Ce disque a plus de trente ans. Et n’a pas vieilli. Un cas quasi-unique pour une œuvre qualifiée d’avant-gardiste à sa sortie et qui quelques années plus tard aurait logiquement dû se trouver dépassée par celles qu’elle avait inspirées.
« Heroes » correspond au zénith créatif de Bowie. En deux ans, il va publier trois disques studio (« Low », « Heroes », « Lodger »), un disque-conte pour enfants (« Peter and the Wolf »), réaliser une série de concerts qui donneront un live (« Stage »), produire deux disques d’Iggy Pop (les fabuleux « Lust for life » et « The Idiot »), et jouer des claviers sur une tournée de l’Iguane.
« Heroes » est l’œuvre centrale, à tous points de vue, de ce que l’on a coutume d’appeler la trilogie berlinoise (car enregistrée essentiellement au studio Hansa de Berlin), fruit de la collaboration de Bowie et de Brian Eno. Au passage, il est curieux de noter que deux des … héros du glam-rock (soit du rock’n’roll basique et des paillettes), aient contribué à définir et créer son antithèse (l’ambient, la cold-wave).
« Heroes » est souvent considéré comme le meilleur disque de Bowie (ça peut se discuter … perso, c’est « Ziggy Stardust », voire « Station to Station »). Moins hermétique que « Low », moins « facile » que « Lodger », il était composé (en 33 T) d’une face de chansons (notamment la chanson-titre, une des trois ou quatre meilleures de Bowie, dont, au gré des rééditions, on peut trouver une sublime version en français) et d’une face beaucoup plus instrumentale et « climatique ».
Souvent présenté comme une collaboration Bowie-Eno (et sans minimiser le rôle du futur producteur des Talking Heads et de U2), « Heroes » est en fait produit par le fidèle complice Tony Visconti, joué par les complices habituels (Alomar, Davis, Murray) auxquels s’ajoute le fabuleux guitariste de King Crimson Robert Fripp.
Souvent rattaché au grunge (à cause des cheveux longs d’Evan Dando ?), les Lemonheads font plutôt un cocktail superbe de pop, folk, country et rock dans lequel les guitares sont mises en avant.
Une science du riff simple et efficace, un talent de mélodiste hors du commun pour écrire de courtes vignettes qui sonnent comme des classiques dès la 1ère écoute sont les marques de fabrique d’Evan Dando et de son pseudo-groupe. Car les Lemonheads sont le groupe du seul Dando, accompagné de musiciens aussi vite virés qu’ils sont embauchés.
Sur ce « It’s a shame about Ray », on trouve aux côtés de Dando son amie Juliana Hatfield, très présente dans les chœurs, les harmonies vocales, et même le visuel du livret, avant qu’elle parte se lancer dans une carrière solo discrète mais intéressante.
Enfin, ce Cd est celui de « Mrs. Robinson ». Enregistré en quelques heures pour une réédition DVD du film « Le Lauréat » et rajouté par la suite en bonus track, ce titre n’est tout de même pas à la hauteur de l’indépassable classique de Paul Simon (& Garfunkel), mais son traitement en version accélérée et guitares en avant constitue un exercice de style brillamment réussi. Comme le reste du Cd, un des tout meilleurs (le meilleur ?) des Lemonheads.
Pendant quelques années, fin 70’s début 80’s, les Jam ont connu chez eux en Angleterre une popularité immense. Comme en d’autres temps Beatles, Queen ou Oasis. Les Jam furent des stars chez eux, et pratiquement inconnus ailleurs.
Partie intégrante de la vague punk, ils se différencieront de leurs collègues par leurs goûts musicaux. Alors que les autres, Clash en tête, étaient branchés reggae et rock’n’roll des origines, Paul Weller et ses deux comparses vénèrent la période mod sixties (Who, Kinks, …) et la musique soul noire américaine (celle des labels Stax, Atlantic, Motown, …). Ces influences transparaissent dans les reprises (« David Watts » des Kinks) ou les compos originales (« Town called Malice » est basé sur une rythmique Tamla-Motown avec un break de batterie similaire à celui de « You can’t hurry love » des Supremes).
Ce « Greatest Hits » donne en une heure un aperçu de la carrière du groupe. Et même si on peut regretter que cette compilation soit un peu trop axée sur les dernières années du groupe au détriment des débuts plus intéressants, elle regroupe tous les essentiels et incontournables des Jam.
