Quand tous les rêves étaient permis ...
Les Mamas & Papas ont été précurseurs et chefs de file de ce sous-genre de la pop qu’on a appelé sunshine pop. (Epi)phénomène qui a eu son quart d’heure de gloire dans l’Amérique de la fin des 60’s, quand quelques petits malins (surtout producteurs) ont mélangé les aspects « positifs » du psychédélisme (« everybody needs somebody », ce genre de philosophie) avec la pop la plus « facile » (celle qui cartonnait dans les charts, genre Beach Boys ou Beatles). Les groupes sur lesquels tout le monde est à peu près d’accord pour les ranger sous l’étiquette « sunshine pop » s’épèlent 5th Dimension, Left Banke, Sagittarius, Turtles, Rascals, Grass Roots, Monkees, … Et les Mamas & Papas (même si c’est un peu plus compliqué, on va en causer), ne serait-ce que parce qu’ils ont écrit et chanté l’hymne définitif de la sunshine pop, « California dreamin’ ».
John & Michelle Phillips, Mama Cass Elliot & Denny Doherty |
Bon, « California dreamin’ », en 2’30,
c’est la plus belle et plus emblématique chanson des années 60. Et donc
forcément suivantes, parce qu’on a perdu depuis la recette (dénigrés les
auteurs-compositeurs parce qu’il fallait en plus être interprète, on s’est
compliqué la vie avec des machins amphigouriques, on a déstructuré, on s’est
focalisé sur le son et les arrangements, sans compter tous ceux qui ont pris le
melon et se croyaient les Bach de la musique pour jeunes …). Enfin on a voulu
faire compliqué quand par hasard on était capable de faire simple, une intro,
des couplets, des refrains, un pont, et basta … « California dreamin’ »
est écrite par John Phillips alors qu’il se gelait à New York et qu’il se
disait que s’il arrivait à faire son trou dans le music business (il composait,
chantait correctement, et gratouillait une guitare) il irait s’installer à Los
Angeles. Tout ça tient en un couplet, le second fait une référence assez
énigmatique à la religion. Le premier couplet est chanté par John Phillips, le
second par Denny Doherty, Mama Cass Elliot et Michelle Phillips assurant les
chœurs. Et au milieu du titre, une pointure du jazz, Bud Shank, vient signer le
solo de flûte le plus célèbre de la pop. Ici, le lecteur fidèle se dit wtf, on
y comprend rien, mais qui sont ces gens-là, pas de souci, lecteur fidèle, je te
raconte tout le truc …
Au départ, le couple dans la vie John et Michelle Phillips. Lui, j’en ai causé au-dessus, rien à rajouter sinon que c’est une grande asperge ayant souvent la risible idée de se coiffer d’une toque en fourrure. Elle, c’est une des deux plus belles blondes des sixties (l’autre étant la cycliste Nico), tout juste bonne à filer un coup de main à son John pour composer un titre (elle est co-créditée pour « California dreamin’ » c’est son banquier qui est content) et assurer des chœurs feignasses (l’essentiel du boulot est fait par Mama Cass). Mais son principal intérêt ne réside pas vraiment dans ses dons musicaux, voir la vidéo plus bas lors d’un passage du groupe (en furieux play-back au Ed Sullivan show) difficile de la quitter des yeux alors que raide déf, elle oublie totalement le titre pour grignoter une banane, déplacer une phallique borne d’incendie factice, jouer avec un ballon aussi large que Mama Cass, mais qu’elle réussit à manquer quand elle veut lui donner un coup de pied. Grand moment de télévision psychédélique …
Donc le couple Phillips bricole dans le music
business et accepte n’importe quelle session de studio comme choristes, et
sait-on jamais, refiler à qui en voudrait bien une composition de John. Au gré
de sessions, ils rencontrent un Canadien, Denny Doherty. Ce dernier
appelle à la rescousse une de ses connaissances Cass Elliot, au fort tonnage et
à triple menton, mais à la voix d’or. Les quatre décident de jouer ou plutôt chanter
ensemble, et partent se mettre « au vert » dans les Îles Vierges
américaines, d’où le gouverneur les expulsera (« pas de hippies chez
moi »). Après avoir fait les chœurs d’un album oublié du non moins oublié
Barry McGuirre, John (et Michelle) proposent au producteur Lou Adler la
maquette de « California dreamin’ » qui tergiverse avant de signer les
quatre pas vraiment fab. Comme ce couillon de John a refilé son titre à Barry
McGuirre, celui-ci veut aussi l’enregistrer. Les deux versions sortiront à
quelques jours d’intervalle et ce sont les tout nouveaux Mamas & Papas qui
tirent les marrons du feu.
