Il y a quatre groupes différents qui s’appellent
Pink Floyd. Le premier, celui de Syd Barrett, dont au sujet duquel il va être
question quelque part plus bas. Le second, celui avec Gilmour à la pace de
Barrett, adoré par tous les progueux. Le troisième, celui sous la coupe de
Waters, adoré par les progueux et les hi-fi maniacs, « Dark side of the
Moon » assurant la transition. Quatrième et on l’espère dernière formule
du groupe, la configuration dite « de tribunal » sans Waters. Cette
dernière sans le moindre intérêt, à boire et à manger dans les deux
précédentes. Et la meilleure pour commencer.
Syd Barrett |
Pas la plus populaire, la courte période Barrett, en
terme de ventes. Mais la plus folle, la plus innovante, la plus mythique aussi.
Tout ça à cause de Barrett, évidemment. Le lutin psychédélique trop vite cramé
par le LSD, la tête pensante, chercheuse (et trouveuse) de sa bande potes
d’étudiants en beaux-arts. D’entrée, le groupe est différent de ceux de
l’époque, en majorité composés de prolos londoniens. Le Floyd vient de la
province chic (Cambridge), ses membres de la petite bourgeoisie.
Pink Floyd délaissera vite l’influence majeure de
l’époque, le British blues boom, qui lui a valu son nom de baptême, hommage à
deux bluesmen déjà (et encore plus aujourd’hui) oubliés, Pink Anderson et Floyd
Council. Le Floyd est le groupe de Barrett, qui très vite va s’intéresser de
près à une musique et un way of life venus de San Francisco, et que l’histoire
rangera sous l’étiquette de psychédélisme. En gros, une libération de toutes
les barrières mentales et sociales, et une drogue de synthèse (alors en vente
libre), le LSD, comme vecteur. Le monde hippy est en route …
Et la plupart des disques qui ont compté dans ces
deux années 66 et 67, fortement influencés par cette culture, sont tout
peinturlurés de ce fameux psychédélisme. Et « The piper … » du Floyd
est pour moi le meilleur de tous. C’était pas gagné d’avance, les Californiens
semblaient avoir une longueur d’avance, et chez les Rosbifs, tout le monde s’y
mettait (même Clapton, le jésuite du blues roots), y compris les très grosses
têtes d’affiche Stones et Beatles. Le tri dans toute cette production
psychédélique est assez facile. Les pionniers du Grateful Dead ne valaient que
live, leurs disques de l’époque sont des pensums avachis, les Doors étaient
trop blues, l’Airplane trop pop et trop tiraillé entre trop de leaders, Joplin
braillait avec des baltringues comme backing band, semblant se contenter de son
titre de Reine des Hippies, … Stones et surtout Beatles n’ont fait qu’essayer
le LSD et sont restés discographiquement bien raisonnables, les 13th Floor
Elevators sont arrivés trop tôt, Sly Stone, trop occupé à se poudrer le nez,
trop tard. Il n’en restait plus que quatre susceptibles de sortir le
disque-référence. Quatre groupes emmenés par des leaders à l’évidence
totalement ailleurs, qui avaient un peu trop forcé (dans une époque pourtant
peu avare en camés notoires) sur les buvards et les space cakes. Brian Wilson
et ses Beach Boys, Arthur Lee et son Love, Hendrix et son Experience et
l’outsider Barrett avec son Floyd. Outsider parce que vomi du néant, placé sur
le devant de la scène londonienne où le groupe s’était expatrié, donnant des
concerts-performances sur fond de projections mouvantes lumineuses, sortant
45T et 33T en rafales. En trois mois,
les deux singles, l’objet sonore non identifié « Arnold Layne » et la
comptine spatiale « Emily play », et leur premier Lp, ce « Piper
… ». A côté duquel « Pet sounds », « Forever changes »
ou « Are you experienced ? » étaient des oeuvres de gens «
établis », déjà célèbres (les Boys) ou influents (Lee, Hendrix) depuis
longtemps (longtemps étant synonyme de quelques mois, il y a des époques où
tout va beaucoup plus vite).
Mason, Barrett, Waters, Wright, Pink Floyd 1967 |
« The piper … » est pour moi le disque le
plus novateur de son temps. Parce qu’il n’extrapole pas à partir de choses déjà
connues, plus ou moins entendues, il crée de toutes pièces ses propres
territoires sonores. Avant l’été 67, on n’a jamais rien entendu de semblable à
« Astronomy domine » ou « Interstellar overdrive ». Des
wagons de disques publiés par des multitudes de groupes dérivent de ces deux
titres. Tout le space rock, le krautrock, et le funeste prog sont en germe dans
ces deux titres. Et en ces années où le mixage stéréo prend le pas sur
l’antique mais efficace mono, tous ces effets spatiaux, ces sons qui passent de
droite à gauche, s’assourdissent ou deviennent hurlants, ces claviers
tournoyants, serviront de référence à des myriades de producteurs et de
maniaques sonores (si le premier Floyd n’est pas la matrice de choses qui en
paraissent a priori très éloignées
comme le shoegazing en général et My Bloody Valentine en particulier, je veux
bien passer le reste de mes jours à écouter en boucle les Boards of Canada). Le
son des premiers Floyd est attribué à l’oublié Norman Smith. Soit. Mais les
anecdotes d’un Syd Barrett, totalement sous substances, montant et descendant à
vitesse supersonique tous les boutons de la console apparemment au hasard, sont
légion, et il ne fait guère de doute que c’est lui, intuitivement, qui est
responsable de ce bouillonnement sonore alors inédit, Smith n’ayant fait que nettoyer
ou rationaliser le résultat de ce joyeux foutoir bruyant.