Ceux qui voudraient aller plus loin iront voir du côté de « Snap ! » autre compilation plus étoffée en deux Cds, les plus fortunés s’offriront le coffret « Direction Reaction Creation » ou les albums du groupe (une demi-douzaine).
Avec un titre pareil (« Trop de classe pour le voisinage »), il vaut mieux être sûr de son coup et assurer, faute de quoi, plutôt que d’épater l’entourage, on va le faire rire.
Mais voilà, les Dogs ne sont pas des rockers prétentieux, pas plus qu’ils ne sont passéistes, suivistes, arrivistes ... Ce sont juste des rockers qui aiment la musique qu’ils jouent, et des gens comme eux, dans les années 80 (croyez-moi j’y étais), les rayons des disquaires en étaient pas vraiment remplis.
Bon, ce Cd est excellent, plein à la gueule de bonnes chansons originales (seulement deux reprises dont l’obligatoire et convenu « Train kept-a-rollin’ ») avec notamment deux merveilles de ballades : «The most forgotten french boy » et « Sandy Sandy » et son piano entêtant.
Les Dogs sont français et chantent en anglais (vous en connaissez des très bons disques de rock en français ?), la photo de pochette (parce qu’à l’époque on regardait un disque avant de l’écouter) fait preuve de bon goût (une Rickenbacker et Marvin Gaye à la télé).
Même si à titre perso je préfère celui d’après (« Legendary lovers »), « Too much class … » est également indispensable.
Un jazzeux américain de renom, deux jeunes révolutionnaires musicaux brésiliens (oui, deux, car Jobim qui n’a droit qu’à un « featuring » sur la pochette, joue et a écrit l’essentiel des titres), une poignée de standards mondiaux (« Girl from Ipanema », « Desafinado », « Corcovado », …)
« Getz / Gilberto » est un classique qui déborde largement les cadres du jazz et de la bossa nova, pour créer une musique atemporelle et intemporelle.
Pourtant, si l’on en croit les livres d’Histoire, tout est à peu près accidentel. Getz n’était pas au début très branché par la musique brésilienne. Quand aux inoubliables prestations vocales d’Astrud Gilberto, c’était la seule personne dans le studio sachant parler anglais. Un essai a été fait avec elle sur un couplet de « Girl from Ipanema ». On connaît la suite …
Précision : je ne suis fan ni de jazz ni de musique brésilienne, mais je recommande cette excellente rondelle.
Coincé dans la programmation du festival (un concert par soirée) entre Ben l’Oncle Qui Saoule la veille et Cricri Maé le lendemain et en concurrence avec à quelques hectomètres de là Pétunia Jordana gratos (cherchez les erreurs…), Iggy & the Fucking Stooges.
Pour le cadre, difficile de faire mieux, théâtre centenaire à ciel ouvert au cœur de la Cité médiévale fortifiée. Température polaire pour l’endroit et la saison, il flotte depuis deux jours, on se croirait en Bretagne … Les dieux du rock’n’roll semblent pourtant décidés à se montrer cléments, le crachin cesse dans l’après-midi, et la seule proximité du concert de l’Iguane réchauffe l’atmosphère.
Même s’il faudra défenestrer quelques particularismes locaux… à commencer par la sono et le light show résidents de l’endroit, certes high-tech mais plus propices aux crooneries d’Eddy Mitchell bientôt à l’affiche pour son soi-disant dernier tour de piste, qu’à du rock high-energy. Mais les Stooges vont pousser cette sono dans ses derniers retranchements.
Pas de fosse non plus, face à la scène, c’est le carré VIP, normalement encombré par les notables locaux de tout poil et quelques vénérables dames patronesses. Si Iggy fait son strip-tease, elles seront aux premières loges pour admirer ses bollocks, ça leur fera quelque chose à raconter à leur manucure le lendemain…Tout ce beau ( ? ) monde a du se rencarder, compris que Iggy Pop c’était pas pour eux, y’a personne et les Stoogesmaniacs vont se l’accapparer.
