C'était comme ça ...
Les Rita Mitsouko, c’était les années 80. Et les
années 80, musicalement (mais pas que), c’était pas terrible. Sauf qu’à toute
règle il y a des exceptions. Et les Rita étaient ô combien une exception. Un
groupe-duo plutôt unique, des aventuriers sonores sans beaucoup d’équivalents.
Dans leurs meilleurs moments au niveau de Prince pour le côté touche-à-tout
imprévisible.
Les Rita, c’est en plus de vingt ans d’activité tout juste une grosse poignée de disques studio. Dont une grosse moitié est dispensable. En fait, les seuls à garder sont les trois premiers. Le premier, éponyme, contient une tuerie enjouée (qui parle de mort et de cancer, on y reviendra sur ce paradoxe) l’inoubliable au sens premier du terme « Marcia Baila »). Le troisième, marqué par une collaboration avec leurs héros (un autre duo « bizarre ») les Sparks (« Singing in the shower ») et des étrangetés sonores absolues (« Mandolino City », « Le petit train » sur les convois de déportés des années 40) sera l’album de la consécration, les adoubera définitivement parmi les gens qui comptent.
Mais le disque qui a tout fait exploser pour les
Rita, c’est leur second, « The No Comprendo », dont les trois
premiers titres sont dans l’ordre « Les histoires d’A »,
« Andy », « C’est comme ça ». Des morceaux sans aucun lien
musical entre eux, très gros hits en leur temps, et qui bizarrement, ont plus
que bien vieilli, en tout cas beaucoup mieux que leurs voisins du haut des
charts.
Même s’il est fondamental, le pédigrée et les
parcours de Fred Chichin et Catherine Ringer ne les prédisposaient pas à une
carrière musicale de ce niveau. Lui végétait dans des groupes punks de seconde
zone, dealait et passait par la case zonzon. Elle rêvait de théâtre, tournait
des films destinés selon la formule à un public averti pour faire bouillir la marmite. Une rencontre lors d’un casting
foireux de comédie musicale et l’aventure démarrait. Un nom choisi au hasard
(des prénoms de stripteaseuses couplés avec des noms de parfums de Guerlain, on
a évité Dita Vétiver ou Bettie Shalimar), une vie et un travail en communs,
l’aventure Rita Mitsouko commençait. « Marcia Baila », titre dansant
un peu perdu au milieu d’un disque sombre produit par Conny Plank (pape sonore
du krautrock), accompagné d’un clip arty laissant apparaître un duo tout en
contrastes (Chichin inexpressif et Ringer exubérante) lancent l’affaire auprès
du très grand public. Restait quand même une question en suspens : one hit
wonders ou pas ?
La réponse viendra avec « The No Comprendo » (officiellement « Les Rita Mitsouko présentent the No Comprendo », « no comprendo » étant de l’espagnol de contrebande mais surtout le nom du « groupe » ayant participé à l’enregistrement). The No Comprendo (le groupe), c’est une liste de gens qui n’interviennent le plus souvent que sur un titre (cuivres, violon(celle)s, …). A la manœuvre sur tous les titres, Chichin et Ringer. Paroles et musiques, tous les instruments (section rythmique et guitares pour lui, vocaux, claviers et instruments midi pour elle). Et un renfort de poids, le sieur Tony Visconti (un « peu » célèbre pour avoir produit une ribambelle de disques de T-Rex et de Bowie), coproducteur du disque avec les Rita et crédité à de nombreux instruments.
Musicalement, on est près de l’os. Zéro
démonstration technique, tout est dans la créativité sonore. Tous les tristes
poncifs de l’époque sont évités (les synthés datés, les arrangements
interchangeables des rengaines pop, …). Place aux gimmicks improbables
(l’énorme saturation de la guitare sur « C’est comme ça », la
pachydermique basse slappée de « Andy », …), à la géniale trouvaille
à deux balles. Et par-dessus tout cette technique hésitante, la voix de la
Ringer. Elle « habite » tous les titres, tantôt dans les aigus
hystériques, tantôt dans les basses profondes, et marque son territoire comme
peu de shouteuses (noires généralement) ont réussi à le faire. Ringer sur
« The No Comprendo », ça joue dans la même cour que la Joplin de
« Pearl », ce qui est quand même un putain de compliment. Parenthèse.
J’ai vu les Rita dans une tournée des nineties avec un backing band de Blacks
funky, et Ringer chantant les Rita il y a quelques années, je peux vous
assurer, brothers and sisters, que sa voix, elle est pas dopée par des effets
de studio, elle a la foudre dans les cordes vocales (bon la dernière fois, à
plus de soixante balais, elle n’a tenu qu’un peu moins d’une heure dans les
aigus impossibles avant de « gérer » une grosse demi-heure, à coups
de quasi instrumentaux, de solos des zicos, de présentation du band, … mais on
en avait déjà eu pour notre fric).