Evidemment, le malin Adler ne laisse pas retomber le soufflé et envoie sa bande des quatre en studio pour un trente-trois tours et somme John Phillips d’écrire d’autre hits. Ce sera chose faite avec « Monday Monday », et dans une bien moindre mesure « Go where you wanna go ». Une équipe de fines lames de studios est recrutée sous le commandement du batteur Hal Blaine, homme de base du Wrecking Crew, l’orchestre de Phil Spector, qui en quatre décennies de carrière aurait soi-disant battu la mesure sur plus de trente mille titres (!). Equipe réduite (pas la peine de faire du boucan, y’en a quatre au chant), avec P.F. Sloan (guitariste mais aussi compositeur, il amènera un titre), Larry Knatchel (piano) et Joe Osborn (basse). Le résultat sera ce « If you can believe your eyes and ears », dont au passage la pochette originale sera censurée. Pas à cause des quatre dans la même baignoire, mais à cause de chiottes en bas à droite, qui seront recouvertes d’une espèce de parchemin genre sticker annonçant les titres forts de la galette à mesure que ces titres grimpaient dans les charts. Par contre la mauvaise orthographe ("Mama's et Papa's") a perduré tout au long des rééditions.
Cachez cette cuvette que je ne saurai voir ... |
A l’écoute des douze titres, on se rend compte
qu’artistiquement, le maillon faible du quatuor est Michelle Phillips (de toute
façon, elle a même pas besoin de chanter pour capter tous les regards). Son
John de mari est un peu meilleur, mais moins bon chanteur que Denny Doherty,
capable d’aller chercher des registres soul. Moins cependant que Mama Cass qui
chante lead sur deux titres qu’elle sauve de la noyade (« Somebody
groovy » et « In crowd ») et tire vers le haut « Hey girl »
et son joli pont de basse.
Outre « California dreamin’ », l’autre gros succès du disque sera « Monday Monday », mélodie first class, harmonies vocales exceptionnelles, arrangements et pont mirifiques. Et pour assurer le coup, on va glisser quelques reprises. Et du lourd. « I call your name » est signée Lennon-McCartney. C’est un titre pré-Beatles de Lennon, qu’on ne trouve pas sur les albums officiels anglais, mais sur les américains et sur les compiles « Past masters ». Sous la houlette de Mama Cass, chanteuse principale sur le titre, ce morceau assez anecdotique dans sa version originale voyage du côté de la musique caraïbe et du jazz New Orleans. Au moins au niveau de l’original … « Do you wanna dance » du one-hit wonder Bobby Freeman est à la base un rhythm’n’blues sur un tempo rapide. Très souvent reprise (des Beach Boys aux Ramones en passant par Cliff Richard et Bette Midler), elle l’est quasiment toujours sur un tempo vif et entraînant. Les Mamas & Papas en donnent une version lente, genre fin de party désabusée. La meilleure version que je connais de ce classique. La troisième reprise, « Spanish Harlem » est aussi dans le trio des meilleurs titres de « If you can … » et pourtant, là aussi, c’est un classique moultes fois entendu. Dans sa version originale par Ben E. King, puis plus tard par Aretha Franklin, pas vraiment des premiers venus derrière un micro. Grâce à des arrangements de génie, là aussi, la meilleure version est celle des Mamas & Papas.
Après les sommets, la noyade ... |
Qui ne se cantonnent pas à un registre qu’on pourrait
qualifier de lounge si le terme avait existé à l’époque, témoin « Straight
shooter » autre compo de John Phillips, sur un tempo nettement plus rock,
en gros le meilleur titre que les Byrds imitant les Beatles avaient oublié de
sortir. Malgré tout, il y a quand même une baisse de qualité vers le dernier
tiers du disque, les morceaux sont moins marquants.
Le succès ouvrait grand les bras aux Mamas & Papas
(prestation remarquée au Monterey Pop Festival l’année suivante). C’était sans
compter sur le couple Phillips. Le John va se révéler incapable de composer de
nouveaux grands titres. Enfin, presque. C’est le manager-producteur Lou Adler
qui refusera que les Mamas & Papas enregistrent un de ses titres, préférant
le refiler à un inconnu dont il voudrait lancer la carrière. L’inconnu, c’est
Scott McKenzie, et le titre, évidemment, « San Francisco », hit
galactique de 1967. Les Mamas & Papas, auront beau en sortir une belle
version, c’est trop tard. Et l’inspiration de John Phillips va se tarir aussi
soudainement qu’elle s’était révélée. Faut dire aussi que sa belle épouse va
lui en faire voir de toutes les couleurs. Une première liaison avec Gene Clark (ex
Byrds) va jeter un gros coup de froid pendant l’enregistrement du second album
du groupe. Mise en bouche, osera-t-on. La suite va affoler les tabloïds. Elle
quitte momentanément John pour Denny Doherty, ce qui entraînera de fait le
split des Mamas & Papas, même si le groupe durera officiellement jusqu’en
1971. On retrouvera la belle Michelle mariée à la fin des sixties avec un autre
cramé notoire, Dennis Hopper. Le mariage durera huit jours (un record qui ne
sera égalé que par Axl Rose avec la fille d’un des Everly Brothers), avant que l’ex-Madame
Hopper ne soit vue un temps au bras de Jack Nicholson … quand je vous disais
que c’est le genre de blonde qui ne passe pas inaperçue …
« If you can believe … » est un polaroïd d’une
époque, entre pop et psychédélisme. Totalement anecdotique pour une large
majorité. Certes, mais rigoureusement indispensable tout de même …