Le vrai public est pour le moins hétéroclite, des évadés de la maison de préretraite pour les contemporains des Stooges, aux minots échappés de la colo de vacances avec leur coupe de douilles justinbieberisée, venus voir le type dont ils ont téléchargé l’intégrale gratos en trois clics sur Rapidshare, en passant par tous les looks de l’Internationale Rock’n’roll, le tout dans une ambiance bon enfant … Le theâtre (environ 3000 places assises, mais on passera tout le concert debout) est plein aux deux tiers, le rock’n’roll ne fait plus recette …
On vient voir quoi, exactement ? Les Stooges, le séminal groupe pré-punk destroy ? Hum, faut pas rêver , les Stooges se sont crashés en plein vol au milieu des seventies, dans un grand nuage aux vapeurs d’alcools forts, de drogues dures, et de groupies consentantes (pléonasme). Ce groupe là et tout ce qu’il pouvait représenter est bel et bien mort. Non, maintenant ne reste plus que James Osterberg, vénérable sexagénaire, qui ressuscite le temps de quelques dizaines de minutes un jour sur deux le fantôme Iggy & the Stooges. Avec des compères aux cheveux gris-blancs, le pote des débuts Scott Asheton aux drums, Mike Watt (enfin je suppose, y’a pas eu de présentations) à la basse, le sax de « Funhouse » McKay (on l’a pas vraiment entendu, de toutes façons tout le monde s’en fout, c’est Iggy qu’on veut voir et entendre), et le riffeur destroy ultime de « Raw power », James Williamson, qui a laissé tomber un job florissant dans l’informatique pour venir déverser son métal sonique derrière Iggy après la mort de Ron Asheton. La nostalgie, camarades, ne reste plus que cela …
21h30, pile à l’heure prévue, la nuit n’est pas encore tout à fait tombée quand l’Iguane et sa troupe envahissent la scène avec « Raw power », puis « Search and destroy ». Iggy est arrivé torse nu, un jean noir taille basse, la tignasse longue et péroxydée. Il a comme le soupçon d’un zeste de début d’embryon de bedaine, et traîne un peu une patte, mais de toutes façons, même avec un déambulateur, il assurerait le show. Dès le quatrième titre, « Shake appeal », il ORDONNE au public de « venez danser avec les Stooges » (en français dans le texte) et une trentaine d’heureux élus montent sur scène pour un petit pogo aux côtés d’Iggy. Sympa, comme d’ailleurs son attitude durant tout le set …
Derrière, raide comme la justice, Williamson mouline l’électricité sur sa Gibson rouge. De tout le concert, il n’esquissera qu’un pas de côté, quand lors d’une ruade, Iggy vient balancer un coup de talon sur sa gratte. Ce qui ne l’empêchera pas d’envoyer (enfin) la foudre sur l’intro de « 1970 ». Parce que le reste du temps, c’est Iggy qui fait le show, sautant comme un cabri, arpentant de long en large les quarante mètres de scène, venant dans le public, le faisant participer. Loin des prestations dangereuses et ultimes des Stooges seventies certes, mais le vieux assure …
22h25, et arrive « I wanna be your dog » qu’on hurle tous en chœur. Exit les Stooges. Deux minutes plus tard, ils reviennent, « Penetration » à fond, le volume sonore commence à être conséquent, réverbéré par les énormes murs de pierre de l’enceinte. Dans la bouillie stridente qui suivra, on distingue « Kill city », du fameux quatrième disque des Stooges pas sorti officiellement à l’époque, une paire d’autres titres (« No fun » peut-être) que l’on a du mal à reconnaître dans la purée de pois sonique qui s’abat dans le vieux théâtre …
22h45, les quatre autres boivent déjà une bière backstage, Iggy finit de saluer et de remercier le public, puis s’éloigne à son tour …
En regagnant le parking, on distingue du bruit en ville … ah oui, on l’avait oubliée celle-là, c’est Pétunia Jordana … no fun …
On s’en fout, on vient d’en prendre plein les mirettes et les oreilles…
Ah ouais, et Iggy a pas baissé son froc, tant pis pour les dames patronnesses qui de toutes façons étaient pas là …
C’était à Carcassonne, Sarkozye méridionale, ce 27 Juillet de l’an de grâce 2011…
C’était en tout cas la première fois dans les annales de la musique qui rocke et qui rolle qu’on n’avait pas quelques wagons de retard. Comme en Angleterre (les Etats-Unis, c’était trop loin, on savait moins ce qui s’y tramait), une multitude (enfin, quelques personnes) de jeunes mal coiffés, fans de disques « bizarres » et bruyants (de Captain Beefheart à Dr Feelgood, ça ratissait tout de même large, fallait surtout pas que ça ressemble à Genesis ou Deep Purple) allaient vouloir faire de la musique, alors que dans le meilleur des cas ils n’étaient même pas foutus d’accorder une guitare, et ne parlons même pas d’en jouer…
Une poignée de lieux, d’individus, serviront de catalyseurs. Et tant qu’à n’en retenir qu’un, autant que ce soit Marc Zermati, dont le magasin de disques à Paris (l’Open Market) servira de lieu de rassemblement et de ralliement. Instigateur de ce qui doit être le premier festival punk européen (les improbables arènes de Mont de Marsan en août 1976), fondateur d’un label « militant » (Skydog), c’est évidemment lui que l’on retrouve à l’origine de cette compilation.