Reste quasi quatre décennies plus tard, un paradoxe Rita Mitsouko. Le duo est considéré comme immensément représentatif des années 80 festives et hédonistes alors que ses titres sont souvent d’une noirceur totale. « Marcia Baila » sur le cancer qui avait emporté la chorégraphe Marcia Moretto avec laquelle avait bossé Ringer ouvrait la voie de ces joyeuses rengaines glauques. Et si l’on s’en tient aux textes de « No Comprendo », tout l’album n’est qu’une succession de lamentos parfois lugubres mis en musique. Avec une exception, la pièce rapportée et plus mauvais titre du disque, « Nuit d’ivresse », rythme festif et entraînant, bande-son du navet du même nom avec Lhermitte et Balasko. Titre de commande, foncièrement différent au niveau sonore (exceptionnellement des vrais cuivres, ça s’entend) et par son texte (sponsorisé ?), assez loin dans le délire sur le thème de l’alcoolisme que l’excellent « Commando Pernod » des non moins excellents Bérurier Noir sorti l’année précédente. Ce « Nuit d’ivresse », à part quelques considérations bassement mercantiles de la part de Virgin, distributeur des Rita, voulant surfer sur les quelques entrées du film éponyme, et qui une fois venu le succès des autres titres, s’empressera de sortir une version anglaise de « No Comprendo », avec comme objectif le mirage du marché anglo-saxon (comme avant eux les échecs dans la langue de Thatcher des Johnny, Téléphone ou Trust, sans parler des succès « achetés » de Montand ou Aznavour), ce « Nuit d’ivresse » donc, vient entacher un disque jusque là irréprochable.
L’enfilade des trois hits d’entrée nous montre que l’univers
musical des Rita est plutôt polymorphe. « Les histoires d’A » c’est
un funk rock lourd à guitares (Chichin, Ringer, Visconti), avec un violon lancinant
au fond du mix, sur fond d’énumération de ruptures sentimentales tristes avec
la Ringer qui marque vocalement son territoire. « Andy », c’est le
tchac-poum disco avec une énorme base slappée, sur le racolage d’un type lambda
terne et timide, assimilé au personnage de bande dessinée rosbif Andy Capp. « C’est
comme ça », c’est un rock’n’roll basique et bourrin entre Who et Cochran,
qui a autant marqué les esprits par son rythme trépidant que par son clip très diffusé
mettant en avant l’univers kitsch et surréaliste des Rita et de Jean-Baptiste
Mondino.
Les autres titres du disque, dont on ne parle pas souvent (pour être gentil) méritent pourtant le détour. Moins « faciles » peut-être, mais toujours empreints de cette noirceur désabusée due aux textes, en parfait contrepoint avec l’esthétique supposée joyeuse du duo. « Vol de nuit », c’est de la cold wave sombre (comme un prolongement de leur premier disque et une marche dans les pas des Smith les plus sombres, le Robert de Cure et le Mark E. de The Fall). « Un soir un chien », si le titre avait pas déjà été pris (par Blue Öyster Cult) aurait pu s’appeler « Dominance & submission » (voir les paroles), c’est le plus glacial de la rondelle. « Tonite » lui ressemble, malgré une tendance à loucher vers l’emphase pompière (Ringer se fait un peu trop démonstrative à mon goût au chant).
Et même si les textes ne sont pas plus enjoués, quelques
décharges rock (Chichin ?) s’intercalent pour éviter toute comparaison
avec Joy Division. Petits brûlots rockabilly (« Someone to love »),
mid tempos guillerets (« Bad days »), ballade-comptine (« Stupid anyway »)
montrant que la voix de Ringer peut aussi être extraordinaire sur des tempos
lents.
Même Godard avait été impressionné par le duo (il n’y
comprend rien mais est attiré par la musique des djeunes). Après les Stones
enregistrant « Sympathy for the devil » dans « One + One »,
il avait filmé les Rita travaillant sur « No Comprendo », incluant
quelques séquences dans l’oubliable « Soigne ta droite ». Pas rancunier,
le duo le remercie dans les crédits du disque …
Et pour finir, respect total pour l’attitude des Rita
Mitsouko qui ont su ne pas sombrer dans le music business à tout crin, rester
en dehors des engagements humanitaires, caritatifs, etc … calculateurs, et
éviter toute récupération (l’esquive de Ringer à la tentative de bisou de
Micron Ier aurait dû en inspirer certain(e)s) …