1991. A moins de six mois d’intervalle, vont sortir
les deux meilleurs disques d’une décennie qui ne restera pas dans les annales,
sinon celle de la daube globale. « Blue lines » de Massive Attack
sort en Avril, « Nevermind » de Nirvana en Septembre. Les points
communs entre les deux sont peu nombreux, en fait j’en vois qu’un, mais de
taille.
Ces deux disques sont radicaux par leur démarche.
Nirvana bannit toute sophistication technologique (les claviers, les boucles,
les samples, la technologie haut de gamme de l’époque), pour sortir un disque
n’allant guère plus loin que le punk-rock et le hard-rock des 70’s. Massive
(encore Attack) bannit guitares, basses et batteries, se contentant (rarement)
de les échantillonner sur de vieux disques. Les deux groupes vont à
contre-courant de ce qui semblait être la tendance du moment : la fameuse
et fumeuse fusion entre tous les genres de musique, symbolisée pour le
« grand public » par les Red Hot Chili Peppers. « Blue
lines » et « Nevermind » allaient engendrer des suiveurs
innombrables, à travers deux « mouvements » qu’ils allaient initier,
le grunge et le trip-hop, genres dont va se repaître la fameuse génération X
des 90’s.
Massive Attack |
Massive Attack, ils ont à proprement parler rien
inventé. Des bases reggae, soul, jazz, … comme beaucoup d’autres. Mais là où on
assistait à une course-fuite en avant vers les bpm les plus frénétiques, eux au
contraire vont ralentir le tempo aux limites de l’assoupissement hébété, en bon
fumeurs d’herbe qu’ils sont. Les structures les plus lentes seront choisies,
donnant l’impression d’un dub global, et non plus seulement limité aux riddims
du reggae.
Massive Attack sont des branleurs originaires de
Bristol, triste cité portuaire (pléonasme). Trois-quatre types planqués
derrière des pseudo (3D, Mushroom, Daddy G, quelquefois Tricky Kid) animateurs
d’un sound system du dimanche, mode venue de Jamaïque, réactualisée par la
house music. Ils toastent, mixent, la routine quoi. C’est le couple (à la
ville) Cameron McVey – Neneh Cherry (lui rat de studio et producteur de ce
disque, elle qui avait injecté un peu
de fun-rap-glamour-electro dans les charts à la fin des 80’s et qui pousse –
discrètement – les chœurs sur un titre) qui vont les pousser à enregistrer. Un
Ep, et puis ce premier disque. Cette équipe s’est rendu compte d’une chose,
c’est que de la musique, ça passe encore mieux quand il y a des gens dessus qui
chantent, rompant ainsi définitivement le dogme tout-instrumental des débuts de
la scène électronique, dogme déjà mis à mal par quelques autres (Soul II Soul,
Lisa Stanfield & Coldcut, Yazz, …). Problème, y’en a qu’un du trio majeur
qui rappe, et c’est pas un cador. Idée de génie : on va prendre des
chanteurs, les coller devant le micro avec derrière les morceaux tous faits.
Une chanteuse inconnue (Shara Nelson) et un reggaeman obscur et de toutes
façons oublié (Horace Andy), seront la plupart du temps les voix de Massive
Attack. Elle dans un registre plutôt diva soul, lui sur les trucs plus marqués
reggae-dub. Un autre inconnu, un certain Tony Brian, n’est là que sur un titre
(« Be thankful … »)
Shara Nelson |
« Blue lines » comporte neuf titres. Un
seul est sans intérêt, le dernier, « Hymn for the big wheel ». De
toute façon, par expérience, quand il y a de mots comme « hymn » ou
« big » dans un titre, faut s’attendre au pire. C’est confirmé, le
morceau est lourd, empesé, rigide, martial, et tranche salement avec tous les
autres. Trois titres feront carrière dans les charts,
« Daydreaming », « Unfinished sympathy » et « Safe
from harm ». Mais les cinq autres les valent, rien de faible ou seulement
moyen pendant presque quarante minutes. Et curieusement, signe que le propos
musical est fort, le fait que plusieurs chanteurs interviennent ne fait pas de
« Blue lines » un disque disparate. C’est même tout le contraire
d’une collection de chansons (a)variées mises bout à bout sans fil conducteur.
L’atmosphère de « Blue lines » est lourde, lente, oppressante, et miracle,
réussit à apparaître aérienne et mélodique. Les basses grondantes du dub sont
soulagées par des trilles de piano house (« Unfinished symapthy ») ,
des beats disco qui ne veulent pas dire leur nom (sur « Be thankful
… »), des orgues jazzy (« Blue lines ») … Le titre le plus
emblématique du disque est peut-être « Lately » qui a lui seul pose la
définition sonore du trip-hop, et que tout un tas de suiveurs (Tricky,
Portishead, Earthling, Massive eux-mêmes) recycleront pendant un lustre.
Horace Andy |
Faire un (très) bon disque ne suffit pas pour avoir
du succès. Les Massive Attack vont créer le buzz comme on ne le disait pas
encore. Une première fois quand les médias britanniques et (surtout) américains
vont les sommer de changer de nom, trop évocateur selon les petits cerveaux
enfouis sous les bérets et les casques des bidasses, de l’action militaire
entamée Bush père et plus connue sous le nom de Guerre du Golfe, première du
nom. Exit Massive Attack et place à Massive. Quelques mois plus tard, alors que
le groupe est en plein succès, et là je pense pas que ce soit à l’insu de leur
plein gré, avec une vidéo (très) dénudée et (très) suggestive qui fera beaucoup
parler (censure, articles scandalisés de « bien-pensants » dans la
presse « sérieuse »), celle de « Be thankful … ».
Le joli succès remporté par « Blue lines »
un peu partout around the world, aura vite des conséquences plutôt néfastes sur
le moyen et long terme. Massive (ex Attack), bande de potes va-nu-pieds
confronté à la big money et au big business avec les tiraillements internes qui
vont vite avec, deviendra un groupe peau de chagrin. Le disque suivant, encore
excellent, mais un peu moins (et ce sera la constante de leur œuvre, cette
lente mais sûre dégringolade artistique), verra disparaître du générique Tricky
(parti pour une aventure solo qui se révèlera vite plus passionnante que celle
de ses anciens potes), et Panda Bear / Cameron McVey… Aux dernières nouvelles
(pas terribles), il n’en reste plus qu’un (Del Naja alias 3D) aux commandes du
vieux navire amiral du trip-hop …