Déclinée en deux épisodes (il y aura une suite « Volume II : Le Retour », comprenant peu ou prou les mêmes groupes, avec d’autres titres). Evidemment, il n’y a aucun « succès » au sens NRJ du terme. Et d’ailleurs pas que des « punks » (c’est quoi un punk ?). Juste une collection de titres par des gens apparus à la même époque, à Paris ou en province, adeptes du « do it yourself », dans des genres musicaux assez hétéroclites. Il y a un monde qui sépare, tant par les racines ou les cultures musicales, le doo-wop 50’s assez académique des Rockin’ Rebels et la bouillie sonore de, au hasard, Dentiste ou Abject … Mais chez tous, la même envie, la même urgence, de faire de la musique, ou au moins d’essayer de faire quelque chose qui y ressemble.
Bien peu de groupes présents continueront l’aventure, affineront leur propos, feront une « carrière », Little Bob Story et les Dogs faisant figure d’exception. Encore que leur carrière se mesure davantage en terme d’estime qu’en terme de fortune amassée pendant des années, voire des décennies de galères … Il y a les « légendes » du mouvement, ceux devenus « culte » à titres divers, ou qui comptaient en leur sein des gens dont on a reparlé. Les Olivensteins des frères Tandy et leur géniale profession de foi « Fier de ne rien faire », les Asphalt Jungle (très mal joué, très mal chanté, donc excellent) du journaliste Patrick Eudeline, le fracas des gros riffs et de la boîte à rythmes de Metal Urbain annonciateur des Bérus, le Taxi Girl de Mirwais et Daniel Darc, punks et new wave en même temps, l’« ancêtre » Jean-Pierre Kalfon et son Kalfon Rock Chaud totalement obnubilé par les New York Dolls, les Scooters (futurs Starshooter) pour une reprise parodique du « Sweet Jane » de Lou Reed que Kent transforme en « Hygiène » (en fait, ce titre est un fake, les Scooters ne l’ont jamais enregistré, et il a été « refait » entre les deux premiers disques de Starshooter).
Les autres, ceux que l’histoire, qu’elle soit grande ou petite, a plus ou moins oubliés (Electric Callas, Marie & les Garçons, Lou’s, Pura Vida, Guilty Razors, Calcinator, 84, …), sont là aussi, pour démontrer qu’à Paris comme en province, ça bougeait, ça s’agitait au son de rythmes plutôt frénétiques.
Sont exclus des groupes apparus à la même époque (Ganafoul, Trust, Téléphone, …), oeuvrant dans des registres et des genres moins novateurs, plus conventionnels.
Par contre manquent sur cette compilation (et la suivante) les Stinky Toys, de Elli Medeiros et Jacno, pourtant rattachés à la scène punk française, et parmi les plus connus (ils ont tourné en Angleterre) de toutes ces formations bouillonnantes et électriques.
Quelques mois après cette « vague » française, le succès en Angleterre des Damned, Pistols et autres Clash, tirerait vers l’oubli ces quelques froggies novateurs …
A Tribe Called Quest avaient frappé fort avec leur premier disque, récoltant un gros hit avec « Can I kick it ? », dans lequel était samplée la célébrissime ligne de basse du « Walk on the wild side » de Lou Reed. Leur positionnement dans le rap était novateur. Avec d’autres (Jungle Brothers, De La Soul, …), ils se retrouvaient dans le collectif Native Tongues, s’écartant du bling-bling des années 80, du radicalisme politique de Public Enemy, ou du gangsta-rap naissant. Préférant, plutôt qu’une rupture sonore et culturelle, revenir aux sources de la musique noire américaine, soutenir l’afro centrisme, rejoignant ainsi nombre des préoccupations d’un de leurs modèles, Afrika Bambaataa.
