqué, suffit
de mettre la rondelle dans le lecteur et d’appuyer sur « Play ».
« Love sick » qui ouvre le disque débute comme une jam, les types
finissent d’accorder leurs grattes, on a l’impression le groupe se met
progressivement en place, que petit à petit tous les instruments arrivent et se
greffent sur ce down tempo plus parlé que chanté. Ça sonne laidback et
foutraque comme un JJ Cale des grands soirs, entrelardé par de gros riffs de
guitare très Dire Straits (hommage à son ancien pote Knopfler ? joke au
énième degré ? ) qui déchirent l’espace.
La voix sépulcrale et la multiplication du Hammond
B3 renforcent tout du long du disque cette ambiance crépusculaire, au service
de ballades intemporelles (« Standing in the doorway », « Million
miles », « ‘Till I fell in love with you », les énormes
« Not dark yet » et « Make you feel my love »), toutes
tirant sur la corde bluesy. Dylan est encore capable de s’attaquer au rock
déglingué très stonien voire carrément keithrichardsien (« Cold iron
bound ») manière de montrer que lui il assume son âge, ne joue pas aux
éternels jeunes premiers (t’as saisi la petite vacherie, Mick ?) en
s’arcboutant sur un tempo rapide hors de propos. La voix concassée et le blues
déstructuré montrent que s’il veut, Dylan peut faire un excellent Tom Waits.
Enfin, histoire de faire bouillir quelques neurones,
Dylan place à la fin du disque l’épique (plus de seize minutes)
« Highlands », comme le contrepoint (ou le négatif, allez savoir avec
lui) du « Sad eyed Lady of the Lowlands » qui clôturait « Blonde
on blonde ». On peut penser ce qu’on voudra de cet auto-clin d’œil mais il faut quand même reconnaître qu’il faut
être sacrément gonflé pour se lancer dans cet exercice qui est loin d’être honteux
face à un de ses titres emblématiques des 60’s …
Et donc en cet an de grâce ( ? ) 1997, tout le monde,
bien embêté, a été obligé d’admettre que le vieux Bob Dylan avait encore sorti un
grand disque …
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