Pink Floyd live 1967 |
Barrett et les autres (ne pas oublier les autres, le
drumming de Mason est totalement atypique, en perpétuelle déconstruction, la
basse de Waters est très en avant, ronde et menaçante à la fois, et Wright au
toucher venu du classique évite dans l’immense majorité des cas les
archi-entendus Hammond et Farfisa) ne s’arrêtent pas au rock planant. Il est
curieux de constater que tous les garage bands les plus radicaux mettront
souvent dans leur répertoire le démoniaque « Lucifer Sam » et son
riff de guitare d’anthologie. Barrett assure le chant et la guitare, a composé
seul la quasi-totalité de l’album, Waters ne signant que « Take up thy
stethoscope … », paradoxalement le titre le plus à l’Ouest, le plus barré
du disque, et le groupe au complet n’est crédité que sur « Interstellar
… » issu de jams sur scène. Barrett réussit à lier on ne sait trop comment
des choses aussi éloignées et disparates que du rock down tempo comme
« Matilda mother » avec des comptines (« The gnome »),
faire cohabiter des sons qui fleurent bon l’encens et le séjour à l’ashram
(« Matilda … » encore) avec des fanfares très Sergent Poivre
(« Bike »). Ce dernier aspect sonore trouvant peut-être son
explication dans le fait que Floyd et Beatles enregistraient en même temps aux
studios Abbey Road. Et des gimmicks, notamment les bruits enregistrés et
réinjectés sur les bandes qui seront une des marques de fabrique des disques du
Floyd suivants, sont déjà présents (les horloges sur « Flaming », les
mécaniques rouillées et les sonnettes de vélo sur « Bike »).
Le succès de « The piper … » sera tout
relatif auprès du public, Pink Floyd a eu d’emblée l’étiquette de groupe
branché, arty, élitiste. Et même en 67, année faste pour cerveaux en
capilotade, Barrett et son oeuvre restaient assez insaisissables. La lente
macération de ce disque dans les esprits et une large reconnaissance ne
viendront que plus tard.
Le coup de génie de Barrett restera sans suite. Tout
le problème des drogues, tu peux pas savoir l’effet qu’elles te feront avant
d’en prendre. Barrett n’était pas Lemmy ou Keith Richards, il finira totalement
électrocuté au LSD, et c’est un copain à lui, le guitariste Gilmour qui le
remplacera au sein du Floyd … On connaît la suite.
« Piper … » est le disque d’un homme et
d’une époque. Curieusement, il a beaucoup mieux vieilli que d’autres jalons
sonores de cette époque. La dernière version mise sur le marché en 2011 à
l’occasion de la énième remastérisation de la disco du Floyd propose en trois
Cds la version stéréo, la version mono, les singles « Arnold … » et
« Emily … », ainsi que quelques versions alternatives. Sur
l’ensemble, la version stéréo (celle qui était sortie à l’origine) est à
privilégier, même si logiquement les titres les plus rock comme « Lucifer
Sam » sont plus directs en mono …
Des mêmes sur ce blog :
Celui-là aussi, faut vraiment que je l'écoute un jour. Il est rangé dans la case Beatles/Beach Boys. J'aime beaucoup les deux périodes suivantes, même si Dark Side est un album beaucoup plus inégal que sa réputation (je supporte pas les vagissements de Clare Tony sur The Great Gig, je me les suis tapé encore l'autre jour dans un pub, argh !). Il m'en manque pas mal encore, mais Meddle et Wish You Were Here sont sublimes. Par contre the Final Cut tu sais ce que j'en pense (merde infâme… hum hum).
RépondreSupprimerAprès, l'éternel débat entre les orthodoxes de Barrett vs les orthodoxes de Waters, ça m'a toujours fait soupirer avec les yeux au ciel. Ils peuvent pas s'accorder deux minutes sur le fait que Pink Floyd était un grand groupe avant comme après ? Juste un groupe très différent.
(en plus y a des promos en ce moment, hum… je sens que je vais pas tarder à me passer The Gnome chez moi…)
Le 1er Floyd dans la case Beatles / B Boys ?? Houlà, faudra faire du rangement ... Très peu à voir avec les Beatles (les Beatles n'ont jamais sorti un titre de dix minutes comme "Interstellar .." y'a que Lennon et Yoyo Ono qui s'étaient approché de la durée avec "Revolution 9" qu'il vaudrait mieux ne jamais avoir entendu). Et absolument rien à voir avec les Beach Boys de quelque période que ce soit ...
SupprimerTu m'as mal compris, c'est dans la case "album vache sacré des 60's que j'ai toujours pas écouté" comme Pet Sound et les gros classique des Beatles…
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