Alors ce « Low end theory », intéressera certainement plus les fans de Miles Davis que ceux d’Eminem. Parce qu’ici, c’est le jazz qui sert de base à l’essentiel des titres, certaines séquences étant même carrément jouées par rien de moins que Ron Carter, légende de la contrebasse. « Low end theory » est un disque qui cherche à convaincre plus par la séduction que par la démesure. Tout est ici cool, tranquille, pas de haine ou de violence jetée à la face de l’auditeur.
« The low end theory » n’est pas un disque de jazz déguisé, c’est juste un des premiers (le premier ?) d’un genre qui fera la fortune de quelques malins suiveurs (Gangstarr et son leader Guru ensuite, pour la série des « Jazzmatazz »). Les deux MC d’ATCQ, Q-Tip et Phife Dawg, s’éloignent de la scansion syncopée propre au genre pour se rapprocher du chant traditionnel. Leur discours est lucide et sans démagogie, leur analyse du Barnum financier et médiatique qui est en train de jeter son dévolu sur le rap sans concession (les titres « Butter », « Show business » et « Rap promoter »). Encore plus décalée par rapport à l’immense majorité du milieu rap est leur dénonciation du machisme et du sexisme habituellement de mise (« The infamous date rape »).
« The low end theory » est un disque efficace, très homogène, on sent le travail pour mettre en place un « son », une ambiance, originaux et novateurs. Mention particulière à « Verses from the abstract », avec « vraie » contrebasse de Ron Carter et magnifique voix féminine de Vinia Mojica. Curiosité, le dernier titre « Scenario » dans lequel les ATCQ semblent se lâcher, un morceau tout en rythmes martiaux, plus crié et hurlé que rappé, abusant de scratches et de chœurs virils …
Un disque qui devrait séduire les réfractaires au jazz (j’en suis), et les dubitatifs devant l’essentiel des productions rap (j’en suis aussi) …
En roue libre ... Il y a dans ce Cd comme une odeur de cendre, comme si le brasier de trop plein d’âme qui consumait Van the Man depuis quasiment une décennie, était, lentement mais sûrement, en train de s’éteindre. Ou, pour être plus méchant, comme des vapeurs de formol ou de naphtaline, comme si tout ce qu’il nous est donné d’écouter sur ce « Hard nose the highway », on le connaissait déjà par cœur.
Ce disque n’est pas mauvais, il est juste ennuyeux. Ici, nulle trace de ces bouffées sanguines qui faisaient éructer au jeune Irlandais des « Gloria » ou des « Mystic eyes », lui faisaient pulvériser les classiques du répertoire soul et rythm’n’blues du temps des Them. Pas non plus de ces grandes envolées mystiques où son gosier de feu incendiait les tempos jazzy de ses premiers disques solo, avec mention particulière à « Moondance », mon préféré …
Avec « Hard nose … », Van Morrison déroule … Il faut quand même lui savoir gré de ne rien céder aux airs du temps de ce début des 70’s, de ne pas faire rugir guitares et amplis Marshall, de ne pas se perdre dans des redondances pompières classico-progressives. Van Morrison reste lui-même, le souffle épique qui le caractérisait jusque là en moins.
« Snow in San Anselmo » et « Warm love » qui ouvrent le disque sont pour moi nettement au-dessus des autres titres… Van Morrison n’est pas « fini », témoin le double live « It’s too late to stop now » qui suivra, où, boosté par le public, il démontre qu’il est toujours capable de se transcender et de transcender son répertoire.
« Hard nose … » marque pour moi un tournant dans sa carrière. Désormais, on ne sera plus impressionné par ses disques, on les écoutera juste poliment. En essayant de réfréner des bâillements …
En voilà un qui porte un nom lui interdisant la médiocrité. Parce qu’on n’aurait pas fini de se gausser. Pensez, le fils à Loudon Wainwright III et Kate McGarrigle, neveu d’Anna McGarrigle, frère aîné de Martha Wainwright … Que des musiciens dans la famille, et des parents très cotés dans leur Canada natal.
Ce « Want two » est un disque ambitieux, résultant des séances qui avaient également produit « Want one » quelques mois plus tôt. Il faut être assez sûr de soi et de son talent pour commencer un disque par un titre incantatoire en latin (« Agnus Dei »), prière sublime qui jette un pont entre le « Hallelujah » version Jeff Buckley et le qawwali de Nusrat Fateh Ali Khan. Un titre qui d’entrée file des frissons. « The one you love » qui suit est la chanson pop parfaite, forcément sous forte influence anglaise de la chose, avec chœurs féminins séraphiques.
Après pareille entame, on se dit que l’on tient là un très grand disque. Et puis, insidieusement, on déchante. Tout le cœur du Cd repose sur des tempos traînants, avec piano omniprésent, et clins d’œil plus qu’appuyés à la musique classique ou baroque. Et un parti pris souvent agaçant de chanter dans un registre proche de celui de Jeff Buckley, la qualité d’écriture en moins. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si « Memphis Skyline » est un hommage au noyé du Mississippi … Et à la longue, cette préciosité de l’instrumentation, ces parties de piano chiadées, cette voix affectée et maniérée, finissent par lasser.
Bon, des disques plus pénibles que celui-là, on en connaît. Des tas, même. Et il faut reconnaître que Wainwright sait composer, mais pendant une demi-heure on a l’impression d’entendre toujours le même titre. Et par un curieux effet de symétrie, il faut arriver aux dernières plages pour retrouver la qualité aperçue au début. « Crumb by crumb », pop planante et psychédélique, comme une chute de « Meddle » du Floyd, le duo avec Antony (des Johnsons), sur lequel l’empilement de vibrato de l’irréelle voix de l’Anglais fait merveille, sur une structure rythmique qui n’est pas sans rappeler celles des Talking Heads période « Remain in light ». Beaucoup plus anecdotique est la courte reprise d’un titre d’Arletty chantée, une fois n’est pas coutume quand il s’agit d’anglo-saxons, dans un français très compréhensible (Rufus Wainwright est à peu près bilingue).
Il faut aussi évoquer l’homosexualité revendiquée de Wainwright, car le thème revient dans certains titres, notamment un « Gay Messiah », qui vaut plus par le caractère iconoclaste du texte que par l’accompagnement musical.
En définitive, un disque quelque peu frustrant, car on a l’impression, malgré une bonne poignée d’excellents morceaux, que Rufus Wainwright est passé à côté de la réalisation d’une œuvre majeure.
Ce disque ne ressemble à aucun autre dans la pléthorique discographie d’Alice Cooper. Enregistré en 1975 à un moment où l’affaire sentait vraiment le sapin. Alice Cooper, le groupe, n’existait plus. Explosé en plein vol dans des relents opiacés et des volutes d’alcool forts, consommés en quantités industrielles, et ce malgré un succès croissant et des hits qui s’accumulaient.
Dorénavant, les choses seraient claires, Vincent Furnier, alias Alice Cooper, serait le seul maître à bord de son projet schizophrénique. Mais s’il a pour ce « Welcome … » viré tous ses anciens compagnons, c’est pour faire une place plus grande encore à l’éminence grise du Alice Cooper sound, Bob Ezrin. Qui de producteur traditionnel du groupe, devient également co-auteur de la plupart des titres. Il faut dire qu’il a pris du galon, gagné de la respectabilité et de la reconnaissance dans le milieu musical. Il vient de produire le « Berlin » de Lou Reed, et le succès, surtout d’estime et critique de ce disque, doit beaucoup aux arrangements baroques et décadents d’Ezrin. Qui fait venir à temps plein sur ce « Welcome … », la fameuse paire de guitaristes Steve Hunter et Dick Wagner, déjà occasionnellement sessionmen d’Alice Cooper, mais surtout très remarqués sur « Berlin » et la tournée apocalyptique qui a suivi, dont furent extraits deux masterpieces live de Lou Reed, « Rock’n’roll animal » et « Live ».
« Welcome … » doit beaucoup à Ezrin. Car le concept de l’album, vu les antécédents d’Alice Cooper, n’a rien de bien surprenant, c’est l’histoire d’une nuit d’angoisse et des cauchemars qui vont avec, d’un jeune garçon, Steven. Et cette horrificque histoire aurait pu s’accompagner d’un quelconque fracas blacksabbathien, d’un hard-rock sombre et convenu comme Alice Cooper n’aura de cesse d’en délivrer depuis. Or toute la réussite du disque vient d’un enrobage sonore souvent enjoué, primesautier et entraînant. Le morceau-titre d’ouverture repose en grande partie sur des cuivres très rythm’n’blues et un piano fou, « Some folks », le titre le plus pop du disque a un rythme de comédie musicale, également de nombreux cuivres, et un refrain en forme d’hymne. "Steven" débute par un thème au piano qui semble venu de la musique classique et qui reviendra dans le titre comme un fil rouge, au milieu d’un crescendo baroque qui évoque fortement le « Berlin » de Lou Reed. Trois titres sinon détonnants, mais tout au moins étonnants dans la discographie d’Alice Cooper, qui était rarement allé aussi loin de ses bases électriques rageuses.
Mais ne surtout pas croire que « Welcome … » serait un disque de prog qui s’ignore. Ca enclume sévère et Hunter et Wagner sont souvent à la fête, alignant riffs dévastateurs et solos ébouriffants. Des choses comme « Department of youth » hymne rock’n’glam parfait, le violentissime « Cold ethyl » et dans une moindre mesure « Escape » ou « Black widow » envoient le bois grave.
Et puis, dans le lot, il y a l’ « Angie » d’Alice Cooper, ça s’appelle « Only women bleed », c’est la ballade qui tue avec un grand orchestre, qui une fois n’est pas coutume chez Ezrin (parfois coupable dans ses productions de pompiérisme redondant), reste plutôt discret et est en tout cas finement intégré à la structure du morceau.
Malgré une paire de titres anodins ou ratés, ce « Welcome … », resté à ma connaissance (il y a fort longtemps que j’ai laissé tomber le Coop et son hard-rock primaire et grand guignol, en gros depuis ce disque-là) sans équivalent dans la carrière de l’homme au boa, constitue une des œuvres les plus intéressantes de sa discographie, et en tout cas la plus abordable …
Enfin, pour l’anecdote, dans le morceau « Devil’s food », Ezrin et Alice font intervenir pour un long récitatif angoissant d’une grosse voix caverneuse, un acteur déjà vieillissant, spécialisé dans les films d’horreur, Vincent Price. C’est le même que l’on retrouvera quelques années plus tard dans exactement le même exercice sur le morceau « Thriller » de Michou Jackson, comme quoi y’a pas que Manu Dibango qu’il a copié, le beau-fils au King …
Chassez le naturel, il revient au galop … Où comment les Arctic Monkeys, provinciaux anglais exilés aux Etats-Unis pour l’écriture et l’enregistrement de ce « Suck and see it » (un titre de disque paraît-il en référence à « Orange mécanique » de Kubrick, mais faudrait qu’on m’explique, j’ai pas tout compris là …), ont réussi à faire leur Cd le plus so british …
Une collection de chansons à ranger aux côtés de celles des Smiths. La prédisposition pour le mid-tempo, les mélodies précieuses, la voix brumeuse et distante, les guitares « ligne claire » qui ont tendance à carillonner, les textes parfois, tout cela renvoie à ce rock mis en place par feu le groupe de Morrissey, Marr & Co. Sans que ça sonne comme une redite, il n’est pas ici question de plagiat ou d’imitation. Le bonhomme Alex Turner est suffisamment doué (et prolifique, quatre disques et quelques maxis pour les Monkeys, le Last Shadow Puppets, une B.O. de film, tout ceci en cinq ans) pour écrire des choses foncièrement originales.
Evidemment, les fans des débuts qui attendent depuis un lustre la suite de « Whatever people … » vont encore une fois être déçus. Mais pour moi, en terme d’écriture, ce disque est leur meilleur, leur plus homogène. Avec retour aux manettes de leur producteur attitré James Ford, après l’escapade « Humbug » avec Josh Homme. Le leader des QOTSA est encore présent aux chœurs sur un titre « All my own stunts », lequel, comme par hasard avec son tempo lourd et enfumé, sonne relativement stoner. Tout comme « Don’t sit down … » et son riff rampant.
Pour le reste, c’est aussi anglais qu’une relève de la Garde à Buckingham Palace. Avec mention particulière à « Piledriver waltz », pour moi le meilleur du disque avec ses improbables changements de temps, la très british ballade « Love is a laserquest », le très mélodique titre inaugural « She’s thunderstorms », et la très grande chanson pop « That’s when you’re wrong ». Au rayon curiosité, le batteur chante avec une voix grave de crooner sur un titre, « Brick by brick », qui sonne comme du Iggy Pop période … « Brick by brick ». De l’humour anglais sans doute.
Sinon, pas de grosses ficelles, rien dans ce disque qui sente le titre racoleur que l’on destine aux radios et aux chaînes à clips, juste un disque adulte et mature, par des gars qui ont tout juste vingt cinq ans.
Par contre, on ne pourra pas éviter la comparaison, le duel fratricide avec le disque quasi simultané du pote Miles Kane. Même si ce « Suck it and see » est très correct, il n’y a selon moi pas photo. Le Miles Kane est infiniment meilleur …
Jeff Beck est un cas à part, tant musicalement qu’humainement. Toujours cité dans la poignée des plus grands guitaristes de tous les temps, un des plus parfaits compromis entre technique, feeling et imagination. Humainement, c’est une tête de lard, un quasi autiste qui ne semble avoir un comportement social acceptable que depuis une dizaine d’années, un caractériel angoissé capable d’imprévisibles sautes d’humeur.
On ne compte plus ses revirements artistiques, qui tiennent autant de l’hésitation maladive que de la recherche de nouveaux horizons sonores. Et ce depuis ses débuts. Parti des Yardbirds sur un coup de tête, suffisamment traumatisé par les premiers concerts londoniens d’Hendrix pour avoir songé arrêter la musique, il va revenir sur le devant de la scène avec un groupe, le Jeff Beck Group, dont l’intitulé seul montre qu’il en est le leader irascible. Une comète qui se désintègrera après quelques mois et deux disques qui ont marqué les esprits de l’époque.
Il faut dire que le gaillard a su s’entourer, recrutant Rod Stewart, co-chanteur des éphémères et oubliés Steampacket, Ron Wood, guitariste du groupe garage les Birds embauché à la basse (on ne fait pas d’ombre à Jeff Beck à la guitare), le pianiste de studio réputé Nicky Hopkins (remplaçant John Paul Jones présent sur le premier disque mais parti gagner sa vie avec Led Zeppelin), et le batteur de séances Tony Newman. Du costaud. Du lourd, même pourrait-on dire.
Parce qu’après un premier album (« Truth ») de facture plus « classique », mais qui ne souffre en aucun cas de la comparaison avec des choses comme « Beggar’s banquet », c’est dire son niveau, Jeff Beck va pousser le curseur vers des territoires encore plus sauvages, encore plus violents. Participant à la fuite en avant qui amènera à la naissance du hard-rock ou du heavy metal.
« Beck-Ola » place la barre plus haut que Led Zeppelin, le Jeff Beck Group est plus bouillonnant, plus crade. Les Américains au pied lourd sur la pédale fuzz (Blue Cheer, Vanilla Fudge, Iron Butterfly), n’ayant à proposer que du « gros son » sont renvoyés à leurs études. « Beck-Ola » n’est pas un disque pour guitaristes. Ou pas seulement. Il n’y a pas ici de démonstration, la technique assez insensée de Beck n’est là que pour sublimer les titres. En gros, ceux qui cherchent des solos de dix minutes avec douze milliards de notes à la seconde peuvent changer de crémerie et se payer l’intégrale de Ten Years After.
Ici, it’s only rock’n’roll … avec deux titres popularisés par Elvis (« All shook up », « Jailhouse rock ») défenestrés avec une énergie rare, avec mention particulière au second, totalement transfiguré. Toujours rayon strict rock’n’roll un « Spanish boots » avec un « extraordinaire » (c’est Beck lui-même qui l’écrit sur les notes de pochette du 33T original) Rod Stewart au chant, parce que celui-là, avant qu’il se demande si on le trouvait sexy ou si les blondes étaient plus marrantes, était un immense chanteur, une des plus belles voix « noires » jamais sorties du gosier d’un visage pâle… Chose assez rare dans sa carrière, Jeff Beck laisse même Nicky Hopkins prendre les choses en main sur un instrumental écrit par le pianiste, El Becko se contentant juste d’incendier le titre de quelques éclairs guitaristiques dévastateurs. Rien cependant à côté de la nucléaire jam finale, l’autre instrumental « Rice pudding », parti sur une classique base boogie, et emmené vers … un shunt brutal après sept minutes et vingt-deux secondes de folie furieuse. Rajoutez un boogie-blues de plomb (« Hangman’s knee »), un titre débuté tranquillement rythm’n’blues (« Plynth ») et qui après une multitude de syncopes rythmiques, breaks en tous genres, zigzags ahurissants de guitare, délivre finalement un orage zeppelinien d’une rare intensité …
Empaqueté dans une toile de Magritte, ce « Beck-Ola » impressionnera fortement son monde, les programmateurs de Woodstock contactent le groupe, l’avenir s’annonce radieux …
Une énième saute d’humeur de Beck, et adieu veaux, vaches, cochons, le groupe explose …
Reste deux disques, parmi les meilleurs d’une époque peu avare en disques marquants, et pour moi les deux meilleurs de Jeff Beck.